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Date : 19991025


Dossier : IMM-6717-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 25 OCTOBRE 1999

EN PRÉSENCE DE L"HONORABLE JUGE TREMBLAY-LAMER

Entre :

     NDJADI DENIS NGONGO et

     CATHERINE CHIRE MUBEMBE

     Partie demanderesse

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION

     Partie défenderesse

     O R D O N N A N C E

     La demande de contrôle judiciaire est accueillie. Le dossier est retourné pour redétermination devant un panel nouvellement constitué.

     "Danièle Tremblay-Lamer"

                                     JUGE

        


Date : 19991025


Dossier : IMM-6717-98

Entre :

     NDJADI DENIS NGONGO et

     CATHERINE CHIRE MUBEMBE

     Partie demanderesse

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION

     Partie défenderesse

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE TREMBLAY-LAMER:


[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire d"une décision rendue par la Commission de l"immigration et du Statut de Réfugié, (Section du statut), en date du 30 novembre 1998 qui concluait que les demandeurs n"étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.


[2]      Les demandeurs sont citoyens de la République Démocratique du Congo (ex-Zaïre). Ils allèguent une crainte de persécution en raison d"opinions politiques et de leur appartenance à un groupe social particulier, soit la famille.


[3]      En 1989, le demandeur allègue avoir adhéré au Parti de la révolution populaire (PRP) de Kabila. En 1990, il fut sollicité par le PRP pour agir comme conseiller en charge de la mobilisation et de la propagande dans la capitale. Il fut arrêté à son domicile le 5 novembre 1990 par des militaires du Service d"action et de renseignement militaire (SARM). Le SARM avait découvert des tracts du PRP distribués par une des soeurs du demandeur. Il prétend avoir été détenu dans une prison de la SARM pendant 13 mois.


[4]      Le 4 décembre 1991, le demandeur et sa soeur furent libérés suite à l"intervention d"une autre soeur qui a corrompu le colonel en charge de la prison.


[5]      Quant à la demanderesse, elle aurait été arrêtée une première fois le 20 septembre 1991 et aurait été agressée pendant sa détention pour être libérée trois mois plus tard suite à l"intervention d"un dirigeant du PRP, Bisoé Biringanine qui aurait acheté les gardiens.


[6]      Le 11 décembre 1991, le demandeur a quitté le pays pour la Suède en utilisant le passeport de son frère. Il fut refoulé vers l"Allemagne. En juin 1992, le demandeur s"enfuit de l"Allemagne vers la Suède où il demande le statut de réfugié.


[7]      En décembre 1994, la demanderesse fut repérée dans la région de Bukavu par des agents du SARM qui recherchaient son mari. Elle fut détenue dans une prison du SARM mais s"est évadée de nouveau grâce à des pots-de-vin versés aux responsables par Bisoé.


[8]      Le 24 mars 1995 elle s"enfuit du Zaïre pour rejoindre son mari en Suède où elle revendique le statut de réfugié. En juin 1996, les revendications des demandeurs furent rejetées par des autorités suédoises.


[9]      Le demandeur affirme qu"il maintient un contact (par téléphone) avec Bisoé, le premier vice-président du PRP resté en RDC. Ce dernier, déçu du comportement du dictateur Kabila, adhère maintenant à l"Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS). Le demandeur raconte que Bisoé aurait été emprisonné au début de 1998.


[10]      Le 12 mars 1998, le demandeur a quitté le PRP pour adhérer lui aussi, au mois d"avril 1998, à l"UDPS-Canada. Il participe à des réunions mensuelles ainsi qu"à un comité de réflexion. En cas de retour au RDC, les demandeurs craignent pour leur vie en raison d"une infiltration de l"UDPS-Canada par des agents de l"AFDL.


[11]      La Section du statut a conclu que la revendication des demandeurs n"était pas crédible et que les éléments de preuve étaient insuffisants pour démontrer une crainte bien-fondée de persécution dans l"éventualité d"un retour en RDC.


[12]      Les demandeurs soumettent que la Section du statut a commis une erreur de droit en ne confrontant pas le demandeur au sujet d"une contradiction importante dans son témoignage.


[13]      Je note que dans sa décision, le tribunal s"appuie sur la décision récente du juge Gibson, Ayodele c. Canada (M.C.I.)1. Cette décision limite la portée de l"arrêt Gracielome c. Canada (M.E.I.)2 et conclut que le fait de ne pas signaler à un revendicateur une contradiction ne constitue pas en soi une erreur de droit:

             Je crois qu'on peut légitimement présumer que les contradictions du témoignage du requérant auraient sauté aux yeux de l'avocat et des membres de la SSR. Dans ces circonstances bien précises, annuler la décision de la SSR en raison de son omission de signaler ses contradictions à un requérant représenté par un avocat irait bien au-delà de ce que j'estime être la position énoncée dans l'arrêt Gracielome et placerait, selon moi, un fardeau injustifié sur les épaules des membres de la SSR. Je répète que le requérant était représenté par un avocat qui, vraisemblablement, était attentif à son témoignage. Il était loisible à l'avocat d'interroger ou de réinterroger son client au sujet de toute contradiction qu'il percevait sans que les membres de la SSR aient à lui dire quoi faire.             

[14]      Plus récemment dans l"affaire Matarage c. M.C.I.3, le juge Lutfy adoptait le même raisonnement.

[15]      Le juge Lutfy indiquait cependant qu"il peut toujours exister des cas où une contradiction doit être portée à l"attention d"un revendicateur. À cet effet, il cite l"arrêt de Guo c. Canada (M.C.I.)4.

[16]      À mon avis, il s"agit de regarder dans chaque dossier la situation factuelle, la législation applicable et la nature des contradictions notées. Les facteurs suivants peuvent servir de guide:

     1.      La contradiction a-t-elle été découverte après une analyse minutieuse de la transcription ou de l"enregistrement de l"audience ou était-elle évidente ?
     2.      S"agissait-il d"une réponse à une question directe du tribunal ?
     3.      S"agissait-il d"une contradiction réelle ou uniquement d"un labsus ?
     4.      Le demandeur était-il représenté par avocat, auquel cas celui-ci pouvait l"interroger sur toute contradiction ?
     5.      Le demandeur communiquait-il au moyen d"interprète ? L"usage d"un interprète rend les méprises attribuables à l"interprétation (et alors, les contradictions) plus probables.
     6.      Le tribunal fonde-t-il sa décision sur une seule contradiction ou sa décision est-elle fondée sur plusieurs contradictions ou invraisemblances ?

[17]      Compte tenu de ces facteurs, je suis d"avis qu"en l"espèce le tribunal n"avait pas l"obligation de confronter le revendicateur. La présente affaire se déroule dans le contexte de la nouvelle législation. La contradiction était évidente et en réponse à une question directe du tribunal. Elle ne découle pas d"une recherche minutieuse du tribunal qui cherche à justifier une conclusion de non crédibilité. Certes, elle a échappé à la vigilance du tribunal de telle sorte que le demandeur n"a pas été confronté directement avec la contradiction. Mais le demandeur jouissait de la représentation d"un conseiller. Comme dans la décision de Ayodele5, je pense que la contradiction était aussi apparente au conseiller qu"aux membres de la Section du statut de sorte que, il aurait pu réinterroger son client à ce sujet.

[18]      De plus, s"ajoutait à cette contradiction la conclusion du tribunal qui note l"invraisemblance générale de la situation de Bisoé Biringanine. Celui-ci malgré son profil politique (lequel était connu des autorités) a pu faire commerce et corrompre les responsables de prison et plusieurs fonctionnaires sans encourir aucun problème avant 1997.

[19]      Il n"était pas déraisonnable pour le tribunal de conclure à l"invraisemblance de cette situation qui contraste singulièrement avec celle des demandeurs qui allèguent l"acharnement des forces mobutistes contre la demanderesse qui n"exerçait aucune activité politique et qui avait fui à 1 400 kilomètres de Kinshasa.

[20]      Je ne vois donc aucun motif pour renverser la décision du tribunal du fait qu"il n"a pas confronté le demandeur avec la contradiction.

L"analyse des activités au Canada

[21]      Le demandeur est devenu membre du UDPS-Canada. Nonobstant ce fait, le tribunal concluait que l"appartenance du demandeur au sein de l"UDPS était opportuniste et qu"en conséquence son nouvel engagement était non crédible. En raison de cette conclusion, le tribunal n"a pas déterminé si le demandeur possédait une crainte raisonnable de persécution reliée à ses activités au Canada.

[22]      James Hathaway dans The Law of Refugee Status6 est d"avis que l"on doit considérer l"impact des activités politiques à l"extérieur du pays même si ces activités sont motivées par l"intention du revendicateur de s"assurer un refuge.

             It does not follow, however, that all persons whose activities abroad are not genuinely demonstrative of oppositional political opinion are outside the refugee definition. Even when it is evident that the voluntary statement or action was fraudulent in that it was prompted primarily by an intention to secure asylum, the consequential imputation to the claimant of a negative political opinion by authorities in her home state may nonetheless bring her within the scope of the Convention definition. Since refugee law is fundamentally concerned with the provision of protection against unconscionable state action, an assessment should be made of any potential harm to be faced upon return because of the fact of the non-genuine political activity engaged in while abroad.7             

[23]      Je suis de cet avis. La seule question pertinente est de savoir si les activités à l"extérieur du pays peuvent engendrer une réaction négative de la part des autorités et de ce fait une possibilité raisonnable de persécution en cas de retour.

[24]      À cet égard, le juge Hugessen dans l"affaire Manzila c. Canada (M.C.I.)8 concluait que le tribunal avait erré en ignorant les activités du demandeur au Canada :

             L"erreur du commissaire, soit dit avec respect, était qu"il a complètement omis de traiter de la seconde partie de la revendication du demandeur, c"est-à-dire sa prétention que ses activités ici au Canada aurait pour lui des répercussions importantes dans son pays d"origine. Le commissaire mentionne ces activités au tout début de sa décision mais il n"écarte pas la réclamation du demandeur à l"effet que ces activités ici font de lui un réfugié indépendamment de ses activités dans son pays d"origine9.             

[25]      Dans ces circonstances, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Le dossier est retourné pour redétermination devant un panel nouvellement constitué.



[26]      [27]      Aucun des avocats n"a recommandé la certification d"une question.

     "Danièle Tremblay-Lamer"

                                     JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 25 octobre 1999


__________________

1      (Le 30 décembre 1997), IMM-4812-96 (C.F. 1ère inst.).

2      (Le 30 mai 1989), A-507-88 (C.A.F.) [traduction ].

3      (Le 9 avril 1998), IMM-1987-97 (C.F. 1ère inst.).

4      (Le 16 septembre 1996), A-928-92 (C.A.F.).

5      Supra note 1.

6      Chapter 2 "Alienage" (Toronto: Butterworths, 1991).

7      Ibid. at p. 39.

8      (Le 22 septembre 1998), IMM-4757-97 (C.F. 1ère inst.).

9      Ibid. au para 4.

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