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     Date : 20000330

     Dossier : T-1335-99


ENTRE :

     NATURAL WATERS OF VITI, LIMITED

     et BRIO BEVERAGES INC.

     demanderesses


     - et -




     C.E.O. INTERNATIONAL HOLDINGS INC.,

     FERN BROOK SPRINGS BOTTLED WATER COMPANY LIMITED,

     CLYDE VIOLA et C.E.O. BOTTLING LTD.

     défenderesses




     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

Le protonotaire LAFRENIÈRE :

[1]          Les défenderesses ont présenté une requête pour obtenir, entre autres, les redressements suivants :

a)      une ordonnance radiant Brio Beverages Inc. (Brio) comme codemanderesse et comme partie à la présente action et demandant aux demanderesses de produire une déclaration modifiée mentionnant Natural Waters of Viti, Limited (Viti) comme unique demanderesse;
b)      une ordonnance retranchant, aux paragraphes 1d), 1f) (vi) et (vii), 14 et 15 de la déclaration, les réclamations pour violation du droit d'auteur concernant les dessins de l'étiquette apparaissant aux annexes B et D;
c)      une ordonnance retranchant les paragraphes 1f)(ii) et 26e) de la déclaration concernant de présumés manquements à l'alinéa 7d) de la Loi sur les marques de commerce et limitant le jugement déclaratoire demandé au paragraphe 1e) de la déclaration aux actes accomplis contrairement à l'alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce;
d)      une ordonnance prolongeant la période durant laquelle les défenderesses doivent produire leur défense; et
e)      les dépens de la présente requête.

[2]          Au début de l'audition de la requête, les défenderesses ont retiré leur demande additionnelle pour retrancher les allégations contre la défenderesse Clyde Viola de même que le paragraphe 20 de la déclaration traitant d'une présumée conspiration. En conséquence, mes motifs d'ordonnance concernant le reste des redressements demandés par les défenderesses sont exposés ci-après.



Contexte

[3]          Le 23 juillet 1999, les demanderesses ont produit une déclaration alléguant commercialisation trompeuse de la marque de commerce FIJI et violation du droit d'auteur. Le produit en cause est de l'eau embouteillée. Basée aux Fidji, Viti est l'entreprise de fabrication et d'embouteillage du produit. Dans la déclaration, elle allègue posséder des droits sur la présentation de ses bouteilles et elle réclame la propriété de certaines marques de commerce consistant dans le mot FIJI, un signe distinctif, les étiquettes avant et arrière ainsi que la combinaison des étiquettes avant et arrière.

[4]          La déclaration comprend 29 paragraphes et elle couvre 14 pages, sans compter les pièces annexes. Quelques paragraphes pertinents sont reproduits ci-dessous :

         [TRADUCTION]

9. Brio est, au Canada, le distributeur exclusif du Produit portant les marques de commerce Fiji et, conjointement avec Viti, elle a mis sur pied un vaste réseau de distribution du Produit; elle s'est abondamment occupée de la promotion et de la vente au Canada du Produit portant les marques de commerce Fiji. Tout emploi des marques de commerce Fiji par Brio a été autorisé et contrôlé par Viti et les demanderesses invoquent le bénéfice de l'article 50 de la Loi sur les marques de commerce.
12. Les demanderesses ont largement utilisé et annoncé le Produit portant la marque de commerce Fiji tant au Canada qu'aux États-Unis ainsi qu'ailleurs dans le monde. Les marques de commerce Fiji sont donc connues au Canada comme distinguant le Produit de Viti des marchandises d'autres personnes. Grâce à l'usage, à la publicité et à la promotion des marques de commerce de Viti faits par les demanderesses, le public en est venu à associer ces marques de commerce au Produit de Viti.
13. Viti est aussi titulaire du droit d'auteur sur l'oeuvre littéraire originale qui se trouve dans le dessin distinctif et la documentation apparaissant au dos du produit (l'Oeuvre littéraire), dont une copie est jointe en annexe C, laquelle fait partie des présentes. L'auteur de cette oeuvre littéraire est Douglas Carlson, un citoyen des États-Unis d'Amérique qui était employé de Viti au moment de la création de l'Oeuvre littéraire. L'Oeuvre a été exécutée dans l'exercice de l'emploi de l'auteur auprès de Viti.
17. Au Canada, aux États-Unis et ailleurs, Viti s'est acquis une excellente réputation et un achalandage important en liaison avec les marques de commerce Fiji, y compris, depuis son adoption, le signe distinctif caractéristique apparaissant en annexe A. Pendant cette période, Viti a joui d'une solide réputation d'affaires auprès de résidents canadiens au Canada, de résidents canadiens en voyage aux États-Unis et ailleurs, ainsi que par les résidents canadiens exposés à la publicité et aux promotions apparaissant dans des publications au Canada.

La position des défenderesses

[5]          Les défenderesses prétendent que Brio devrait être rayée comme codemanderesse dans la présente action au motif qu'elle n'a pas la qualité pour soutenir une action en violation, soit des droits de marque non déposée, soit du droit d'auteur en cause. Les défenderesses demandent aussi une ordonnance retranchant, aux paragraphes 1d), 1f) (vi) et (vii), 14 et 15 de la déclaration, les réclamations pour violation du droit d'auteur sur les dessins de l'étiquette apparaissant aux annexes B et D, au motif qu'on n'a pas allégué cession du droit d'auteur au moyen d'un écrit du titulaire ou du cédant conformément au paragraphe 13(4) de la Loi sur le droit d'auteur. Enfin, les défenderesses s'opposent aux paragraphes 1f)(ii) et 26e) de la déclaration concernant de présumés manquements à l'alinéa 7d) de la Loi sur les marques de commerce au motif qu'ils ne contiennent rien de plus qu'une simple allégation.

La position des demanderesses

[6]          Les demanderesses prétendent que Brio est à bon droit partie à la présente action vu les articles 7, 19, 20, 50 et 53.2 de la Loi sur les marques de commerce. Elles soutiennent que l'action intentée par elles n'est pas fondée sur la violation d'une marque de commerce, comme le prétendent les défenderesses, mais plutôt sur la commercialisation trompeuse et la concurrence déloyale en vertu de l'article 7 de la Loi sur les marques de commerce. Les demanderesses soutiennent que la réclamation en droit d'auteur est correctement alléguée et qu'une cession du droit d'auteur n'est pas nécessaire étant donné l'allégation que la demanderesse Viti est titulaire du droit d'auteur sur les oeuvres littéraires et artistiques. Pour ce qui est du caractère suffisant des allégations faites en vertu de l'alinéa 7d), les demanderesses font valoir que ces allégations sont fondées lorsqu'on considère l'ensemble de la déclaration.

Articles pertinents de la Loi sur les marques de commerce

[7]          Les articles 7, 19, 20, 50 et 53.2 de la Loi sur les marques de commerce disposent :


7. No person shall

(a) make a false or misleading statement tending to discredit the business, wares or services of a competitor;

(b) direct public attention to his wares, services or business in such a way as to cause or be likely to cause confusion in Canada, at the time he commenced so to direct attention to them, between his wares, services or business and the wares, services or business of another;

(c) pass off other wares or services as and for those ordered or requested;

(d) make use, in association with wares or services, of any description that is false in a material respect and likely to mislead the public as to

(i) the character, quality, quantity or composition,

(ii) the geographical origin, or

(iii) the mode of the manufacture, production or performance of the wares or services; or

(e) do any other act or adopt any other business practice contrary to honest industrial or commercial usage in Canada.

7. Nul ne peut :

a) faire une déclaration fausse ou trompeuse tendant à discréditer l'entreprise, les marchandises ou les services d'un concurrent;

b) appeler l'attention du public sur ses marchandises, ses services ou son

entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu'il a commencé à y appeler ainsi l'attention, entre ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux d'un autre;

c) faire passer d'autres marchandises ou services pour ceux qui sont commandés ou demandés;

d) utiliser, en liaison avec des marchandises ou services, une désignation qui est fausse sous un rapport essentiel et de nature à tromper le public en ce qui

regarde :

(i) soit leurs caractéristiques, leur qualité, quantité ou composition,

(ii) soit leur origine géographique,

(iii) soit leur mode de fabrication, de production ou d'exécution;

e) faire un autre acte ou adopter une autre méthode d'affaires contraire aux

honnêtes usages industriels ou commerciaux ayant cours au Canada.

19. Subject to sections 21, 32 and 67, the registration of a trade-mark in

respect of any wares or services, unless shown to be invalid, gives to the owner of the trade-mark the exclusive right to the use throughout Canada of the trade-mark in respect of those wares or services.

19. Sous réserve des articles 21, 32 et 67, l'enregistrement d'une marque de

commerce à l'égard de marchandises ou services, sauf si son invalidité est

démontrée, donne au propriétaire le droit exclusif à l'emploi de celle-ci, dans tout le Canada, en ce qui concerne ces marchandises ou services.

20. (1) The right of the owner of a registered trade-mark to its exclusive use shall be deemed to be infringed by a person not entitled to its use under this Act who sells, distributes or advertises wares or services in association with a confusing trade-mark or trade-name, but no registration of a trade-mark prevents

a person from making

(a) any bona fide use of his personal name as a trade-name, or

(b) any bona fide use, other than as a trade-mark,

(i) of the geographical name of his place of business, or

(ii) of any accurate description of the character or quality of his wares or

services,

in such a manner as is not likely to have the effect of depreciating the value of the goodwill attaching to the trade-mark.

20. (1) Le droit du propriétaire d'une marque de commerce déposée à l'emploi exclusif de cette dernière est réputé être violé par une personne non admise à l'employer selon la présente loi et qui vend, distribue ou annonce des marchandises ou services en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion. Toutefois, aucun enregistrement d'une marque de commerce ne peut empêcher une personne :

a) d'utiliser de bonne foi son nom personnel comme nom commercial;

b) d'employer de bonne foi, autrement qu'à titre de marque de commerce :

(i) soit le nom géographique de son siège d'affaires,

(ii) soit toute description exacte du genre ou de la qualité de ses marchandises ou services,

d'une manière non susceptible d'entraîner la diminution de la valeur de l'achalandage attaché à la marque de commerce.

50. (1) For the purposes of this Act, if an entity is licensed by or with the

authority of the owner of a trade-mark to use the trade-mark in a country and the owner has, under the licence, direct or indirect control of the character or quality of the wares or services, then the use, advertisement or display of the

trade-mark in that country as or in a trade-mark, trade-name or otherwise by that entity has, and is deemed always to have had, the same effect as such a use, advertisement or display of the trade-mark in that country by the owner.


(2) For the purposes of this Act, to the extent that public notice is given of the fact that the use of a trade-mark is a licensed use and of the identity of the owner, it shall be presumed, unless the contrary is proven, that the use is licensed by the owner of the trade-mark and the character or quality of the wares or services is under the control of the owner.


(3) Subject to any agreement subsisting between an owner of a trade-mark and a licensee of the trade-mark, the licensee may call on the owner to take proceedings for infringement thereof, and, if the owner refuses or neglects to do so within two months after being so called on, the licensee may institute

proceedings for infringement in the licensee's own name as if the licensee were the owner, making the owner a defendant.

50. (1) Pour l'application de la présente loi, si une licence d'emploi d'une marque de commerce est octroyée, pour un pays, à une entité par le propriétaire de la marque, ou avec son autorisation, et que celui-ci, aux termes de la licence, contrôle, directement ou indirectement, les caractéristiques ou la qualité des marchandises et services, l'emploi, la publicité ou l'exposition de la marque, dans ce pays, par cette entité comme marque de commerce, nom

commercial - ou partie de ceux-ci - ou autrement ont le même effet et sont réputés avoir toujours eu le même effet que s'il s'agissait de ceux du propriétaire.


(2) Pour l'application de la présente loi, dans la mesure où un avis public a été donné quant à l'identité du propriétaire et au fait que l'emploi d'une marque de commerce fait l'objet d'une licence, cet emploi est réputé, sauf preuve contraire, avoir fait l'objet d'une licence du propriétaire, et le contrôle des caractéristiques ou de la qualité des marchandises et services est

réputé, sauf preuve contraire, être celui du propriétaire.

(3) Sous réserve de tout accord encore valide entre lui et le propriétaire d'une marque de commerce, le licencié peut requérir le propriétaire d'intenter des procédures pour usurpation de la marque et, si celui-ci refuse ou néglige de le faire dans les deux mois suivant cette réquisition, il peut intenter ces

procédures en son propre nom comme s'il était propriétaire, faisant du propriétaire un défendeur.

53.2 Where a court is satisfied, on application of any interested person, that any act has been done contrary to this Act, the court may make any order that it considers appropriate in the circumstances, including an order providing for relief by way of injunction and the recovery of damages or profits and for the
destruction, exportation or other disposition of any offending wares, packages, labels and advertising material and of any dies used in connection therewith.

53.2 Lorsqu'il est convaincu, sur demande de toute personne intéressée, qu'un acte a été accompli contrairement à la présente loi, le tribunal peut rendre les ordonnances qu'il juge indiquées, notamment pour réparation par voie d'injonction ou par recouvrement de dommages-intérêts ou de profits, pour l'imposition de dommages punitifs, ou encore pour la disposition par destruction, exportation ou autrement des marchandises, colis, étiquettes et
matériel publicitaire contrevenant à la présente loi et de toutes matrices
employées à leur égard.


Analyse
[8]          Le critère régissant la radiation d'un acte de procédure est énoncé succinctement par Madame le juge Wilson dans l'arrêt Hunt c. Carey Canada inc., où elle écrit, au nom de la Cour suprême du Canada1 :
... dans l'hypothèse où les faits mentionnés dans la déclaration peuvent être prouvés, est-il " évident et manifeste " que la déclaration du demandeur ne révèle aucune cause d'action raisonnable?

[9]          En conséquence, devant une requête en radiation fondée sur l'absence de cause d'action raisonnable, les faits apparaissant dans la déclaration doivent être considérés comme prouvés. La partie qui veut faire radier un acte de procédure, en totalité ou en partie, doit démontrer qu'il est " évident et manifeste " que la cause d'action n'a aucune chance d'être accueillie. En outre, comme l'a dit le juge Henry (tel était alors son titre) dans la décision Doe c . Metropolitan Toronto (Municipality) Commissioners of Police2, la déclaration doit être lue [TRADUCTION] " aussi libéralement que possible de manière à pallier toute insuffisance formelle des allégations qui résulte de simples faiblesses de rédaction ".

[10]          Enfin, la Cour doit faire appliquer le critère du caractère " évident et manifeste" avec grand soin, comme le précise le protonotaire Hargrave dans la décision Hodgson et al c. Ermineskin Indian Band No. 9423 :

Les règles de droit relatives à la radiation des actes de procédure sont parfois qualifiées d'élémentaires. Il vaut toutefois la peine de les répéter car sinon, sans doute pour épargner des frais à tous les intéressés et pour ménager ses ressources, le tribunal peut être tenté de radier trop facilement un acte de procédure. En radiant un acte de procédure sans respecter rigoureusement les balises que constituent les exigences rigoureuses applicables en la matière, le tribunal prive un plaideur de son éventuel droit légitime de faire valoir son point de vue en justice tout en entravant parfois l'avancement ou le perfectionnement du droit. Mais, lorsqu'une instance est stérile et qu'elle n'a aucune portée pratique, il faut éviter de gaspiller les ressources de tous les intéressés.

[11]          La question de savoir si un distributeur exclusif a un droit d'action en vertu de l'article 53 (maintenant 53.2) de la Loi sur les marques de commerce a déjà été examinée par la Cour dans l'affaire Gund Inc. c. Ganz Bros. Toys Ltd4. La défenderesse avait présenté une requête pour radier comme partie un distributeur exclusif de produits d'une codemanderesse. Le juge Pinard a rejeté la requête au motif que la défenderesse n'avait pas démontré que l'action du distributeur n'avait aucune chance d'être accueillie. Sa décision se fondait, en partie du moins, sur le fait que :

... la question de la " réputation et l'achalandage communs in indicia ", en l'espèce, soulève[...] des questions importantes de droit...

[12]          Les demanderesses prétendent que la décision Gund traite directement du droit d'action d'un distributeur exclusif. À mon avis, toutefois, cette décision est de peu d'utilité. En premier lieu, les faits sont distincts. Dans leur acte de procédure, les demanderesses n'ont pas allégué que Brio possède une réputation ou un achalandage communs avec sa codemanderesse. À partir des faits allégués dans la déclaration, rien n'aurait pu laisser croire au public au Canada que les marques de commerce en cause étaient quoi que ce soit d'autre que les marques du fabricant.

[13]          En second lieu, rien n'indique que la décision anglaise rendue par la Division du Banc du Roi de la Haute Cour dans l'affaire Dental Manufacturing Company Ltd. c. C. De Trey & Co.5 avait été portée à l'attention du juge Pinard. Cette décision énonce le principe selon lequel à moins de posséder lui-même un achalandage ou à moins que la marque de commerce en cause n'ait quant à lui, au moins en partie, un caractère distinctif, un simple distributeur exclusif ne peut poursuivre pour violation de droits de marque. Bien que cette décision ait été rendue il y a près d'un siècle, les propos du juge Pickford sont toujours pertinents aujourd'hui :

[TRADUCTION] Je pense qu'en fait, d'après l'acte de procédure, l'action de Richards c. Butcher portait seulement sur la violation de la marque de commerce, mais le juge Kay a abordé distinctement l'autre question parce qu'après avoir examiné quelle était la position d'un agent exclusif et quelle était la signification d'un accord d'agence exclusive, il a dit : " Comment cela leur donne-t-il le droit d'empêcher la violation de la marque de commerce Heidsieck's - jusque là, il ne parlait que de marque de commerce - ou d'empêcher quiconque, si l'affaire est considérée sous cet angle, même s'il ne s'agit pas de l'angle mis de l'avant dans l'acte de procédure, de commettre une fraude en mettant en vente comme étant un vin Heidsieck's un vin qui n'est pas Heidsieck's. Je ne suis pas du tout. " Par conséquent, je suis d'avis que ceci constitue soit une décision expresse, soit une remarque incidente expresse très sérieuse du juge Kay - j'ai tendance à croire qu'il s'agit d'une décision - selon laquelle une action en commercialisation trompeuse ne peut être soutenue par un agent exclusif; et bien qu'il se trouve, dans de nombreuses autres décisions, des passages qui peuvent certainement contredire celui-ci, il ne s'agit pas d'affaires dans lesquelles la question a été soulevée directement et je ne suis pas convaincu que, dans ces affaires, les savants juges avaient cette question à l'esprit. Peu importe que ce soit ou non le cas, je dispose de l'opinion expresse du juge Kay qui a la portée énoncée précédemment et, par conséquent, je ne crois pas pouvoir faire quoi que ce soit d'autre que de la suivre et affirmer qu'un agent exclusif ne peut soutenir une action en commercialisation trompeuse.

[14]          La décision du juge Pickford a été confirmée par la Cour d'appel anglaise6. Même en acceptant qu'une personne qui fait commerce des marchandises d'une autre puisse posséder un achalandage pour cette activité commerciale, le lord juge Buckley a estimé qu'un tel achalandage doit, pour fonder une cause d'action, être distinct de celui du propriétaire :

[TRADUCTION] Une action en commercialisation trompeuse est une action dans laquelle le demandeur prétend que le défendeur le dépossède de sa propriété en détournant des transactions commerciales qui, sans les actes fautifs du défendeur, profiteraient à l'entreprise du demandeur. C'est une action dans laquelle le demandeur prétend que le défendeur présente ses marchandises de manière telle que les gens qui veulent acheter les marchandises du demandeur sont incités à acheter celles du défendeur en croyant qu'il s'agit de celles du demandeur. Il n'est pas nécessaire que les marchandises du demandeur soient fabriquées par le demandeur. Il peut s'agir de marchandises qu'il achète, importe ou autrement acquiert et qu'il vend sous une présentation qui communique l'idée que ce sont des marchandises, qu'elles soient fabriquées, importées ou vendues par lui, qui bénéficient de la réputation de l'entreprise bien connue du demandeur, laquelle est responsable de leur qualité et de leur caractère. Je ne doute pas qu'une personne qui fait commerce des marchandises d'une autre puisse posséder un achalandage pour cette activité commerciale. Un transporteur qui transporte les marchandises d'autres personnes peut posséder un achalandage pour son entreprise de transport. Un agent qui agit comme agent pour la vente de marchandises d'autres personnes peut posséder un achalandage pour son entreprise d'agence et, à ce titre, il peut posséder une présentation dont la reproduction peut lui donner le droit d'avoir gain de cause dans une action en commercialisation trompeuse. Si on applique cette règle à la présente espèce, je ne nourris pour ma part aucun doute sur la question de savoir que De Trey & Co , à titre d'agent exclusif pour la vente des crachoirs de Clark, puisse posséder un achalandage pour cette entreprise, et je n'ai aucun doute que si cette société possédait sa propre présentation pour la vente des marchandises de Clark, elle pourrait avoir gain de cause dans une action en commercialisation trompeuse. Il n'est pas nécessaire, pour les fins de la présente affaire, de rendre une décision sur ces propositions, mais il s'agit de propositions qui sont, à mon avis, véridiques et sur lesquelles je m'appuie pour ce jugement.
...
À mon avis, le présent appel doit être rejeté, non pour la raison que l'agent exclusif pour la vente ne possède pas d'achalandage et qu'il ne peut avoir gain de cause dans une action en commercialisation trompeuse - parce que, dans des circonstances appropriées, je crois qu'il aurait un achalandage et qu'il pourrait aussi avoir gain de cause dans pareille action -, mais parce que je pense que les défenderesses échouent complètement sur les faits car, ici, aucune sorte de représentation n'a été faite pour démontrer que ces marchandises étaient, de quelque manière pertinente, les marchandises de De Trey & Co., ce qui aurait donné une base quelconque à une action en commercialisation trompeuse. Il n'y a rien qui relie les marchandises à De Trey & Co., la société qui a été utilisée pour inciter les acheteurs à les acheter. Pour cette raison, j'estime que l'appel doit être rejeté.

[15]          Les décisions ci-dessus concordent avec la jurisprudence canadienne. En général, une marque de commerce est la marque de commerce du fabricant et non celle du distributeur canadien : voir Manhattan Industries Inc. c. Princeton Manufacturing Ltd7 et Royal Doulton Tableware Ltd c. Cassidy"s Ltd.8

[16]          Dans l'arrêt Asbjorn Horggard A/S c. Gibbs/Nortac Industries Ltd.9, la Cour d'appel fédérale a expliqué la nature du recours offert par l'alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce. S'exprimant au nom de la Cour, le juge MacGuigan a dit :

Le point litigieux est le droit du Parlement de créer un recours civil relativement à une marque de commerce qui n'est pas déposée en vertu de la Loi.
L'alinéa 7b) reflète dans la Loi l'action en passing off issue de la common law, le passing off consistant à laisser croire que les biens ou les services d'une personne sont en réalité ceux d'une autre, ou que quelqu'un d'autre les offre ou y est associé. Il s'agit de fait de " parasiter " au moyen d'une déclaration tendant à induire en erreur.
Halsbury, dans son ouvrage intitulé Laws of England (4e éd.), vol. 48, à la page 99, dit que [TRADUCTION] " L'action en passing off peut avoir été reconnue en common law depuis aussi longtemps que le règne d'Elizabeth I. " Toutefois, ce n'est qu'en equity qu'était protégé en l'absence de fraude le droit exclusif à l'usage d'un nom commercial ou d'une marque de commerce, et en Angleterre les tribunaux de common law ont continué à exiger l'intention frauduleuse jusqu'à la fusion des tribunaux de common law et d'equity. Halsbury dit ce qui suit à la page 108 :
" [TRADUCTION] 155. La nature du renom. L'action en passing off est aujourd'hui reconnue comme un recours contre la violation du droit de propriété, cette propriété résidant davantage dans le commerce ou le renom susceptible d'être atteint par la fausse déclaration plutôt que dans la marque, le nom ou l'habillage utilisés abusivement. Le " renom " a été défini comme l'avantage propre au bon nom, à la réputation et aux contacts d'une entreprise, la force d'attraction qui attire la clientèle et cet actif incorporel qui distingue une entreprise bien établie d'une autre à ses débuts.
En common law, le droit sur une marque de commerce est donc issu de l'usage d'une marque par une entreprise pour désigner ses produits au public. L'entreprise n'avait pas à déposer sa marque pour protéger son droit de l'utiliser et prévenir l'usage abusif que pourrait en faire une autre entreprise. L'action en passing off était le recours disponible pour faire respecter les droits sur les marques de commerce. Sans l'action en passing off, les droits que reconnaît la common law sur les marques de commerce auraient peu de valeur.

[17]          Dans leurs observations écrites, les demanderesses prétendent qu'est discutable la question de savoir si un distributeur à qui une licence d'emploi a été octroyée peut intenter une action en commercialisation trompeuse ou s'il peut s'y joindre. Cependant, les demanderesses n'ont allégué aucun fait pertinent suggérant que Viti avait octroyé une licence d'emploi à Brio.

[18]          De toute façon, le droit d'un licencié d'intenter une telle action semble limité. Dans l'arrêt Smith & Nephew Inc. c. Glen Oak Inc.10, la Cour d'appel fédérale devait décider si la demanderesse, à titre de licenciée à l'égard d'une marque de commerce déposée au Canada, pouvait faire valoir des droits contre des personnes qui importent, distribuent et vendent des produits portant ladite marque, qui avaient été mis dans le circuit commercial par le propriétaire de la marque. S'exprimant au nom de la Cour, le juge Hugessen (tel était alors son titre) a conclu que seul le propriétaire de l'achalandage attaché à une marque de commerce pouvait intenter une action en commercialisation trompeuse fondée sur la loi :


Il est certain que les appelantes, en utilisant les marques déposées Nivea, appellent l'attention sur les produits qu'elles vendent de manière à causer peut-être de la confusion entre ces produits et ceux de l'intimée. Mais c'est parce que, dans les deux cas, les produits en question ne sont pas ceux des appelantes ou de l'intimée respectivement, mais bien ceux de BDF. Cette dernière est la seule à posséder la marque déposée et l'achalandage attaché à cette marque, et l'action en imitation frauduleuse fondée sur la loi, comme son équivalent de common law, ne peut être intentée que par elle à titre de propriétaire de cet achalandage.
En conséquence, même si l'alinéa 7b) avait la portée que lui attribue l'intimée et créait une protection pour autre chose que les marques non déposées, l'intimée ne pourrait pas avoir gain de cause dans une telle action en l'espèce.

[19]          À la lumière des décisions qui précèdent, je dois conclure que Brio ne peut soutenir une action en commercialisation trompeuse en vertu de la Loi sur les marques de commerce. Les faits allégués dans la déclaration ne démontrent pas que Brio possède une réputation et un achalandage communs avec Viti, et encore moins un achalandage distinct pour les produits de Viti. Les demanderesses n'ont pas non plus allégué qu'une " licence d'emploi a été octroyée " à Brio par Viti " ou avec son autorisation ", comme le prévoit l'article 50 de la Loi sur les marques de commerce . La qualité de Brio pour agir doit être établie sur la base des allégations telles qu'elles sont formulées. Sur cette base, Brio doit être radiée comme partie à l'action.

[20]          Je rejette la prétention des défenderesses selon laquelle la réclamation de Viti pour violation du droit d'auteur devrait être retranchée en raison du défaut d'avoir allégué cession par écrit du droit d'auteur. Au paragraphe 13 de la déclaration, il est allégué que la demanderesse Viti est titulaire du droit d'auteur sur les oeuvres littéraires et artistiques en cause. Dans le contexte de la présente requête, ces faits doivent être considérés comme prouvés.

[21]          Les défenderesses cherchent aussi à faire retrancher les allégations concernant l'alinéa 7d) au motif qu'une simple conclusion sur le manquement à une loi ne suffit pas à fonder une cause d'action. Pour établir si les allégations concernant l'alinéa 7d) sont suffisantes, il est nécessaire d'examiner la déclaration dans son ensemble. Or, les demanderesses y allèguent avec suffisamment de détails que les défenderesses ont consciemment et intentionnellement créé une présentation de produit qui inciterait le consommateur, et qui est destinée à inciter le consommateur, à conclure erronément que le produit des défenderesses est le même que celui de la demanderesse Viti ou qu'il provient du même endroit. À mon avis, l'acte de procédure considéré dans son ensemble révèle une cause d'action raisonnable.


ORDONNANCE

[22]          La demanderesse Brio Beverages Inc. est par les présentes radiée comme partie à l'action.

[23]          L'autre demanderesse, Natural Waters of Viti, Limited, devra signifier et produire une déclaration modifiée dans les 10 jours suivant la date de la présente ordonnance.

[24]          Le délai pour compléter les étapes ultérieures de la procédure est prolongé de manière à courir à compter de la date de signification aux défenderesses de la déclaration modifiée.

[25]          Pour le reste, la requête est rejetée.

[26]          Compte tenu que les parties ont chacune eu gain de cause, les dépens de la présente requête suivront l'issue de l'action.

                                 " Roger R. Lafrenière "

     Protonotaire


Toronto (Ontario)

30 mars 2000


Traduction certifiée conforme



Nicole Michaud, LL.L




     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     NOMS DES AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

    

DOSSIER :                  T-1335-99
INTITULÉ :                  NATURAL WATERS OF VITI, LIMITED

                     et BRIO BEVERAGES INC.

                         - et -
                     C.E.O. INTERNATIONAL HOLDINGS INC., FERN BROOK SPRINGS BOTTLED WATER COMPANY LIMITED, CLYDE VIOLA et C.E.O. BOTTLING LTD.

                            

DATE DE L'AUDITION :          LE LUNDI 27 SEPTEMBRE 1999
LIEU DE L'AUDITION :          TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE PAR :          ROGER R. LAFRENIÈRE, PROTONOTAIRE

DATE :                  LE JEUDI 30 MARS 2000

ONT COMPARU :              Ken Mackay

                            

                             pour les demanderesses

                     Michael Charles

                             pour les défenderesses


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      Sim, Hughes, & McKay

                         Avocats

                         330 University Avenue

                         6 e étage

                         Toronto (Ontario)

                         M5G 1R7

                             pour les demanderesses


                             

                             Bereskin & Parr

                             Avocats

                             Boîte 401, 40 King St. W.,

                             Toronto (Ontario)

                             M5H 3Y2

                                 pour les défenderesses

                             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                 DATE : 20000330

                        

          DOSSIER : T-1335-99


                             Entre :

                             NATURAL WATERS OF VITI, LIMITED et BRIO BEVERAGES INC.

     demanderesses


                             - et -



                             C.E.O. INTERNATIONAL HOLDINGS INC., FERN BROOK SPRINGS BOTTLED WATER COMPANY LIMITED, CLYDE VIOLA et C.E.O. BOTTLING LTD.

                        

     défenderesses




                    

                            

        

                                                                         MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                             ET ORDONNANCE

                            

__________________

1      [1990] 2 R.C.S. 959, p. 980.

2      (1989), 58 D.L.R. (4th ) 396, à la p. 398.

3      Décision non publiée, 13 mars 2000.

4      (1989), 23 C.I.P.R. 86 (C.F. 1re inst.).

5      (1912), 29 R.P.C. 617.

6      (1912), 29 R.P.C. 621.

7      (1971), 4 C.P.R (2d) 6 (C.F. 1re inst.).

8      [1986] 1 C.F. 357 (1re inst.).

9      (1987), 14 C.P.R. (3d) 314 et [1987] 3 C.F. 544, à la p. 560 (C.A.F.)

10      (1996), 68 C.P.R. 153 (C.A.F.) à la p. 164 et [1996] 3 C.F. 565, aux p. 578 et 579.

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