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                                                                                                                                     IMM-1264-96

 

 

OTTAWA (ONTARIO), LE 6 JUIN 1997

 

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE J.-E. DUBÉ

 

 

E n t r e :

 

 

                     MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

 

                                                                                                                                            requérant,

 

                                                                             et

 

                                                                  EVELYN YU,

 

                                                                                                                                               intimée.

 

                                                               ORDONNANCE

 

                        La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

                        Les questions suivantes sont par la présente certifiées en vertu du paragraphe 83(1) de la Loi sur l'immigration :

 

 

La SAI a-t-elle compétence en vertu du paragraphe 70(1) pour entendre l'appel d'une personne qui a obtenu le droit d'établissement sur la foi d'une déclaration frauduleuse donnée par cette personne? En particulier, la personne qui a obtenu le droit d'établissement sur la foi d'une déclaration frauduleuse a-t-elle obtenu l'« autorisation de s'établir au Canada », de sorte qu'elle est un « résident permanent » qui peut interjeter appel en vertu du paragraphe 70(1) de la Loi sur l'immigration? La SAI a-t-elle compétence en vertu du paragraphe 70(1) pour entendre l'appel d'une personne, indépendamment du fait que cette personne a fait ou non l'objet d'un rapport en vertu des alinéas 27(1)e) ou 27(2)g) de la Loi?

 

 

 

                                                                                                                                                                                                            

                                                                                                                                                     Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                                                                                                                                            

 

C. Delon, LL.L.


 

 

 

 

 

                                                                                                                                     IMM-1264-96

 

 

 

E n t r e :

 

 

                     MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

 

                                                                                                                                            requérant,

 

                                                                             et

 

 

                                                                  EVELYN YU,

 

                                                                                                                                               intimée.

 

 

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

LE JUGE DUBÉ

 

                                    La Cour est saisie d'une demande introduite par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le ministre) en vue d'obtenir le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la section d'appel) a, le 28 mars 1996, accueilli l'appel interjeté en vertu de l'article 70 de la Loi sur l'immigration (la Loi) par l'intimée (Mme Yu) et a annulé la mesure d'expulsion prise contre celle-ci.

 

1. Contexte factuel

 

                        La mesure d'expulsion en question a été prise après qu'il eut été découvert que Mme Yu avait obtenu son visa d'immigrant le 15 juillet 1991 et avait immigré au Canada le 9 décembre 1991 après que son père l'eut déclarée comme « personne à charge qui n'a jamais  été mariée » alors qu'en fait, elle avait été mariée à deux reprises au même homme et qu'elle n'avait jamais divorcé.

 

                        Alors qu'elle était encore célibataire, Mme Yu avait été parrainée par son frère en novembre 1988. Elle a épousé son fiancé le 11 janvier 1989 (avant de recevoir son visa d'immigrant) mais n'a jamais divulgué ce fait aux autorités canadiennes de l'immigration ou aux membres de sa propre famille. Le 5 juillet 1992, Mme Yu a déposé un engagement à fournir de l'aide à son mari, qu'elle a déclaré être son fiancé. Le 9 octobre 1992, elle est retournée aux Philippines et a épousé son mari une seconde fois, avant que la demande de celui-ci ne soit examinée en tant que fiancé.

 

                        À l'audience qui s'est déroulée devant la section d'appel le 29 février 1996, le ministre a fait valoir que Mme Yu avait fait de fausses déclarations aux autorités canadiennes de l'immigration et qu'elle n'avait par conséquent pas obtenu légalement le statut de résidente permanente, parce qu'au moment où son visa lui avait été délivré, elle n'était pas une « personne à charge ».

 

2. Questions juridiques

 

                        Le paragraphe 70(1) de la Loi dispose que les résidents permanents peuvent faire appel d'une mesure de renvoi devant la section d'appel en invoquant l'un ou l'autre des moyens suivants : une question de droit, de fait ou mixte ou le fait que, eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, ils ne devraient pas être renvoyés du Canada.

 

                        Le ministre soutient que la section d'appel a commis une erreur justifiant le contrôle de sa décision en se déclarant compétente pour entendre l'appel, étant donné que le visa était nul ab initio, ayant été délivré sur la foi des fausses déclarations faites par Mme Yu; celle-ci n'a jamais été autorisée à établir sa résidence au Canada. Suivant la définition contenue à l'article 2 de la Loi, le « résident permanent » est une personne qui a obtenu le « droit d'établissement ». La Loi définit le « droit d'établissement » comme l'« autorisation d'établir sa résidence permanente au Canada. » Mme Yu était au courant des conséquences auxquelles elle s'exposait si elle divulguait son mariage, étant donné que deux de ses frères et soeurs s'étaient vu refuser un visa du fait qu'ils n'étaient pas des personnes à charge, mais des personnes mariées. Suivant le ministre, Mme Yu n'a pas été autorisée à établir sa résidence permanente au Canada.

 

                        Mme Yu prétend qu'elle a obtenu un visa d'immigrant au point d'entrée et qu'en conséquence, la validité de son visa ne peut plus être remise en question, étant donné qu'elle est devenue une résidente permanente. Elle affirme que, si le ministre voulait prétendre qu'elle n'était pas une résidente permanente, il lui aurait fallu procéder conformément à l'alinéa 27(2)g) de la Loi, qui porte sur les personnes qui se trouvent au Canada et qui ne sont pas des résidents permanents, et non en vertu de l'alinéa 27(1)e), qui porte sur les personnes qui sont des résidents permanents.

 

3. Analyse

 

                        Les parties ont notamment cité deux décisions de la Section de première instance de la Cour fédérale qui portent sur des situations assez semblables et qui ont été rendues vers la même époque l'an dernier. La première est le jugement Jaime Cadiente Peralta[1], une décision du juge Richard, et la seconde est le jugement rendu par le juge McKeown dans l'affaire Thi Minh Nguyet Tran[2].

 

                        Dans l'affaire Peralta, un citoyen des Philippines était devenu résident permanent du Canada le 20 mars 1993 en tant que « parent », c'est-à-dire en tant que fils qui était à la charge de son père et qui accompagnait ce dernier. Dans sa demande, il avait déclaré qu'il n'était pas marié, ce qui était vrai en 1991 et 1992. À son arrivée au Canada, en 1993, il a informé l'agent d'immigration au point d'entrée qu'il n'était toujours pas marié, malgré le fait qu'il s'était marié dix jours plus tôt. Lorsque sa fausse déclaration a été découverte, une mesure d'expulsion a été prise contre lui. M. Peralta a interjeté appel de la mesure d'expulsion devant la section d'appel. La section d'appel a adopté le raisonnement formulé par notre Cour dans les arrêts Decaro[3], Wong[4] et le jugement Hundal[5] et a statué qu'elle n'avait pas compétence pour entendre l'appel. Le juge Richard a, avant de rejeter la demande de contrôle judiciaire, disposé de la façon suivante des deuxième et troisième invoqués par M. Peralta à l'appui de son appel (à la page 4) :

 

 

                Le second moyen invoqué par l'avocat du requérant pour le compte de son client tient au fait que la section d'appel a décidé erronément que le visa du requérant n'était pas valide. L'avocat du requérant s'est appuyé sur l'arrêt Hundal. Cependant, cet arrêt reconnaissait quatre dérogations au principe général voulant qu'un visa, une fois délivré, reste valide. La première est l'exception dite Decaro. Elle s'applique lorsqu'il est évident qu'un fait qui s'est produit rend impossible le respect de la condition applicable au visa. Cette dérogation au principe général s'applique en l'espèce. Le mariage du requérant antérieur à son entrée au Canada constituait un fait qui l'empêchait absolument de respecter la condition applicable au visa. De plus, le requérant n'a pas établi qu'il était un fils à charge.

 

                Le troisième moyen soulevé par l'avocat du requérant est que si son client était à juste titre considéré comme n'étant pas un résident permanent, l'enquête fondée sur l'article 27 dont il faisait l'objet était alors irrégulière, en ce sens qu'elle avait lieu sur la foi d'un rapport rédigé conformément à l'alinéa 27(1)e), lequel s'applique aux résidents permanents. Cependant, l'enquête fondée sur l'alinéa 27(1)e) a pour objet de déterminer si le statut de résident permanent a été accordé au requérant par suite d'une fausse indication sur un fait important figurant dans sa demande. L'enquête a régulièrement eu lieu en vertu de cette disposition.

 

(Mots non soulignés dans l'original.)

 

                        Dans l'affaire Tran, la requérante était une citoyenne du Viêt-nam. Le juge McKeown a conclu que le formulaire de demande initial de la requérante était correct. Toutefois, cinq ans plus tard, Mme Tran s'est mariée et elle n'a pas révélé aux autorités que son état matrimonial avait changé. Son visa d'immigrant est arrivé quinze mois après son mariage et environ six ans après la date à laquelle elle avait présenté sa demande d'établissement. Elle n'a pas fait l'objet d'un rapport en vertu de l'alinéa 27(2)g). Mme Tran a elle-même signalé aux autorités le changement survenu dans son état matrimonial lorsqu'elle a présenté la demande de parrainage de son mari sept mois après avoir obtenu le statut d'immigrante ayant obtenu le droit d'établissement au Canada. Elle a profité de l'occasion pour se confondre en excuses au sujet de l'erreur qu'elle avait commise en ne communiquant pas ce fait nouveau.

 

                        Mme Tran a fait l'objet d'un rapport indiquant qu'elle avait obtenu le droit d'établissement sur la foi d'un visa obtenu irrégulièrement au sens de l'alinéa 27(1)e). Une mesure d'expulsion a été prise contre elle, et elle a interjeté appel de cette décision en vertu de l'article 70 de la Loi. La section d'appel a conclu qu'elle n'était pas une résidente permanente du Canada parce qu'elle avait obtenu le droit d'établissement au moyen d'un subterfuge et qu'en ce sens, son droit d'établissement « était nul ab initio ». La section d'appel s'est déclarée incompétente pour entendre l'appel.

 

                        Le juge McKeown a constaté qu'il n'avait jamais été allégué que Mme Tran n'était pas une résidente permanente du Canada, mais qu'elle avait obtenu son statut de résidente permanente par suite d'une fausse indication sur un fait important, c'est-à-dire précisément ce que prévoit l'alinéa 27(1)e).

 

                        Le juge a fait remarquer que la demande de Mme Tran était de toute évidence véridique au moment où elle avait été présentée, mais qu'avec le temps, son état matrimonial avait changé. Elle avait elle-même porté ce fait à l'attention des autorités. Il a statué que Mme Tran aurait dû être considérée comme une résidente permanente au sens de l'alinéa 27(1)e) et du paragraphe 70(1) de la Loi et que la section d'appel avait compétence pour entendre l'appel.

 

                        La ratio decidendi du jugement Peralta est que le requérant qui a obtenu frauduleusement le statut de résident permanent ne peut se prévaloir des droits d'appel accordés par le paragraphe 70(1) de la Loi. Le mariage contracté par le requérant avant son arrivée au Canada constituait un fait nouveau qui rendait impossible la satisfaction de la condition applicable au visa. En revanche, dans l'affaire Tran, la demande de Mme Tran était manifestement véridique au moment où la demande avait été présentée et elle avait elle-même informé les autorités de son nouvel état matrimonial. Il n'y avait pas de fausse déclaration.

 

                        En l'espèce, il y a eu dès le départ une fausse déclaration de la part de Mme Yu et elle a aggravé cette fausse déclaration en épousant son mari une seconde fois sans divulguer ce fait aux autorités de l'immigration. Dans l'arrêt Wong, le juge MacGuigan déclare ce qui suit (à la page 2) :

 

 

[...] nous sommes au moins convaincus que lorsque, comme en l'espèce, la principale raison de la délivrance d'un visa a cessé d'exister avant sa délivrance, on ne peut dire d'un tel visa qu'il est « un visa d'immigrant en cours de validité ».

 

                        Dans le cas qui nous occupe, le fondement sur lequel reposait la délivrance du visa n'a jamais existé : Mme Tran n'était pas une fille à charge au moment où elle a demandé son visa, étant donné qu'elle était déjà mariée mais n'en avait informé personne, y compris ses parents. La section d'appel n'avait pas compétence pour entendre son appel. Tout comme dans l'affaire Wong, le principale raison de la délivrance de son visa a cessé d'exister avant même sa délivrance.

 

                        En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

                        Les deux parties ont demandé que les questions suivantes soient certifiées en vertu du paragraphe 83(1) de la Loi. J'accède à cette demande.

 

 

La SAI a-t-elle compétence en vertu du paragraphe 70(1) pour entendre l'appel d'une personne qui a obtenu le droit d'établissement sur la foi d'une déclaration frauduleuse donnée par cette personne? En particulier, la personne qui a obtenu le droit d'établissement sur la foi d'une déclaration frauduleuse a-t-elle obtenu l'« autorisation de s'établir au Canada », de sorte qu'elle est un « résident permanent » qui peut interjeter appel en vertu du paragraphe 70(1) de la Loi sur l'immigration?


                        J'ajouterais à ces questions un troisième volet qui, à mon avis, se rapporte à la principale question en litige et qui est de portée générale, à savoir :

 

 

 La SAI a-t-elle compétence en vertu du paragraphe 70(1) pour entendre l'appel d'une personne, indépendamment du fait que cette personne a fait ou non l'objet d'un rapport établi en vertu des alinéas 27(1)e) ou 27(2)g) de la Loi?

 

 

O T T A W A

 

 

Le 6 juin 1997

 

 

 

 

                                                                                                                                                                                                                

                                                                                                                                                     Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                                                                                                                                                    

 

   C. Delon, LL.L.


                                               COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                           SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

 

 

                           AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

No DU GREFFE :IMM-1264-96

 

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

c.

EVELYN YU

 

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :Toronto

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :27 mai 1997

 

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Dubé le 6 juin 1997

 

 

 

ONT COMPARU :

 

Me Robin Sharmapour le requérant

 

 

Me Robin Selgimanpour l'intimée

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me George Thomsonpour le requérant

Sous-procureur général du Canada

 

 

Me Robin Seligmanpour l'intimée

Toronto (Ontario)



    [1]IMM-1923-96, le juge Richard, 20 novembre 1996.

    [2]IMM-3111-95, le juge McKeown, 18 décembre 1996.

    [3][1993] 2 C.F. 408 (C.A.F.).

    [4](1993), 153 N.R. 237 (C.A.F.).

    [5](1995), 30 Imm. L.R. (2d) 52 (C.F. 1re inst.).

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