Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                                                                                 Date : 19980708

                                                                                                                           Dossier : T-1191-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 8 JUILLET 1998

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE LUTFY

ENTRE :

                                                                   TED BULAT,

                                                                                                                                         demandeur,

                                                                          - et -

                                   SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

                                         représentée par le CONSEIL DU TRÉSOR,

                                                                                                                                     défenderesse.

                                                                ORDONNANCE

            LA COUR, STATUANT sur la présente demande de contrôle judiciaire entendue à Ottawa (Ontario) le 21 avril 1998, ordonne le rejet de la demande.

                                                                                                           « Allan Lutfy »        

                                                                                                                        Juge

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.


                                                                                                                                 Date : 19980708

                                                                                                                           Dossier : T-1191-97

ENTRE :

                                                                   TED BULAT,

                                                                                                                                         demandeur,

                                                                          - et -

                                   SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

                                         représentée par le CONSEIL DU TRÉSOR,

                                                                                                                                     défenderesse.

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LUTFY

[1]         L'argumentation habile et vigoureuse de l'avocat du demandeur ne m'a pas convaincu que le comité de règlement des griefs de classification a manqué à l'équité procédurale exigée dans les circonstances de l'espèce. Pour parvenir à cette conclusion, j'adopte en général l'analyse faite par mon collègue le juge McKeown dans l'affaire Chong et al. c. Canada (Procureur général) et al.[1] concernant la norme d'équité à respecter dans ce genre de procédure relative aux griefs.

[2]         La procédure de règlement des griefs est un mécanisme de règlement des différends entre un employé et la direction concernant la classification d'un poste. Dans ce sens, la relation entre les deux parties peut être qualifiée de « contradictoire » . La remarque du juge McKeown dans l'affaire Chong (1995)[2] que le processus de règlement des griefs de classification n'est pas contradictoire reflète simplement, à mon avis, l'énoncé du Secrétariat du Conseil du Trésor que le processus « [...] n'a pas été conçu dans le but d'opposer deux parties » [3]. Il n'est pas inapproprié de qualifier la procédure en tant que telle de procédure « non contradictoire » lorsque le décideur obtient des renseignements d'une partie en l'absence de l'autre partie. Je n'accepte pas l'argument du demandeur que cette remarque du juge McKeown compromet son analyse de la norme d'équité applicable à la présente procédure de règlement des griefs.

[3]         Par ailleurs, la remarque du juge McKeown dans l'affaire Chong (1995) que « [l]es intérêts individuels des plaignants ne sont pas en danger » [4] ne compromet pas non plus son analyse comme l'a affirmé le demandeur. Même si le dossier en l'espèce avait révélé les niveaux de rémunération de la classification réelle du demandeur et de la classification supérieure demandée[5], le législateur a décidé, comme le juge McKeown l'a fait remarquer, que les griefs de classification ne seraient pas soumis à l'arbitrage prévu par la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique[6]. Lorsque le législateur a pris cette décision et lorsque le Secrétariat du Conseil du Trésor a créé la procédure de règlement des griefs de classification, ils n'ignoraient pas l'effet de la classification des emplois sur un employé. Dans les circonstances, la norme d'équité définie par le juge McKeown est compatible avec les droits du fonctionnaire s'estimant lésé.

[4]         L'avocat du demandeur ne conteste pas la procédure de règlement des griefs de classification parce qu'elle ne prévoit pas la tenue d'une audience ou parce qu'elle n'accorde pas le droit de procéder à un contre-interrogatoire ni même le droit d'être présent lorsque le comité demande des renseignements supplémentaires à la direction ou à d'autres personnes[7]. Le contrôle judiciaire se borne plutôt à l'omission du comité de faire part au demandeur, avant de prendre sa décision, du point de vue de la direction que les activités du demandeur au chapitre des contacts étaient axées sur le développement et poursuivies sur une base volontaire.

[5]         Dans l'affaire Chong (1995), le juge McKeown a conclu que le fonctionnaire s'estimant lésé avait le fardeau de prouver le bien-fondé du grief de classification : « C'est aux requérants qu'il incombe de prouver que la classification était erronée[8]. » Je suis d'accord avec lui. Le représentant syndical a déclaré devant la Cour que si le point de vue de la direction avait été connu, les évaluations du rendement du demandeur auraient été produites et ses fonctions, ses responsabilités et ses activités concernant les contrats d'évaluation foncière auraient été mises en évidence. Qui plus est :

[traduction] [...] J'aurais mis en preuve le fait que M. Bulat est désigné comme le représentant du Ministère et que, à ce titre, il est présent à l'ouverture des soumissions relatives aux contrats d'évaluation foncière et recommande la prise de diverses mesures pendant l'exécution du contrat. M. Bulat communique avec la bande indienne au cours des travaux d'évaluation pour expliquer la procédure. Il examine le rapport qui est préparé pour s'assurer qu'il est conforme aux normes et recommande les paiements. Pendant le processus d'évaluation, il veille au respect des procédures et fournit de l'aide et des instructions à l'entrepreneur. Il négocie en outre les changements de prix dictés par les circonstances pendant l'exécution du contrat[9].

Il me semble qu'il s'agit précisément des renseignements que le demandeur aurait dû fournir au comité de règlement des griefs de classification initialement, indépendamment du point de vue par la suite adopté par la direction. Le comité a fait remarquer que la seule notation contestée par le représentant syndical était le facteur Contacts. Il a également affirmé que c'est le demandeur lui-même qui a soulevé la question du développement des contacts[10]. Il est difficile de comprendre pourquoi le fonctionnaire s'estimant lésé, qui est la partie ayant le fardeau de preuve, n'a pas fourni tous ces renseignements initialement, compte tenu de l'importance du facteur Contacts.

[6]         À mon avis, il existe une importante distinction factuelle entre le rapport d'expert qui n'a pas été communiqué au fonctionnaire s'estimant lésé dans l'affaire Hale et la qualification par la direction de la nature des fonctions du demandeur concernant les contacts avec l'extérieur en l'espèce. Mon point de vue à cet égard est renforcé par les renseignements que le demandeur aurait communiqués s'il avait connu le point de vue de la direction. Une fois de plus, le demandeur aurait fort bien pu et aurait probablement dû communiquer ces renseignements dès le début. Ce sont des renseignements qui ressemblent à ceux qui ont été fournis au comité initialement et que celui-ci résume dans ses motifs sous la rubrique Exposé du syndicat.

[7]         Le demandeur a fait ressortir la question des contacts. Il lui incombait, en tant que partie ayant le fardeau de preuve, de faire valoir tous ses arguments au moment où le comité de règlement des griefs de classification lui en a donné l'occasion. Pour répliquer au point de vue de la direction quant au fait que ses activités étaient « volontaires » et « axées sur le développement » , le demandeur invoque des renseignements antérieurement mis à sa disposition et directement liés à la question des contacts[11]. Fournir d'autres renseignements du même genre n'est pas fournir de « nouveaux » renseignements. C'est la propre description que fait le demandeur des renseignements supplémentaires qu'il présenterait maintenant qui me convainc que l'intervention de la Cour n'est pas justifiée. D'après le dossier en l'espèce, je suis convaincu que le demandeur avait une connaissance suffisante des questions et n'avait besoin d'aucun renseignement supplémentaire pour « véritablement participer » à la procédure de règlement des griefs de classification en l'espèce.

[8]         Dans l'arrêt Mercier c. Canada (Commission des droits de la personne)[12], la Cour d'appel a annulé la décision de la Commission, qui reposait sur des observations qui lui avaient été fournies par l'employeur, mais que la plaignante n'avait pas obtenues. La Commission s'est appuyée sur ces observations pour conclure qu'aucune mesure supplémentaire n'était justifiée, alors que l'enquêteur de la Commission avait retenu les prétentions de la plaignante et fait plusieurs recommandations, notamment la conciliation. L'avocat du demandeur invoque les propos suivants du juge Décary :

Fondamentalement, il s'agit dans chaque cas de s'assurer que l'administré a été informé de la substance de la preuve sur laquelle le tribunal entend se fonder pour prendre sa décision et qu'il s'est vu offrir la possibilité de répliquer à cette preuve et de présenter tous les arguments pertinents s'y rapportant[13].

[9]         Dans l'arrêt Mercier, la Commission canadienne des droits de la personne s'est servie de nouvelles observations pour modifier radicalement le rapport d'enquête. En l'espèce, la décision de la personne désignée par le sous-chef pour s'occuper des griefs de classification a confirmé les recommandations du comité de règlement des griefs de classification. Il existe une distinction plus importante entre ces deux affaires; elle se rapporte directement aux nouvelles observations de l'employeur qui contestaient non seulement les conclusions du rapport d'enquête, mais aussi la crédibilité de la plaignante sur la base de certains renseignements ne figurant pas dans le rapport. En l'espèce, la différence n'est pas aussi marquée entre ce que le demandeur considère comme le point de vue non communiqué de la direction et les renseignements qu'il aurait soumis au comité, et qu'il aurait dû lui soumettre par mesure de prudence, comme je viens de le mentionner, afin de s'acquitter du fardeau de preuve. Comme l'a déclaré le juge Décary dans l'arrêt Mercier :

Je ne dis pas que les règles d'équité procédurale exigent de la Commission qu'elle communique systématiquement à une partie les observations qu'elle reçoit de l'autre partie; je dis qu'elles l'exigent lorsque ces observations contiennent des éléments de fait distincts de ceux dont le rapport d'enquête faisait état et que la partie adverse aurait eu le droit de tenter de réfuter les eût-elle connus au stade de l'enquête proprement dite[14]. [Non souligné dans l'original.]

[10]       L'autre argument du demandeur consiste à affirmer que le comité a commis une erreur en ne tenant aucun compte de certaines fonctions qu'il accomplissait d'une manière « volontaire » ou « axée sur le développement » . Dans son mémoire, le demandeur invoque le passage suivant du mandat du comité de règlement des griefs de classification :

[traduction] Le comité de règlement des griefs de classification est chargé d'établir la classification appropriée et d'évaluer le poste du fonctionnaire s'estimant lésé sur la base des fonctions attribuées par la direction et exercées par l'employé, et des renseignements supplémentaires fournis par la direction et par le fonctionnaire s'estimant lésé ou son représentant[15]. [Non souligné dans l'original.]

Pour des motifs qui ne sont pas sans rapport avec ceux qui ont trait à la question de l'équité, cet argument est également mal fondé. Il incombait au demandeur de prouver que ses activités au chapitre des contacts étaient des fonctions qui lui avaient été attribuées et qu'il exerçait. Le comité a estimé que le demandeur ne s'était pas acquitté de ce fardeau. Il a conclu qu'il [traduction] « [...] n'avait pu trouver aucun contact dans les attributions officielles qui justifierait [...] » une notation plus élevée pour le facteur Contacts. Le comité a ajouté :

[traduction] Ainsi que l'a relaté le fonctionnaire s'estimant lésé et ainsi que l'a confirmé la direction, les tâches axées sur le développement accomplies par M. Bulat peuvent comprendre l'établissement de contacts plus personnels avec des ressources externes, mais on ne saurait en tenir compte pour évaluer le poste, puisqu'il ne s'agit pas d'une exigence officielle du poste en question[16]. [Non souligné dans l'original.]

Le comité pouvait tirer cette conclusion compte tenu des renseignements qui lui ont été soumis au nom du demandeur et de la direction.

[11]       En résumé, le demandeur n'a pas prouvé que le principe de l'équité n'a pas été respecté dans les circonstances de l'espèce. Dans l'arrêt Mancia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), le juge Décary a déclaré :

[L']objectif [de ce principe] consiste dans chaque cas à garantir qu'à l'issue du processus le demandeur aura été traité équitablement compte tenu des circonstances de l'espèce, de la nature de la procédure, des règles en vertu desquelles agit le décideur, de la question traitée, etc.[17]

En définitive, après examen du dossier, je suis convaincu que les recommandations du comité ont été faites équitablement et d'une manière compatible avec la procédure de règlement des griefs. Selon moi, il n'y a pas eu déni de justice dans le cadre du règlement du grief du demandeur.


[12]       Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                                         « Allan Lutfy »          

                                                                                                                        Juge

Ottawa (Ontario)

Le 8 juillet 1998

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.


                                                  COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                         NOMS DES AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU DOSSIER DE LA COUR :       T-1191-97

INTITULÉ :                                                      TED BULAT

                                                                                    c.

                                                                        SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA représentée par le CONSEIL DU TRÉSOR

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                LE 21 AVRIL 1998

MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE LUTFY

EN DATE DU :                                                 8 JUILLET 1998

COMPARUTIONS :

ANDREW RAVEN                                                      POUR LE DEMANDEUR

HARVEY NEWMAN                                      POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

RAVEN, JEWITT & ALLEN                           POUR LE DEMANDEUR

OTTAWA (ONTARIO)

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL                               POUR LA DÉFENDERESSE

DU CANADA

OTTAWA (ONTARIO)



     [1]            (1995), 104 F.T.R. 253, en particulier aux p. 255 à 262, 263 et 264. Cette décision a été suivie par le juge Joyal dans l'affaire Chong et al. c. Canada (Conseil du Trésor) (1997), 133 F.T.R. 302, maintenant devant la Cour d'appel dans le dossier de la Cour portant le numéro A-453-97, et par le juge Pinard dans l'affaire Tanack et al. c. Canada (Conseil du Trésor) (1996), 112 F.T.R. 282. Dans l'affaire Hale c. Canada (Conseil du Trésor) (1996), 112 F.T.R. 216, le juge Reed a déclaré qu'il en allait différemment dans l'affaire Chong (1995) et a conclu que l'omission du comité de règlement des griefs de classification de communiquer des renseignements qui lui avaient été fournis par un expert technique avait empêché l'auteur du grief de « véritablement participer » à la procédure.

     [2]Ibid., p. 264.

     [3]Dossier du demandeur, p. 184.

     [4]Supra, note 2.

     [5]            Dans l'affaire Hale, supra, note 1, à la p. 219, le juge Reed a été en mesure de tirer une conclusion de fait concernant l'effet précis sur la rémunération du fonctionnaire s'estimant lésé, mais tirer une conclusion similaire en l'espèce serait conjecturer.

     [6]L.R.C. (1985), ch. P-35.

     [7]            Un point de vue similaire a été adopté dans l'affaire Hale, supra, note 1, ainsi qu'il est mentionné à la p. 223, par. 20.

     [8]Supra, note 1, à la p. 264.

     [9]Dossier du demandeur, p. 10 et 11.

     [10]Infra, note 15.

     [11]Dossier du demandeur, p. 8 et 9.

     [12][1994] 3 C.F. 3 (C.A.).

     [13]Ibid., p. 12.

     [14]          Ibid., p. 14. Voir aussi l'affaire Chong (1997), supra, note 1, à la p. 307, dans laquelle le juge Joyal déconseille également l'application « systématique » des règles d'équité procédurale sans égard aux circonstances de chaque espèce.

     [15]Dossier du demandeur, p. 181.

     [16]Dossier de la demande du demandeur, p. 14 et 15.

     [17][1998] A.C.F. no 565 (QL) (C.A.), (1er mai 1998), A-75-97, au par. 14.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.