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Date : 20020228

Dossier : IMM-1373-01

CALGARY (Alberta), le jeudi 28 février 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

ENTRE :

                                                                ZOLTAN TUBACOS

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                                                     ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SSR pour qu'il statue à nouveau sur la revendication. Les parties ont indiqué qu'elles n'ont demandé la certification d'aucune question aux fins d'un appel.

                                                                                                                                     « Michael A. Kelen »

                                                                                                                                                                 Juge           

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


Date : 20020228

Dossier : IMM-1373-01

Référence neutre : 2002 CFPI 225

ENTRE :

                                                                                   

                                                                ZOLTAN TUBACOS

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                                   et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                   

                                                                                                                                                        défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE KELEN

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire fondée sur l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985) ch. F-7, à l'égard de la décision en date du 28 février 2001 par laquelle la Section du statut de réfugié (SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a statué que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention selon la définition du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration.


[2]         Le 3 décembre 2001, le juge en chef adjoint Lutfy a autorisé le dépôt de la présente demande de contrôle judiciaire.

LES FAITS

[3]         Né le 23 mai 1973, le demandeur est un citoyen de la Roumanie. Il est arrivé au Canada le 3 juin 1999 en passant par la Hongrie, où son frère habite. Son origine ethnique rom serait imputable à son père roumain, tandis que sa mère est hongroise.

[4]         Le demandeur soutient craindre avec raison d'être persécuté par la police locale et les forces de la sécurité de la Roumanie en raison de son origine rom et du rôle qu'il a joué dans le parti politique rom.

DÉFINITION DE RÉFUGIÉ AU SENS DE LA CONVENTION

[5]         L'expression « réfugié au sens de la Convention » est définie comme suit à l'article 2 de la Loi sur l'immigration :

« réfugié au sens de la Convention » Toute personne

a)              qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

(i)             soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,


(ii)           soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;

b)             qui n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2).

Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe de la présente loi.

NORME DE CONTRÔLE

[6]         La SSR est un tribunal spécialisé qui a pleine compétence pour apprécier la crédibilité et la plausibilité des témoignages. La norme de contrôle relative aux questions de fait et de droit est la norme de la décision manifestement déraisonnable, alors que, pour les questions de droit pur, il s'agit de la norme de la décision correcte.

[7]         La Cour fédérale ne modifiera pas les conclusions de la SSR au sujet de la crédibilité, à moins que ces conclusions ne soient manifestement déraisonnables. Le juge Blanchard a résumé les règles de droit applicables à ce sujet dans Horvath c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. n ° 901, 2001 CFPI 583 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 9 :

Il importe de noter d'emblée qu'en règle générale, les conclusions de crédibilité tirées par la SSR appellent une grande retenue judiciaire. C'est la SSR qui a eu l'occasion d'observer directement les témoins et qui est le mieux placée pour apprécier leur crédibilité. Comme la Cour d'appel fédérale l'a exposé dans l'arrêt Aguebor c. Canada (M.C.I.)

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.


Notre Cour ne doit donc pas intervenir à l'égard des conclusions de crédibilité tirées par la SSR, à moins que celles-ci ne soient manifestement déraisonnable. [non souligné à l'original]

[8]         Dans Conkova c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. n ° 300 (C.F. 1re inst.), le juge Pelletier s'est exprimé comme suit au paragraphe 5 :

La norme de contrôle qu'il convient d'appliquer aux décisions de la SSR est, de façon générale, celle de la décision manifestement déraisonnable, sauf pour ce qui est des questions portant sur l'interprétation d'une loi, auquel cas la norme qu'il convient d'appliquer est celle de la décision correcte. Sivasamboo c. Canada [1995] 1 C.F. 741 (1re inst.), (1994) 87 F.T.R. 46, Pushpanathan c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 982, (1998) 160 D.L.R. (4th) 193.

[9]         Dans la présente affaire, les questions que le demandeur soulève sont des questions liées aux faits et à la crédibilité. Par conséquent, la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable.

DÉCISION DE LA COMMISSION DE L'IMMIGRATION ET DU STATUT DE RÉFUGIÉ


[10]       La décision de la SSR est fondée sur la conclusion selon laquelle le demandeur n'est pas d'origine rom, contrairement à ce qu'il a affirmé au soutien de sa revendication du statut de réfugié. La SSR a statué que le demandeur n'était pas d'origine rom, parce qu'il ne correspondait pas au profil typique d'un Rom. Selon la description générale de la SSR, les personnes d'origine rom sont des personnes à la peau foncée qui ont des familles nombreuses, ne poursuivent pas d'études, sont sans emploi et se marient jeunes. Étant donné que le demandeur n'avait pas la « peau foncée » , qu'il n'était pas issu d'une « famille nombreuse » , qu'il ne s'était pas marié jeune et qu'il avait poursuivi des études et travaillait, la SSR a conclu qu'il n'était pas un Rom. Le tribunal a statué comme suit à la page 1 de sa décision :

Le tribunal a déterminé que le revendicateur n'est pas un réfugié au sens de la Convention. Son témoignage concernant son origine rom n'était pas crédible, et comme il fondait sa revendication sur ce motif, il n'y avait pas suffisamment de preuves crédibles et dignes de foi devant le tribunal sur lesquelles celui-ci aurait pu s'appuyer pour lui reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention.

Le tribunal ajoute ce qui suit à la page 2 de sa décision :

Il est indiqué dans la preuve documentaire que les Roms ont généralement la peau foncée et les yeux noirs; le revendicateur a les cheveux noirs mais une peau de blond et, selon le FRP, les yeux verts. Un grand nombre de Roms se marient jeunes, ont des familles nombreuses, et ont de la difficulté à poursuivre des études et à obtenir un emploi. Le revendicateur a seulement un frère et les deux ont fréquenté l'université. Le revendicateur n'est pas encore marié à l'âge de 29 ans, et il a pu trouver un emploi comme ingénieur dans le mois qui a suivi l'obtention de son diplôme. Il a pu retourner à cet emploi après avoir terminé son service militaire, et lorsqu'il l'a perdu en 1998 il a pu en trouver un autre en moins d'un mois. Ses parents travaillent tous les deux, et il a témoigné qu'ils n'étaient pas pauvres et qu'ils pouvaient se permettre de faire éduquer leurs fils. Ces caractéristiques sur les plans de l'éducation et de l'emploi ne sont pas compatibles avec ce qui est décrit dans la preuve documentaire.

Enfin, le tribunal s'exprime comme suit à la page 3 :

Selon la prépondérance des probabilités, le tribunal conclut que le revendicateur n'est pas d'origine rom, et qu'il ne serait pas non plus identifié comme tel compte tenu de son apparence, de son hérédité moitié hongroise et de son profil d'études et d'emploi.

QUESTION EN LITIGE

[11]       La conclusion de la SSR selon laquelle le demandeur n'est pas d'origine rom est-elle manifestement déraisonnable d'après la preuve?


ANALYSE

[12]       La décision de la SSR selon laquelle le demandeur n'est pas d'origine rom parce qu'il ne correspond pas au profil typique d'un Rom est manifestement déraisonnable et justifie l'intervention de la Cour. Le caractère déraisonnable de la décision est évident à la lumière du dossier. La SSR n'aurait pas dû conclure qu'une personne n'est pas un Rom parce qu'elle ne correspond pas à un profil comportant des caractéristiques comme la peau foncée, l'absence d'études et d'emploi, une famille nombreuse et le mariage à un jeune âge.

Peau foncée

[13]       La description des Roms comme des personnes ayant la peau foncée est abusive à la lumière du dossier. D'après la preuve documentaire provenant de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié elle-même, la couleur de la peau peut être différente d'un Rom à l'autre en raison des intermariages causés par l'esclavage auquel les Roms ont été contraints dans le passé en Roumanie. Cette preuve est décrite comme suit dans l'affidavit du demandeur (paragrahe 22) ainsi qu'à la pièce « F » :

[TRADUCTION] Après tout, nous sommes un peuple indien et de nombreux Roms ont le peau foncée. C'est un facteur d'identification que j'essaie de comprendre parce que, après sept siècles et demi passés dans l'ouest, il y a eu des intermariages, parfois forcés dans le cas des esclaves; néanmoins, nous trouvons de nos jours des Roms de toutes les couleurs de peau. Par conséquent, l'apparence physique n'est pas toujours un facteur, mais c'est un facteur.

                                                                                                               (Non souligné à l'original)


Éducation, emploi et taille de la famille

[14]       Au cours de son témoignage, le demandeur a donné des explications allant à l'encontre de la décision de la SSR selon laquelle il n'était pas un Rom parce qu'il n'avait pas le profil correspondant, c'est-à-dire, absence d'études et d'emploi et famille nombreuse. Toutefois, la SSR a ignoré ces explications.

Connaissances concernant les Roms

[15]       La SSR a statué que le demandeur n'avait pas suffisamment de connaissances au sujet des Roms. Cette conclusion est également manifestement déraisonnable, compte tenu du témoignage du demandeur au sujet de la culture et des traditions des Roms. La SSR n'a pas tenu compte de cette preuve.

Appartenance au parti rom

[16]       La SSR a conclu que le demandeur n'était pas membre du parti rom. Cette conclusion est manifestement déraisonnable, compte tenu du témoignage du demandeur et de la preuve documentaire, qui comprenait la carte de membre du demandeur et une lettre dans laquelle le président du parti a attesté que celui-ci est un Rom.


Persécution

[17]       La SSR a rejeté les explications du demandeur au sujet des risques de persécution auxquels il était exposé, parce qu'elle a statué que la preuve qu'il a présentée relativement à son origine ethnique n'était pas crédible. Compte tenu de la conclusion à laquelle j'en arrive, la décision de la SSR ne comporte aucune conclusion valable en ce qui a trait à la crainte de persécution du demandeur.

CONCLUSION

[18]       Eu égard à la norme de contrôle applicable, j'estime que la SSR en est arrivée à une décision manifestement déraisonnable lorsqu'elle a statué que le demandeur n'était pas un Rom. En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SSR pour qu'il statue à nouveau sur la revendication. Les parties ont indiqué qu'elles ne demandent la certification d'aucune question aux fins d'un appel.

                                                                                 « Michael A. Kelen »      

                                                                                                             Juge                  

Calgary (Alberta)

Le 28 février 2002

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.



COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

Date : 20020228

Dossier : IMM-1373-01

ENTRE :

ZOLTAN TUBACOS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE


                                       COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                  SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                    AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                              IMM-1373-01

INTITULÉ DE LA CAUSE :                          Zoltan Tubacos c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Calgary (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                             le 27 février 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :      Monsieur le juge Kelen

DATE DES MOTIFS :                                     le 28 février 2002

COMPARUTIONS :

Mme D. Jean Munn                                                            POUR LE DEMANDEUR

Mme Tracy J. King                                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Caron & Partners                                                              POUR LE DEMANDEUR

Calgary (Alberta)

M. Morris Rosenberg                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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