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     Date: 19971126

     Dossier: T-331-96

Entre :

                 MADAME CAROLINE GAGNON

                 - et -

                 MONSIEUR DANIEL RAYMOND

     Requérants

     - et -

                 MICHEL DESLAURIERS

                 - et -

                 JEAN-CLAUDE PERRON

                 - et -

                 LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Intimés

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD :

[1]      La présente demande de contrôle judiciaire vise la décision du Directeur de l'Établissement Leclerc de mettre en service l'IONSCAN, appareil utilisant la spectrométrie de mobilité ionique, afin de détecter des particules de drogue sur les visiteurs des détenus à cet établissement. Les requérants, deux semblables visiteurs à l'égard desquels l'IONSCAN a été utilisé, demandent plus spécifiquement la cessation de l'usage de cet appareil à l'égard de tous les visiteurs des détenus à l'établissement concerné. Michel Deslauriers et Jean-Claude Perron ont été faits intimés en leur qualité respective de Directeur de l'Établissement Leclerc et de Commissaire régional du Service correctionnel du Canada.

LES FAITS

[2]      Vu les difficultés que posent la répression de l'introduction de drogues dans les établissements correctionnels fédéraux et l'intérêt important qu'a le Service correctionnel du Canada de contrer la consommation de drogues et la violence reliée à la drogue dans ces mêmes établissements, le Commissaire du Service correctionnel du Canada a mis en oeuvre une stratégie nationale antidrogue, laquelle fait l'objet de la Directive du Commissaire no 585, du 2 janvier 1996. C'est dans le cadre de cette stratégie nationale antidrogue, en complément du programme des analyses d'urine des détenus prévu à l'article 54 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.R.C. 1985, chap. C-44.6 (la Loi), qu'il a été décidé de mettre en place, à titre de projet pilote, l'IONSCAN, afin d'empêcher l'entrée de drogues par des visiteurs à l'Établissement Leclerc, particulièrement affligé par le problème de la drogue.

[3]      Pour la mise en opération de l'IONSCAN, le Directeur de l'Établissement Leclerc a adopté, en vertu de la Loi, le 8 décembre 1995, l'Ordre permanent no 571.5 intitulé "Spectrométrie au moyen de l'IONSCAN". Cet Ordre permanent, qui a été précisé les 29 février 1996 et 5 juin 1996, définit comme suit l'objectif de la politique:1

         Promouvoir et favoriser la sécurité de l'établissement et du public en décelant l'utilisation de drogues illicites comme les stupéfiants et d'autres substances interdites afin de dissuader les détenus de consommer ces drogues et/ou d'en faire le trafic.                 

[4]      Dès le 17 novembre 1995, des avis relatifs à l'introduction de l'IONSCAN à l'Établissement Leclerc, à compter du 11 décembre 1995, à titre de projet pilote, ont été communiqués à tous les visiteurs ainsi qu'aux détenus, et plusieurs avis semblables ont été affichés dans la salle des visiteurs de l'établissement. Effectivement, l'appareil y est en opération depuis le 11 décembre 1995 et il permet d'identifier, de façon préliminaire, les visiteurs qui pourraient être en possession de drogues lors de leur demande d'entrée dans l'établissement. Cette utilisation de l'IONSCAN, à l'instar de l'utilisation du détecteur de métal, constitue une méthode de fouille discrète. C'est à l'entrée principale du pénitencier qu'on se sert de l'appareil pour procéder au balayage des effets d'un visiteur. David Lévesque, gérant d'unité à l'Établissement Leclerc, précise que cette procédure de fouille est effectuée en demandant au visiteur d'essuyer un effet personnel avec un tissu ou en utilisant l'aspirateur prévu à cette fin sur l'effet personnel, la première méthode étant plus souvent utilisée en raison de sa plus grande rapidité d'exécution. Bien sûr, lorsque le visiteur entre dans l'établissement, il peut refuser d'être ainsi contrôlé et tout simplement quitter les lieux. S'il accepte le contrôle par l'IONSCAN, l'échantillon obtenu est alors remis à l'opérateur de l'appareil pour analyse. Selon que le niveau de drogue détecté, s'il en est, dépasse ou ne dépasse pas le seuil minimal établi par le directeur, les paragraphes c) et d) de l'article 19 de l'Ordre permanent no 571.5 du 4 juillet 1996 doivent maintenant recevoir leur application. Il est utile de reproduire ici l'article 19 de cet Ordre permanent:

         19.      Un employé peut demander à un visiteur de se soumettre à un contrôle de ses vêtements tels manteaux, imperméables ou autre vêtement d'extérieur et/ou de ses effets personnels:                 
         a)      lorsque le visiteur entre dans l'établissement;                 
         b)      si le visiteur refuse d'être contrôlé, il ne doit pas être autorisé à pénétrer à l'intérieur de l'établissement et on lui demandera de quitter la réserve de l'établissement sauf s'il s'agit des personnes énumérées à l'annexe A de la Directive du Commissaire #575 (par exemple, les avocats). Ces personnes auront la possibilité de communiquer avec leur client (détenu) par le biais d'une visite guichet et/ou sous la supervision directe d'un membre du personnel;                 
         c)      si le niveau détecté ne dépasse pas le seuil minimal, le visiteur pourra bénéficier de sa visite régulière;                 
         d)      dans tous les cas où le niveau détecté dépasse le seuil minimal, on demandera au visiteur d'attendre et on avertira, pendant le quart de jour, l'agent de sécurité préventive, le gérant d'unité #4 ou la personne désignée par le Directeur et le préposé aux V & C, et pendant le quart de soir, le surveillant correctionnel. Dans un cas de ce genre, on prend l'une des décisions suivantes:                 
             (i)      autorisation d'entrer si, pendant le quart de jour, le Gérant d'unité #4, la personne déléguée ou le personnel des V. et C. ou, pendant les autres quarts, le surveillant correctionnel sont convaincus que cette visite ne présente aucun risque pour la sécurité de l'établissement. Dans de tels cas, le visiteur doit fournir une explication valable de la découverte et (ou) consentir à une fouille plus complète qui éliminera tout soupçon;                 
             (ii)      refus de visite-contact et autorisation d'une visite sans contact (à condition qu'il y ait de la place dans l'aire des V. et C.) ou d'une visite avec séparation (dans ce cas il y a une séparation physique entre le détenu et le visiteur ou la visite s'effectue sous la surveillance directe d'un membre du personnel);                 
             (iii)      le visiteur est prié de quitter la réserve de l'établissement.                 
             De plus, un visiteur peut être soumis à l'une ou plusieurs des fouilles suivantes:                 
             (iv)      à d'autres fouilles discrètes ou à une fouille ordinaire par palpation (LSCMLC, article 59; Règlement, article 54);                 
             (v)      à une fouille par palpation (après qu'un visiteur a pénétré à l'intérieur de la visite et non plus à l'entrée) lorsque l'employé a des motifs raisonnables de soupçonner que le visiteur a en sa possession un objet interdit (paragraphe 60(1) de la LSCMLC);                 
             (vi)      à une fouille à nu (à l'entrée ou après) lorsque l'employé à des motifs raisonnables de soupçonner que le visiteur a en sa possession un objet interdit, qu'il est d'avis que la fouille à nu est nécessaire pour le trouver et qu'il convainc le directeur de l'établissement de la nécessité de procéder à la fouille. Il doit d'abord avoir donné au visiteur la possibilité de quitter le pénitencier (paragraphe 60(2) de la LSCMLC);                 
             (vii)      à une fouille à nu lorsque l'employé a des motifs raisonnables de croire que le visiteur a en sa possession un objet interdit et que le visiteur peut être détenu, avec les précautions d'usage (paragraphe 60(3) de la LSCMLC), pour que la police ou un employé puisse procéder à la fouille à nu sans que le visiteur ait la possibilité de quitter le pénitencier. De plus, il faut remplir le formulaire SCC-844 intitulé "Demande et autorisation concernant la fouille d'un visiteur" et obtenir l'autorisation du directeur pour procéder à la fouille à nu;                 
             (viii)      dans les cas où le contrôle par Ionscan indique un dépassement du seuil autorisé, il est essentiel que le Gérant d'unité #4 ou la personne déléguée, le surveillant correctionnel, l'ASP ou les agents de V. et C. interrogent le ou les visiteurs visés et envisagent à chaque fois, de manière honnête et exhaustive, les possibilités susmentionnées dans l'ordre où elles sont présentées. En outre, il faut dresser un rapport à propos de chaque cas.                 

LE LITIGE

[5]      La seule question en litige est celle de savoir si l'utilisation de l'IONSCAN, à l'Établissement Leclerc, afin de détecter des traces de drogue sur les visiteurs, constitue une fouille abusive en violation de l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) qui édicte:

         Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.                 

ANALYSE

[6]      Il n'est pas contesté que l'Ordre permanent 571.5 "Spectrométrie au moyen de l'IONSCAN" a été adopté en vertu de la Loi, laquelle prévoit des dispositions pour maintenir l'ordre à l'intérieur du pénitencier, notamment les articles 40, 45, 46, 59 et 60, dont il importe de reproduire les dispositions pertinentes:

         40. Est coupable d'une infraction disciplinaire le détenu qui:                 
             [. . .]                 
             i) est en possession d'un objet interdit ou en fait le trafic;                 
             j) sans autorisation préalable, a en sa possession un objet en violation des directives du commissaire ou de l'ordre écrit du directeur du pénitencier ou en fait le trafic;                 
             k) introduit dans son corps une substance intoxicante;                 
             [. . .]                 
         45. Commet une infraction punissable par procédure sommaire quiconque:                 
             a) est en possession d'un objet interdit au-delà du poste de vérification d'un pénitencier;                 
             b) est en possession, en deçà de ce poste de vérification, d'un des objets visés aux alinéas b) ou c) de la définition d'"objets interdits";                 
             c) remet des objets interdits à un détenu ou les reçoit de celui-ci;                 
             [. . .]                 
         46. "fouille discrète" Fouille du corps vêtu effectuée, en la forme réglementaire, par des moyens techniques, et complétée de l'inspection, faite, le cas échéant, conformément aux règlements pris en vertu de l'alinéa 96l), de la veste ou du manteau que l'on a demandé à l'intéressé d'enlever et des autres effets qu'il a par-devers lui.                 
         59. Dans les cas prévus par règlement et justifiés par des raisons de sécurité, l'agent peut, sans soupçon précis, procéder à la fouille discrète ou par palpation des visiteurs.                 
         60. (1) L'agent qui a des motifs raisonnables de soupçonner qu'un visiteur a en sa possession un objet interdit ou un élément de preuve relatif à la perpétration d'une infraction visée à l'article 45 peut le soumettre à une fouille par palpation.                 
         (2) Après lui avoir donné la possibilité de quitter sans délai le pénitencier, l'agent peut soumettre tout visiteur du même sexe à une fouille à nu lorsque les conditions suivantes sont réunies :                 
             a) il a des motifs raisonnables de soupçonner que celui-ci est en possession d'un objet interdit ou d'un élément de preuve relatif à la perpétration d'une infraction visée à l'article 45 et est d'avis que la fouille à nu est nécessaire pour le trouver;                 
             b) il convainc le directeur du pénitencier de la réalité de ces motifs raisonnables et de la nécessité de procéder à la fouille.                 
         (3) Lorsqu'un agent a des motifs raisonnables de croire qu'un visiteur est en possession d'un objet interdit ou d'un élément de preuve relatif à la perpétration d'une infraction visée à l'article 45 et qu'une fouille à nu s'avère nécessaire pour le trouver :                 
             a) l'agent peut détenir le visiteur afin soit d'obtenir l'autorisation du directeur de procéder à la fouille à nu, soit de recourir aux services de la police;                 
             b) le directeur peut, si l'agent le convainc de la réalité de ces motifs et de la nécessité de la fouille, autoriser un agent du même sexe que le visiteur à effectuer cette fouille.                 
         (4) Le visiteur ainsi détenu a le droit de connaître dans les plus brefs délais les motifs de sa détention et, avant la fouille, d'avoir la possibilité de recourir sans délai à l'assistance d'un avocat et d'être informé de ce droit.                 

[7]      Les requérants, par leur procureur, se disent également d'accord avec l'objectif énoncé de la politique dans l'Ordre permanent 571.5 concerné, reconnaissant l'existence des problèmes sérieux reliés à la drogue dans les établissements correctionnels fédéraux.

[8]      Ce dont se plaignent en fait les requérants, c'est de la trop grande discrétion accordée aux autorités concernées de l'Établissement Leclerc par l'Ordre permanent 571.5, dans l'application de la politique y décrite, compte tenu de la non-fiabilité de l'appareil IONSCAN et de l'expérience subie par les deux requérants. À cet égard, ceux-ci, dans leur affidavit respectif, dénoncent une application arbitraire et abusive de la politique en question et leur expert, Louis Léonard, conclut, à la fin de son affidavit:

         Cet appareil permet effectivement le dépistage de la présence de drogue avec une certaine efficacité, mais avec des limites importantes. . . .                 

[9]      Toute cette preuve des requérants est cependant catégoriquement contredite par celle des intimés, notamment la version des faits offerte par l'affiant Jean-Luc Mercier, agent correctionnel préposé à la fouille des deux requérants, celle offerte par l'affiant David Lévesque, gérant d'unité à l'Établissement Leclerc chargé de la supervision de l'opération de l'IONSCAN et présent lors de la fouille des deux requérants, et l'opinion experte exprimée dans l'affidavit de la scientiste Ludmila (Lucy) Danylewych-May. En outre, le Directeur de l'Établissement Leclerc, dans son affidavit, précise que depuis la mise en opération de l'IONSCAN, il a été constaté ce qui suit:

         a)      une baisse drastique d'incidents violents entre les détenus;                 
         b)      une baisse drastique de demandes de protection en isolement préventif par des détenus en raison de dettes de drogue;                 
         c)      aucune hospitalisation de détenu pour intoxication alors qu'elles étaient fréquentes avant décembre 1995;                 
         d)      une baisse marquée des quantités de drogue saisies sur les visiteurs;                 
         e)      une recrudescence dans l'emploi de nouvelles méthodes pour faire entrer la drogue en Établissement, notamment par le truchement d'objets remplis de drogue qui sont projetés par-dessus la clôture de l'Établissement et qui échoient dans la cour intérieure.                 

[10]      Ainsi, en l'espèce, ce n'est pas la constitutionnalité de quelque disposition particulière de la Loi (ou des Règlements adoptés sous son empire) qui est en cause (ce qui explique sans doute qu'aucun avis requis par l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale n'a été donné), mais bien simplement l'application dans la réalité de la politique de l'utilisation de l'IONSCAN énoncée à l'Ordre permanent no 571.5. De fait, au cours de son argumentation verbale, le procureur des requérants a même reconnu qu'une application intégrale de cette politique écrite, combinée à un exercice judicieux de la discrétion qui y est prévue, ne causerait pas problème. Or, c'est sur la preuve contredite de deux seuls visiteurs, dans le contexte d'une preuve d'experts dont les opinions divergent sérieusement sur le degré de fiabilité réelle de l'IONSCAN, qu'on voudrait ici faire cesser l'usage de l'appareil à l'égard de l'ensemble des visiteurs à l'Établissement Leclerc, et ce, sous prétexte d'une atteinte aux droits qui leur sont garantis par l'article 8 de la Charte. Dans les circonstances, je considère que les requérants n'ont pas repoussé le fardeau d'établir le contexte factuel nécessaire pour justifier leur requête, ce qui est suffisant pour entraîner le rejet de la demande de contrôle judiciaire.

[11]      Il y a cependant un autre motif sérieux et suffisant qui m'amène à la même conclusion de rejet. Pour qu'il puisse y avoir "fouille abusive" au sens de l'article 8 de la Charte, il est nécessaire qu'il y ait atteinte raisonnable à la vie privée de la personne soumise à cette fouille. En effet, dans Hunter c. Southam, [1984] 2 R.C.S. 145, aux pages 159 et 160, Monsieur le juge Dickson, pour la Cour suprême a exprimé ce qui suit:

         . . . La garantie de protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives ne vise qu'une attente raisonnable. Cette limitation du droit garanti par l'art. 8, qu'elle soit exprimée sous la forme négative, c'est-à-dire comme une protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies "abusives", ou sous la forme positive comme le droit de s'attendre "raisonnablement" à la protection de la vie privée, indique qu'il faut apprécier si, dans une situation donnée, le droit du public de ne pas être importuné par le gouvernement doit céder le pas au droit du gouvernement de s'immiscer dans la vie privée des particuliers afin de réaliser ses fins et, notamment, d'assurer l'application de la loi.                 

[12]      Subséquemment, dans l'arrêt de la Cour suprême Weatherall c. Canada (Procureur général), [1993] 2 R.C.S. 872,2 Monsieur le juge La Forest a écrit pour la Cour, à la page 877:

             L'emprisonnement implique nécessairement de la surveillance, des fouilles et des vérifications. On s'attend à ce que l'intérieur d'une cellule de prison soit visible et requière une surveillance. Dans un pénitencier, la fouille par palpation, le dénombrement et la ronde éclair sont tous des pratiques nécessaires pour assurer la sécurité de l'établissement, du public et, en fait, des détenus eux-mêmes. L'intimité dont jouit le détenu dans ce contexte est considérablement réduite et il ne peut donc s'attendre raisonnablement à ce que sa vie privée soit respectée dans le cadre de ces pratiques. Cela ne change rien que ce soient des gardiens du sexe féminin qui se livrent parfois à ces pratiques. Comme il n'y a aucune attente raisonnable à ce que la vie privée soit respectée, l'art. 8 de la Charte n'est pas mis en jeu, ni d'ailleurs l'art. 7.                 
                             (C'est moi qui souligne.)                 

[13]      Dans Fieldhouse et al. v. The Queen in right of Canada et al. (1995), 98 C.C.C. (3d) 207, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, appelée à déterminer la constitutionnalité de tests d'urine administrés au hasard dans les pénitenciers, a d'abord décrit les problèmes qu'on retrouve dans ces établissements, aux pages 212 et 213 de sa décision:

         . . . management problems associated with drug-related assaults, intimidation, underground (the market-place) and overdoses leading to death; the power exerted by those who control the drug trade, the extent to which property and sexual favours are exchanged for drugs, tension for both staff and inmates; beatings, requests for transfers to protective custody, pressure on visiting family members to import drugs, younger and weaker inmates being converted to mules for transporting drugs. And the litany goes on.                 

[14]      La Cour a ensuite statué qu'à la lumière de l'étendue et de la gravité du problème, les appelants ne pouvaient pas plus avoir une attente raisonnable de vie privée quant à la sélection au hasard d'échantillons d'urine que dans Weatherall, supra.

[15]      M'appuyant sur cette jurisprudence et en outre sur l'article de A.D. Reid et A.H. Young intitulé "Administrative Search and Seizure Under the Charter" (1985), 10 Queen's L.J. 392, sur l'arrêt R. c. McKinlay Transport Limited et al., [1990] 1 R.C.S. 627, et sur l'arrêt R. c. Lirette (12 septembre 1995), DRS 96-13312, [1995] A.Q. No. 701, je suis d'avis que les attentes en matière de vie privée des gens sont moindres lorsqu'il s'agit de visiter quelqu'un en milieu carcéral.

[16]      Dans McKinlay, supra, Madame le juge Wilson, citant l'extrait pertinent de l'article de A.D. Reid et de A.H. Young supra, s'est exprimée comme suit, à la page 645:

             Puisque les attentes des gens en matière de protection de leur vie privée varient selon les circonstances et les différents genres de renseignements et de documents exigés, il s'ensuit que la norme d'examen de ce qui est "raisonnable" dans un contexte donné doit être souple si on veut qu'elle soit réaliste et ait du sens. Je crois que ce point de vue a été bien exposé par A.D. Reid et A.H. Young dans leur article intitulé "Administrative Search and Seizure Under the Charter" (1985), 10 Queen's L.J. 392, aux pages 398 à 400:                 
             [TRADUCTION] Les attentes d'une personne en matière de vie privée relativement aux fouilles, aux perquisitions et aux saisies administratives sont moins bien définies [que relativement aux fouilles, aux perquisitions et aux saisies dans un contexte criminel]. Il y a des aspects de l'autorité de l'État, communément associée aux fouilles, aux perquisitions et aux saisies, qui sont si étroitement liés à l'activité réglementée que ceux qui en font l'objet ne s'attendent pratiquement pas au respect de leur vie privée. Les inspections peuvent s'intégrer aux fonctions de classement des produits et même faire si intimement partie du processus de production que le refus de procéder à une inspection peut légalement être invoqué comme sanction pour assurer l'application des normes d'hygiène prescrites dans l'usine. D'autres activités sont réglementées de façon si courante qu'on ne s'attend pratiquement pas à ce qu'elles soient protégées contre l'immixtion de l'État. L'obligation faite aux banques, aux sociétés, aux compagnies de fiducie et aux compagnies de prêt et autres organismes semblables de produire des déclarations annuelles fait inextricablement partie de l'exploitation de l'entreprise en vertu d'un permis de l'État.                 
             Il existe d'autres situations où il n'est pas possible de prédire avec autant d'assurance l'immixtion de l'État et pourtant le pouvoir discrétionnaire accordé aux fonctionnaires est si étendu que ceux qui sont visés par un règlement s'attendent à faire l'objet d'une inspection ou à ce qu'on leur demande de fournir des renseignements à un moment donné. Il peut s'agir d'une inspection qui prend la forme d'un contrôle ponctuel ou qui a lieu parce qu'on soupçonne l'existence d'une violation. La fouille ou perquisition peut revêtir la forme d'une demande de renseignements qui n'ont pas à être fournis annuellement mais qui doivent être produits sur demande. Dans la plupart des cas, rien n'exige que ces pouvoirs soient exercés sur la foi d'une croyance ou d'un soupçon qu'il y a eu violation. Ils se fondent plutôt sur l'hypothèse logique que la menace d'une inspection imprévue peut constituer l'incitation la plus efficace au respect de la loi. Ces pouvoirs se fondent sur l'opinion que l'inspection peut être le seul moyen de découvrir les violations et que cette découverte répond à un objectif public important. Les inspections visant à assurer la sécurité des lieux de travail et celle des édifices, la sécurité aérienne et la protection contre les incendies, la qualité de l'environnement et celle des aliments, le respect des normes d'hygiène et ainsi de suite, ont été couramment autorisées par des lois sans que soient précisés le motifs de cette immixtion dans la vie privée.                 
             Il existe donc un grand nombre d'activités sociales et commerciales à l'égard desquelles les attentes en matière de vie privée sont très faibles. La question n'est pas de savoir si des renseignements doivent être communiqués pour répondre aux exigences légitimes de l'État, mais plutôt de savoir quand cela doit se faire, dans quelle mesure et à quelles conditions. On peut considérer que quiconque produit une déclaration d'impôt annuelle s'attend peu à garder pour lui seul les renseignements ayant trait à son revenu. Mais cela est sûrement tempéré par l'attente que les demandes de renseignements aient des limites et qu'elles respectent des modalités justes et raisonnables. Voilà de quoi retourne l'article 8 de la Charte. [Je souligne.]                 

[17]      Enfin, dans Lirette, supra, la Cour d'appel du Québec a dû considérer l'admissibilité en preuve d'une bande sonore enregistrée lors de la visite faite à un détenu dans un pénitencier par sa compagne. Après avoir cité le passage de Weatherall cité plus haut, la Cour a dit, au paragraphe 13:

         Les circonstances dans lesquelles se déroulent les visites faites aux détenus ne permettent pas d'imputer, pour la salle de visite, un plus haut niveau d'expectative de vie privée que celle à laquelle les détenus peuvent prétendre pour leur cellule. Le contexte carcéral, le contenu explicite du message inscrit sur les pancartes, le nombre de pancartes, les lieux où elles sont affichées, l'encadrement dont les visites font l'objet, le fait que toutes les communications soient aussi contrôlées sont tous des éléments qui, mis ensemble, rendent insoutenable l'argument voulant qu'une personne raisonnable puisse s'attendre à ce que sa conversation ne soit pas interceptée.                 
                         (C'est moi qui souligne.)                 

[18]      Compte tenu des circonstances particulières du présent cas, vu l'existence non contestée des problèmes sérieux que pose la répression de l'introduction de drogues dans les établissements correctionnels fédéraux et de l'intérêt important qu'a le Service correctionnel du Canada de contrer la consommation de drogues et la violence reliée à la drogue dans ces mêmes établissements, et ce, notamment et particulièrement à l'Établissement Leclerc, je considère qu'une personne qui se présente à cet établissement pour y visiter un détenu n'a pas un plus haut niveau d'expectative de vie privée, en regard d'une fouille qu'on voudrait lui faire subir, que celle à laquelle les détenus peuvent prétendre à l'intérieur du même établissement. Comme en conséquence il n'y a pas ici d'expectative de vie privée pour les requérants, il ne saurait y avoir violation de l'article 8 de la Charte.

[19]      Par ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                            

                                     JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 26 novembre 1997


__________________

1      Cet objectif est exactement le même que celui décrit dans l'Ordre permanent national du 25 octobre 1995 concernant l'introduction de l'IONSCAN.

2      Aussi souvent cité comme Conway c. Canada (Procureur général), [1993] 2 R.C.S. 872.


COUR FEDERALE DU CANADA SECTION DE PREMIERE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N º DE LA COUR : T-331-96

INTITULE : Caroline Gagnon et Daniel Raymond c. Michel Deslauriers et Jean-Claude Perron et Le Procureur general du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE : Montreal, Quebec DATE DE L'AUDIENCE : Le 19 novembre 1997 MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE PINARD EN DATE DU 26 novembre 1997

COMPARUTIONS

Me Jacques Normandeau POUR LE REQUERANT

Me David Lucas POUR L'INTIME

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Jacques Normandeau

Montreal, Quebec POUR LE REQUERANT

George Thomson

Sous-procureur general du Canada POUR L'INTIME

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