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     Date : 19980811

     Dossier : DES"1"98

             AFFAIRE INTÉRESSANT une attestation concernant Iqbal SINGH                         
             ET un renvoi à la Cour fédérale du Canada conformément à l'alinéa 40.1(3)a) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I"2                         

ENTRE

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION ET LE

     SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     demandeurs,

     et

     IQBAL SINGH,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROTHSTEIN

[1]      Il s'agit d'une décision rendue au fond en vertu de l'alinéa 40.1(4)d) de la Loi sur l'immigration au sujet de la question de savoir si une attestation que le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et le solliciteur général du Canada (les ministres) ont délivrée à l'égard du défendeur est raisonnable. Il est attesté que les ministres sont d'avis que le défendeur est une personne visée au sous"alinéa 19(1)e )(ii), aux divisions 19(1)e)(iv)(B) et (C), au sous"alinéa 19(1)f )(ii) et à la division 19(1)f)(ii)(B) de la Loi sur l'immigration1.


1.      Conformément à l'alinéa 40.1(4)a), la Cour a examiné les renseignements secrets en matière de sécurité;

2.      Conformément à l'alinéa 40.1(4)a), la Cour a recueilli les autres éléments de preuve au nom des ministres en l'absence du défendeur et de son conseiller;

3.      Conformément à l'alinéa 40.1(4)b), la Cour a fourni au défendeur un résumé des informations dont elle disposait afin de permettre à celui"ci d'être suffisamment informé des circonstances ayant donné lieu à l'attestation;

4.      Conformément à l'alinéa 40.1(4)c), la Cour a donné au défendeur la possibilité d'être entendu. Cette possibilité a permis au défendeur de citer une trentaine de témoins sur une période d'environ 11 jours. Le défendeur a lui"même décidé de ne pas être présent lorsque deux témoins ont présenté leur déposition par téléphone;

5.      Conformément aux alinéas 40.1(4)a) et c), la Cour a entendu les plaidoyers des avocats des ministres et du défendeur en audience publique et les plaidoyers que les avocats des ministres ont présentés à l'égard des renseignements secrets en matière de sécurité et d"autres éléments d'information non fournis au défendeur en l'absence du défendeur et de son conseiller. Le défendeur a décidé de ne pas être présent pendant une partie des plaidoyers présentés en public.

Avant de déterminer si l'attestation délivrée par les ministres en tant que telle est raisonnable, il faut examiner certaines questions que le défendeur a soulevées.

Quelle est la norme de preuve et que faut"il prouver?

[2]      Dans les procédures fondées sur l'article 40.1, les décisions se rapportant aux alinéas 19(1)e) et f) exigent la preuve de l'existence de "motifs raisonnables de croire" certains faits par opposition à l'existence des faits eux"mêmes. Lorsqu'il existe des motifs raisonnables de croire qu'une personne est membre d'une organisation, il doit également exister des motifs raisonnables de croire que l'organisation commet des actes de subversion ou de terrorisme. Voir Farah"Mahdavieh (1993), 63 F.T.R. 120, aux paragraphes 11 et 12. Pour que l'existence de pareils motifs soit établie, les motifs doivent avoir un fondement objectif. Voir R. c. Zeolkowski, [1989] 1 R.C.S. 1378, à la page 1385.

[3]      La norme de preuve est celle de la prépondérance des probabilités. Voir Farah"Mahdavieh, supra, et Al Yamani v. Canada (1995), 103 F.T.R. 105, aux paragraphes 64 et 652.

Doit"il être conclu que chacun des motifs sur lesquels l'attestation est fondée est raisonnable?

[4]      En l'espèce, l'attestation est ainsi libellée :

         [TRADUCTION]                 
         Nous attestons par les présentes que nous sommes d'avis, à la lumière des renseignements secrets en matière de sécurité dont nous avons eu connaissance, qu'Iqbal Singh appartiendrait à l'une des catégories visées au sous"alinéa 19(1)e )(ii), aux divisions 19(1)e)(iv)(B) et 19(1)e)(iv)(C), au sous"alinéa 19(1)f )(ii) et à la division 19(1)f)(iii)(B) de la Loi sur l'immigration.                 

On pourrait penser que le mot "et" laisse entendre que l'attestation ne pourrait être considérée comme raisonnable que si tous les motifs sur lesquels elle est fondée sont établis. Toutefois, je crois que chacun des motifs doit être interprété d'une façon disjonctive et que, si l'un d'eux est établi, il faudra déterminer que l'attestation est raisonnable.

[5]      À l'appui de cette thèse, il suffit de consulter le paragraphe 40.1(1) en vertu duquel l'attestation est délivrée. De toute évidence, le mot "ou" figurant au paragraphe 40.1(1) montre que la liste des motifs justifiant la délivrance d'une attestation doit être interprétée d'une façon disjonctive. Les alinéas et sous"alinéas figurant au paragraphe 19(1) sont distincts. Si une personne est visée par l'un des sous"alinéas du paragraphe 19(1), tel qu'il est mentionné au paragraphe 40.1(1), elle n'est pas admissible et une attestation peut être délivrée en vertu de l'article 40.1.

[6]      Une interprétation disjonctive est également conforme à l'article 38.1 de la Loi sur l'immigration, qui explique le but visé par l'article 40.1. De toute évidence, si une personne est visée par l'un des sous"alinéas du paragraphe 19(1) mentionné au paragraphe 40.1(1), elle peut constituer une menace pour la sécurité du Canada ou sa présence peut mettre en danger la vie ou sécurité de personnes au Canada. Il ne serait pas conforme à l'article 38.1 ou au paragraphe 40.1(1) d'exiger la preuve de l'existence de motifs raisonnables permettant de croire qu'une personne est visée par plus d'une des catégories mentionnées au paragraphe 19(1), tel qu'il est mentionné au paragraphe 40.1(1). Malgré le libellé de l'attestation, je suis convaincu que si l'un des motifs sur lesquels elle est fondée est établi, l'attestation doit être considérée comme raisonnable.

Comment la Cour devrait"elle apprécier le bien"fondé de la preuve confidentielle des ministres qui n'est pas vérifiée par le défendeur?

[7]      Le défendeur se préoccupait énormément de ce que tout ou partie des renseignements secrets en matière de sécurité ou les éléments de preuve confidentiels des ministres n'étaient peut"être pas dignes de foi. En particulier, il a nommé des personnes qui, s'il s'agissait d'informateurs du SCRS, avaient des motifs secrets de fournir de faux renseignements qui lui étaient défavorables. Le défendeur a affirmé qu'un informateur croyait qu'il avait nui à son mariage. Il a affirmé qu'un autre informateur avec qui il avait fait des affaires avait eu un différend avec lui. Le défendeur se préoccupait également de ce que, si ses lignes téléphoniques avaient été assujetties à l'écoute électronique, les conversations devraient être traduites du pendjabi à l'anglais et que certaines subtilités ou nuances ne seraient peut"être pas comprises. Il a souligné que pareils éléments de preuve ne peuvent pas être vérifiés et qu'il faut leur accorder peu d'importance.

[8]      Compte tenu de l'alinéa 40.1(4)a), je ne suis pas autorisé à communiquer les renseignements secrets en matière de sécurité ou les autres éléments de preuve que j'ai recueillis en l'absence du défendeur ou de son conseiller parce que leur communication porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes. Toutefois, je puis dire que ces renseignements figurent dans six gros volumes de documents. Compte tenu des préoccupations du défendeur, j'ai porté une attention particulière aux renseignements dans leurs moindres détails, j'ai posé des questions précises, j'ai obtenu des réponses au sujet de la fiabilité de diverses sources et je me suis demandé si les renseignements étaient corroborés par plus d'une source indépendante.

[9]      J'ai également tenu compte des préoccupations que le défendeur a exprimées au sujet du fait que la presse et les rapports de police établis en Inde ne sont pas dignes de foi. Dans la mesure où pareils éléments de preuve existaient, j'y ai accordé peu d'importance, et ce, qu'ils soient nécessaires ou non.

Caractère raisonnable de l'attestation délivrée par les ministres

[10]      J'examinerai maintenant l'attestation délivrée par les ministres et en particulier l'opinion selon laquelle il y a des motifs raisonnables de croire que le défendeur est ou a été membre d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle se livre ou s'est livrée à des actes de terrorisme (division 19(1)f)(iii)(B)). J'examine cette question en premier lieu étant donné qu'il s'agit d'une des questions qui se prêtent le plus facilement à une analyse compte tenu de la preuve qui a été présentée en public.

[11]      Les organisations en question sont le Babbar Khalsa (le BK) et le Babbar Khalsa International (le BKI). En ce qui concerne le BK et le BKI, la preuve que j'ai trouvée la plus sûre et digne de foi est celle de Cynthia Keppley Mahmood, que le défendeur a citée à titre de témoin expert. Mme Mahmood est professeure agrégée d'anthropologie à l'université du Maine. Elle se spécialise dans la culture des conflits politiques. Elle a étudié divers groupes, mais au cours des cinq ou six dernières années, elle s'est particulièrement intéressée au mouvement du Khalistan (création d'un État indépendant au Khalistan qui comprendrait en gros l'État indien du Pendjab actuel). Mme Mahmood a elle"même effectué des recherches auprès de militants sikhs du Khalistan, des partisans des militants et de la collectivité sikh en général. En 1996, elle a publié un ouvrage intitulé : "Fighting for Faith and Nation; A Dialogue with Sikh Militants". Elle est l'auteure de plusieurs articles sur la question du militantisme sikh. Mme Mahmood a été conseillère au Centre de documentation de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié et au Immigration and Naturalization Service des États"Unis.

[12]      J'ai tenu compte d'autres éléments de preuve se rapportant au BK et au BKI, mais j'estime que Mme Mahmood est le témoin indépendant qui s'y connaît le plus sur la question et j'accorde énormément d'importance à son témoignage.

[13]      À la fin des années 1970, l'Akhand Kirtni Jatha, un secte orthodoxe de sikhs, a donné naissance au BK. Le BK faisait de l'activisme contre le gouvernement indien à l'égard des questions se rapportant au Pendjab. Au début des années 1980, le BK a été impliqué dans certains meurtres. En 1984, deux groupes activistes, le BK et un autre groupe, se sont réfugiés dans le Golden Temple, à Amrisar, pour se protéger contre le gouvernement de l'Inde. Selon Mme Mahmood, ces bandes de terroristes commettaient des meurtres, puis se réfugiaient dans ce lieu saint. En juin de cette année"là, le gouvernement de l'Inde a attaqué le Golden Temple. De nombreuses personnes, et notamment des pèlerins sikhs innocents, ont été tuées. On estime que de 500 à 5 000 ou 6 000 personnes ont été tuées. Selon les renseignements obtenus par Mme Mahmood, sur environ 200 membres du BK qui s'étaient réfugiés dans le Golden Temple, environ 35 ont été tués.

[14]      C'est par suite de cet événement que le militantisme a pris de l'ampleur parmi les sikhs qui prônaient la création d'un État du Khalistan distinct. Le BK a alors recruté de nombreux nouveaux membres.

[15]      Le BK est le groupe le plus religieux de tous les groupes de guérilleros sikhs. L'organisation exige que ses membres fassent des voeux fort sérieux à l'égard du sikhisme, et notamment qu'ils adoptent les cinq marques du sikhisme " les cheveux longs retenus par un turban, un bracelet de métal au poignet, un genre spécial de sous"vêtement, un peigne et un sabre. Bien sûr, cela ne veut pas dire que tous ceux qui adoptent ces marques sont membres du BK. Toutefois, cela montre qu'ils sont peut"être membres du BK.

[16]      Selon Mme Mahmood, le BK a atteint son apogée en 1990"1991 en ce qui concerne la création d'un État du Khalistan distinct. Par la suite, le mouvement du Khalistan a perdu de l'ampleur.

[17]      Au cours de la période allant du milieu des années 1980 jusqu'à l'année 1992, il y a eu diverses scissions et coalitions au sein du BK et entre le BK et d'autres groupes. Entre 1988 et 1992, toutes les factions du BK relevaient d'une direction unifiée. En 1992, il y a eu une scission au sein du BK, et certains membres ont décidé de suivre Sukdev Singh Babbar. Plus tard en 1992, Sukdev Singh Babbar a été assassiné et la direction de cette faction a été assumée par Wadawa Singh Babbar. Les ministres désignent la faction du BK qui est dirigée par Wadawa Singh Babbar sous le nom de BKI. Mme Mahmood la désigne comme étant le BK central. Au besoin, aux fins de cette décision, j'appellerai cette faction le BKI ou la faction Babbar du BK. Autrement, je parlerai simplement du BK.

[18]      Selon le témoignage de Mme Mahmood, le BK est le groupe [TRADUCTION] "le plus connu pour les attentats à la bombe, cette méthode étant d'une inefficacité notoire lorsqu'il s'agit d'atteindre un individu, mais entraînant le massacre de nombreux innocents". Selon certains éléments de preuve, la faction Babbar du BK a revendiqué la responsabilité de l'assassinat, en 1995, du ministre indien responsable du Pendjab, Beant Singh.

[19]      Mme Mahmood estime qu'il est encore possible que le terrorisme sikh se manifeste de nouveau, parce que les gens n'ont pas oublié l'attaque du Golden Temple en 1984. Elle fonde son avis sur la technologie militaire actuelle, qui permet à quelques individus seulement de commettre de graves actes de violence, en particulier s'ils ont l'appui d'un gouvernement voisin comme le Pakistan.

[20]      Mme Mahmood croit que le BK a maintenant une enclave au Pakistan. Elle estime qu'il n'y a peut"être que quelques individus dans cette enclave, sous la direction de Wadawa Singh Babbar.

[21]      Mme Mahmood a également fait observer que le BK s'occupait d'aide humanitaire et que des fonds ont été recueillis pour venir en aide aux veuves et aux orphelins.

[22]      Pour l'application de la division 19(1)f)(iii)(B), il faut établir s'il y a des motifs raisonnables de croire que le BK et le BKI se livrent ou se sont livrés à des actes de terrorisme. La question de savoir ce qu'est le terrorisme a, par le passé, été examinée dans les arrêts, mais ce terme n'a jamais été défini d'une façon exhaustive. Voir, par exemple, Re Suresh (1998), 40 Imm. L.R. 247, aux paragraphes 26 à 28 (C.F. 1re inst.), juge Teltelbaum. Dans son témoignage, Lawrence Brooks, superviseur de la Direction du contre"terrorisme au SCRS, a exprimé l'avis selon lequel le terrorisme comprend [TRADUCTION] "la violence fondée sur des raisons politiques, qui n'a souvent aucune cible précise, [...] une bombe dans un marché ou des tentatives d'assassinat". Aux fins qui nous occupent, il n'est pas nécessaire de donner une définition plus précise du terrorisme. Une organisation politique qui fait éclater des bombes, qui tue des gens innocents et qui commet des assassinats se livre certainement à des activités terroristes. Compte tenu principalement du témoignage de Mme Mahmood, que je retiens, il existe des motifs raisonnables de croire que le BK et le BKI sont visés par cette définition. Selon la prépondérance des probabilités, il ne m'est pas difficile de conclure qu'il y a des motifs raisonnables de croire que le BK et le BKI se livraient à des actes de terrorisme.

[23]      J'examinerai maintenant la question de savoir s'il y a des motifs raisonnables de croire que le défendeur est ou était un membre du BK ou du BKI. Le propre témoignage du défendeur est utile à cette fin. Le défendeur est né à Jammu, près de la frontière du Pendjab, en 1966. Depuis qu"il a fait sa huitième année, il est le seul membre de sa famille à avoir cru au Akhand Kirtni Jatha (qui, rappelons"nous, est la secte sikh la plus orthodoxe qui a donné naissance au BK). Il a été baptisé et respecte les cinq marques du sikhisme.

[24]      Le défendeur a initialement étudié la transformation des aliments en vue d'ouvrir une conserverie. Il déclare que, compte tenu des problèmes politiques qui existaient en Inde en 1984, il a changé d'idée et qu'il a décidé d'étudier le génie.

[25]      Le défendeur déclare avoir adhéré à la All India Sikh Student Federation (la AISSF) en 1984 avant l'attaque du Golden Temple. Il déclare que cette attaque l'a ému parce qu'il a par la suite visité le temple et qu'il pouvait voir où les gens avaient été tués. De nombreuses gens ont été tuées dans des émeutes en Inde à cause de l'attaque du Golden Temple et de l'assassinat de l'ancien Premier ministre Indira Gandhi. Le défendeur affirme avoir tenté d'aider les personnes déplacées par suite des émeutes.

[26]      Le défendeur a déclaré qu'en 1987, il avait été nommé secrétaire organisateur de la AISSF à Jammu. À ce moment"là, il avait également commencé à prêcher le sikhisme et il recueillait des fonds pour les personnes qui étaient victimes de ce qu'il considérait comme des injustices commises par le gouvernement indien. En prêchant, il parlait notamment de ces injustices. Il estimait que le gouvernement indien essayait de "tuer" sa religion. Il aidait donc les gens qui étaient considérés comme des extrémistes ou des terroristes.

[27]      Le défendeur a été arrêté en mars 1988 et par la suite, il a périodiquement été arrêté. Il affirme avoir souvent été torturé pendant qu'il était en état d'arrestation. En fin de compte, avec l"aide de la AISSF, il a quitté l'Inde; il s'est rendu au Népal, puis en Thaïlande et finalement au Canada, où il est arrivé en 1991. Au Canada, il a été reconnu à titre de réfugié au sens de la Convention.

[28]      Le défendeur dit que lorsqu'il avait environ 17 ans, en Inde, il a rencontré Wadawa Singh Babbar, l'individu qui, en 1992, est devenu, et est encore, chef de la faction Babbar du BK. Cela s'est produit lorsque Wadawa s'est rendu à la ferme de ses parents, à Jammu. Le défendeur déclare que Wadawa lui a demandé s'il le reconnaissait et qu'il a répondu par l'affirmative. Après qu'on l'eut nourri, Wadawa est parti. C'est la seule fois que le défendeur admet avoir rencontré Wadawa Singh Babbar.

[29]      Lorsque le défendeur est arrivé au Canada, il a été bénéficiaire d'aide sociale pendant quelque temps. Il a ensuite trouvé un emploi comme messager et comme installateur d'ordinateurs. En 1993, il a acheté un camion. En 1994, il a obtenu des droits de circulation au Canada et aux États"Unis et il a constitué une société. Sa famille et un bailleur de fonds ont financé l'entreprise. Avec le temps, le défendeur a acheté quatre camions et trois remorques; il traitait en outre avec des courtiers en transport routier. En 1997, les bénéfices bruts de la société ont atteint environ un million de dollars. De toute évidence, le défendeur est un travailleur acharné.

[30]      Le défendeur dit qu'après son arrivée au Canada, il n'a presque jamais parlé de son passé en Inde ou de politique indienne à qui que ce soit, à l'exception de son ami, Harparit Gill, à qui il a parlé de son passé, mais non de politique.

[31]      Le défendeur admet connaître Kulwant Singh Gill. Kulwant est le père de Harparit. Le défendeur dit qu'il savait que Kulwant était un associé de la faction Parmar du BK. Il a témoigné au sujet de la raison pour laquelle il croyait qu'il n'y avait pas de membres du BK au Canada. À son avis, l'associé s'occupe uniquement de quelques affaires.

[32]      Le défendeur a témoigné avoir rencontré Rampal Singh Dhillon en 1993. Après avoir commencé à se servir de son premier camion, il s'est lié d'amitié avec Dhillon, qui exploitait une école de conduite pour les camionneurs et qui lui fournissait les services de camionneurs. Le défendeur dit qu'il savait que Dhillon était chef de la faction Babbar du BK au Canada. Il déclare que Dhillon lui a de fait parlé de la politique indienne, en ce qui concerne le Pendjab. Il affirme que c'était Dhillon qui parlait et qu'il ne posait que quelques questions.

[33]      Le défendeur déclare qu'en 1993 ou en 1994, il a rencontré Manjit Kaur au temple Malton. Il savait que son mari était en prison au Pakistan pour avoir détourné un avion. Il a remis 4 000 $ à Mme Kaur pour des honoraires d'avocat se rapportant à des procédures d'immigration. Il a également payé le loyer de Mme Kaur tant qu'elle n'a pas bénéficié de l'aide sociale. Il a fait installer une ligne téléphonique à son nom chez Mme Kaur. Il a envoyé 200 $ au Pakistan pour aider le mari de Mme Kaur, qui était en prison, mais le chèque a été retourné.

[34]      En 1994 ou en 1995, Mme Kaur a parlé au défendeur de la femme d'un individu qui avait détourné un avion en Inde; elle était "sans abri". Il a envoyé 2 000 $ à la femme en Inde. Lorsqu'on lui a demandé d'expliquer pourquoi il aiderait la femme d'un individu qui avait détourné un avion, il a dit que celui-ci n"avait commis qu"une "légère erreur" qui était justifiée par l'injustice infligée par le gouvernement indien.

[35]      Le défendeur affirme avoir rencontré par hasard, à la Gudwara Rexdale, en février ou en mars 1997, la femme de l'ancien chef du BK qui avait été assassiné en 1992, Sukdev Singh Babbar. Le défendeur a invité Mme Babbar et ses deux enfants à habiter chez lui. Ils y sont restés pendant deux ou trois semaines. Mme Babbar s'est ensuite installée à Vancouver. Le défendeur a été interrogé avec rigueur et il a déclaré que c'était le seul contact qu'il avait eu avec Mme Babbar. Toutefois, il a ensuite admis qu'à un moment donné elle lui avait téléphoné de Vancouver.

[36]      Entre 1992 et 1995, le défendeur avait été interrogé par le SCRS au sujet d'un certain nombre de questions, y compris sa participation aux activités du BK. Le défendeur a nié toute participation. Toutefois, il affirme maintenant avoir reçu trois ou quatre appels de Wadawa Singh Babbar. Le premier appel a été effectué en 1991 ou en 1992. Wadawa demandait de l'aide financière. Le défendeur dit qu'il a refusé, mais qu'il a offert d'aider d'autres personnes en Inde. Wadawa devait lui envoyer une liste de personnes à aider, mais il n'a jamais reçu la liste. Lorsqu'on lui a demandé pourquoi Wadawa l'appellerait, le défendeur a répondu qu'il ne le savait pas. Il a déclaré qu'on l'avait peut"être appelé parce qu'il était un membre éminent de la AISSF. Toutefois, il n'a pas pu expliquer comment Wadawa avait obtenu son numéro de téléphone.

[37]      Wadawa a ensuite appelé le défendeur en 1992, lorsque Sukdev Singh Babbar a été tué. Le défendeur déclare que Wadawa voulait envoyer une télécopie à Dhillon, mais que ce dernier n'avait pas de télécopieur, alors qu'il en possédait un.

[38]      Le défendeur dit que Wadawa l'a appelé en 1994 pour lui demander de l'argent parce qu'il avait entendu dire qu'il exploitait une entreprise. Le défendeur déclare qu'il n'a pas refusé d'envoyer de l'argent parce qu'il craignait que Wadawa ou ses associés s'en prennent à sa famille en Inde. Toutefois, il affirme qu'en fait, il n'a jamais envoyé d'argent à Wadawa. Il n'a pas expliqué pourquoi il ne craignait pas que Wadawa ou ses associés s'en prennent à sa famille en Inde s'il n'avait pas envoyé d'argent.

[39]      Wadawa a également appelé le défendeur en 1995, immédiatement après l'assassinat du ministre indien responsable du Pendjab, Beant Singh. Wadawa a demandé au défendeur de parler à Dhillon pour lui demander de lui envoyer de l'argent. Le défendeur a déclaré qu'il a demandé à Wadawa qui avait tué Beant Singh. Wadawa a répondu : [TRADUCTION] "C'était peut"être nos gens."

[40]      Le défendeur dit qu'en novembre 1997, il a commencé à avoir de longues conversations avec sa future belle"soeur, qui venait de s'installer en Georgie, aux États"Unis. Ces appels étaient en moyenne effectués tous les deux jours et duraient de 30 à 40 minutes chacun. Le défendeur affirme n'avoir jamais parlé de leurs connaissances mutuelles en Inde, de son passé en Inde ou du BK.

[41]      Le défendeur était le secrétaire organisateur de la AISSF à Jammu. Il prêchait le sikhisme en Inde, et parlait des injustices commises par le gouvernement indien afin de recueillir des fonds pour les personnes déplacées. Il croyait que le gouvernement indien essayait de "tuer" sa religion. Il a été arrêté et torturé par la police indienne. De toute évidence, il éprouve encore des sentiments ardents au sujet de la politique indienne puisqu'il a apporté de l'aide financière aux familles d'individus qui avaient détourné des avions et qu'il estime que ces derniers n"avaient commis qu"une "légère erreur", justifiée par les injustices commises par le gouvernement indien.

[42]      Néanmoins, le défendeur a témoigné qu'après son arrivée au Canada, il n'a parlé de son passé qu'à une seule personne. Il avait des conversations fréquentes et longues avec sa future belle"soeur, mais il affirme qu'il ne parlait pas de son passé en Inde ou de la politique indienne. Il dit que même s'il s'est lié d'amitié avec le chef de la faction Babbar du BK au Canada, Rampal Singh Dhillon, et même s'il avait reçu des appels de Wadawa dont Dhillon était au courant, il discutait rarement de politique avec Dhillon et que lorsqu'il en discutait, il se contentait de poser quelques questions et que c'était Dhillon qui parlait.

[43]      Le témoignage du défendeur est absurde et invraisemblable. Entre autres choses, je ne crois pas qu'un individu comme le défendeur, qui participait aux activités de la AISSF, qui était politiquement actif, qui prêchait contre les injustices commises par le gouvernement indien, qui a été torturé en Inde et qui a continuellement été fermement convaincu des injustices commises par le gouvernement indien, ne s'intéresserait plus à la politique indienne et ne parlerait pas de son passé ou de la politique indienne au Canada. Je crois que les fausses dénégations du défendeur sont attribuables au fait qu'il cherchait à se distancier des motifs sur lesquels l'attestation des ministres était fondée.

[44]      Ce n'est que parce qu'il croit maintenant que ses lignes téléphoniques étaient assujetties à l'écoute électronique par le SCRS que le demandeur admet avoir eu trois ou quatre conversations avec le chef de la faction Babbar du BK, Wadawa Singh Babbar, et avoir reçu un appel de la femme de l'ancien chef du BK après qu'elle se fut installée à Vancouver. Le défendeur prétend expliquer les appels effectués à Wadawa à l'aide de son téléphone en disant que Wadawa communiquait avec lui et lui demandait de le rappeler de façon que ce soit lui qui paie les frais. Toutefois, si le défendeur n'a rencontré Wadawa qu'une seule fois et si par le passé il n'a pas participé plus qu'il n'affirme l'avoir fait aux activités du BK, comment le chef de la faction Babbar du BK a"t"il obtenu son numéro de téléphone et pourquoi a"t"il appelé le défendeur ? Le défendeur ne peut donner aucune explication vraisemblable. S'il n'était pas étroitement associé à Wadawa ou au BK, pourquoi consentirait"il à recevoir du BK des listes de personnes à qui il devait envoyer de l'argent en Inde?

[45]      Le défendeur dit qu'en 1992, Wadawa l'a appelé, après le décès de l'ancien chef de la faction Babbar du BK, Sukdev Singh Babbar, pour obtenir son numéro de télécopieur de façon à pouvoir communiquer avec Dhillon, chef de la faction Babbar du BK au Canada. Toutefois, le défendeur a déclaré dans son témoignage qu'il n'a fait connaissance de Dhillon qu'au moment où il a acheté son premier camion, en 1993. Dans son témoignage, Dhillon a affirmé avoir rencontré le défendeur dans un temple en 1993. Le défendeur ou Dhillon ont probablement menti à ce sujet de façon que leurs relations soient rattachées à l'entreprise de camionnage plutôt qu'à la participation du défendeur aux activités du BK ou, si le défendeur et Dhillon disaient la vérité, le défendeur ne connaissait pas Dhillon en 1992 et la conversation qu'il a eue avec Wadawa en 1992 au sujet de l'assassinat de Sukdev Singh Babbar était attribuable au fait qu'il participait lui-même aux activités de la faction Babbar du BK.

[46]      Fait encore plus important, les appels que le défendeur admet ont été effectués à des moments très importants pour le BK " à un moment où l'ancien chef avait été assassiné et où le BK était réputé responsable de l'assassinat du ministre indien responsable du Pendjab, Beant Singh. On ne saurait croire que ces appels ont été effectués par pur hasard ou que Wadawa appelait des gens qu'il ne connaissait que très peu. À des moments aussi importants, il est raisonnable de croire que Wadawa appellerait les individus qui faisaient partie du noyau central ou que ces individus appelleraient Wadawa.

[47]      Enfin, il est important de noter que le défendeur a hébergé la femme de l'ancien chef du BK à son arrivée au Canada. Le défendeur dit qu'il s'agissait d'une coïncidence, qu'il l'avait rencontrée dans un temple et qu'il avait offert de l'héberger. Je ne crois pas qu'il s'agisse d'une coïncidence. En outre, le défendeur ne s'est pas montré sincère lorsqu'il a été question de la conversation qu'il avait par la suite eue avec Mme Babbar. Je crois qu'il est raisonnable de croire que le défendeur a hébergé Mme Babbar par suite de dispositions qui avaient été prises avec la faction Babbar du BK.

[48]      Compte tenu du propre témoignage du défendeur, je dois conclure qu'il était associé beaucoup plus étroitement au BK et au BKI qu'il ne l'affirme. Son témoignage n'est tout simplement pas vraisemblable. En outre, l"association étroite du défendeur au BK et au BKI correspond à ce qui est déclaré dans le rapport sur les renseignements de sécurité.

[49]      Cette association étroite est"elle celle d'un membre pour l'application de la division 19(1)f )(iii)(B)? Le défendeur donne à ce mot une interprétation restrictive. Les ministres l'interprètent d'une façon libérale. Le défendeur affirme qu'il ne suffit pas qu'une personne ait noué des liens d'amitié avec d'autres membres d'une organisation pour que sa qualité de membre soit établie. Il affirme qu'avant de devenir membre d'une organisation du genre mentionné dans la division 19(1)f)(iii)(B), l'individu en cause commence par appuyer une cause. Avec le temps, s'il existe une confiance mutuelle, l'individu peut devenir membre d'un noyau central qui s'est engagé envers l'organisation et qui se consacre à promouvoir ses objectifs. Le défendeur soutient que le mot "membre" figurant dans la division 19(1)f )(iii)(B) ne s'applique qu'aux personnes qui font partie du noyau de l'organisation. Il affirme en outre que la qualité de membre, au sens de cette disposition, s'applique à une organisation qui se livre au terrorisme. Si un individu joint l'organisation après que cette dernière a mis fin à ces activités, les dispositions en question ne s'appliquent pas.

[50]      Les ministres soutiennent que le mot "membre" n'est pas ambigu, qu'il a une portée illimitée et qu'il faut lui attribuer son sens ordinaire. Ils citent la déposition que le directeur de la politique interne du ministère de l'Emploi et de l'Immigration a faite devant un comité parlementaire en 1992, à savoir que l'intention du législateur, en rédigeant la division 19(1)f )(iii)(B) (et d'autres dispositions) était de donner une définition large, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration ayant le pouvoir discrétionnaire d'exclure la personne en cause de l'application de la disposition si, à son avis, cela n'était pas préjudiciable à l'intérêt national.

[51]      Je ne me fonde pas sur l'opinion du rédacteur ou de son conseiller pour interpréter cette loi, mais ma conclusion, qui est fondée sur le contexte des dispositions en question, est que le mot "membre" doit être interprété au sens large.

[52]      Les dispositions en cause traitent de la subversion et du terrorisme. Le contexte, en ce qui concerne la législation en matière d'immigration, est la sécurité publique et la sécurité nationale, soit les principales préoccupations du gouvernement. Il va sans dire que les organisations terroristes ne donnent pas de cartes de membres. Il n'existe aucun critère formel pour avoir qualité de membre et les membres ne sont donc pas facilement identifiables. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration peut, si cela n'est pas préjudiciable à l'intérêt national, exclure un individu de l'application de la division 19(1)f)(iii)(B). Je crois qu'il est évident que le législateur voulait que le mot "membre" soit interprété d'une façon libérale, sans restriction aucune. Je ne souscris pas à l'avis selon lequel une personne n'est pas un membre au sens de la disposition si elle a adhéré à l'organisation une fois que cette dernière a mis fin à ses activités terroristes. Si le fait qu'une personne est membre a peu d'importance, le ministre a le pouvoir discrétionnaire de l'exclure de l'application de la disposition.

[53]      L'examen de la preuve dans son ensemble établit l'existence d'un fondement objectif montrant qu'il y a des motifs raisonnables de croire que le défendeur était membre du BK et du BKI. De fait, le témoignage du défendeur à lui seul, avec les absurdités et les aveux qu'il renferme, suffit pour en arriver à cette conclusion. Le défendeur est donc une personne visée par la division 19(1)f)(iii)(B) de la Loi sur l'immigration.

[54]      Puisque j'ai tiré cette conclusion, il est inutile de traiter des autres motifs sur lesquels l'attestation des ministres est fondée.

[55]      Étant donné que j'ai conclu qu'il y a des motifs raisonnables de croire que le BK et le BKI se sont livrés à des actes de terrorisme et que le défendeur était membre du BK et du BKI, je conclus que l'attestation est raisonnable.

     "Marshall Rothstein"

     Juge

Toronto (Ontario)

Le 11 août 1998

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats et procureurs inscrits au dossier

NUMÉRO DU GREFFE :          DES"1"98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                     ET DE L'IMMIGRATION ET LE
                     SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA
                     et
                     IQBAL SINGH

DATE DE L'AUDIENCE :          LES 7, 13 ET 20"21 AVRIL 1998

                     LES 7 ET 21"22 MAI 1998

                     LES 1er-5 ET 15"18 JUIN 1998

                     LES 1er ET 10 JUILLET 1998

LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge Rothstein en date du 11 août 1998

ONT COMPARU :

                     Robert Batt et Mme Marthe Beaulieu
                                 pour les demandeurs
                     Lorne Waldman
                                 pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

                     Morris Rosenberg
                     Sous"procureur général

                     du Canada

                                 pour les demandeurs

                     Jackman, Waldam et associés

                     Avocats

                     281 est, avenue Eglington

                     Toronto (Ontario)

                     M4P 1L3

                                 pour le défendeur

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Date : 1980811

     Dossier : DES"1"98

Entre

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION ET LE

SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     demandeurs,

et

IQBAL SINGH,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


__________________

1      Les dispositions pertinentes de la Loi sur l'immigration sont jointes à l'annexe A.

2      À un moment donné, on pensait que la norme de preuve était la norme civile du degré élevé de probabilité, mais cette idée n'a plus cours. Voir Smith v. M.E.I. (1991), 42 F.T.R. 81, à la page 97, juge Cullen, décision que le juge Cullen a de nouveau examinée, sans la suivre toutefois, dans Re Husseni (1993), 24 Imm. L.R. 106, à la page 110 (C.F. 1re inst.).

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