Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20010920

Dossier : T-1041-95

OTTAWA (Ontario), le 20 septembre 2001.

En présence de Monsieur le juge MacKay

ACTION IN REM CONTRE LE NAVIRE « KRISTINA LOGOS »

ULYBEL ENTERPRISES LIMITED,

JOSE PRATAS et LES PROPRIÉTAIRES, AFFRÉTEURS ET

AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE

« KRISTINA LOGOS »

ENTRE :

                                          MARIO NEVES ET CARLOS NEVES

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                            et

LE NAVIRE « KRISTINA LOGOS » ,

ULYBEL ENTERPRISES LIMITED,

JOSE PRATAS et LES PROPRIÉTAIRES,

AFFRÉTEURS ET AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT

SUR LE NAVIRE « KRISTINA LOGOS »

                                                                                                                                          défendeurs

et

SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                        intervenante


Les défendeurs, l'intervenante, Sa Majesté la Reine (la Couronne), et la créancière hypothécaire du navire défendeur, Clearwater Fine Foods Inc., ayant interjeté appel contre la décision du protonotaire en date du 11 août 1999, ces appels ayant été entendus à Halifax (Nouvelle-Écosse) les 13 et 14 avril 2000, la décision ayant alors été reportée et les arguments qui ont été présentés ainsi que les arguments écrits que les demandeurs ont subséquemment soumis à la demande de la Cour ayant été examinés;

                                                              ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

I.           Comme l'ont reconnu les défendeurs, la Cour déclare que les frères Neves détiennent conjointement une part de 49 p. 100 dans le navire Kristina Logos.

II.         Les réclamations qui sont présentées à l'encontre du produit de la vente du navire défendeur seront payées selon l'ordre de priorité suivant :

1.          La réclamation de la Couronne, en ce qui concerne le recouvrement des frais directement liés à la vente du navire, d'un montant raisonnable sur lequel les parties se seront entendues ou, à défaut d'entente, au montant taxé à la demande de la Couronne, la procédure de taxation devant être engagée au plus tard le 1er novembre 2001;

2.          La réclamation de Clearwater en sa qualité de créancière hypothécaire, d'un montant de 125 000 $ représentant le principal impayé, avec intérêts à compter de la date du défaut, après le 1er mai 1992, jusqu'à la date de la vente, au taux d'emprunt de Clearwater, soit le taux préférentiel de la Banque Royale du Canada plus 3/8 p. 100 l'an;

3.          La réclamation de la Couronne, en ce qui concerne les frais de rapatriement de l'équipage, lesquels s'élèvent à 34 057,50 $;

4.          La réclamation de la Couronne, d'un montant de 50 000 $, dont la Cour suprême de Terre-Neuve a ordonné la confiscation et qui, de l'avis de la présente cour en commun, vient ensuite si la confiscation est rétablie par la Cour suprême du Canada;


5.          La réclamation de la Couronne, d'un montant que la Cour suprême de Terre-Neuve a fixé à 120 000 $, au titre des amendes;

6.          Le solde du fonds sera versé

a)         au propriétaire enregistré, Ulybel Enterprises Limited, si les demandeurs et le défendeur Pratas en conviennent ou à défaut d'entente,

b)          aux titulaires de parts dans le navire, c'est-à-dire aux frères Neves et à M. Pratas, dans une proportion respective de 49 et de 51 p. 100;

7.          Toutes les réclamations qui ont été admises, à l'exception de celle qui est présentée par la Couronne pour les amendes, porteront intérêt à compter de la date de la vente, soit le 15 mai 1997, jusqu'à la date du paiement, au taux applicable au fonds accumulé détenu par la Cour.

III.        Clearwater a droit à ses dépens, à l'égard de sa créance hypothécaire, dans l'instance qui a été engagée devant le protonotaire et dans le présent appel, ces dépens étant ici fixés à 3 000 $. Chacune des autres parties supportera ses propres dépens.

« W. Andrew MacKay »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., trad.a.


Date : 20010920

Dossier : T-1041-95

Référence neutre : 2001 CFPI 1034

ACTION IN REM CONTRE LE NAVIRE « KRISTINA LOGOS »

ULYBEL ENTERPRISES LIMITED,

JOSE PRATAS et LES PROPRIÉTAIRES, AFFRÉTEURS ET

AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE

« KRISTINA LOGOS »

ENTRE :

                                          MARIO NEVES ET CARLOS NEVES

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                            et

LE NAVIRE « KRISTINA LOGOS » ,

ULYBEL ENTERPRISES LIMITED,

JOSE PRATAS et LES PROPRIÉTAIRES,

AFFRÉTEURS ET AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT

SUR LE NAVIRE « KRISTINA LOGOS »

                                                                                                                                          défendeurs

et

SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                        intervenante


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY

[1]                 Ces motifs se rapportent à trois appels, qui ont été entendus ensemble; les appels ont été interjetés contre l'ordonnance (Neves c. Kristina Logos (Le) (1999), 173 F.T.R. 31) par laquelle Monsieur le protonotaire Morneau avait établi, le 11 août 1999, le rang occupé par diverses réclamations à l'encontre du produit de la vente du navire défendeur « Kristina Logos » au mois de mai 1997, cette vente ayant été ordonnée par la présente cour.

[2]                 Les appels en question ont été interjetés par Clearwater Fine Foods Inc. (Clearwater), dont la réclamation était fondée sur sa qualité de créancière hypothécaire du navire défendeur, par Ulybel Enterprises Limited (Ulybel), une société constituée au Canada, et Jose Pratas (M. Pratas), qui étaient respectivement propriétaire du navire et principal directeur de cette société et qui étaient tous deux défendeurs dans l'action intentée par les demandeurs (les frères Neves), ainsi que par sa Majesté la Reine (la Couronne), en sa qualité d'intervenante dans la présente instance et devant le protonotaire.


[3]                 Les défendeurs s'opposent à la reconnaissance par le protonotaire des réclamations de la Couronne et de Clearwater et à la collocation de ces réclamations. Ils interjettent en outre appel contre l'ordonnance par laquelle la réclamation des frères Neves demandeurs à l'égard du paiement à l'aide du produit de la vente, a été reconnue, l'allégation selon laquelle les demandeurs détenaient une part de 49 p. 100 dans le navire ayant été retenue, et ils s'opposent à la reconnaissance de ladite réclamation à moins que le montant de celle-ci ne soit réduit proportionnellement aux frais qu'ils ont engagés en vue de protéger les droits du propriétaire sur le « Kristina Logos » dans les procédures engagées devant la présente cour et devant la Cour suprême de Terre-neuve. Les demandeurs revendiquent 49 p. 100 du produit, une fois payées les créances prioritaires, sans avoir à contribuer au paiement des frais demandé par les défendeurs, soit une réclamation que le protonotaire a reconnue dans son ordonnance, cette réclamation occupant un rang prioritaire après les réclamations que la Couronne a présentées à l'égard des frais de vente et du recouvrement d'une somme de 50 000 $ dont la confiscation avait été ordonnée au moment de la vente du navire, par suite de la déclaration de culpabilité prononcée contre Ulybel. Les demandeurs n'interjettent pas appel contre l'ordonnance du protonotaire, mais ils invoquent l'ordonnance en question en vue de faire reconnaître leur créance à titre de créance distincte de celles d'Ulybel et de M. Pratas, et en vue d'établir le rang prioritaire de ladite créance en tant que créance non assujettie à une réduction par suite de la contribution au paiement des frais engagés par Ulybel à l'égard des amendes, de la confiscation ou de l'entretien du navire.

Décision du protonotaire et norme de contrôle applicable à cette décision

[4]                 Après avoir examiné les réclamations de chacune des parties susmentionnées, Monsieur le protonotaire Morneau a rendu une ordonnance qui prévoyait notamment ce qui suit ((1999), 173 F.T.R. 31 (1re inst.), paragraphes 71 à 75) :

Suivant ma compréhension de la situation globale, deux éléments à venir font en sorte que l'état de collocation ci-après décrit ne pourra être réalisé en pratique avant que ces éléments soient parachevés.


Le premier de ces éléments est la taxation des dépens reliés directement à la vente du navire.

Le deuxième élément est la modification possible par les tribunaux de l'ampleur de la confiscation accordée à ce jour à la couronne, confiscation qui est de l'ordre pour l'instant de 50 000 $.

Alors sous réserve du parachèvement des deux éléments mentionnés ci-dessus, le produit de la vente du KRISTINA LOGOS devra être distribué dans l'ordre de priorité numérique qui suit:

1)      À la couronne, les dépens reliés directement à la vente du KRISTINA LOGOS;

2)      À la couronne, les 50 000 $ confisqués par suite de la condamnation d'Ulybel;

3)      La somme restante du produit de la vente à être distribuée à 49% aux Neves;

4)      La somme restante, soit 51%, à être distribuée comme suit:

a)      À Clearwater, 125 000 $ représentant son hypothèque;

b)      À la couronne, 120 000 $ représentant l'amende imposée à Ulybel;

c)      Le reliquat devant aller à Ulybel et Pratas.

Chacune des sommes mentionnées [...] ci-dessus devra recevoir au prorata les intérêts accumulés.


[5]                 Depuis que le protonotaire a rendu cette ordonnance, les deux questions mentionnées dans le préambule de l'ordonnance continuent à être incertaines. L'une se rapporte à la taxation des dépens directement liés à la vente du navire, réclamés par la Couronne, cette taxation n'ayant pas encore été effectuée. L'autre se rapporte aux amendes imposées, qui s'élèvent en tout à 120 000 $, ainsi qu'à un montant de 50 000 $ dont la confiscation a été ordonnée par la Cour suprême de Terre-Neuve à la suite de la déclaration de culpabilité prononcée contre Ulybel, ce montant devant être défalqué du produit de la vente. Le 17 août 1999, la Cour d'appel de Terre-Neuve a confirmé la déclaration de culpabilité et les amendes, mais elle a annulé l'ordonnance de confiscation. L'autorisation d'interjeter appel contre cette décision devant la Cour suprême du Canada a été demandée. Cette autorisation a été refusée pour ce qui est de la déclaration de culpabilité et des amendes, mais elle a été accordée en ce qui a trait à l'ordonnance de confiscation; l'appel n'a toutefois pas encore été réglé. On ne sait donc pas encore trop si la confiscation sera rétablie, mais l'avocat de la Couronne a fait savoir, lors de l'audition de ces appels, que l'appel qu'il avait interjeté devant la Cour suprême ne se rapportait pas au montant de la confiscation.

[6]                 Quant à la norme de contrôle qui s'applique à une décision discrétionnaire rendue par le protonotaire, les considérations pertinentes lorsqu'il s'agit de savoir s'il est justifié de modifier pareille décision ont été énoncées par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Canada c. AquaGem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425.

[7]                 Au nom de la majorité de la Cour, Monsieur le juge MacGuigan a fait les remarques suivantes (page 463) :

[...]

Selon en particulier la conclusion tirée par lord Wright dans Evans v. Bartlam, [1937] A.C. 473 (H.L.) à la page 484, [...], le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

a) l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits,

b) l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal.

Si l'ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.


[8]                 Dans la décision Fraser Shipyard and Industrial Centre Ltd. c. Expedient Maritime Co. (1999), 170 F.T.R. 57 (1re inst.), paragraphe 19, Monsieur le juge Rouleau a appliqué les critères énoncés dans l'arrêt Aqua-Gem, et une interprétation de ces critères, dans une affaire de droit maritime :

Si je comprends bien la décision rendue dans l'affaire Aqua Gem [...], le juge qui préside l'audience doit faire preuve de retenue à l'égard de la décision du protonotaire à moins d'être convaincu que ce dernier a mal apprécié un fait si essentiel que cela a donné lieu à l'application non réaliste d'un principe juridique ayant une influence déterminante sur l'issue du principal.

[9]                 J'ai examiné les arguments oraux et écrits invoqués par les parties dans l'appel; je conclus que le protonotaire a commis une erreur en appliquant les principes de droit maritime et qu'il a donc commis une erreur en déterminant le rang occupé par les divers créanciers aux fins du paiement à valoir sur le produit de la vente.

[10]            Avant d'examiner les allégations qui sont faites dans ces appels, je résumerai brièvement les faits essentiels.

Les faits


[11]            Les événements qui ont donné lieu aux réclamations visées par l'ordonnance en question remontent au moment où M. Pratas et les frères Neves ont acheté, le 3 février 1992 ou vers cette date, le « Kristina Logos » , qui appartenait à une filiale de Clearwater qui était établie au Québec. À ce moment-là, le solde du prix de vente, qui s'élevait à 250 000 $, a fait l'objet d'un billet à ordre qui était dû et payable au vendeur le 1er mai 1992; ce montant était garanti par une hypothèque maritime de premier rang grevant le navire, consentie au vendeur en sa qualité de créancier hypothécaire. Cette hypothèque a été enregistrée dans le registre canadien des navires, au port de Gaspé (Québec). Elle a subséquemment été cédée, Clearwater devenant en fin de compte titulaire de l'hypothèque.

[12]            Les frères Neves affirment avoir fourni à Pratas 49 p. 100 du prix d'achat, plus les frais d'équipement du navire défendeur, à condition que le navire appartienne à Ulybel, une société panaméenne dans laquelle ils détiendraient 49 p. 100 des actions et à condition que le navire soit enregistré à Panama et soit exploité par l'une des sociétés de M. Pratas dans laquelle ils détenaient 49 p. 100 des actions. Ulybel a pris des mesures en vue de faire enregistrer le navire à Panama, mais M. Pratas et Ulybel n'ont pris aucune mesure en vue de faire annuler l'enregistrement au Canada. Le navire était assujetti à un affrètement coque nue en faveur d'une société portugaise dans laquelle M. Pratas et les frères Neves détenaient respectivement 51 et 49 p. 100 des actions.


[13]            En vertu de l'article 51 de la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, dans sa forme modifiée, (la Loi), le « Kristina Logos » a été saisi en mer par des agents des pêches canadiens le 2 avril 1994, avec sa cargaison de poisson, à la suite d'allégations selon lesquelles on se livrait illégalement à des activités de pêche sans permis ou sans preuve appropriée d'enregistrement du navire, en violation de la Loi et de son règlement d'application. Le navire a été escorté jusqu'à St. John's (Terre-Neuve), où il a été détenu par la Couronne en tant que navire saisi. Peu de temps après, Antonio Tavares, capitaine du navire, M. Pratas, directeur unique d'Ulybel, et Ulybel, propriétaire du navire, ont également été accusés d'avoir commis des infractions connexes en matière de pêche.

[14]            Le 5 avril 1994, Clearwater a intenté devant la présente cour l'action T-799-94 contre Ulybel et M. Pratas en vue de réclamer un solde impayé de 125 000 $, qui était dû en vertu de l'hypothèque; à ce moment-là, Clearwater a engagé des procédures pour que le « Kristina Logos » fasse l'objet d'une saisie conservatoire. Le navire a été saisi mais il est demeuré sous la garde de la Couronne et le prévôt ne l'a pas eu en sa possession.

[15]            Le 27 juillet 1994, le capitaine Tavares a été déclaré coupable des accusations portées contre lui en vertu de la Loi et, par suite de la déclaration de culpabilité, une ordonnance de confiscation en faveur de la Couronne a été rendue au mois d'août 1994 à l'encontre du « Kristina Logos » . La déclaration de culpabilité et la confiscation prononcées par les tribunaux de Terre-Neuve ont continué à s'appliquer jusqu'au 9 septembre 1996, date à laquelle elles ont été annulées par la Cour d'appel de Terre-Neuve, de sorte que le navire défendeur est redevenu un bien saisi que la Couronne continuait à avoir en sa possession.

[16]            Dans l'intervalle, au mois d'octobre 1994, la Couronne a vendu la cargaison de poisson à bord du « Kristina Logos » qui avait été saisie et entreposée et elle a confisqué le produit de la vente, qui s'élevait à 58 989,34 $.


[17]            L'action relative aux réclamations et aux appels ici en cause a été intentée par les frères Neves contre Ulybel et M. Pratas le 23 mai 1995. Les demandeurs sollicitaient un jugement déclaratoire portant qu'en leur qualité de propriétaires, ils détenaient un part de 49 p. 100 dans le navire défendeur ainsi qu'une ordonnance enjoignant aux défendeurs de leur remettre leur dû, ou subsidiairement un jugement d'un montant correspondant à celui qu'ils avaient investi dans le navire et dans son équipement, soit une réclamation s'élevant à plus de 550 000 $. La réclamation était fondée sur la prétention selon laquelle les frères Neves avaient contribué, dans une proportion de 49 p. 100, au paiement du prix d'achat ainsi que des frais de réparation et d'équipement du « Kristina Logos » . M. Pratas, qui avait contribué dans une proportion de 51 p. 100 au paiement du prix d'achat et des frais de réparation, a reconnu dans la présente instance que les frères Neves étaient propriétaires du navire dans une proportion de 49 p. 100 ou qu'ils détenaient 49 p. 100 des actions d'Ulybel, société qui, selon M. Pratas, avait été créée en vue de devenir propriétaire enregistré du navire défendeur pour le compte des deux groupes d'investisseurs. Les frères Neves ont intenté la présente action en vue de garantir leur situation par rapport au « Kristina Logos » , étant donné qu'après que le navire eut été saisi par la Couronne, l'intérêt qu'ils avaient dans le navire n'avait toujours pas été officiellement reconnu, et ce, jusqu'à ce que la présente instance soit engagée.


[18]            Les frères Neves affirment que la part de 49 p. 100 qu'ils détiennent dans le « Kristina Logos » en leur qualité de propriétaires leur permet de toucher sur le produit de la vente un montant proportionnel à leur participation en tant que propriétaires. Comme il en a été fait mention, les défendeurs admettent que les demandeurs ont droit à une part de 49 p. 100 dans le navire, mais ils affirment que les demandeurs, en leur qualité de propriétaires, sont tenus de contribuer au prorata au paiement des frais qu'Ulybel a engagés à l'égard de la défense du navire et des poursuites intentées en vertu de la Loi.


[19]            Après l'annulation de la déclaration de culpabilité prononcée contre le capitaine Tavares et de la confiscation du navire par la Cour d'appel de Terre-Neuve au mois de septembre 1996, les poursuites contre Ulybel devant les tribunaux de Terre-Neuve ont été engagées au mois de novembre 1996. La société a été déclarée coupable, sous quatre chefs, d'avoir permis l'utilisation du « Kristina Logos » pour des activités de pêche illégales en violation de la Loi et de son règlement d'application; le 2 juillet 1997, la Cour suprême de Terre-Neuve a imposé des amendes s'élevant en tout à 120 000 $ et a ordonné qu'un montant de 50 000 $ sur le produit de la vente du navire soit confisqué en faveur de la Couronne. Cette décision a fait l'objet d'un appel et d'un appel incident devant la Cour d'appel de Terre-Neuve. Au mois d'août 1999, après que le protonotaire Morneau eut rendu son ordonnance, les appels ont été rejetés par cette cour d'appel, mais l'ordonnance de confiscation a été annulée. La Couronne et les défendeurs ont alors demandé l'autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada. Comme il en a ci-dessus été fait mention, la demande que la Couronne avait présentée en vue d'être autorisée à en appeler de l'annulation de la confiscation a été accueillie. La Cour suprême a entendu les arguments le 16 janvier 2001. Il a alors été sursis au prononcé du jugement, qui n'a pas encore été rendu.

[20]            Des mesures ont été prises aux fins de la vente du navire défendeur et, le 18 décembre 1996, la présente cour a accueilli la demande que la Couronne avait présentée en vue d'intervenir dans l'action intentée par les frères Neves et a fait droit à la demande que la Couronne avait soumise en vue d'obtenir une ordonnance autorisant la vente du « Kristina Logos » compte tenu des frais élevés qu'elle avait engagés aux fins de la préservation et de l'entretien du navire pendant qu'il était saisi et compte tenu du fait que les dépenses continueraient probablement à s'accumuler.

[21]            Le « Kristina Logos » a été vendu pour la somme de 605 000 $ le 15 mai 1997, avec l'approbation de la Cour. Le produit de la vente est depuis lors entre les mains de la Cour.

[22]            Enfin, comme nous l'avons noté, le 11 août 1997, le protonotaire Morneau a rendu une ordonnance établissant la collaboration des réclamations qui avaient été faites sur le produit de la vente par les personnes qui demandaient une réparation à l'encontre du navire ou du produit de la vente. Ces réclamations, qui ont été examinées dans l'ordonnance du protonotaire, font maintenant l'objet des appels ici en cause. Je statuerai maintenant sur les appels et sur les réclamations.


Les réclamations et leur rang

[23]            À mon avis, les réclamations respectives auxquelles il est fait droit et le rang qu'elles occupent sont les suivants, et ce, pour les motifs énoncés dans chaque cas :

1.          la réclamation de la Couronne, en ce qui concerne les frais directement liés à la vente judiciaire du navire, dont le montant n'a pas encore été fixé;

2.          la réclamation de Clearwater, en ce qui concerne le solde impayé qui est dû sur l'hypothèque grevant le navire, plus les intérêts courus après le défaut du débiteur hypothécaire jusqu'à la date de la vente;

3.          la réclamation de la Couronne, en ce qui concerne les frais qu'elle a engagés aux fins de l'entretien de l'équipage;

4.          la réclamation de la Couronne, en ce qui concerne la confiscation, d'un montant maximal de 50 000 $, si la confiscation est rétablie par la Cour suprême du Canada;

5.          la réclamation de la Couronne, aux fins du recouvrement d'amendes s'élevant à 120 000 $;

6.          le solde de fonds sera versé :

a)          à Ulybel, en sa qualité de propriétaire enregistré du navire, si les frères Neves et M. Pratas s'entendent; à défaut d'entente :

b)          49 p. 100 du solde sera versé aux demandeurs et 51 p. 100 à M. Pratas, ce qui représente leurs parts respectives à titre de propriétaires du navire.


Aucune somme n'est accordée et aucun rang prioritaire n'est attribué en ce qui concerne les autres réclamations de la Couronne se rapportant aux frais engagés aux fins de l'entretien et de la préservation du navire jusqu'au moment de sa vente. Les intérêts courus sur le fonds détenu dans les comptes de la Cour seront distribués en fonction du montant accordé pour chaque réclamation, sauf pour ce qui est de la réclamation de la Couronne relative au recouvrement des amendes, par rapport au total du produit de la vente à la date de la vente du navire.

La réclamation de la Couronne, en ce qui concerne les frais directement liés à la vente du navire

[24]          Dans l'ordonnance visée par l'appel, le protonotaire a attribué le premier rang à la réclamation de la Couronne se rapportant aux frais directement liés à la vente du « Kristina Logos » , cette créance devant être payée avant toute autre et les frais étant considérés comme des frais custodia legis.

[25]            Dans les arguments qui m'ont été soumis, ni Clearwater ni les demandeurs n'ont contesté le rang que le protonotaire avait attribué à la réclamation. Ulybel et M. Pratas contestent ce rang en alléguant que la Couronne n'était pas légalement autorisée à vendre le navire au moment où elle est intervenue dans la présente instance et où elle a sollicité une ordonnance autorisant la vente du navire. À ce moment-là, seuls les défendeurs s'opposaient à la vente; le 18 décembre 1996, la vente a été ordonnée et, par la suite, au mois de mai 1997, la vente a été approuvée, d'où le fonds de 605 000 $ qui est maintenant entre les mains de la Cour. Les défendeurs ont interjeté appel contre l'ordonnance du protonotaire devant un juge de la présente cour, mais aucun autre appel n'a été interjeté.


[26]            La vente a été conclue comme l'avait ordonné mon collègue, Monsieur le juge Pinard, le 16 janvier 1997, conformément à un mandat conféré au High Sheriff de Terre-Neuve, agissant à titre de prévôt. Par la suite, les frais et honoraires du prévôt, qui s'élevaient en tout à 25 184,31 $, ont été approuvés par des ordonnances du protonotaire en date du mois de juin 1997 et du mois de janvier 1998 et ont été payés à l'aide du fonds. Les frais de vente impayés réclamés par la Couronne ne sont pas connus et n'ont pas encore été liquidés, mais ils ne devraient pas être élevés puisqu'ils comprendraient tout au plus les dépens de la requête visant à permettre à la Couronne d'intervenir et de procéder à la vente, les dépens de l'appel de l'ordonnance autorisant ces mesures et les frais engagés, le cas échéant, après le rejet de l'appel jusqu'à la date de la vente par le prévôt. À mon avis, il n'est pas approprié d'empêcher le paiement de ces frais à ce stade.

[27]            Au nom des défendeurs, il est soutenu qu'étant donné qu'elle n'était pas autorisée à vendre le navire, la Couronne ne devrait pas recouvrer les frais maintenant demandés. À mon avis, la vente a été conclue avant qu'un jugement définitif soit rendu dans l'action intentée par les demandeurs, mais l'exercice par la Cour du pouvoir discrétionnaire qu'elle possède en vue d'ordonner la vente, en vertu du paragraphe 1007(1) des Règles (maintenant article 491 des Règles de la Cour fédérale (1998)) a été confirmé en appel. Les frais de cette vente sont payables à l'aide du produit de la vente.


[28]            Par suite de la vente du navire, la Cour a entre ses mains le produit de la vente à la place du « Kristina Logos » , et ce, au profit de tous les créanciers et propriétaires dont les réclamations sont admissibles. Je ne suis pas d'accord avec le protonotaire Morneau lorsqu'il dit que tous les frais directement liés à la vente du navire sont des frais custodia legis, mais à mon avis, ces frais sont attribuables aux mesures qui ont entraîné la création du fonds qui doit maintenant être réparti. Comme le professeur Tetley le dit (voir Tetley, Maritime Liens and Claims (2e éd. 1998), page 256), ces frais sont admissibles en tant que frais de mise en vente du navire. La Cour reconnaît que pareils frais doivent être payés en premier lieu à l'aide du fonds. (Voir Fraser Shipyard and Industrial Centre Ltd. c. Expedient Maritime Co. (1999), 170 F.T.R. 1 (1re inst.), paragraphe 9.).

[29]            Ces frais, s'ils ne sont pas encore taxés et liquidés, devraient être établis sans délai. Il est ordonné à la Couronne de consulter les avocats des autres parties et, si ceux-ci n'arrivent pas à s'entendre sur un montant dans les 45 jours qui suivront la date du jugement, la Couronne devra engager la procédure de taxation y afférente.

Réclamation de Clearwater en sa qualité de créancière hypothécaire


[30]            Les défendeurs contestent la réclamation de Clearwater en alléguant que la preuve, dans ce cas-ci, indique que tout solde impayé qui est dû en vertu de l'hypothèque a en fait été payé ou qu'il est compensé par les sommes que Clearwater leur doit. Le protonotaire a examiné la preuve; il a conclu qu'un solde de 125 000 $ est encore dû en vertu de l'hypothèque. Cette conclusion est contestée par les défendeurs, mais elle est étayée par la preuve. Je ne suis pas convaincu que la preuve indique que l'hypothèque a été remboursée, ou qu'elle a été compensée par d'autres opérations, ou encore qu'elle a été acquittée, comme les défendeurs le soutiennent dans le présent appel.

[31]            Le solde de 125 000 $ qui est encore dû en vertu de l'hypothèque se rapporte à une créance garantie qui, en droit maritime, vient avant toutes les autres créances, sauf celles qui sont directement associées à la vente du navire, et tout privilège maritime, possessoire ou d'origine législative. Aucune des autres créances ne donne naissance à un privilège reconnu en droit maritime. À mon avis, l'ordonnance visée par l'appel comportait une erreur puisque les créances non garanties des frères Neves et de la Couronne se sont vu attribuer un rang supérieur à celui de la créance hypothécaire de Clearwater.


[32]            En plus de la question du rang attribué à sa créance, Clearwater interjette appel contre la décision par laquelle le protonotaire a refusé d'inclure les intérêts à l'égard de la créance hypothécaire puisque ni le billet à demande ni l'hypothèque ne prévoyaient le paiement d'intérêts pour la durée de l'hypothèque ou en cas d'omission de payer les sommes dues à l'échéance ((1999), 173 F.T.R., paragraphe 59). En outre, le protonotaire a conclu qu'étant donné que les parties avaient fixé les conditions du contrat, il n'y avait pas suffisamment de motifs permettant de modifier le contrat de façon à accorder des intérêts à Clearwater. Enfin, Clearwater n'avait pas établi si elle avait pris des mesures en vue de recouvrer le montant de sa créance avant que le navire soit saisi; par la suite, après le 2 avril 1994, de nombreux facteurs ont continué à retarder le remboursement de la créance, des facteurs dont Ulybel et M. Pratas ne sont pas complètement responsables.

[33]            À mon avis, ces dernières considérations, l'absence de preuve relative aux mesures antérieures que Clearwater aurait prises en vue de recouvrer le montant de sa créance avant le mois d'avril 1994 et les facteurs retardant par la suite le remboursement n'ont rien à voir avec la créance hypothécaire. Bien que les parties n'aient pas précisé, dans leur contrat, que des intérêts seraient dûs en cas de défaut, cela ne veut pas dire que Clearwater convenait qu'il n'y aurait pas d'intérêts en cas de défaut, même si elle avait convenu que des intérêts ne seraient pas exigés pour la durée relativement courte du contrat. En outre, la réclamation de Clearwater se rapporte à la violation d'un contrat hypothécaire, une réclamation portant sur des dommages-intérêts et comprenant la perte de possibilité d'utiliser les sommes que les défendeurs s'étaient engagés à payer. À mon avis, si le principal de l'hypothèque seulement était payé, les propriétaires du navire, c'est-à-dire Ulybel, ou les défendeurs et les demandeurs bénéficieraient d'un enrichissement sans cause.

[34]            L'acte hypothécaire indiquait que l'on n'exigerait pas d'intérêts pour la durée du contrat et ne renfermait aucune disposition au sujet du paiement d'intérêts en cas de défaut après l'échéance, soit le 1er mai 1992, mais les intérêts peuvent être recouvrés


a)          à compter du 2 mai 1992 jusqu'à la date de la vente du navire, le 15 mai 1997, au taux d'intérêt demandé par Clearwater, c'est-à-dire ce qu'il lui en coûte pour contracter un emprunt à la Banque Royale au taux préférentiel plus 3/8 p. 100 l'an, ce qui est à mon avis un taux juste pour cette période; et

b)          après le 15 mai 1997, jusqu'à la date de distribution et de paiement de la créance, au taux imputé au fonds consigné à la Cour (voir Holt Cargo Systems Inc. c. le navire « Brussel » et autres (2000), 16 C.B.R. (4th) 188, [2000] A.C.F. 197 (1re inst.), paragraphes 26 et 27).

La réclamation de la Couronne en ce qui concerne les frais d'entretien de l'équipage

[35]            Les frais réclamés par la Couronne pour l'entretien de l'équipage et du navire jusqu'à la date de la vente se rapportent en partie aux frais de rapatriement de l'équipage portugais qui servait à bord du « Kristina Logos » au moment de la saisie. Selon un affidavit de Wayne George Evans, agent au ministère des Pêches et des Océans, il n'y avait pas d'agent maritime connu fournissant des services à l'équipage, et il fallait rapatrier les membres de l'équipage au Portugal étant donné que ceux-ci n'avaient pas de moyens de subsistance et qu'ils n'étaient pas admissibles au Canada.


[36]            Dans l'affaire Llido c. le « Lowell Thomas Explorer » , [1980] 1 C.F. 339 (1re inst.), page 346, la Couronne avait demandé les frais engagés en vue de rapatrier les membres d'équipage dans leur pays à la suite de la saisie conservatoire d'un navire, ces dépenses ayant été effectuées après avoir obtenu l'approbation de la Cour. Dans cette décision, Monsieur le juge Marceau a dit ce qui suit, en parlant des créances réelles à valoir sur le produit de la vente :

    Suite à une ordonnance de la présente Cour en date du 21 septembre 1971, Sa Majesté la Reine du chef du Canada a reçu l'autorisation d'intervenir dans l'affaire no T-2148-77, et a été subrogée dans les droits et privilèges des demandeurs à l'action, à raison des fonds qu'elle avancerait pour assurer leur rapatriement aux Philippines. Il est incontestable que les marins ont droit à leurs frais de rapatriement, qui ont le même rang prioritaire que leurs gages (voir: Price, The Law of Maritime Liens, p. 62).

[37]            Je note que dans ses motifs (paragraphe 42), le protonotaire a expressément dit qu'il ne pouvait constater l'existence d'aucune circonstance spéciale en faveur de la Couronne au sens, entre autres, de la décision Lowell Thomas Explorer - ni aucun motif justifiant l'application des notions d'équité ou d'enrichissement sans cause aux fins de l'attribution du rang prioritaire sollicité par la Couronne. Les remarques du protonotaire s'appliquaient à toute la réclamation relative aux frais d'entretien de l'équipage et du navire plutôt qu'aux seuls frais de rapatriement de l'équipage. Je note que la Couronne et les autres parties n'ont pas réclamé séparément les frais de rapatriement de l'équipage, que ce soit devant le protonotaire ou dans l'appel dont j'ai été saisi. Néanmoins, je crois qu'il est justifié, sur le plan de l'équité, d'examiner cette réclamation séparément. Tous les créanciers ayant un droit sur le navire sont à mon avis responsables d'une partie de ces frais en l'absence d'un agent, des propriétaires du navire ou des affréteurs. À mon avis, la réclamation de la Couronne occupe à cet égard un rang prioritaire parmi les créances non garanties.


[38]            En l'espèce, les circonstances sont différentes de celles de l'affaire Lowell Thomas Explorer. Dans ce cas-ci, les dépenses que la Couronne a effectuées en vue de rapatrier l'équipage n'avaient pas au préalable été approuvées, et il n'y avait pas subrogation antérieure aux droits d'autres personnes. À mon avis, cette créance de la Couronne n'est pas un privilège maritime ou même une créance réelle. Il ne s'agit pas d'une créance des membres de l'équipage qui, s'ils avaient dépensé de l'argent aux fins de leur rapatriement, auraient eu une créance réelle et un privilège maritime. Néanmoins, il s'agit d'une créance non garantie dont la Cour, dans l'exercice de la compétence qu'elle possède en équité, reconnaît le rang prioritaire par rapport à toutes les autres créances non garanties. À mon avis, aucune partie ne peut raisonnablement s'y opposer. En l'espèce, cette réclamation représente les mesures nécessaires dont les affréteurs auraient pu être tenus responsables s'ils avaient comparu devant la Cour. En leur absence, et puisque la Cour n'a pas compétence à leur égard, la responsabilité en ce qui concerne les frais de rapatriement de l'équipage, eu égard aux circonstances de l'espèce, incombe en fin de compte aux propriétaires du navire.

La réclamation de la Couronne en ce qui concerne la confiscation


[39]            Lors de l'audition de cette affaire, la créance de la Couronne, en ce qui concerne la confiscation d'un montant de 50 000 $ sur le produit de la vente du navire, était incertaine puisque la Cour d'appel de Terre-Neuve avait annulé la confiscation et qu'un appel avait subséquemment été interjeté devant la Cour suprême du Canada, qui n'a pas encore statué sur l'affaire. Au cas où la confiscation serait rétablie par suite de la décision, il est approprié de déterminer le rang de la créance parmi les sommes à payer à l'aide du fonds. Ce faisant, je ne fonde sur la garantie que l'avocat de la Couronne a fournie à l'audience, à savoir que le montant de la confiscation n'était pas contesté dans l'appel interjeté contre la décision de la Cour d'appel de Terre-Neuve.

[40]            Les défendeurs soutiennent que la confiscation n'était pas légitime; en effet, lorsque l'ordonnance a été rendue et après que la présente cour eut ordonné la vente, la saisie effectuée par la Couronne dont la requête visant à l'obtention de l'autorisation de procéder à la vente du navire avait été accueillie avait implicitement été levée. Je souscris à l'avis selon lequel, quant à leur effet du moins, les remarques que la Cour d'appel de Terre-Neuve a faites en annulant la confiscation étayent la position des défendeurs, mais c'est en fin de compte la décision de la Cour suprême du Canada qui tranchera la question. Si la confiscation est rétablie, la créance prendrait à mon avis rang après la créance de la Couronne afférente aux frais de rapatriement de l'équipage et après la créance hypothécaire de Clearwater, plutôt qu'avant cette créance comme le protonotaire l'a ordonné.

[41]            L'ordonnance comporte une erreur en ce qui concerne le rang qui a été attribué à la réclamation fondée sur la confiscation. Aucun motif n'a été fourni si ce n'est qu'il est important que cette créance soit payée en priorité, une fois les frais de vente acquittés. Si la confiscation est rétablie, la créance y afférente ne sera pas, en droit maritime, une créance réelle contre le navire. Parmi les créances des demandeurs et des défendeurs, il ne s'agit en droit maritime que d'une autre créance personnelle non garantie contre le propriétaire du navire.


[42]            À mon avis, la confiscation, si elle est rétablie, donne naissance à une créance qui vient avant les créances des demandeurs et du défendeur. Même si la chose importe peu en l'espèce, la créance découlant de la confiscation vient également avant la réclamation de 120 000 $ que la Couronne a présentée à l'égard des amendes imposées à Ulybel par suite de la déclaration de culpabilité dont cette dernière avait fait l'objet. En attribuant ce rang prioritaire, il est reconnu qu'en common law, la Couronne vient avant les créanciers non garantis et, compte tenu de la retenue judiciaire dont il faut faire preuve, on reconnaît la décision de la Cour suprême de Terre-Neuve selon laquelle une partie déterminée du produit de la vente devrait être confisquée en faveur de la Couronne. À mon avis, le montant confisqué, s'il est rétabli, devrait porter intérêt à compter de la date de la vente, au taux attribué au fonds versé à la Cour.

La réclamation de la Couronne en ce qui concerne les amendes imposées

[43]            À mon avis, la réclamation de 120 000 $ de la Couronne à l'égard des amendes qui ont été imposées doit être reconnue en tant que réclamation présentée par un créancier non garanti, qui n'occupe pas un rang prioritaire si ce n'est celui qui est reconnu en common law par rapport aux autres créanciers ordinaires, dont les réclamations n'ont pas encore été quantifiées.


[44]            À mon avis, la réclamation visant au recouvrement des amendes imposées se rapporte uniquement au montant des amendes, si ces amendes sont payées, sans porter intérêt entre la date de la vente et la date du paiement. Il n'existe aucun pouvoir reconnu par la loi, et la décision par laquelle les amendes ont été imposées ne renfermait aucune disposition qui puisse étayer l'octroi d'intérêts avant ou après la vente du navire sur le montant réclamé dans ce cas-ci à l'égard des amendes.

La réclamation des demandeurs en leur qualité de copropriétaires du navire

[45]            La réclamation des demandeurs vise essentiellement le paiement, à l'aide du produit de la vente, de la créance qu'ils possèdent, dans une proportion de 49 p. 100, à titre de propriétaires du navire et de ses accessoires, sans contribution au paiement des frais engagés par les défendeurs dans les actions intentées devant les tribunaux de Terre-Neuve et notamment des amendes et frais réclamés par la Couronne. Cette créance est implicitement reconnue par l'ordonnance du protonotaire, compte tenu du rang qui lui est attribué. Avec égards, selon l'interprétation que je donne à la décision du protonotaire, le rang prioritaire a été attribué pour des raisons liées aux relations existant entre les demandeurs et les défendeurs, mais sans qu'il soit suffisamment tenu compte de la créance des demandeurs par rapport aux autres créanciers.


[46]            À mon avis, le protonotaire a commis une erreur, non pas en reconnaissant la réclamation des demandeurs en leur qualité de propriétaires, dans une proportion de 49 p. 100, mais en attribuant à la créance un rang inférieur à celui qui est attribué à l'égard des frais de vente du navire et du montant de 50 000 $ qui a été confisqué. Cette créance venait avant la seule créance qui a été reconnue à titre de créance garantie, la seule créance réelle, celle du créancier hypothécaire, et avant la réclamation que la Couronne a présentée en vue de recouvrer le montant des amendes imposées. Au nom des frères Neves, il a été soutenu qu'ils ont un droit en équité en tant que bénéficiaires d'une fiducie par interprétation, et ce, indépendamment des créances des défendeurs, Ulybel et M. Pratas, en leur qualité de propriétaires, à cause de l'important investissement initial qu'ils ont effectué et parce que, selon ce qu'ils affirment, ils ne participaient pas à l'exploitation du « Kristina Logos » .

[47]            À mon avis, les demandeurs sont tout au plus des créanciers non garantis qui peuvent en équité faire valoir leurs droits contre Ulybel, le propriétaire enregistré, et contre M. Pratas, copropriétaire du navire. Les droits des demandeurs ne l'emportent pas sur ceux des autres créanciers et ils viennent après la créance relative aux frais de vente, la créance hypothécaire de Clearwater, la créance de la Couronne relative aux frais de rapatriement de l'équipage, le montant confisqué s'il est rétabli, et le montant des amendes. Par conséquent, leur créance vient après toutes les autres créances qui sont admises, avec celle de M. Pratas.


[48]            La réclamation des demandeurs n'est pas distincte de celle des défendeurs sauf en ce sens que la créance de M. Pratas, en sa qualité d'actionnaire, est indépendante de celle d'Ulybel. La réclamation des demandeurs en ce qui concerne le droit qu'ils possèdent sur le navire est reconnue par les défendeurs, et la Cour n'hésite pas à reconnaître la chose au moyen d'un jugement déclaratoire, comme les demandeurs l'ont demandé dans leur déclaration.

[49]            Après l'audition de l'affaire, l'avocat des demandeurs a remis à la Cour, à la demande de cette dernière, des observations écrites à l'appui de la réclamation de ses clients à titre de bénéficiaires d'une fiducie par interprétation à l'égard des actifs d'Ulybel. Je reconnais que pareille fiducie définit les relations existant entre les demandeurs d'une part et Ulybel et M. Pratas, d'autre part, mais cela n'a aucun effet défavorable sur les réclamations des autres créanciers, à savoir la Couronne et Clearwater.

[50]            Dans la mesure où la Cour reconnaît l'existence d'une fiducie par interprétation au profit des demandeurs, la chose n'a de l'importance qu'en ce qui concerne Ulybel, propriétaire enregistré du navire. Le navire ayant été vendu, les créances des propriétaires qui, est-il reconnu, correspondent dans le cas des demandeurs à une part de 49 p. 100 dans le navire, et dans le cas de M. Pratas, à une part de 51 p. 100, seront payées à l'aide du reliquat une fois payées les créances admises de Clearwater et de la Couronne, à moins que les frères Neves et M. Pratas ne conviennent que le solde devrait être versé au complet à Ulybel.


Les réclamations des défendeurs

[51]            À mon avis, si les trois titulaires de parts dans le navire s'entendent, Ulybel peut obtenir le reliquat du fonds. À défaut d'entente, la décision devrait indiquer que la réclamation des demandeurs dans la présente action est fondée sur un droit de propriété afférent à un navire « en tout ou en partie, [...] ou sur le produit, en tout ou en partie, de la vente d'un navire » , au sens de l'alinéa 22(2)a) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, dans sa forme modifiée. En d'autres termes, si les demandeurs insistent pour toucher leur part du produit de la vente, la Cour, qui accepte la reconnaissance par les défendeurs du droit que possèdent les demandeurs et qui reconnaît le droit que ces derniers ont à titre de bénéficiaires d'une fiducie par interprétation, ordonne que 49 p. 100 du solde du fonds soit versé aux frères Neves. Le reliquat, soit 51 p. 100, déduction faite des créances admises qui sont payables à la Couronne et à Clearwater, sera versé à M. Pratas.

La réclamation de la Couronne, en ce qui concerne les frais d'entretien

[52]            Je n'admets pas la réclamation que la Couronne a présentée en vue de recouvrer les frais engagés aux fins de l'entretien du navire à compter de la date de sa saisie conservatoire, le 5 avril 1994, jusqu'à la date de la vente, à part ce qu'il en a coûté pour rapatrier l'équipage au Portugal, soit une question que j'ai déjà réglée. À cet égard, je suis d'accord avec le protonotaire lorsqu'il exclut cette réclamation dans son ordonnance.


[53]            Les dépenses en question ne résultent pas de la saisie conservatoire du navire dans le cadre de la procédure engagée par la Couronne. La garde du navire n'a été attribuée au prévôt qu'au moment où l'ordonnance de vente a été rendue, en 1996. Les dépenses avaient été engagées par la Couronne jusqu'au mois de juillet 1994, en sa qualité de possesseur par suite de la saisie du navire ayant en fin de compte l'obligation de remettre le navire à son propriétaire à moins que le navire ne soit confisqué ou qu'il ne soit assujetti à une adjudication forcée en vertu de la Loi sur les pêches. Du mois de juillet 1994 au mois de septembre 1996, la Couronne avait le navire en sa possession en sa qualité du propriétaire, la Cour de Terre-Neuve ayant ordonné la confiscation du navire en faveur de la Couronne et l'ordonnance ayant ensuite été annulée par la Cour d'appel de Terre-Neuve. Peu de temps après l'annulation, la Couronne a présenté une demande en vue d'intervenir dans la présente action et de faire vendre le navire. La Couronne a effectué les dépenses aux fins de l'entretien du navire et de la vente de sa cargaison, sans consulter les autres créanciers et sans demander l'approbation de la présente cour ou des parties visées par la procédure de saisie engagée devant la présente cour, ou encore des personnes présentant une réclamation contre le navire ou ses propriétaires.


[54]            À mon avis, ces dépenses n'étaient pas admissibles en tant que dépenses effectuées au profit de toutes les personnes ayant un droit sur le navire, du moins au moment où elles ont été effectuées. Ce n'est qu'après coup qu'il est possible de dire que ces dépenses, que Clearwater et les défendeurs considèrent comme beaucoup trop élevées, ont été effectuées au profit de tous les créanciers. Ces dépenses ne constituent pas des frais custodia legis, comme l'a soutenu la Couronne, car la Couronne ne les a pas effectuées par suite de la saisie conservatoire du navire, mais plutôt par suite de la saisie et de la prise de possession du navire en vertu de la Loi sur les pêches, et pendant un certain temps, à titre de propriétaire en vertu de l'ordonnance de confiscation rendue par la Cour de Terre-Neuve.

Conclusion

[55]            Pour les motifs susmentionnés, je conclus que les réclamations qui sont présentées à l'encontre du produit de la vente doivent être payées selon l'ordre de priorité suivant :

1.          la réclamation de la Couronne, en ce qui concerne le recouvrement des frais directement liés à la vente du navire;

2.          la réclamation de Clearwater, en sa qualité de créancière hypothécaire, d'un montant de 125 000 $ représentant le principal impayé, avec intérêts à compter de la date du défaut, après le 1er mai 1992, jusqu'à la date de la vente, au taux d'emprunt de Clearwater, soit le taux préférentiel de la Banque Royale du Canada plus 3/8 p. 100 l'an;

3.          la réclamation de la Couronne, en ce qui concerne les frais de rapatriement de l'équipage, lesquels s'élèvent à 34 057,50 $;

4.          la réclamation de la Couronne, d'un montant de 50 000 $, dont la Cour suprême de Terre-Neuve a ordonné la confiscation et qui, de l'avis de la présente cour en commun vient ensuite si la confiscation est rétablie par la Cour suprême du Canada;

5.          la réclamation de la Couronne, d'un montant que la Cour suprême de Terre-Neuve a fixé à 120 000 $, au titre des amendes;

6.          le solde du fonds sera versé :

a)          au propriétaire enregistré, Ulybel Enterprises Limited, si les demandeurs et le défendeur Pratas en conviennent ou à défaut d'entente,


b)          aux titulaires de parts dans le navire, c'est-à-dire aux frères Neves et à M. Pratas, dans une proportion respective de 49 et de 51 p. 100.

[56]            Toutes les réclamations qui ont été admises, à l'exception de celle qui est présentée par la Couronne pour les amendes, porteront intérêt à compter de la date de la vente, le 15 mai 1997, jusqu'à la date du paiement, au taux applicable au fonds accumulé détenu par la Cour.

[57]            Dans son ordonnance, le protonotaire n'a pas adjugé de dépens pour les procédures, en faisant remarquer que la requête représentait un effort commun de la part de tous les créanciers en vue de régler la question des sommes à payer à l'aide du produit de la vente. Cet aspect de l'ordonnance fait l'objet d'un appel interjeté pour le compte de Clearwater, au nom de laquelle il a été soutenu que, dans son ordonnance, le protonotaire avait commis une erreur en refusant les dépens à l'égard de sa réclamation. Je retiens cet argument en ce qui concerne l'appel interjeté par Clearwater au sujet de la question du rang occupé par la réclamation et au sujet de la réclamation relative aux intérêts après défaut. Le montant des dépens devrait être limité à la réclamation de Clearwater et à l'appel devant la présente cour et je fixe ce montant à 3 000 $.


[58]            Étant donné que le succès, en ce qui concerne les réclamations et les appels des autres parties, est généralement partagé et puisque toutes les parties ont en général contribué au règlement des réclamations, la Couronne, les demandeurs et les défendeurs doivent supporter leurs propres dépens.

[59]            Si la présente ordonnance est portée en appel, je propose aux avocats des parties de se consulter en vue d'obtenir le consentement de toutes les parties au paiement, à l'aide du fonds détenu par la Cour, de toute créance qui est liquidée si le rang qui est ici attribué à cette créance ne fait pas l'objet d'un appel.

« W. Andew MacKay »

Juge

OTTAWA (Ontario),

le 20 septembre 2001.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., trad.a.


                                                                            

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                      T-1041-95

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                       MARIO NEVES ET AUTRES

c.

LE NAVIRE « KRISTINA LOGOS » ET AUTRES

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Halifax

DATES DE L'AUDIENCE :                                        les 12 et 13 avril 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :                   Monsieur le juge MacKay

DATE DES MOTIFS :                                                  le 20 septembre 2001

COMPARUTIONS :

M. RICHARD SOUTHCOTT                                        POUR LES DEMANDEURS

M. JOHN SINNOTT                                                     POUR LES DÉFENDEURS

Mme DANIÈLE DION                                                     POUR L'INTERVENANTE

Mme ANNE FAGAN

M. THOMAS HART                                                        POUR CLEARWATER FINE FOODS INC., DEMANDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

STEWART McKELVEY STIRLING SCALES            POUR LES DEMANDEURS

HALIFAX


                                                                                                                                              Page : 2

LEWIS SINNOTT SHORTALL HURLEY                   POUR LES DÉFENDEURS

HALIFAX

BRISSET BISHOP                                                           POUR L'INTERVENANTE

MONTRÉAL

McINNES, COOPER                                                     POUR CLEARWATER FINE

HALIFAX                                                                         FOODS INC., DEMANDERESSE

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.