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Date : 20000906


Dossier : T-1029-93

     IN RE les articles 45 et 56 de la Loi sur les marques

     de commerce (L.R.C. 1985, c. T-13)

     IN RE L'enregistrement TMA 208,724 d'une marque de

     commerce CORDON BLEU

     IN RE Une décision rendue par le registraire des

     marques de commerce le 9 mars 1993

Entre :

     CORDON BLEU INTERNATIONAL LTÉE/

     CORDON BLEU INTERNATIONAL LTD.

     Appelante

Et :

     RENAUD COINTREAU & CIE

     Intimée

Entrer l'intitulé juste après le code [Comment].

-

     MOTIFS DE JUGEMENT

LE JUGE ROULEAU


[1]      Il s'agit d'un appel d'une décision du registraire des marques de commerce en date du 9 mars 1993, radiant en totalité l'enregistrement TMA 208,724 pour la marque de commerce CORDON BLEU, en vertu de l'article 45 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 (ci-après "la Loi").

[2]      Cordon Bleu International Ltée. (ci-après "l'appelante"), dûment constituée en corporation en vertu des lois du Parlement du Canada, est une entreprise de fabrication, vente et distribution de différents types de produits alimentaires et autres, tant au niveau de la vente en gros que de la vente en détail. De plus, elle développe activement de nouveaux produits et méthodes de fabrication de produits alimentaires et développe de nouvelles recettes et suggestions alimentaires.


[3]      La marque de commerce de l'appelante, No. TMA 208,724, est déposée au registre des marques de commerce à l'égard des marchandises suivantes:

     "Printed leaflets and booklets of recipes for making sandwiches, canapes and hors-d'oeuvres."

[4]      Le 12 octobre 1988, à la demande de RENAUD COINTREAU & CIE (ci-après "l'intimée"), un avis en vertu de l'article 45 de la Loi fut émis par le registraire des marques de commerce à l'appelante relativement à l'enregistrement TMA 208,724 pour la marque CORDON BLEU.

[5]      En réponse à l'avis du registraire, l'appelante a produit un affidavit de son président et directeur général, M. J. Robert Ouimet souscrit le 10 avril 1989.


[6]      Dans son affidavit du 10 avril 1989, M. Ouimet indique que la marque CORDON BLEU était utilisée au Canada, dans le cours normal des affaires, en liaison avec les marchandises mentionnées à l'enregistrement, à savoir des dépliants et livrets de recettes pour la préparation de sandwiches, canapés et hors-d'oeuvres, avant et à la date de l'avis émis par le registraire.


[7]      En guise d'illustration de la façon dont la marque CORDON BLEU est employée au Canada depuis au moins 1975 dans le cours normal des affaires, M. Ouimet a fourni un échantillonnage représentatif montrant l'utilisation de la marque CORDON BLEU en liaison avec des livrets et de feuillets de recettes.


[8]      Dans sa décision du 9 mars 1993, Madame Savard a jugé la preuve "imprécise" quant à l'emploi de la marque de commerce en liaison avec les marchandises spécifiées à l'enregistrement. Elle s'exprime de la façon suivante:

     « Par contre, l'expression "distribué" est ambiguë et M. Ouimet n'a pas apporté de précisions. Il a mentionné que "Cordon Bleu International développe activement de nouveaux produits alimentaires et développe de nouvelles recettes et suggestions alimentaires". Par ailleurs, il ne mentionne pas si les marchandises de l'enregistrement nommément "booklets and leaflets" dans lesquels apparaissent les recettes sont vendus sur le marché ce qui, sans preuve du contraire, semblerait être la pratique normale du commerce pour ce genre de marchandises, ou si ils sont distribués gratuitement.
     Je dois donc faire des conjectures. A mon avis, si les marchandises avaient fait l'objet de ventes, il aurait été très simple pour M. Ouimet de l'avoir mentionné ou d'avoir référé au chiffre d'affaires approximatif concernant les marchandises en question ou d'avoir produit quelques factures confirmant la vente des pamphlets et de livrets de recettes. M. Ouimet a choisi de ne pas faire ainsi.
     Donc d'après moi, la seule inférence qui peut être faite de la preuve fournie est que les marchandises ont été distribuées gratuitement.
     La question maintenant est de savoir si la distribution gratuite de pamphlets et livrets de recettes ... portant la marque de commerce qualifie comme transfert des marchandises dans la pratique normale du commerce conformément aux dispositions de l'article 4 (1) de la Loi sur les marques de commerce.
     Le mot "commerce" dans l'expression "pratique normale du commerce" est très important et, à mon avis, envisage une forme de transaction commerciale (achat, vente, location) impliquant les marchandises en question ou bien envisage que les marchandises soient l'objet de transactions faites dans le but de créer de l'achalandage pour les marchandises et en retirer des profits.
     Dans le cas présent, la preuve ne démontre pas si les marchandises "booklets and leaflets of recipes..." ont fait l'objet de transactions commerciales. M. Ouimet n'a pas décrit la pratique normale du commerce pour les marchandises et il n'y a aucune preuve de commande, de vente ou d'achat des marchandises en question. De plus, la preuve ne permet pas d'inférer que la distribution a été faite en prévision de l'obtention de commandes pour l'achat des livrets et pamphlets de recettes et dans le but de retirer des profits (voir CBM Kabushiki Kaisha c. Lin Trading Co. Ltd., 5 C.P.R. (3d) 27). » [sic] (aux pages 3 et 4 -- les soulignés sont du registraire).


[9]      Elle a éventuellement conclu que la preuve fournie dans le présent cas, les livrets et feuillets de recettes, n'étaient qu'une forme de publicité utilisée par le titulaire dans le but d'attirer de la clientèle et d'augmenter la vente de ses produits alimentaires CORDON BLEU. Elle a conclu comme suit:

     « Par conséquent, la preuve ne me permet pas de conclure qu'il y avait emploi à la date de l'avis de la marque de commerce en liaison avec les marchandises "printed leaflets and booklets of recipes for making sandwiches, canapes and hors-d'oeuvres" dans la pratique normale du commerce » (à la page 52).


[10]      À la suite de cette décision, l'appelante déposa un avis d'appel le 10 mai 1993. Au soutien de cet appel, l'appelante produisit une preuve complémentaire, conformément aux dispositions de l'article 56(5) de la Loi, et déposa un nouvel affidavit de J. Robert Ouimet en date du 7 mai 1993. Dans cet affidavit, M. Ouimet tente d'expliquer ou de fournir une preuve suffisante pour écarter les questions que se posait la registraire. Il souligne que les livrets et dépliants sont généralement distribués par des détaillants; que les consommateurs les prennent lorsqu'ils achètent un produit alimentaire CORDON BLEU. Ils sont également distribués dans des salons d'exposition. Les dépliants et livrets sont aussi envoyés directement aux consommateurs qui en font la demande. L'appelante soutient ainsi que ces transactions sont des transactions commerciales conformes aux exigences de l'article 4(1) de la Loi. Cet article prévoit ce qui suit:



4. (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu'avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou la possession est transférée.

4. (1) A trade-mark is deemed to be used in association with wares if, at the time of the transfer of the property in or possession of the wares, in the normal course of trade, it is marked on the wares themselves or on the packages in which they are distributed or it is in any other manner so associated with the wares that notice of the association is then given to the person to whom the property or possession is transferred.



[11]      L'appelante soumet que la distribution ou l'envoi de ces dépliants ou livrets de recettes constitue une pratique normale du commerce tel que l'exige l'article 4(1) de la Loi, que tous ces dépliants et livrets contiennent la marque de commerce CORDON BLEU, que le fait que les consommateurs obtiennent les livrets et dépliants dans les magasins d'alimentation ou des salons d'exposition ou encore qu'on leur fasse parvenir directement à la suite d'une demande, constitue un transfert de la possession des livrets et dépliants de la titulaire à des consommateurs canadiens. On soumet que ce transfert lieu dans la pratique normale du commerce. Il n'est pas contesté qu'il y a eu des centaines de milliers de ces dépliants et livrets de recettes qui ont été distribués durant une période prolongée avant et même après l'avis donné en vertu de l'article 45 de la Loi.


[12]      L'intimée soumet qu'une simple distribution de pamphlets et de livrets de recettes ne peut être qualifiée de transaction qui entraîne le transfert de la propriété de certaines marchandises dans la pratique normale du commerce. D'après son raisonnement, la registraire avait conclu que la distribution de pamphlets et de livrets de recettes ne pouvait être considérée comme une transaction ou une activité commerciale. Cette distribution n'avait pour but que de promouvoir les produits de l'appelante. L'intimée soumet que l'affidavit de M. Ouimet ne rencontre pas les exigences prévues à l'article 4(1) de la Loi et estime que la décision de la registraire devrait être maintenue. L'intimée analyse l'affidavit de M. Ouimet et souligne encore une fois que ce dernier a indiqué que les dépliants ainsi que les livrets de recettes sont généralement placés sur les tablettes à proximité des produits alimentaires de l'appelante afin que les consommateurs puissent les prendre librement. Elle souligne que M. Ouimet atteste du fait qu'ils sont distribués dans certains congrès et, finalement, qu'ils sont distribués de temps à autres en vertu de demandes soumises par certains consommateurs. Elle estime que les allégations de M. Ouimet, à l'effet que la marque de commerce peut être réputée employée en liaison avec des marchandises lors du transfert de la propriété dans la pratique normale du commerce, sont mal fondées.


[13]      À mon avis, la réponse à la question posée par la présente affaire se retrouve dans la décision Hospital World Trade Mark, [1967] R.P.C. 595 (Pat. Off.). Dans cette affaire, la marque de commerce en question était utilisée sur un journal publié par les demandeurs, qui étaient fabricants de matériel médical et chirurgical. Le journal servait de publicité pour les produits des demandeurs, en plus de fournir de la lecture d'intérêt général pour le personnel médical. Il était distribué gratuitement et en quantité considérable. Je reproduis au long les extraits pertinents (aux pages 597-599):

     « I am in no way questioning that the circulation of this journal provides responsible reading matter on a variety of topics of interest to persons in the hospital and medical professions. It is stated that the applicants distribute approximately 15,000 copies of the journal free of charge monthly in the United Kingdom and that they have spent substantial sums on the production and circulation of the journal in each of the years 1962, 1963 and 1964. It is stated that the journal has been very well received by the hospital staffs to whom it is addressed and there are exhibited copies of letters sent to the applicants, albeit all after the relevant date of the application, in which persons on various medical and hospital staffs are writing to be supplied with copies of the journal and to be included in the mailing list for it. The issue is whether the free distribution of the journal can be regarded as using the trade mark within the definition contained in section 68 of the Act which is as follows: --
         " `Trade mark' means, except in relation to a certification trade mark, a mark used or proposed to be used in relation to goods for the purpose of indicating, or so as to indicate, a connection in the course of trade between the goods and some person having the right either as proprietor or as registered user to use the mark, whether with or without any indication of the identity of that person...."
     Under section 17(1) of the Act it is incumbent on a person applying for the registration of a trade mark and claiming to be the proprietor thereof to assert that it is used or proposed to be used by him. Thus it seems to me that in claiming to be the proprietors of the mark propounded used in relation to periodical publications, the applicants must be able to show that they have used it as a trade mark in relation to those goods within the definition contained in section 68 of the Act. [...]
     It is necessary in the present case to refer to the observations of Lord Wright in Aristoc v. Rystal Ltd. (1945) 62 R.P.C. 65. In considering the definition of a trade mark in section 68 he said (from 82, line 48, to 83, line 11): --
         "The limitation in the Act of 1938, `in the course of trade', sufficiently, in my opinion, preserves the essential and characteristic function of the mark. The proprietor is required to be a trader who places the goods before the public as being his goods. That is the vital connection, not some later partial and ephemeral attribution to someone else. `Trade' is a very wide term: it is one of the oldest and commonest words in the English language. Its great width of meaning and application can be seen by referring to the heading in the Oxford English Dictionary. But it must always be read in its context. That gives it the special connotation appropriate to the particular case. In the Act of 1938, the context shows that `trade' refers to selling or otherwise trading in the goods to which the mark is applied. Thus, in section 26(2)(b) we find the words `goods to be sold or otherwise traded in'; the same collocation of words is found in section 31; and again in section 68 in the definition of limitations. These instances show that `trade' is here used in the particular sense of merchanting, selling or the like which would nowadays include the more modern practices of hire, purchase, leasing (for example of valuable machines), letting out for public use, exporting, etc."
     Mr. Lloyd submitted that "or otherwise traded in" covered the applicant's free distribution of the journal; but this interpretation goes wider, in my opinion, than the examples of "trade" referred to by Lord Wright which all seem to me to involve some payment or exchange fore goods supplied. The word "otherwise" seems to me to indicate, rather, such other forms of trade as hire, or even barter, of goods. The free distribution of a journal containing matters of interest of prospective customers and others who come in contact with the applicants in their main business as manufacturers of surgical and medical dressings and hospital supplies, is undoubtedly an aid in their general public relations an helps to create goodwill in the firm; but I do not think that the free distribution can be regarded as trading in the goods of the application within the context of the definition of a trade mark. The goods are not being put on the market for people to buy as a matter of choice in preference to someone else's publications. The persons who receive the free copies are, I think, most likely to regard them as part of the applicants' publicity and advertisement campaign concerned with the sales of dressings and hospital supplies rather than the products of a business of publishers. I have come to the conclusion, therefore, that the applicants' mark has not been used in relation to periodical publications for the purpose of indicating a connection in the course of trade within the definition of a trade mark in section 68 of the Act » .


[14]      Ainsi, la distribution gratuite de marchandises tel des feuillets et des livrets de recettes ne peut être considérée comme une transaction qui entraîne le transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, qui permettrait d'appliquer la présomption de l'article 4(1) de la Loi et ainsi considérer la marque de commerce CORDON BLEU employée en liaison avec ces marchandises. L'appel est en conséquence rejeté.






                                 JUGE

OTTAWA, Ontario

Le 6 septembre 2000

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