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     Date: 19990723

     Dossier: IMM-3554-99

Ottawa, Ontario, le 23 juillet 1999

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

ENTRE:

     LIDIA BELKIN et SHIRLEY MARTIN JOHNSON

     Partie demanderesse

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION

     Partie défenderesse

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE et ORDONNANCE

     (Prononcés à l"audition téléphonique tenue à

     Ottawa (Ontario) le lundi 19 juillet 1999)


[1]      A la conclusion de l"audition téléphonique de cette requête, la Cour accorda la demande de sursis pour des motifs rendus oralement. Ce qui suit sont les motifs prononcés mais revisés pour en améliorer la lisibilité et la clarté.


[2]      Madame Lydia Belkin est russe d"origine mais citoyenne d"Israël. Elle arrive au Canada le 12 mars 1996 et réclame immédiatement le statut de réfugié. La Section du statut de réfugié n"est pas persuadé qu"elle est vraiment réfugié et rejette sa demande le 11 février 19991, tout en ajoutant que sa requête n"a pas de minimum de fondement. Entre temps, le 4 janvier 1998 Madame Belkin épouse Shirley Martin Johnson, un résident canadien de race noir âgé de 60 ans, qu"elle connaît depuis Septembre 1997. Le mois suivant, elle s"adresse à la Ministre de l"immigration afin d"être permise de faire sa demande de droit d"établissement sans quitter le Canada à cause de facteurs d"ordre humanitaires, tel que prévu par l"article 114(2) de la Loi sur l"Immigration. Sa demande déclenche un silence profond de la part du Ministère de l"immigration, silence qui dure jusqu"au mois de mai 1999. Ce n"est qu"à ce moment que Madame Belkin est convoquée à une rencontre avec un agent d"immigration.


[3]      L"agent informe Madame Belkin que sa demande risque ne pas faire l"objet d"étude si elle ne consente pas à ce que l"on fixe une date pour son renvoi en Israël. Vu la mesure de renvoi qui est en effet à son égard depuis le rejet de sa demande du statut de réfugié, Madame ne se sent pas en mesure de refuser. La date est fixée pour le 19 juillet. L"interview est suivi par le rétablissement du silence, jusqu"au 14 juillet quand Madame Belkin reçoit une lettre de l"agent d"immigration. Cette lettre, rédigée le 12 juillet, déclare qu"il n"y a pas suffisamment de facteurs d"ordre humanitaires dans son cas pour justifier l"intervention de la Ministre. La lettre est accompagnée par une demande que Madame Belkin quitte le Canada le 19 juillet tel que prévu. Dans de tels circonstances, Madame Belkin a t"elle bénéficié de l"équité procédurale? Elle ne le croit pas.


[4]      Le 19 juillet, elle porte en appel le refus de sa demande, intente une demande d"autorisation de contrôle judiciaire de la même décision et présente cette demande de sursis d"exécution de la mesure de renvoi.


[5]      Les conditions d"intervention en sursis sont les mêmes qu"en injonction, c"est à dire, (a) une question sérieuse à être déterminée, (b) l"existence de préjudice irréparable si le sursis n"est pas accordée et (c) la balance des inconvénients doit favorisé le requérant.


[6]      Ces éléments sont tous présents en l"instance. La question sérieuse à être déterminée relève des circonstances dans lesquelles la demande d"exemption a été traitée par le Ministère. Il y a manifestement beaucoup de facteurs humanitaires qui semblent être pertinents à l"étude que doit faire la Ministre avant de se prononcer sur l"exemption que réclame Madame Belkin. L"avocate de Madame Belkin souligne les faits suivants dans son mémoire:

     -      que Madame Lydia Belkin est au Québec depuis le 12 mars 1996, soit plus de trois ans, qu"elle y est établie, et qu"elle s"est bien intégré à la communauté;         
     -      que Madame Belkin forme un couple avec Monsieur Johnson depuis presque deux ans et qu"il constituent une unité familiale d"échanges affectifs et d"entre aides étant tout deux agés, et légèrement handicappés, chacun comblant les faiblesses de l"autre, se donnant un support mutuel et que cette union ne peut être ignoré, M. Johnson étant résident canadien et ayant droit de vivre avec son épouse;         
     -      que Madame Belkin n"a aucun membre de sa famille vivant ailleurs qu"au Canada, outre son mari, elle a son fils unique (elle est veuve de son premier mariage) âgé de 36 ans Andre Belkin étant résident canadien et vivant à Montréal, sa belle fille Svetlana Belkin (39 ans) également résidente canadienne et ses petits enfants également résidents canadiens Olga (12 ans) et Alexandre (16 ans) Belkin vivant également à Montréal, qu"en raison des motifs humanitaires de réunification de la famille il est totalement absurde que Madame Belkin aille vivre seule, âgée de 72 ans;         
     -      que les demandeurs étant âgés, tout délais ou longue séparation leur est préjudiciable et rendrait leur vies misérables et insupportables étant ainsi privés de l"amour et l"affection et du support qu"ils ont trouvés, ne sachant s"il seront vivants dans un an ou deux; ils risqueraient de finir leurs jours dans l"attente d"une réponse favorable;         
     -      les lettres écrites par les divers services communautaires du quartier Cote-des-Neiges dont celle de l"organisation du Projet Genesis, connaissant M. Johnson de longue date, ayant vu à plusieurs reprises le couple que forment les demandeurs et que leur relations de support mutuels a grandement amélioré la condition de M. Johnson, ainsi que celle émise par le Dr. Plourde du C.L.S.C. Cotes-des-neiges expliquant toute l"aide dont M. Johnson a besoin, ainsi que celle du Dr. Svarc concernant les besoins de Mme Belkin;         

[7]      Une lettre qui dit simplement qu"il n"y a pas suffisamment de facteurs humanitaires ne laisse pas savoir quels facteurs ont été reconnus. Le lecteur d"une telle lettre ne saurait comment se prendre pour mettre en question le bien fondé d"une telle opinion. Est-ce-que la Ministre a tenu compte de tous les faits? La Ministre aurait-elle privilégié d"autres faits et, le cas échéant, lesquels?

[8]      Dans l"arrêt Mavis Baker c Le Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration2 rendu le 9 juillet, 1999, la Cour Suprême du Canada reprend de façon compréhensive le contenu de l"obligation d"équité procédurale. Elle constate que le contenu de l"obligation d"équité procédurale est informé par les circonstances dans lesquelles la décision en question se fait prendre. En particulier, Madame la juge L"Heureux-Dubé précise qu"il y a droit a une décision motivée dans certaines circonstances. Mavis Baker, comme Madame Belkin, faisait une demande d"exemption en raison de facteurs humanitaires, et elle aussi s"est vu refusée parce qu"il n"y avait pas suffisamment de facteurs d"ordre humanitaire. Madame la juge L"Heureux-Dubé mentionne ce qui suit :

     " L"importance cruciale d"une décision d"ordre humanitaire pour les personnes visées, comme celles dont il est question dans les arrêts Orlowski, Cunningham, Doody, milite en faveur de l"obligation de donner des motifs. Il serait injuste à l"égard d"une personne visée par une telle décision, si essentielle pour son avenir, de ne pas lui expliquer pourquoi elle a été prise. "         

[9]      Ce qui est vrai à l"égard de Mavis Baker est également vrai à l"égard de Madame Belkin.

[10]      Il faut dire que dans le cas de Mavis Baker, la Cour Suprême décide que Mavis Baker a connu les motifs de la décision quand elle a reçu les notes de l"agent d"immigration. Par contre, Madame Belkin demeure toujours dans l"ignorance des motifs de cette décision. La question sérieuse à être déterminée est donc à savoir si l"absence de motifs entache la décision de l"agent d"immigration.

[11]      En ce qui concerne le préjudice irréparable, la Ministre prétend que seul la possibilité d"une atteinte à l"intégrité personnelle de Madame Belkin pourrait être qualifiée de préjudice irréparable. Par contre, les juges de cette cours ont souvent reconnu un préjudice irréparable en circonstances ou il n"y avait pas question d"atteinte à l"intégrité personnelle.

[12]      En premier lieu, il y a Toth c M.M.I3 où la Cour d"appel fédérale a perçu un préjudice irréparable dans la possibilité de la faillite de l"entreprise familiale que dirigeait l"appelant, ce qui entraînerait des difficultés personnelles et économiques pour la famille du dernier et le chômage pour les employées de l"entreprise. Dans l"arrêt Calabrese c. M.C.I.4, le juge Gibson accueilla la demande de sursis dans le cas d"un jeune homme qui devait se faire retourner en Italie, pays qu"il avait quitté comme enfant, et dont il ne parlait pas le langage. M. le juge Dubé, dans l"arrêt Garcia c. M.C.I.5 accepta qu"il y aurait un préjudice irréparable si un homme dont l"état de santé était douteux se faisait rapatrier au Nicaragua. Un criminel en voie de réhabilitation qui se verrait dépourvu des ressources communautaires sur lequel il se fiait a été accordé sa demande de sursis par le juge Gibson pour le motif que la perte de ces sources de soutien serait pour cet individu un préjudice irréparable6. Il y d"autres exemples de ce genre.

[13]      En l"instance, Madame Belkin a 72 ans et son époux est âgée de 60 ans. Ils ont tous les deux des problèmes de santé mais les déficiences de l"un sont comblées par l"autre. La famille entière de Madame Belkin est au Canada, soit enfants et petits-enfants. Elle n"a aucune parenté en Israël. Si elle se fait renvoyer, elle risque d"attendre une longue période de temps avant d"être admise à nouveau au Canada sous le parrainage de son mari. Mais, compte tenu de leur âge et de leur état de santé , ni l"un ni l"autre n"observe le passage du temps avec indifférence. Dans ces circonstances particulières, ils subiraient tous les deux un préjudice irréparable s"ils devaient être séparés forcément pour une période indéfinie quand le temps qui leur reste se mesure en unités de plus en plus petites. Cette conclusion découle de leur âge, leur infirmité, leur interdépendance et l"absence de supports équivalents soit au Canada ou en Israël. Il faut dire aussi qu"il n"y a aucune suggestion au dossier que leur mariage n"est autre qu"un mariage authentique contracté de bonne foi. Si la Ministre a des soupçons à cet égard, ce ne sont que des soupçons qui font l"objet d"aucune preuve.

[14]      En ce qui concerne la balance des inconvénients, ceci suit de près le préjudice irréparable. En l"instance, le balance des inconvénients favorise Madame Belkin, nonobstant l"intérêt qu"a la Ministre dans l"exécution des mesures de renvois. En particulier, l"annonce tardive de la décision de la Ministre, relativement à la date de renvoi, ce qui ne permet aucunement à Madame Belkin de dégager ou de soumettre à l"épreuve les motifs de la décision de la Ministre dans le délai qui lui restait, pèse lourdement en faveur de Madame Belkin. Ceci n"est pas parce que la Ministre a fixé une date de renvoi, ce qu"elle avait droit de faire unilatéralement. C"est parce que la date ayant été fixée comme condition préalable à l"étude de la demande de Madame Belkin, i semble raisonnable de croire qu"elle aurait une décision dans un délai qui lui permettrait de prendre connaissance de sa situation. Elle n"a pas été accordé cet intervalle. Ce n"est pas elle qui devrait subir l"inconvénient qui en suit.

     ORDONNANCE

     Pour ces motifs, la Cour:

     1)      accueille la demande de sursis, et
     2)      ordonne le sursis jusqu"à ce que la demande de contrôle judiciaire soit décidée.

    

     Juge

__________________

1      L"audition eu lieu le 14 décembre 1998.

2      1999 S.J.J. No. 39.

3      (1988) 86 N.R. 302 (C.A.F.).

4      (1996) 115 F.T.R. 213.

5      (1993) 65 F.T.R. 177.

6      Hogan c. M.C.I. (1996) 108 F.T.R. 143.

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