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     Date: 19980220

     Dossier: IMM-1960-97

DEVANT :      MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

ENTRE

     HARRY EDWARD PRAHL CARDENAS,

     MARIA VICTORIA PALACIOS DE PRAHL,

     GRETHEL MARIE PRAHL PALACIOS,

     HARRY EDWARD PRAHL PALACIOS et

     PAUL HERMAN PRAHL PALACIOS,

     requérants,

    

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     ORDONNANCE

         Pour les motifs ci-joints, la décision par laquelle la Section du statut de réfugié a conclu, le 13 mars 1997, que le requérant, sa femme et ses enfants n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention est par les présentes infirmée et l'affaire est renvoyée à un autre tribunal pour nouvelle audition.


     Douglas R. Campbell

     JUGE

OTTAWA (ONTARIO)


Traduction certifiée conforme


François Blais, LL.L.




     Date: 19980220

     Dossier: IMM-1960-97


ENTRE

     HARRY EDWARD PRAHL CARDENAS,

     MARIA VICTORIA PALACIOS DE PRAHL,

     GRETHEL MARIE PRAHL PALACIOS,

     HARRY EDWARD PRAHL PALACIOS et

     PAUL HERMAN PRAHL PALACIOS,

     requérants,

    

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE CAMPBELL :

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section du statut de réfugié (la SSR) a conclu, le 13 mars 1997, que Harry Edward Prahl Cardenas (le requérant) ainsi que sa femme et ses enfants n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention. Le requérant fonde sa revendication sur le fait qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social. La revendication de la femme et des enfants de M. Cardenas est fondée sur leur appartenance au groupe social de la "famille"; ces derniers soutiennent donc qu'ils sont également victimes de la persécution dont M. Cardenas fait l'objet.

A. La preuve

[2]      De 1984 jusqu'au mois de décembre 1990, le requérant travaillait pour divers laboratoires médicaux comme représentant chargé de promouvoir la vente de produits pharmaceutiques. Une fois toutes les quatre semaines, il faisait un circuit de cinq jours pour visiter des hôpitaux et des pharmacies. Il assurait la promotion des produits de la compagnie auprès des médecins en vue de tenter d'accroître la quantité de produits de la compagnie prescrits aux patients. La compagnie comptait 25 représentants, dont les parcours étaient tous différents.

[3]      Le requérant possédait également une pharmacie à Chimaltento, qui est située à 55 kilomètres de la ville de Guatémala. Un gérant tenait le magasin et le requérant se rendait au magasin pendant la fin de semaine pour surveiller ce qui s'y passait.

[4]      En octobre 1994, une quinzaine ou une vingtaine d'hommes qui portaient des uniformes semblables à ceux de l'armée ont arrêté la voiture du requérant. Ils ont fouillé la voiture et ont trouvé les médicaments qui étaient dans le coffre arrière. Ils ont dit au requérant qu'il devait collaborer avec eux en remettant des "impôts de guerre" et ils ont pris de 40 à 50 p. 100 des médicaments qui étaient dans le coffre. Ils ont dit au requérant que s'il ne collaborait pas, on lui infligerait des blessures ainsi qu'à sa famille.

[5]      Pendant cet événement, les hommes ont examiné (sans pour autant les confisquer) le permis de conduire du requérant, son itinéraire et l'enregistrement de la voiture. Ils ont averti le requérant de ne pas signaler l'incident aux autorités. Le requérant éprouvait de la crainte parce qu'il croyait que les hommes étaient des guérilleros, mais il ne savait pas à quel groupe ils appartenaient. La plupart des groupes de guérilleros se livrent à leurs activités sous l'égide d'un groupe appelé l'Union révolutionnaire nationale guatémaltèque (l'URNG).

[6]      Le requérant a poursuivi son chemin et il n'a jamais dit à la compagnie que certains médicaments avaient été confisqués parce qu'il ne voulait pas avoir de problèmes avec son employeur. Il ne connaissait aucun autre représentant de la compagnie qui avait eu des problèmes avec les guérilleros.

[7]      Pendant qu'il revenait d'un voyage d'affaires, en novembre 1994, un gros camion a bloqué la route devant le requérant. Le requérant a été tiré de force de sa voiture et on l'a roué de coups à l'aide d'un fusil en lui cassant les dents. On a dit au requérant qu'il devait continuer à collaborer avec les guérilleros et leur remettre des "impôts de guerre". Tous les médicaments ont été saisis et on a averti le requérant de ne pas communiquer avec la police ou avec l'armée. Le requérant a reconnu quatre hommes qui l'avaient attaqué en octobre. Il n'a pas signalé l'incident à la police, à l'armée ou à la compagnie.

[8]      Le lendemain, le requérant est allé chez le dentiste. En janvier 1995, il a vu un chirurgien dentiste. Le rapport qui a été préparé indiquait que le requérant avait été victime d'un accident de voiture le 18 novembre 1994 et qu'il s'était fracturé les incisives supérieures par suite de l'arrêt soudain.

[9]      Pendant les quelques mois qui ont suivi, le requérant a pris différents chemins pour éviter les guérilleros. On téléphonait chez lui de quatre à six fois par mois pour lui rappeler l'obligation qu'il avait envers les guérilleros.

[10]      Pendant qu'il était à Guatémala avec sa famille le 1er avril 1995, on a lancé une roche sur le pare-brise de la voiture. Les assaillants ont injurié le requérant et ont frappé la voiture à coups de bâton. Le requérant a reconnu les assaillants comme étant ceux qui l'avaient attaqué et menacé au cours des mois précédents. Il a immédiatement quitté le secteur.

[11]      Le 10 avril 1995, le requérant a soumis un rapport d'assurance qui disait que pendant qu'il se rendait en voiture à la colonie Bethania, quelqu'un avait lancé une roche qui avait cassé le pare-brise. Le requérant a dit qu'il avait essayé d'arrêter, mais que des gamins étaient arrivés et lui avaient lancé des pierres et des bâtons, de sorte qu'il était parti. Le requérant a soumis un rapport erroné parce qu'il avait peur des guérilleros.

[12]      Le 25 mai 1995, pendant qu'il garait sa voiture chez lui, le requérant a été accosté par deux hommes qui l'ont contraint à entrer dans la maison. On lui a rappelé qu'il devait payer des "impôts de guerre" et fournir des médicaments. On lui a fortement conseillé de collaborer et on lui a dit de ne pas communiquer avec les autorités.

[13]      Le requérant, qui pensait qu'il était futile d'essayer d'éviter les guérilleros, a repris son ancien parcours. En juin, en juillet et en août 1995, il a été arrêté par des hommes armés qui ont pris une partie de ses médicaments. Il a de nouveau été arrêté en octobre. Les guérilleros connaissaient alors son nom.

[14]      En novembre 1995, des militaires ont arrêté le requérant dans sa voiture. Ils l'ont installé sur la banquette arrière et lui ont bandé les yeux. Ils l'ont accusé d'aider les rebelles, ils lui ont donné des coups de pied et ils ont placé sur sa tête un sac de plastique contenant des substances toxiques. L'un des hommes a ordonné aux autres de le libérer. Cet homme a conseillé au requérant de quitter immédiatement les lieux à défaut de quoi les autres soldats le tueraient. On l'a conduit dans sa voiture à son hôtel où on l'a déposé.

[15]      Peu de temps après, le requérant a demandé et obtenu des passeports guatémaltèques pour sa famille et lui. Il a d'abord envoyé sa fille de 13 ans au Canada, puis le 10 décembre 1995, le reste de la famille et lui l'ont suivie. Il a démissionné une fois arrivé au Canada.

[16]      Pendant que le requérant était au Canada, son frère l'a informé que des étrangers le cherchaient. Une autre fois, des étrangers ont posé des questions au beau-frère du requérant au sujet d'une voiture rouge (le requérant possédait une voiture rouge). En même temps, une autre voiture est arrivée sur les lieux et on a demandé où était le requérant. Le beau-frère a été accusé de cacher le requérant et on a tiré sur lui.

[17]      Le 24 janvier 1996, le requérant a reçu une télécopie disant que Douglas, qui était celui qui s'occupait de leur maison au Guatémala, avait reçu un appel téléphonique après l'incident au cours duquel les occupants d'une voiture avaient tiré des coups de feu. Les hommes ont dit à Douglas que la fusillade servait d'avertissement et que, la prochaine fois, ils tireraient sur la maison. Ils ont fait savoir qu'ils cherchaient le requérant et qu'ils avaient le droit d'exiger l'"impôt de guerre".

[18]      En 1996, le beau-frère du requérant a appris à celui-ci qu'un représentant d'une compagnie pharmaceutique avait été tué.

B. Les conclusions tirées par la SSR et mon analyse

[19]      Même si Me Darwent, pour le compte du requérant et de sa famille, a soulevé de nombreux points qui l'inquiétaient fortement dans la contestation de la décision de la SSR, j'ai décidé de mettre l'accent sur deux points seulement lorsque j'ai conclu que la décision de la SSR devait être infirmée.

     1. La conclusion relative au groupe social

[20]      En ce qui concerne le groupe social auquel appartient le requérant, la SSR a tiré la conclusion suivante :

         [TRADUCTION]
         L'avocat du demandeur soutient que ce dernier appartient à un groupe social, à savoir celui des représentants de compagnies pharmaceutiques au Guatémala. Conformément aux principes énoncés dans l'arrêt Ward c. Canada (P.G.) [1993] 2 R.C.S. 689, le tribunal conclut que les représentants de compagnies pharmaceutiques au Guatémala ne constituent pas un groupe social au sens de la définition de "réfugié au sens de la Convention".

[21]      Me Darwent a soutenu qu'indépendamment des observations qui étaient faites, compte tenu de l'arrêt Joel Coreas Navarro c. le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (dossier A-1699-92, C.F. 1re inst.), la SSR était tenue de rendre une décision appropriée en se fondant sur la preuve présentée.

[22]      Dans l'arrêt Navarro, le juge Wetston a dit ceci :

         La Cour estime, étant donné que les éléments de preuve présentés par le requérant semblaient indiquer qu'il fondait sa crainte de persécution éventuelle sur son appartenance à un groupe social particulier, que la Commission aurait dû examiner ce motif comme faisant partie de la revendication du statut de réfugié, nonobstant le fait que le FRP ne le mentionnait pas expressément. Et c'est d'autant plus le cas, que la Commission semble avoir accepté les éléments de preuve du requérant concernant son enlèvement et ses travaux forcés. (Ward c. M.E.I. [1993] 2 R.C.S. 689 à la page 745; Singh c. Secrétaire d'État du Canada, 14 juin 1994, IMM-3591-93 (C.F. 1re inst.)).
         La Commission a complètement négligé d'apprécier la revendication dans l'optique de l'appartenance à un groupe social. (Hujaleh c. M.E.I., 14 avril 1993, A-250-92 (C.A.F.)). La Commission doit apprécier les éléments de preuve et décider s'ils démontrent une crainte fondée de persécution. Alors qu'il aurait été préférable et même souhaitable que l'avocat du requérant soulève ce motif, la Commission avait néanmoins l'obligation d'examiner si l'appartenance à un groupe social donnait lieu, en l'espèce, à une crainte fondée de persécution. [Je souligne]

[23]      Je souscris à l'argument de Me Darwent selon lequel la SSR ne s'est pas acquittée d'une façon appropriée de l'obligation qui lui incombait et je conclus donc qu'une erreur de droit a été commise en vertu de l'alinéa 18.1(4)c) de la Loi sur la Cour fédérale.

     2. La conclusion relative à la crédibilité

[24]      La SSR a reconnu comme crédible le fait que le requérant travaillait comme représentant d'une compagnie pharmaceutique, qu'il était allé voir un chirurgien dentiste au sujet des dents cassées, qu'il avait soumis un rapport d'assurance à l'égard du pare-brise cassé et qu'il avait démissionné une fois arrivé au Canada.

[25]      Toutefois, la SSR n'a pas cru que les guérilleros avaient abordé le requérant à maintes reprises, que l'armée s'en était prise à lui et avait essayé de le tuer et que les guérilleros s'étaient présentés à la maison de sa famille, au Guatémala, pour le chercher. Dans une analyse fort minutieuse qu'il a faite dans ses observations écrites, Me Darwent a exprimé comme suit ses préoccupations au sujet des conclusions que la SSR avait tirées à l'égard de la crédibilité :

         [TRADUCTION]
         À la page 6 des motifs de la décision (enr. 75), la présidente du tribunal dit ceci :
             [TRADUCTION]
             Le tribunal ne croit pas que les guérilleros l'aient abordé, que l'armée s'en soit prise à lui et l'ait presque tué ou que les guérilleros aient continué à le chercher à la maison familiale. Il y a plusieurs éléments de preuve que nous jugeons trop invraisemblables.

         Il va sans dire que lorsqu'une personne présente un témoignage sous serment, elle est réputée dire la vérité à moins qu'il n'existe des motifs sérieux d'en douter. (Villarroel v. M.E.I. (1979) 61 N.R. 50, Maldonado c. MEI [1980] 2 C.F. 302, Armson c. MEI (1989) dossier A-313-88, C.A.F.); Attakora c. MEI, (1989) fiches analytiques D, C.A.F. 1486-04;
         À mon avis, la Commission agirait arbitrairement si elle mettait en doute, sans justes motifs, la crédibilité d'un témoin. Si un requérant jure que certaines allégations sont vraies, cela crée à mon avis une présomption qu'elles le sont, à moins qu'il n'existe des raisons d'en douter.
         Villaroel (précité), juge Pratte.
         Quand un requérant jure que certains allégations sont vraies, cela crée à mon avis une présomption qu'elles le sont, à moins qu'il n'existe des raisons d'en douter. Maldonado (précité).
         Ces principes fondamentaux ont récemment été énoncés comme suit par Monsieur le juge Campbell dans la décision Van Anh Nguyen v. M.C.I. (1997) IMM 1533-96 :
         L'application des principes selon lesquels, d'une part, les instances décisionnelles doivent écouter de façon objective et avec un esprit ouvert l'ensemble du témoignage et, d'autre part, le témoignage rendu sous serment est présumé vrai à moins qu'il n'existe des motifs valables d'en douter, est essentielle lorsqu'il s'agit de tirer des conclusions valables en matière de crédibilité. Il s'agit de principes importants, car tous les témoins ont droit, au départ, au respect et à la crédibilité. [Je souligne.]
         Il ressort des observations précitées de la présidente du tribunal qu'il n'a absolument pas été tenu compte de ces principes de base et que le tribunal s'est plutôt fondé sur son intuition et sur ses propres conjectures. L'examen de certains éléments que la présidente qualifie d'"invraisemblables" le montre clairement. Ainsi :
         [TRADUCTION]
         1.      Le tribunal conclut qu'il est peu vraisemblable que le demandeur ait poursuivi son chemin après avoir qu'on l'eut volé en braquant un fusil sur lui après le premier incident. Normalement, il serait retourné chez son employeur pour signaler la perte, ou du moins pour obtenir d'autres échantillons de médicaments ou pour se remettre de sa mésaventure.
         Il est soutenu que la présidente fait ici une conjecture au sujet de ce qu'elle aurait peut-être elle-même fait si elle avait été représentante d'une compagnie pharmaceutique et que des guérilleros armés l'avaient volée, mais il n'y a absolument rien dans les faits tels que le demandeur les a relatés qui aurait pour effet de rendre invraisemblable la décision qu'il avait prise de poursuivre son chemin ou qui permettrait de conclure que cela était faux. Il n'est pas tenu compte non plus du lieu où l'incident s'était produit par rapport au lieu d'affaires de l'employeur. De plus, le témoignage du demandeur n'a absolument pas été réfuté.
         [TRADUCTION]
         2.      Le tribunal estime qu'il n'est pas vraisemblable que le demandeur n'ait pas signalé ses pertes à l'employeur, mais qu'il ait soumis un faux rapport d'accident et un faux rapport médical au sujet de ce qui lui était arrivé parce qu'il craignait les guérilleros. Il croyait que les guérilleros avaient peut-être des indicateurs au poste de police. Le tribunal conclut que ses convictions sont fondées sur des conjectures et que ses explications ne sont pas satisfaisantes.
         Ici encore, la présidente accuse le demandeur de faire des conjectures, mais elle ne fait que remplacer ces conjectures par les siennes. Il pourrait être déraisonnable de croire que les guérilleros ont des espions dans les postes de police au Canada, mais dans un pays dévasté par la guerre comme le Guatémala, cela est fort probable. La conviction du demandeur selon laquelle il y avait des espions ne pouvait pas sérieusement être fondée sur autre chose que ses propres conjectures; il est peu probable qu'il aurait personnellement rencontré pareil espion ou qu'il l'aurait reconnu comme tel s'il l'avait rencontré. Toutefois, la présidente omet clairement de tenir compte du fait que le demandeur avait vécu toute sa vie durant au Guatémala et qu'il était donc raisonnable de s'attendre à ce qu'il sache qu'il y avait des espions dans les postes de police et qu'il soit au courant des autres atrocités auxquelles donnait lieu une insurrection de guérilleros. Il est soutenu que le fait qu'il a hésité à signaler ses pertes à son employeur parce qu'il craignait les guérilleros n'est certainement pas invraisemblable. Il s'agit ici encore simplement d'un homme qui réagit d'une façon peut-être différente de celle dont la présidente du tribunal aurait pu réagir si elle avait été à sa place au Guatémala au lieu de vivre en toute sécurité à la maison à Calgary.
         [TRADUCTION]
         3.      Le demandeur a témoigné qu'il était le seul représentant de la compagnie qui avait des problèmes avec les guérilleros. Pourtant, il a affirmé que la perception des "impôts de guerre" était fondée sur les besoins des guérilleros.
         Ici encore cette déclaration en soi n'est pas invraisemblable et ne renferme rien que le tribunal puisse réellement considérer comme faux en disposant d'un fondement solide à l'appui de pareille conclusion. Il peut bien y avoir eu d'autres représentants qui, comme le demandeur, croyaient qu'il était préférable de ne pas crier la nouvelle sur les toits de sorte que le demandeur n'aurait pas été au courant de la chose.
         Il est soutenu avec égards qu'il n'y a absolument rien dans les déclarations considérées comme invraisemblables mentionnées par la présidente du tribunal qui satisfasse au critère applicable lorsqu'il s'agit de rejeter le témoignage du demandeur.
     Questions relatives à la crédibilité une fois que les demandeurs eurent quitté le Guatémala
         La présidente du tribunal dit ceci (enr. 76) :
         [TRADUCTION]
         Le tribunal accorde peu d'importance aux pièces justificatives fournies par le demandeur. Il leur a demandé de rédiger des lettres à l'appui de sa preuve. Nous concluons qu'il s'agit d'une preuve intéressée.
         Il est avec égards soutenu que la seule autre preuve corroborante serait fournie par les membres de la famille du demandeur qui sont restés au Guatémala. Naturellement, le demandeur leur a demandé d'écrire et de lui faire savoir ce qu'ils savaient de ses problèmes et de la situation au Guatémala. Ils l'ont fait et, bien que leurs lettres soient postérieures à l'arrivée des demandeurs au Canada, il n'y a ici encore rien qui laisse entendre que ce qu'ils disaient dans les lettres n'était pas vrai. Le style des lettres laissait peut-être bien à désirer aux yeux de la présidente du tribunal, mais il faudrait se rappeler en premier lieu qu'il s'agissait de lettres traduites d'une langue étrangère et, en second lieu, qu'en espagnol, le style formel est plutôt différent du style utilisé au Canada.
         Il importe de noter que la présidente du tribunal admet elle-même ceci (enr. 77) :
         [TRADUCTION]
         De l'avis du tribunal, le nombre d'éléments invraisemblables est tel que dans l'ensemble, la preuve n'est pas crédible, et ce, même si chacun des éléments à lui seul n'est pas particulièrement important. Bref, le témoignage du demandeur sonne faux.
         Il est soutenu avec égards que même si elles sont considérées dans leur ensemble, les soi-disant invraisemblances ne sont pas suffisantes pour servir de fondement permettant de rejeter entièrement le témoignage du demandeur. Il importe de noter que la présidente du tribunal croyait avoir constaté l'existence d'"invraisemblances" par opposition à des incohérences. La présidente n'a pas pu non plus constater quoi que ce soit qui contredise le témoignage du demandeur. Les événements que le demandeur a décrits sont essentiellement le genre d'incidents dont la preuve documentaire est pleine. Étant donné que les événements se sont produits dans le Guatémala contemporain par opposition au Canada, les "invraisemblances" n'ont absolument aucun poids.
         Le pays ici en cause est le Guatémala, mais le raisonnement du tribunal en l'espèce correspond à celui qui a été fait dans l'arrêt Igbal Singh Bains c. MEI (1993) 92-A-6905 (C.F. 1re inst.) où le juge Cullen a fait les remarques suivantes :
         Il est possible que les événements décrits par le requérant aient pu paraître invraisemblables à la Section du statut, et que le témoignage du requérant ait pu donc sembler peu digne de foi mais, ainsi que l'a fait remarquer l'avocat du requérant [TRADUCTION] "Les critères canadiens cadrent mal avec la réalité indienne". Malheureusement, la torture existe, ainsi qu'existent aussi l'exploitation et la vengeance qui souvent, mènent au meurtre. [Je souligne.]

[26]      En réponse à ces observations, Me Blain, pour le compte de l'intimé, a cité le passage suivant de l'arrêt Aguebor c. le ministre de l'Emploi et de l'Immigration [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.) comme faisant autorité à l'appui de l'argument selon lequel je ne devrais pas modifier les conclusions de la SSR :

         Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la Cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l'être.

[27]      Je ne remets pas en question l'argument de Me Blain sur les points de droit, mais étant donné que je souscris entièrement à l'avis précité de Me Darwent, je conclus que les conclusions que la SSR a tirées au sujet de la crédibilité sont déraisonnables. Je conclus donc qu'en vertu de l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, la SSR a rendu une décision fondée sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon arbitraire.

C. Conclusion

[28]      Pour les motifs susmentionnés, en ce qui concerne le requérant, sa femme et ses enfants, j'infirme la décision qui a été rendue en l'espèce et je renvois l'affaire à un autre tribunal de la SSR pour nouvelle audition.




     Douglas R. Campbell

     JUGE

OTTAWA (ONTARIO)


Traduction certifiée conforme


François Blais, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

Avocats et procureurs inscrits au dossier


DOSSIER :      IMM-1960-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      HARRY EDWARD PRAHL CARDENAS ET AUTRES c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :      CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :      LE 29 JANVIER 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE      DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

     EN DATE DU 20 FÉVRIER 1998



ONT COMPARU :

CHARLES R. DARWENT          POUR LE REQUÉRANT

BILL BLAIN          POUR L'INTIMÉ



PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

CHARLES R. DARWENT          POUR LE REQUÉRANT

CALGARY (ALBERTA)

GEORGE THOMSON          POUR L'INTIMÉ

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

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