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     IMM-3323-96

Ottawa (Ontario), le vendredi 29 août 1997

En présence de : Monsieur le juge Gibson

E N T R E :

     APRIL GRACE MARY DIMACALI-VICTORIA,

     requérante,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     ORDONNANCE

     La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                 Frederick E. Gibson

                                          Juge

Traduction certifiée conforme             

                                 Marie Descombes, LL.L.

     IMM-3323-96

E N T R E :

     APRIL GRACE MARY DIMACALI-VICTORIA,

     requérante,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

     Les présents motifs se rapportent à une demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 4 juillet 1996 par laquelle la section d'appel de l'immigration (la SAI) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté l'appel interjeté par la requérante en vertu de l'alinéa 77(3)b) de la Loi sur l'immigration1.

     Le paragraphe 77(3) de la Loi sur l'immigration est ainsi libellé :

         (3) S'il est citoyen canadien ou résident permanent, le répondant peut, sous réserve des paragraphes (3.01), (3.02) et (3.1), en appeler devant la section d'appel en invoquant les moyens suivants :         
         a)      question de droit, de fait ou mixte;         
         b)      raisons d'ordre humanitaire justifiant l'octroi d'une mesure spéciale.         

Les paragraphes (3.01), (3.02) et (3.1) ne sont pas pertinents en l'espèce.

     La requérante est une citoyenne canadienne. Elle a parrainé la demande du droit d'établissement présentée par son père. Un agent d'immigration a refusé cette demande au motif que le père de la requérante ne répond pas aux exigences de la Loi sur l'immigration et de son règlement d'application étant donné que celui-ci, d'après les termes du paragraphe 19(1) de la Loi sur l'immigration, est une personne dont l'admission, selon un médecin agréé dont l'avis est confirmé par au moins un autre médecin agréé, entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou les services de santé. Le père de la requérante souffre depuis de nombreuses années d'un trouble schizophrénique psychotique chronique. La requérante n'a pas contesté la légalité du refus. Par conséquent, l'appel dont la SAI a été saisie n'était pas fondé sur l'alinéa 77(3)a), mais uniquement sur l'alinéa 77(3)b), à savoir l'existence de raisons d'ordre humanitaire justifiant l'octroi d'une mesure spéciale.

     Comme je viens de le mentionner, l'appelante est une citoyenne canadienne. Elle est née aux Philippines en 1964. Vers 1973, sa mère a quitté subrepticement son père en emmenant avec elle l'appelante et ses frères et soeurs. Ils se sont installés chez la grand-mère de l'appelante aux Philippines, dans un endroit situé à environ une heure de distance en avion du lieu de résidence du père de l'appelante. Pendant de nombreuses années par la suite, les enfants n'ont pas été autorisés à voir leur père, bien qu'il semble y avoir eu certains contacts clandestins très limités par écrit. En 1975, l'appelante, ainsi que sa mère et ses frères et soeurs, a immigré au Canada sans que le père de l'appelante n'en soit avisé.

     L'appelante est maintenant mariée, est mère de trois enfants, a un emploi et est bien établie avec son mari et sa famille dans la région de Toronto.

     En 1992, l'appelante est retournée aux Philippines pour voir son père. Elle a trouvé qu'on ne s'occupait pas bien de lui. L'appelante et sa grand-mère, qui l'accompagnait aux Philippines, ont fait le nécessaire pour qu'une bonne prenne soin de lui. Elles ont également pris des mesures pour qu'il reçoive une aide médicale, notamment une aide psychiatrique. L'appelante a conçu le désir de parrainer la venue de son père au Canada et a obtenu l'appui de ses frères et soeurs, de ses tantes, les soeurs de son père, et de sa grand-mère. La mère de l'appelante n'a pas donné son appui.

     L'appelante est retournée aux Philippines en 1995 pour voir son père.

     La SAI a écrit :

     [TRADUCTION]         
         L'appelante a reconnu que le récit de ce qu'elle a vu et fait avec son père pendant son séjour aux Philippines en 1995 fait ressortir que le [père] était heureux et connaissait bien son cadre de vie.         
         La preuve médicale [...] montre, entre autres, que le [père] mène une vie retirée, simplifiée et structurée.         
         Elle montre également, entre autres choses, qu'au cours des ans à partir des années 70, le requérant a fait du jardinage, joué du piano, lu les journaux, écouté la radio ou regardé la télévision pour se renseigner sur la vie sociale. [Le médecin] a trouvé que le requérant avait la notion du temps, du lieu et des gens. Il [le père] a correctement déclaré que son médecin est un ami de la famille. Le médecin a également déclaré que, sauf pour la surprise et les larmes provoquées par la venue de sa fille il y a quelques semaines, l'humeur actuelle du [père] se caractérise par une légère dépression, l'ennui ou l'indifférence.         
         Dans le rapport établi après la rencontre qu'il a eue avec le [père] le 2 août 1995 [les renseignements mentionnés dans le paragraphe précédent sont tirés d'un rapport établi vers la fin de 1993], le Dr Santiago a indiqué que le requérant semble être en mesure de mieux prendre soin de lui-même parce qu'il mange maintenant sans surveillance, est moins entêté et suit sa routine quotidienne sans qu'on le lui rappelle. Il a également indiqué que le requérant dort régulièrement, [...] qu'il est habitué à la solitude, qu'il considère le médecin qui passe le voir chaque mois comme son ami, qu'il ne fait plus de jardinage mais cueille des fruits, qu'il marche dans son jardin uniquement parce qu'il croit que son voisinage est dangereux, qu'il a établi des liens étroits avec sa bonne, qu'il se sentira mal s'il n'est pas autorisé à émigrer et qu'il a manifesté certaines tendances suicidaires et paranoïaques.         

     La SAI a noté à juste titre dans sa décision que c'est à l'appelante qu'il incombe de prouver selon la prépondérance des probabilités qu'il existe des raisons d'ordre humanitaire justifiant l'octroi d'une mesure spéciale. Elle a fait état de deux craintes qu'inspirent les faits de l'espèce. Elle a écrit :

     [TRADUCTION] Premièrement, [la SAI] est préoccupée par le fait qu'elle n'a peut-être entendu qu'une partie de l'histoire. Aucun des témoins n'était disposé à donner des précisions sur la conduite du [père] qui a amené sa femme, dans les faits, à lui retirer ses enfants, à les éloigner de lui aux Philippines, puis à les emmener au Canada et à les empêcher par la suite de communiquer avec lui.         

Quant à la deuxième crainte, la SAI a écrit :

     [TRADUCTION] L'autre sujet d'inquiétude est le fait que la schizophrénie est une maladie qui peut être aggravée par le stress, et comme le fait d'éloigner le [père] de son milieu actuel peut provoquer des changements importants dans sa vie, cela peut également être une source de stress considérable et, partant, aggraver sa maladie.         

S'agissant de cette dernière crainte, il y avait un fondement suffisant dans la preuve documentaire qui a été soumise à la SAI.

     Pour ce qui est de la première crainte, la SAI était visiblement mécontente de la preuve qui lui a été soumise. Elle semble craindre que la violence n'ait été à l'origine de l'éclatement de la famille en 1973 et que, si tel était le cas, la violence n'éclate à nouveau si la famille est réunie. Selon les témoignages que la [SAI] a entendus, la mère de la requérante a réagi à une éventuelle réunification de la famille en disant qu'elle [TRADUCTION] " [...] était terrifiée ".

     Pour ce qui est de la deuxième crainte, le tribunal a écrit :

     [TRADUCTION] Malgré cela, la famille ne semble pas avoir donné suite à la recommandation contenue dans le rapport du 20 novembre 1993 du Dr Santiago selon laquelle le milieu dans lequel vit le requérant, et tout changement à cet égard, devrait être évalué afin de déterminer s'il convient à son état; et être modifié, au besoin, suivant un avis professionnel. À cet égard, il ne paraît pas y avoir de preuve convaincante que la famille a fait faire une évaluation de la façon dont le nouveau style de vie du requérant au Canada influerait sur ce dernier en ce qui a trait à sa maladie et à la capacité de sa famille de faire face aux difficultés qui y sont rattachées. L'absence d'éléments de preuve convaincants à cet égard est un facteur important.         
     Sans un avis professionnel sur ce point, la [SAI] ne saurait être convaincue selon la prépondérance des probabilités que l'octroi d'une mesure spéciale est justifié. Si l'appelante ou sa famille, ou les deux, d'une part, et le [père], d'autre part, étaient incapables de s'entendre à cause des tensions créées par les nouvelles circonstances occasionnées par le changement dans la vie du [père] au Canada, alors il ne serait pas humanitaire pour le [père] ou pour l'appelante d'apporter ce changement. Le fait de prendre la mauvaise décision pourrait être catastrophique pour le [père], et celui-ci pourrait en conséquence faire une rechute nécessitant une hospitalisation au Canada, et l'appelante et sa famille pourraient en pâtir.         
     Non seulement il n'existe aucune preuve convaincante sous la forme d'une opinion d'expert quant aux effets que l'installation du [père] chez sa fille, comme celle-ci l'envisage, pourrait avoir sur le [père] et sa famille, mais il n'existe aucune preuve convaincante que l'appelante, son mari et la nurse qui prendra soin du [père] ont suivi des cours de thérapie familiale pour améliorer ou diminuer le risque de rechute. Il ressort de la preuve qu'ils sont au courant de l'utilité de ces cours, mais ni l'appelante ni sa famille nucléaire ne semblent les avoir suivis.         

Par conséquent, en ce qui concerne ces deux craintes, la SAI était peu satisfaite de la preuve qui lui a été soumise. Elle a conclu :

     [TRADUCTION] Dans les circonstances, la [SAI] n'est pas convaincue, selon la prépondérance des probabilités, qu'il existe des raisons d'ordre humanitaire qui justifient l'octroi d'une mesure spéciale au sens de l'alinéa 77(3)b) de la Loi. L'appelante ne s'est pas acquittée du fardeau de preuve qui lui incombait à cet égard.         

     Dans le cadre du contrôle judiciaire d'une décision comme celle qui nous intéresse en l'espèce, je suis convaincu que le fardeau qui incombe à la requérante est lourd. Dans l'arrêt Boulis c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration2, la Cour suprême du Canada a été saisie d'un appel semblable. Dans cette affaire, la validité d'une ordonnance d'expulsion en vigueur rendue contre l'appelant n'a pas été contestée dans le cadre de l'appel interjeté devant la Commission d'appel de l'immigration. Cette Commission a plutôt été invitée à exercer sa compétence exceptionnelle en vertu de l'article 15 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, dont les passages pertinents à cette époque étaient ainsi libellés :

     15.(1) Lorsque la Commission rejette un appel d'une ordonnance d'expulsion ou rend une ordonnance d'expulsion en conformité de l'alinéa 14 c), elle doit ordonner que l'ordonnance soit exécutée le plus tôt possible. Toutefois,         

         [...]

         b) dans le cas d'une personne qui n'était pas un résident permanent à l'époque où a été rendue l'ordonnance d'expulsion, compte tenu         
             (i) de l'existence de motifs raisonnables de croire que, si l'on procède à l'exécution de l'ordonnance, la personne intéressée sera punie pour des activités d'un caractère politique ou soumise à de graves tribulations, ou         
             (ii) l'existence de motifs de pitié ou de considérations d'ordre humanitaire qui, de l'avis de la Commission justifient l'octroi d'un redressement spécial,         
     la Commission peut ordonner de surseoir à l'exécution de l'ordonnance d'expulsion ou peut annuler l'ordonnance et ordonner d'accorder à la personne contre qui l'ordonnance avait été rendue le droit d'entrée ou de débarquement.         

Bien que la Cour suprême ait été saisie, dans cette affaire, d'un appel interjeté en vertu du sous-alinéa 15(1)b)(i) plutôt que du sous-alinéa 15(1)b)(ii), je suis convaincu que le passage suivant des motifs du juge Abbott est pertinent en l'espèce :

         À mon avis, cependant, un appel ne peut réussir que si l'on établit que la Commission a) a refusé d'exercer sa compétence ou b) n'a pas exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère l'art. 15 conformément aux principes de droit bien établis. Quant à ces principes, Lord Macmillan, au nom du Comité judiciaire, dit dans l'arrêt D. R. Fraser and Co. Ltd. c. Le ministre du Revenu national, à la p. 36:         
         [TRADUCTION] Les critères selon lesquels il faut juger l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire conféré par une loi ont été définis dans plusieurs arrêts qui font jurisprudence et il est admis que si le pouvoir discrétionnaire a été exercé de bonne foi, sans influence d'aucune considération étrangère, ni de façon arbitraire ou illégale, aucune cour n'a le droit d'intervenir, même si cette cour eût peut-être exercé ce pouvoir discrétionnaire autrement s'il lui avait appartenu.                 
                                     [renvoi omis]                 

Par analogie, je suis convaincu que les remarques suivantes faites par le juge Hugessen dans l'arrêt Shah c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration3 s'appliquent. Il s'est exprimé en ces termes :

     La décision visée [...] a été rendue par une agente de l'immigration chargée de faire une recommandation au gouverneur en conseil quant à l'exercice du pouvoir discrétionnaire de ce dernier d'accorder au requérant une dispense de l'application du paragraphe 9(1) de la Loi sur l'immigration pour des raisons d'ordre humanitaire. C'est le paragraphe 114(2) de la Loi qui lui confère le pouvoir d'accorder une dispense de cette nature. Cette décision relève entièrement de son jugement et de son pouvoir discrétionnaire et la Loi ne confère aucun droit au requérant en ce qui a trait au dispositif de cette décision.         

En l'espèce, bien que la décision de la SAI ne soit pas une étape préliminaire comme la recommandation visée au paragraphe 114(2), elle comporte ce qui, j'en suis convaincu, est une attribution discrétionnaire d'une dispense de l'application des prescriptions ordinaires de la Loi sur l'immigration portant qu'une personne comme le père de la requérante n'est pas admissible au Canada. Je suis convaincu que la décision rendue par la SAI sous le régime de l'alinéa 77(3)b) est, comme la décision visée dans l'affaire Shah, une décision qui " [...] relève entièrement [du] jugement et [du] pouvoir discrétionnaire [de la SAI] et la Loi ne confère aucun droit [à des personnes comme la requérante en l'espèce qui était l'appelante devant la SAI] en ce qui a trait au dispositif de cette décision ".

     Vu les remarques qui précèdent, je suis convaincu que la SAI n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle judiciaire. Personne n'a prétendu devant moi que la SAI a refusé d'exercer sa compétence. Je suis persuadé qu'elle a exercé son pouvoir discrétionnaire en conformité avec des principes juridiques bien établis, c'est-à-dire de bonne foi, sans tenir compte de facteurs dénués de pertinence et sans agir de façon arbitraire ou illégale. Les facteurs qu'elle a pris en considération étaient manifestement pertinents quant à la décision qu'elle a été invitée à rendre.

     Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucun des avocats n'a recommandé la certification d'une question. Aucune question ne sera certifiée.

                                 Frederick E. Gibson

                                         Juge

Ottawa (Ontario)

Le 29 août 1997

Traduction certifiée conforme             

                                 Marie Descombes, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     IMM-3323-96

Entre :

     APRIL GRACE MARY

     DIMACALI-VICTORIA,

     requérante,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats et procureurs inscrits au dossier

NO DU GREFFE :                  IMM-3323-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :          APRIL GRACE MARY DIMACALI-VICTORIA

                         - et -

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :          LE 12 AOÛT 1997

LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE GIBSON

EN DATE DU 29 AOÛT 1997

ONT COMPARU :

                         M. Jeffry A. House

                                 Pour la requérante

                         M me Bridget O'Leary

                                 Pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

                         Jeffry A. House

                         303-489, rue College

                         Toronto (Ontario)

                         M6G 1A5

                             Pour la requérante

                         George Thomson

                         Sous-procureur général du Canada

                             Pour l'intimé


__________________

     1      L.R.C. (1985), ch. I-2.

     2      [1974] R.C.S. 875.

     3      (1994), 170 N.R. 238 (C.A.F.).

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