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Date : 19980720


Dossier : IMM-3383-98

OTTAWA (ONTARIO) LE 20 JUILLET 1998

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE J.E. DUBÉ

ENTRE :

     SERGEI STRIZHKO et LARISA GUBINSKAIA,

     demandeurs,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     ORDONNANCE

1.          La demande d'injonction provisoire est rejetée.

2.          L'intitulé de la cause est modifié et devient : Nikolay Strizhko et Larisa Gubinskaia c. MCI.

juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Delon LL.L.


Date : 19980720


Dossier : IMM-3383-98

ENTRE :

     SERGEI STRIZHKO et LARISA GUBINSKAIA,

     demandeurs,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

    

LE JUGE DUBÉ :

[1]      La présente demande sollicite de la Cour, sur le fondement l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale (la Loi), une mesure provisoire enjoignant le défendeur (le ministre) d'autoriser les deux fils des demandeurs, Ilya et Sergei Gubinsky, à rejoindre ceux-là au Canada en attendant qu'il ait été statué de manière définitive sur la présente demande, ou que celle-ci ait été rendue purement théorique par la délivrance de visas d'immigrant. Il est également demandé à la Cour de modifier l'intitulé de la cause qui deviendrait ainsi Nikolay Strizhko et Larisa Gubinskaia c. MCI. Le second volet de la demande est accueilli et dorénavant tout document préparé dans le cadre de la présente affaire portera le nouvel intitulé.

[2]      Selon le principal argument invoqué à l'appui de la demande, Ilya Gubinsky s'est vu signifier l'ordre de se présenter afin d'accomplir son service militaire dans l'armée russe et il perdra son visa d'immigrant s'il n'entre pas au Canada avant d'être incorporé dans l'armée russe. Le ministre est au courant de la situation depuis novembre 1997 et avait promis de résoudre le problème le 9 février 1998. Depuis, il a formulé un certain nombre d'exigences, d'ailleurs variables, mais auxquelles il a été satisfait. Le 23 juin 1998, Howard Martin Spunt, conseiller juridique et responsable du programme d'immigration au consulat général du Canada à Détroit (Michigan, É.-U.), a fait savoir à l'avocat du demandeur qu'il n'entendait pas autoriser la délivrance d'un permis dans cette affaire. Les motifs de ce refus ont été exposés, le 25 juin 1998, par Elaine Cooke, agente de règlement des cas au ministère, à Ottawa. Les trois paragraphes suivants, extraits de sa lettre, expliquent le refus d'accorder un permis ministériel :

     [Traduction]         
     Selon nos représentants à Moscou, chargés des questions de visa et au courant des conditions régissant le service militaire des citoyens russes de la classe d'âge à laquelle appartient M. Gubinsky, sauf pour un certain nombre de raisons précises tenant notamment à l'éducation ou à la santé, tous les Russes du sexe masculin de l'âge de M. Gubinsky doivent accomplir un service militaire. Lui et ses parents auraient dû savoir cela à l'époque où ils ont décidé de partir pour le Canada. Dans les conditions actuelles, qui ne devraient pas changer de si tôt, si M. Gubinsky est incorporé dans l'armée russe, il ne pourra pas être envoyé en Tchétchénie étant donné l'absence en Tchétchénie de toute autorité fédérale russe, c'est-à-dire l'absence de soldats, de policiers ou de fonctionnaires judiciaires ou administratifs russes. Il se pourrait qu'il soit envoyé près de la Tchétchénie, mais, rappelons-le, il n'existe dans cette zone aucun conflit militaire.         
     En ce qui concerne la manière dont sont traités les conscrits, le niveau de vie des soldats russes n'est peut-être pas aussi élevé que celui des membres de l'armée canadienne, mais il n'a rien d'intolérable. Il se peut qu'un certain favoritisme permette aux fils de généraux ou de personnes ayant des relations de recevoir des postes plus " confortables ", mais rien ne porte à penser que l'intéressé sera exposé en priorité à des conditions particulièrement dures. Sachez que les représentants canadiens à Moscou, chargés des questions de visa, ne délivrent pas des permis ministériels afin de permettre aux demandeurs de se soustraire au service militaire.         
     J'ai étudié à fond les renseignements reçus de M. Spunt, de vous-même, ainsi que de nos représentants à Moscou pour les questions de visa concernant cette demande de permis ministériel et je souscris à la décision de M. Spunt. J'estime que ce n'est qu'après un examen très attentif de l'ensemble des circonstances entourant votre demande qu'il s'est prononcé contre la délivrance d'un permis ministériel.         

[3]      Ainsi, alors que les demandeurs (les parents) sont au Canada, en tant que visiteurs en situation régulière, leurs fils se trouvent encore au Kirghizstan. Ilya se cache dans les montagnes car la police s'est fréquemment rendue à leur appartement dans le but de l'arrêter et de le remettre aux autorités militaires russes. Les demandeurs craignent évidemment que si leur fils aîné est incorporé dans l'armée russe, il fera l'objet de brimades tant physiques que morales. Selon certaines preuves documentaires, les conscrits russes sont mal logés, mal nourris et parfois brutalisés. Il est évident que ce point de vue n'est par partagé par le ministre si l'on en juge par la lettre de Mme Elaine Cooke en date du 25 juin 1998.

[4]      Les demandeurs craignent également que si Ilya est incorporé dans l'armée russe avant d'arriver au Canada, son dossier sera scindé de la demande déposée par ses parents étant donné qu'il a 20 ans et que cela fera plus d'un an qu'il aura quitté l'école après avoir atteint l'âge de 19 ans, ce qui ne lui permettra plus d'être considéré comme personne à charge aux termes du paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration.

[5]      Je conviens avec les demandeurs que la demande de permis ministériel s'est enlisée dans les sables bureaucratiques. Déjà, le 21 novembre 1997, l'avocat des demandeurs avait fait savoir à M. Spunt qu'Ilya avait reçu l'ordre de se présenter aux autorités militaires en vue de son incorporation. Le 28 mai 1998, l'avocat des demandeurs apprenait par le Service canadien du renseignement de sécurité que ce service n'avait pas encore reçu du ministre une demande d'attestation de sécurité visant les demandeurs. Pendant toute cette période, les demandeurs ont répondu à toutes les demandes de renseignements que leur ont transmises les fonctionnaires concernés.

[6]      Les demandeurs font valoir que les fonctionnaires en question n'ont pas agi en conformité de l'alinéa 3c) de la Loi sur l'immigration, qui prévoit que la politique canadienne d'immigration vise à faciliter la réunion au Canada des citoyens canadiens et résidents permanents avec leurs proches parents de l'étranger. Les demandeurs ont transmis tous les documents exigés par les textes et, puisque les fonctionnaires concernés estiment qu'ils répondent aux critères de sélection, Ilya devrait être autorisé à venir au Canada avant d'être incorporé dans l'armée russe.

[7]      L'avocat du ministre ne conteste pas les faits et n'a même pas déposé de dossier au nom du défendeur (en raison de la brièveté des délais et d'un décès survenu dans la famille du confrère chargé de ce dossier). L'avocat du défendeur fait uniquement valoir que la Cour n'est en l'espèce pas compétente pour faire droit à la demande.

[8]      L'argument n'est pas négligeable. En effet, selon l'article 18.2 de la Loi, la Section de première instance de la Cour peut, lorsqu'elle est saisie d'une demande de contrôle judiciaire, prendre les mesures provisoires qu'elle estime indiquées avant de rendre sa décision définitive. Mais cette disposition ne saurait être invoquée en lieu et place du contrôle judiciaire prévu à l'article 18.1 de la Loi, qui permet en effet à la Cour d'ordonner à un office fédéral d'accomplir tout acte qu'il a illégalement omis ou refusé d'accomplir ou dont il a retardé l'exécution de manière déraisonnable.

[9]      La présente demande conteste essentiellement la décision par laquelle, le 23 juin 1998, M. Spunt a refusé d'autoriser, dans le cadre de cette affaire, la délivrance d'un permis ministériel. Rappelons que, comme le précisait Mme Elaine Cooke dans une lettre en date du 25 juin 1998, cette décision s'appuyait sur le fait que [traduction] " les représentants canadiens à Moscou, chargés des questions de visa, ne délivrent pas des permis ministériels afin de permettre aux demandeurs de se soustraire au service militaire ". La délivrance ou non d'un permis ministériel relève, à n'en pas douter, de l'appréciation du ministre. Ce pouvoir discrétionnaire doit évidemment être exercé de manière raisonnable. J'estime qu'il n'est pas manifestement déraisonnable de la part du ministre de refuser un permis à un demandeur qui tente de se soustraire au service militaire de son pays. En décider autrement serait inviter des millions de jeunes gens à travers le monde à solliciter un tel permis.

[10]      L'avocat des demandeurs a cité la décision rendue par ma collègue le juge Tremblay-Lamer qui, le 15 juin 1998, avait, dans le cadre de l'affaire Andrei Abramov et MCI1, accueilli une demande de contrôle judiciaire. Le demandeur Abramov, citoyen russe, avait fui son pays d'origine afin de se soustraire au service militaire. Il affirmait que, s'il rentrait en Russie, il serait persécuté du fait, justement, qu'il s'était soustrait au service militaire. La Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) n'était pas persuadée qu'il en était effectivement ainsi, se fondant pour cela sur une dépêche de l'agence TASS citant un général de l'armée russe. Selon ma collègue, il appartenait à la Commission d'expliquer pourquoi elle avait accordé plus de poids aux déclarations d'un général qu'aux preuves provenant d'autres sources. Elle annula la décision de la Commission, renvoyant l'affaire pour nouvelle décision devant une formation autrement constituée. Mais, dans cette affaire, elle a agi dans le cadre de la procédure de contrôle judiciaire prévue à l'article 18.1 de la Loi et non par voie de mesure provisoire prise au titre de l'article 18.2.

[11]      Je comprends fort bien les inquiétudes que peuvent inspirer à des parents la perspective de voir leur fils être incorporé dans l'armée russe, mais je ne vois pas comment la Cour pourrait ne tenir aucun compte du pouvoir discrétionnaire du ministre (ou d'un fonctionnaire dûment autorisé), avant même de procéder au contrôle judiciaire de sa décision, en lui enjoignant de délivrer sur-le-champ un permis provisoire permettant à un conscrit de se soustraire au service militaire. L'avocat du demandeur a donné son consentement à un déroulement accéléré de la procédure de contrôle judiciaire prévue à l'article 18.1 de la Loi si les demandeurs décidaient d'emprunter cette voie-là.

[12]      Étant donné la nouveauté de l'approche adoptée dans le cadre de la présente demande, la Cour certifie comme étant de portée générale la question suivante :

     La Section de première instance peut-elle, en vertu de l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale, prendre une mesure provisoire enjoignant le ministre d'accorder un permis temporaire afin de permettre à un fils de rejoindre, au Canada, ses parents immigrants et afin de lui permettre de se soustraire au service militaire de son pays alors que le ministre a déjà refusé d'émettre un tel permis?         

OTTAWA (Ontario)

le 20 juillet 1998


juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Delon LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :      IMM-3383-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      SERGEI STRIZHKO et autre c. MCI

    

LIEU DE L'AUDIENCE :      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :      LE 14 JUILLET 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

DU JUGE DUBÉ

DATE :      LE 20 JUILLET 1998

ONT COMPARU :

M. TIMOTHY E. LEAHY      POUR LE DEMANDEUR

M. KEVIN LUNNEY      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

TIMOTHY E. LEAHY      POUR LE DEMANDEUR

TORONTO (ONTARIO)

MORRIS ROSENBURG      POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

__________________

1      IMM-3576-97, le 15 juin 1998.

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