Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20010727

Dossier : IMM-1098-00

Référence neutre : 2001 CFPI 838

Vancouver (Colombie-Britannique), le vendredi 27 juillet 2001

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE HENEGHAN

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

demandeur

et

RUI JIAO LIN

défenderesse

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]         Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le demandeur) demande le contrôle judiciaire de la décision rendue par Otto Nupponen (l'arbitre) le 1er mars 2000. Dans sa décision, l'arbitre a ordonné la mise en liberté de Rui Jiao Lin (la défenderesse) qui était sous la garde d'Immigration Canada.


LES FAITS

[2]         La défenderesse est entrée au Canada en août 1999 à bord d'un navire transportant des passagers en provenance de la région de Fujian, en Chine. Elle n'avait pas l'autorisation d'entrer au Canada et elle a été placée sous la garde des autorités d'Immigration Canada dès son arrivée au Canada. Elle a d'abord été détenue à des fins d'identification. Après un examen de sa garde effectué par un agent d'immigration principal le 3 septembre 1999, une mesure d'exclusion a été prise contre elle. Elle est demeurée sous garde après l'audition tenue le 3 septembre 1999 et sa garde a été réexaminée périodiquement conformément aux dispositions de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, modifiée (la Loi).

[3]         L'arbitre a effectué un examen le 29 février 2000. Il a examiné la transcription des audiences d'examen antérieures tenues le 24 novembre 1999 et le 8 février 2000. Il a conclu qu'une interprétation inadéquate avait porté atteinte au droit de la défenderesse à une instruction complète et impartiale garanti par la Charte des droits. L'arbitre a aussi conclu que les arbitres précédents avaient appliqué un critère erroné pour décider s'ils devaient ordonner la mise en liberté de la défenderesse. L'arbitre antérieur avait exprimé ce critère comme s'il exigeait qu'il soit convaincu que la défenderesse se déroberait au renvoi. Selon l'arbitre, le critère correct consiste à se demander si l'intéressé se présentera « vraisemblablement » aux fins de son renvoi.

[4]         L'arbitre a ordonné la mise en liberté de la défenderesse à certaines conditions.


LES QUESTIONS EN LITIGE

[5]         Le demandeur soulève deux questions dans le cadre de la demande. Premièrement, il affirme que l'arbitre a outrepassé sa compétence en prétendant examiner les décisions rendues par les arbitres précédents. Deuxièmement, il dit que l'arbitre ne disposait pas d'une preuve suffisante pour étayer sa conclusion selon laquelle la défenderesse se présenterait vraisemblablement aux fins de son renvoi.

Les prétentions du demandeur

[6]         Le demandeur fait valoir que l'arbitre a commis une erreur de droit en prétendant examiner les décisions des arbitres précédents et utiliser ces décisions comme fondement pour conclure qu'il avait été porté atteinte aux droits que la Charte garantit à la défenderesse.

[7]         Le demandeur dit que chaque garde constitue une audition de novo dans le cadre de laquelle l'arbitre doit rendre une décision à partir de la preuve qui lui est présentée à l'audience. Par conséquent, l'arbitre a commis une erreur en fondant sa décision sur les audiences précédentes. Le demandeur s'appuie à cet égard sur la décision Armadale Communications Ltd. c. L'arbitre (Loi sur l'immigration), [1991] 3 C.F. 242.

[8]         Le demandeur soutient aussi que l'arbitre ne disposait pas d'une preuve suffisante pour étayer sa conclusion portant que la défenderesse se présenterait vraisemblablement aux fins de son renvoi, si on le lui demandait. Le demandeur affirme que la seule preuve dont l'arbitre disposait sur ce point était le témoignage de la défenderesse, selon lequel elle se présenterait aux fins de son renvoi.


Les prétentions de la défenderesse

[9]         La défenderesse n'a pas comparu ni participé à la présente demande, bien qu'un avis de la date de l'audition lui ait été expédié à sa dernière adresse connue.

ANALYSE

[10]       La compétence d'un arbitre est régie par le paragraphe 80.1(1) de la Loi, reproduit ci-dessous :

Compétence exclusive

80.1 (1) Sous réserve de l'article 40.2, l'arbitre a compétence exclusive pour connaître et décider des questions de droit et de fait, y compris les questions de compétence, dans le cadre des procédures instruites devant lui sous le régime de la présente loi.

Sole and exclusive jurisdiction

80.1 (1) Subject to section 40.2, an adjudicator has sole and exclusive jurisdiction to hear and determine all questions of law and fact, including questions of jurisdiction, that may arise in the course of proceedings that are required by this Act to be held before an adjudicator.

[11]       La première prétention du demandeur porte que l'arbitre a commis une erreur en procédant comme si l'audition constituait un appel de la décision du premier arbitre, plutôt qu'une audition de novo. Toutefois, dans l'affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Salinas-Mendoza [1994] A.C.F. no 1485, la Cour a reconnu en ces termes qu'il était opportun de reconnaître les décisions antérieures :


Il ne fait aucun doute que l'arbitre n'avait pas les pouvoirs d'un tribunal d'appel ou de contrôle judiciaire. Elle avait cependant le mandat d'examiner les motifs de la détention ordonnée par l'arbitre Dyck, et de déterminer si cette détention devait être prolongée. Comme cette ordonnance était valide et exécutoire, il incombait à l'intimé, non au ministre, de démontrer que la détention ne devait pas être prolongé. L'arbitre ne pouvait pas ne pas tenir compte du fait qu'une ordonnance de détention avait été rendue à partir de la même preuve que celle que le Ministre lui présentait.

There is no doubt that the Adjudicator was not sitting in an appellate or judicial review capacity. But she was charged with the mandate to reassess the reasons for the detention ordered by Adjudicator Shaw Dyck, and determine whether or not the detention ought to be continued. As that last order stood before her as valid and binding, the burden was on the respondent to demonstrate that it ought not to be continued, and not on the Minister. The Adjudicator could not ignore the fact that a detention order had been issued on the basis of the same evidence as that which the Minister was now presenting before her.

[12]       Dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Lai [2001] A.C.F. no 441, le juge Campbell a conclu que le pouvoir discrétionnaire de l'arbitre ne doit pas être entravé par les décisions précédentes et que le fardeau de prouver qu'il faut prolonger la détention incombe au ministre. Voici ce qu'il dit, au paragraphe 15 :


[15] Je conclus que les décisions Salilar et Salinas-Mendoza établissent les principes suivants que les arbitres doivent mettre en oeuvre lorsqu'ils agissent en vertu du paragraphe 103(7) : un arbitre doit exercer sa compétence sans être entravé par des décisions antérieures, quelle que soit leur provenance; le fardeau de prouver qu'il y a lieu de maintenir une personne en détention est imposé, à l'origine, à la personne qui propose une telle ordonnance; tous les facteurs liés à la détention doivent être examinés, y compris les motifs de toute ordonnance antérieure de dotation, lorsqu'il s'agit de décider s'il y a lieu de prolonger la détention; si les motifs de prolonger la détention sont jugés très solides, le fardeau de prouver, au vu de la prépondérance des probabilités, que la libération est indiqué, se déplace pour incomber au détenu.

[15] I find that the decisions in Salilar and Salinas-Mendoza establish the following principles to be applied by adjudicators acting under s.103(7): an adjudicator must exercise the discretion provided unfettered by previous decisions rendered by whatever authority; the initial onus of proving continued detention is warranted rests with the proposer of such an order; in reaching a decision respecting continued detention, all existing factors relating to custody must be taken into consideration, including the reasons for previous detention orders being made; and if the previous reasons for continued detention are considered compelling, the onus shifts to the detained person to show, on a balance of probabilities, that release is warranted.

[13]       Selon moi, la prétention du demandeur concernant la conclusion de l'arbitre qu'il y a eu atteinte aux droits garantis par la Charte est fondée. L'arbitre a conclu que la défenderesse avait été privée d'une audition équitable. Voici la conclusion qu'il a tirée, à partir d'un examen de la transcription des auditions :

[TRADUCTION] Après avoir considéré et exposé de façon assez détaillée la situation tragique de Lin Rui Jiao en ce qui concerne sa difficulté à faire la part des choses et les questions concernant la langue de son choix, je crois qu'il est clair qu'elle n'a pas bénéficié d'une audition impartiale avec la possibilité de se faire entendre équitablement et directement sur les questions dont dépendait le prolongement de sa garde. Elle est parfaitement en droit de conclure que le système de justice même mis en place pour la protéger ne l'a pas protégée. Elle est demeurée sous garde pendant une période qui excède de plus de trois (3) mois la période qui serait raisonnablement justifiable.


[14]       À mon avis, l'arbitre s'est appuyé sur sa conclusion portant qu'il y avait eu atteinte à son droit à une instruction équitable, garanti par la Charte, pour conclure que le prolongement de la garde de la défenderesse n'était pas justifié. Cette conclusion ne pouvait être tirée qu'à l'issue d'un examen du processus suivi lors des autres instructions et sous-entend que l'arbitre a joué le rôle d'un tribunal d'appel. Il a ainsi outrepassé sa compétence et commis une erreur. Toutefois, cette erreur n'est pas concluante pour ce qui est de trancher l'affaire.

[15]       L'arbitre a aussi conclu, à partir de la preuve que lui a présentée la défenderesse, qu'elle allait en fait vraisemblablement se présenter aux fins de son renvoi si on le lui demandait. Il semble avoir pris en compte toute la preuve produite devant lui, y compris la transcription de tous les examens précédents de la garde et les pièces déposées devant les arbitres. Il a retenu sans réserve la preuve de la défenderesse. J'estime qu'il avait le droit de le faire. Une conclusion contraire signifierait que la Cour a entrepris d'apprécier la preuve présentée à l'arbitre, alors que ce rôle revient à l'arbitre par application du par. 80.1(1) de la Loi.

[16]       La demande de contrôle judiciaire est rejetée. La demande ne soulève aucune question qui devrait être certifiée.


ORDONNANCE

[17]       La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

(Signature) « Elizabeth Heneghan »

                                                                      Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-1098-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :          Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Rui Jiao Lin

LIEU DE L'AUDIENCE :              Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :             le 25 juillet 2001

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR PAR MADAME LE JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :                     le 27 juillet 2001

ONT COMPARU                             

Mark Sheardown                                                                           POUR LE DEMANDEUR

­                                                                                                       POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Sous-procureur général du Canada                                               POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (Colombie-Britannique)

-                                                                                                       POUR LA DÉFENDERESSE

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.