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     Date : 19990319

     Dossier : T-2174-98

Ottawa (Ontario), le vendredi 19 mars 1999

En présence de Monsieur le juge Gibson

Entre

     LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES,

     demanderesse,

     - et -

     L'ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA et

     LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE,

     défenderesses

     ORDONNANCE

     LA COUR,

     Vu les objections opposées par les défenderesses à la demande faite en application de la règle 317, incluse dans la demande de contrôle judiciaire en instance,

     VU les documents déposés par les parties qui ont renoncé à une audience au cours de laquelle elles pourraient présenter des conclusions orales,

     ORDONNE CE QUI SUIT :

     La Cour fait droit aux objections ci-dessus et refuse d'ordonner que le tribunal canadien des droits de la personne transmette au greffe de la Cour l'original ou une copie certifiée de tout ou partie des documents demandés par la demanderesse dans sa demande de contrôle judiciaire en instance.

     La Cour ne prononce pas sur les dépens.

     Signé : Frederick E. Gibson

     ________________________________

     Juge

Traduction certifiée conforme,

Laurier Parenteau, LL.L.

     Date : 19990319

     Dossier : T-2174-98

Entre

     LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES,

     demanderesse,

     - et -

     L'ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA et

     LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE,

     défenderesses

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge GIBSON

[1]      Par demande déposée le 20 novembre 1998, la demanderesse agit en contrôle judiciaire contre la décision rendue le 21 octobre 1998 par une formation de jugement du tribunal canadien des droits de la personne (le tribunal), lequel, pour reprendre les termes mêmes de la demande :

     [TRADUCTION]

     " a conclu que la demanderesse avait renoncé à certains droits garantis par la Loi constitutionnelle de 1867 et la Déclaration canadienne des droits. Il a aussi conclu que ne pourrait être résolue, avant qu'il n'ait fini d'entendre l'affaire, la question de savoir si la demanderesse jouirait d'une audition équitable et conforme à la justice fondamentale devant un tribunal impartial et indépendant, alors que le tribunal est lié par des lignes directrices établies par une partie au litige.         

[2]      Dans sa demande, la demanderesse demande que le tribunal lui envoie à elle ainsi qu'au greffe de la Cour, une copie certifiée des documents suivants qu'elle n'a pas en sa possession :

     1)      toutes les lettres, notes de service, notes ou autres documents en la possession du tribunal (autres que les notes personnelles de ses membres et que les documents produits en preuve), relatifs à la rémunération des membres du tribunal pendant le temps où siégeait la formation de jugement concernée;         
     2)      toutes les lettres, notes de service, notes ou autres documents en la possession du tribunal (autres que les notes personnelles de ses membres et que les documents produits en preuve), relatifs à la structure administrative du tribunal et à ses rapports institutionnels avec la Commission canadienne des droits de la personne pendant le temps où siégeait la formation de jugement concernée;         
     (3)      toutes les lettres, notes de service, notes ou autres documents en la possession du tribunal (autres que les notes personnelles de ses membres et que les documents produits en preuve), relatifs à la prise, à l'abrogation ou à la force obligatoire de toutes lignes directrices établies par la Commission canadienne des droits de la personne en application de la Loi canadienne sur les droits de la personne, y compris toutes observations faites à ce sujet par le tribunal ou par toute autre personne en son nom.         

[3]      En somme, la demanderesse recherche les documents qui pourraient servir à son recours en contrôle judiciaire et qui n'étaient pas produits en preuve devant le tribunal.

[4]      L'une et l'autre défenderesses s'y sont opposées. Par suite, mon collègue le juge Lutfy a fixé, à l'issue d'une téléconférence, les délais de dépôt des conclusions sur la demande de documents et sur les objections, tout en donnant aux parties la possibilité de convenir que les objections seraient jugées sans débats de vive voix.

[5]      Les conclusions écrites ont donc été déposées en exécution de l'ordonnance du juge Lutfy. Les parties sont convenues que les objections seraient jugées sans débats de vive voix.

[6]      Après que les conclusions écrites eurent été déposées, l'avocat de l'Alliance de la fonction publique du Canada a attiré l'attention de la Cour sur la décision rendue par mon collègue le juge Denault dans la cause Gouvernement des Territoires du Nord-Ouest c. Alliance de la fonction publique du Canada et Commission canadienne des droits de la personne1, décision qui, à son avis, " tranche la question posée en l'espèce ". L'avocat représentant la Commission canadienne des droits de la personne était du même avis.

[7]      Il s'en est suivi une téléconférence avec les avocats des parties, au cours de laquelle la Cour a accepté d'accorder à l'avocat de la demanderesse de présenter ses arguments quant à la décision du juge Denault. Ce qu'il a fait.

[8]      La décision du juge Denault est fort brève. Après avoir énuméré les documents que la partie adverse demandait au tribunal de produire dans cette affaire et qui sont essentiellement les mêmes que ceux visés en l'espèce, il s'est prononcé en ces termes :

     [2]      Les défenderesses s'opposent à la production des documents susmentionnés principalement par ce motif que s'ils n'étaient pas protégés et avaient un rapport avec l'affaire, ils auraient pu être demandés et produits en preuve devant le tribunal, et qu'ils ne faisaient pas partie du dossier soumis à celui-ci.         
     [3]      La principale question soulevée par le demandeur devant le tribunal portait sur l'indépendance ou l'impartialité institutionnelle de ce tribunal canadien des droits de la personne, désigné pour instruire la plainte déposée en 1989 par l'Alliance de la fonction publique du Canada.         
     [4]      À l'issue d'une audience de trois jours, au cours de laquelle le demandeur s'est vu donner la possibilité de citer comme témoin le greffier du tribunal, celui-ci a conclu qu'il était indépendant et impartial en tant qu'institution.         
     [5]      Il ressort à l'évidence que le demandeur savait bien quel genre de preuves il avait à administrer devant le tribunal et qu'il avait toute possibilité de réunir et de produire ces preuves, mais il a omis ou négligé de produire en preuve les documents dont il demande maintenant la production.         
     [6]      Il est de droit constant que des preuves nouvelles qui n'ont pas été produites devant l'autorité saisie en première instance ne sont pas admissibles sur recours en contrôle judiciaire, et la règle 317 n'a pas pour objet de permettre à une partie de remédier au défaut de produire toutes les preuves pertinentes qui auraient pu ou auraient dû être administrées devant cette autorité.         
     [7]      En l'espèce, la Cour n'est pas convaincue que les documents demandés aient un rapport avec les motifs de contrôle judiciaire invoqués dans la demande. En fait, la Cour n'est même pas convaincue qu'ils existent. Je pense qu'avec cette demande, le demandeur va simplement à la pêche. Et cela, la Cour ne saurait l'autoriser.         
     [8]      En conséquence, la Cour fait droit à l'opposition faite par les défenderesses en application de la règle 318(2) des Règles de la Cour fédérale (1998) à la transmission à la Cour et au demandeur des documents demandés par ce dernier dans son recours en contrôle judiciaire. La Cour ne prononce pas sur les dépens.         

[9]      Dans ses conclusions écrites, la demanderesse soutient que la décision du juge Denault ne tranche pas les questions soulevées par les objections des défenderesses en l'espèce, et qu'il faut la distinguer de l'affaire en instance

     [TRADUCTION]

     parce qu'elle ignore entièrement les arguments fondamentaux sur la nature intrinsèque d'une demande de production de documents sous le régime de la règle 317 et n'a aucun rapport avec les circonstances exceptionnelles de cette cause;2         

[10]      Dans Canada (Commission des droits de la personne) c. Pathak3, le juge MacGuigan, dont les motifs étaient partagés par un collègue de la formation de jugement de trois membres, a fait l'observation suivante en page 464 :

     Seul le rapport de l'enquêteur et les observations des parties sont nécessaires pour la décision de la Commission. Tout le reste est laissé au bon plaisir de la Commission. Si la Commission choisit donc de ne pas demander tel ou tel document, alors on ne peut dire que ce document se trouve devant la Commission à l'étape de la décision, par opposition à l'étape de l'enquête. Ledit document ne saurait donc faire l'objet d'une demande de production à titre de document utilisé par la Commission dans sa décision, même s'il a fort bien pu être utilisé par l'enquêteur dans son rapport.         

Il est constant que les documents visés en l'espèce n'avaient pas été produits devant le tribunal. Pour reprendre les termes employés par le juge MacGuigan, le tribunal ne les a pas demandés. Et ce, bien que la demanderesse eût pu faire en sorte que ces documents soient " demandés ", puis extraits des dossiers du tribunal et produits devant un responsable de ce même tribunal, pour qu'ils soient " devant le tribunal à l'étape de la décision ". Dans le passage cité ci-dessus, le juge MacGuigan parle du cas où la Commission choisit de ne pas demander tel ou tel document. Que les documents en question n'aient pas été produits devant le tribunal faute par la demanderesse de l'avoir demandé, ne fait pas, à mon avis, que la conclusion tirée ci-dessus dans Pathak doit être écartée.

[11]      Dans Lindo c. Banque royale du Canada4, qu'évoque l'avocat de la demanderesse, j'ai fait observer ce qui suit :

     J'estime que le fait d'avoir invoqué en l'espèce des motifs supplémentaires d'ordre constitutionnel n'a pas pour effet de donner, au regard de la présente demande de contrôle judiciaire, de la pertinence à d'autres documents ne se trouvant pas dans le dossier porté devant la Commission.         

En l'espèce, il se peut que les documents demandés aient un rapport avec les moyens de contrôle judiciaire. Cela dit, je suis convaincu que les moyens de recours proposés en l'espèce, aussi fondamentaux qu'ils puissent être, ne suffisent pas pour que d'autres documents, qui n'étaient pas produits devant le tribunal, puissent légitimement faire l'objet d'une demande de production sous le régime de la règle 317, d'autant plus que la demanderesse avait la possibilité d'en exiger la production devant le tribunal mais ne l'a pas fait. Elle n'est plus recevable à les faire verser au dossier du tribunal dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire en instance.

[12]      Rien ne permet de distinguer l'affaire en instance et la décision susmentionnée de mon collègue le juge Denault. En conséquence, la Cour fait droit aux objections opposées par les défenderesses à l'inclusion des documents demandés dans le dossier du tribunal.

[13]      Le tribunal n'avait pas d'opinion au sujet de la demande de production des documents en question et se disait prêt à se conformer promptement à toute ordonnance ou directive de ma part. Il est à présumer que les présents motifs et l'ordonnance relative à ces derniers constitueront une directive suffisamment claire pour la poursuite de l'affaire.

     Signé : Frederick E. Gibson

     ________________________________

     Juge

Ottawa (Ontario),

le 19 mars 1999

Traduction certifiée conforme,

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER No :              T-2174-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Société canadienne des postes

                     c.

                     Alliance de la fonction publique du Canada et Commission canadienne des droits de la personne

LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa

DATE DE L'AUDIENCE :      5 mars 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE GIBSON

LE :                      19 mars 1999

ONT COMPARU :

M. Thomas Brady

M. Roy Heeman                  pour la demanderesse

M. James Cameron                  pour l'intimée Alliance de la fonction publique du Canada
M. William Pentney                  pour l'intimée Commission canadienne des droits de la personne
M. Gregory Miller                  pour l'intimé tribunal canadien des droits de la personne

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Heenan, Blaikie

Montréal (Québec)                  pour la demanderesse

Raven, Allen, Cameron & Ballantyne

Ottawa (Ontario)                  pour l'intimée Alliance de la fonction publique du Canada

Commission canadienne des droits

de la personne

Ottawa (Ontario)                  pour l'intimée Commission canadienne des droits de la personne

Tribunal canadien des droits

de la personne

Ottawa (Ontario)                  pour l'intimé tribunal canadien des droits de la personne
__________________

1      [1999] A.C.F. no 218, 15 février 1999 (Q.L.) (C.F. 1re inst.).

2      La règle 317 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, porte :

317. (1) A party may request material relevant to an application that is in the possession of a tribunal whose order is the subject of the application and not in the possession of the party by serving on the tribunal and filing a written request, identifying the material requested.
(2) An applicant may include a request under subsection (1) in its notice of application.
317.(1) Une partie peut demander que des documents ou éléments matériels pertinents à la demande qui sont en la possession de l'office fédéral dont l'ordonnance fait l'objet de la demande lui soient transmis en signifiant à l'office fédéral et en déposant une demande de transmission de documents qui indique de façon précise les documents ou éléments matériels demandés.
(2) Un demandeur peut inclure sa demande de transmission de documents dans son avis de demande.

3      [1995] 2 C.F. 455 (C.A.F).

4      [1999] A.C.F. no 85, 25 janvier 1999 (Q.L.) (C.F. 1re inst.).

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