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Date: 19990224


Dossier : T-1261-98


ACTION RÉELLE EN MATIÈRE D"AMIRAUTÉ

ENTRE


ANNACIS AUTO TERMINALS (1997) LTD.,


demanderesse,


et


LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES

PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE " CALI ",


défendeurs.


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE :

HISTORIQUE

[1]      Le 5 août 1998, j"ai ordonné que le Cali , un navire en mauvais état que les propriétaires n"avaient plus les moyens d"utiliser, soit vendu pendant le procès dans le cadre d"une action intentée par Annacis Auto Terminals (1997) Ltd. (Annacis Auto), propriétaire du poste de mouillage où le Cali avait jeté l"ancre. Annacis Auto avait hérité du Cali au mouillage d"un prédécesseur qui avait été suffisamment négligent pour laisser le Cali utiliser le poste de mouillage pendant quelques jours. Au mois d"août 1998, des frais de mouillage d"environ 300 000 $ étaient dus et l'on n'entrevoyait pas la fin de l"affaire. Annacis Auto voulait au moins être en mesure d"utiliser son poste de mouillage.

[2]      Le Cali a été vendu le 8 décembre 1998. L"ordonnance du 14 octobre 1998 par laquelle il était ordonné de vendre le Cali pour le mettre à la ferraille au prix de 235 000 $ US, qui a par la suite été réduit à 210 000 $ en raison d"une description erronée du navire et notamment de son tonnage, avait été rendue en faveur de Chenko Marine Inc. qui voulait remorquer le navire en Chine pour le mettre à la ferraille.

[3]      En raison de son mauvais état qui allait en empirant, le Cali n"a pas pu être mis au mouillage. Aucun propriétaire d"un poste de mouillage approprié ne voulait du navire. Par conséquent, l"une des conditions de l"ordonnance du 5 août 1998 relative à l"évaluation et à la vente du navire, qui visait à protéger Annacis Auto, soit un tiers qui avait hérité du navire au mouillage de son prédécesseur, était que les frais de mouillage, entre la date fixée pour la requête en vue de la vente, soit le 22 juillet 1998, et celle du départ du navire, devaient être considérés comme des frais du shérif et comme avant priorité en tant que tels. Cela étant, les frais de mouillage devaient être payés en premier lieu à l"aide du produit de la vente. Pour un certain nombre de raisons, le navire est encore au poste de mouillage d"Annacis Auto.

[4]      Selon le créancier hypothécaire du Cali, International Trust & Finance Corporation (International Trust), qui avait contribué à la vente, Chenko Marine ne savait pas trop à quel moment toutes les autorisations et approbations pourraient être obtenues en vue du départ et à quel moment il serait possible de prendre des dispositions en vue de faire remorquer le navire : International Trust aurait donc préféré disposer d"un délai d"une durée indéterminée pour enlever le Cali du poste de mouillage. Annacis Auto voulait faire enlever rapidement le Cali du poste de mouillage, même si les frais de mouillage étaient garantis. On croyait généralement à ce moment-là qu"il n"y aurait qu"un retard raisonnable après le 8 décembre 1998, date de conclusion de la vente. Par conséquent, Chenko Marine devait faire de son mieux pour déplacer le Cali dans les 45 jours qui suivraient celui de la vente. Cela s"est après coup avéré un compromis malencontreux car le Cali est encore au poste de mouillage 75 jours après la vente, aux prises avec les forces du marché, la paperasserie et un problème de remorquage sur lequel je reviendrai en temps et lieu.

[5]      Chenko Marine semble croire qu"elle peut utiliser gratuitement pour une période indéfinie le poste de mouillage d"Annacis Auto : cela n"est certainement pas le cas, compte tenu du libellé clair des ordonnances de la Cour. Cela nous amène à la présente requête.

LA REQUÊTE

[6]      Le créancier hypothécaire, International Trust, se préoccupe du fait que les frais de mouillage, qui ont priorité sur les autres créances, augmentent de 787,20 $ par jour. D"où la présente requête, par laquelle International Trust sollicite une ordonnance portant que la demande de paiement des frais de mouillage présentée par Annacis Auto après le 8 décembre 1998 ne doit pas prendre rang à titre de frais du shérif, mais plutôt après sa créance hypothécaire.

[7]      L"avocat d"International Trust souligne qu"on ne s"attendait pas à ce que le Cali reste longtemps au poste au mouillage d"Annacis Auto après la conclusion de la vente. Il soutient également que, selon l"ordonnance de vente, les questions de rang prioritaire étaient non seulement reportées jusqu"après la vente, mais aussi que toutes les parties intéressées pourraient présenter une demande, notamment si le Cali restait trop longtemps au poste de mouillage.

ANALYSE

Documentation relative au déplacement du Cali

[8]      Avant d"examiner le droit applicable en la matière, il convient de parler d"un point pertinent, soit la documentation nécessaire pour permettre au Cali de quitter le poste de mouillage et de passer dans les eaux canadiennes pour se rendre en Orient. Chenko Marine, qui a de l"expérience en ce qui concerne le transport de carcasses de navires à travers le Pacifique pour qu"elles soient mises à la ferraille a précisé dans la convention d"achat-vente qu"il lui fallait, au moment de la conclusion ou dans les quatre semaines qui suivraient la date de la conclusion, un certificat attestant que le Cali avait été radié du registre des navires de Chypre. Apparemment, il en coûte moins cher de remorquer une carcasse sans équipage qui n"est plus enregistrée car en pareil cas on n"a pas à obtenir tous les certificats et à faire faire toutes les inspections qui sont nécessaires dans le cas d"un navire qui navigue en haute mer. La vendeuse du Cali , Califa Shipping Company Limited (Califa Shipping), propriétaire et créancière hypothécaire du Cali, a signé l"acte de vente en vue de faciliter la vente du navire. Califa Shipping s"est engagée à fournir le certificat de radiation, mais elle l"a obtenu le 4 février 1999 seulement, environ sept semaines après la vente. En outre, bien que Califa Shipping ait peut-être laissé traîner les choses en longueur lorsqu"il s"est agi de fournir le certificat de radiation, elle le faisait certainement contre rançon. De toute évidence, le créancier hypothécaire, International Trust, doit avoir perdu le contrôle du débiteur hypothécaire et du propriétaire-client. Par suite de ce retard, Chenko Marine n"a pas pu déplacer le Cali. Ce problème, grâce à l"aide fort efficace du ministère des Transports, est maintenant réglé, le ministère ayant donné l"autorisation de passer dans les eaux canadiennes, et le document y afférent devant être remis sur demande. Cependant, dans l"intervalle le marché des rebuts a baissé et Chenko Marine ne dispose d"aucun navire qui puisse remorquer le Cali.

Le droit de présenter une demande

[9]      J"examinerai en premier lieu l"expression " droit de présenter une demande ", qui figure dans l"ordonnance d"évaluation et de vente. International Trust soutient que cela devrait permettre à la Cour de modifier ou de remanier l"ordonnance.

[10]      L"expression " droit de présenter une demande " figure dans de nombreuses ordonnances parce qu"il peut être nécessaire d"obtenir une décision de la Cour afin de mettre au point les dispositions de l"ordonnance. L"expression " droit de présenter une demande " ne confère pas le droit de demander au tribunal de modifier l"ordonnance " voir par exemple Cristel v. Cristel , [1951] 2 K.B. 725, une décision de la Cour d"appel, à la page 728 :

         [TRADUCTION]                 
         À première vue, l"expression " droit de présenter une demande " est utilisée dans une ordonnance, ou si elle ne l"est pas elle y figure implicitement, lorsqu"il faut faire des mises au point qui pourraient nécessiter une décision de la Cour. À première vue, cela ne donne certainement pas le droit aux gens de demander que l"ordonnance elle-même soit modifiée.                 

La présente ordonnance ne ressemble en rien, par exemple, à certaines ordonnances accordées sur consentement pendant le procès, réservant à l"une ou l"autre des parties le droit de présenter une demande au sujet d"une partie de l"ordonnance à un moment ultérieur. En l"espèce, il n"existe pas de circonstances spéciales permettant de se prévaloir du " droit de présenter une demande " pour faire modifier l"ordonnance, et ce, d"autant plus que la présente ordonnance est, en ce qui concerne le paiement des frais de mouillage, une ordonnance définitive.

Réparation accordée dans le cas d"une ordonnance définitive

[11]      Je sympathise dans une certaine mesure avec International Trust, non pas tant en raison du retard et des frais de mouillage engagés à ce jour, lesquels sont du moins en partie attribuables au fait que la cliente d"International Trust, Califa Shipping, n"a pas fourni de certificat de radiation, mais plutôt à cause des frais de mouillage continus, qui ont peut-être commencé à s"accumuler un certain temps après la remise du certificat de radiation à Chenko Marine, le 4 février 1999. En outre, les frais de mouillage risquent à l"heure actuelle de s"accumuler pour une période indéfinie, ceux-ci devant être payés à l"aide du produit de la vente, et ce, tant qu"il restera de l"argent.

[12]      En présentant sa requête, qui en fait vise au remaniement de l"ordonnance d"évaluation et de vente, International Trust se fonde sur les articles 491 et 492 des Règles , qui permettent à la Cour de déterminer dans les affaires de droit maritime les droits des personnes qui réclament un droit sur les sommes tirées de la vente du navire saisi qui sont consignées à la Cour. Pareille procédure prend habituellement la forme d"une contestation visant à établir l"ordre de priorité entre les divers réclamants dans une action réelle. Toutefois, en l"espèce, un ordre de priorité a déjà été établi par l"ordonnance d"évaluation et de vente du 5 août 1998.

[13]      International Trust cherche à faire modifier la disposition de l"ordonnance d"évaluation et de vente prévoyant que les frais de mouillage seront payés à l"aide du produit de la vente. Les ordonnances de la Cour telles la présente ordonnance sont finales, sous réserve de certaines exceptions précises prévues par les Règles de la Cour fédérale en vertu desquelles la Cour peut corriger ses propres erreurs et omissions, mais pareille procédure n"est pas appropriée dans ce cas-ci car l"ordonnance indique l'intention de la Cour au moment où l"ordonnance a été rendue. Par conséquent, le principe selon lequel en général, l'ordonnance qui a été signée est finale fait obstacle à la requête d"International Trust. Voir par exemple Steward c. Canada , [1988] 3 C.F. 452, à la page 461 (C.A.F.) :

         Un examen des Règles de cette Cour [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] permet de constater que la règle générale veut qu"une ordonnance soit finale, sous réserve de la possibilité qu"un appel en soit interjeté, une fois qu"elle a été signée par le juge présidant (Règle 337(4)). La Règle 1733 prévoit une exception à cette règle générale dans les affaires où des faits surviennent ou sont découverts postérieurement à une ordonnance ou lorsqu"il y a eu fraude. L"avocat du requérant ne s"est pas appuyé sur la Règle 1733 et les faits ne permettent aucunement l"application de cette Règle. La Règle 337(5) permet à la Cour de procéder à un nouvel examen des termes du prononcé d"un jugement ou d"une ordonnance pour s"assurer qu"il est en accord avec les motifs qui ont été donnés, ou lorsqu"une question a été accidentellement omise. Cet avocat ne s"est pas non plus appuyé sur la Règle 337(5).                 

Ce passage, se rapporte à l"article 1733 des Règles , qui à ce moment-là permettait l"annulation d"une décision " en s"appuyant sur des faits survenus postérieurement " à la décision. La disposition équivalente qui s"applique à l"heure actuelle est le paragraphe 399(2) des Règles , dont le passage pertinent se lit comme suit :

         Annulation " La Cour peut sur requête, annuler ou modifier une ordonnance dans l"un ou l"autre des cas suivants :                 
             a) des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après que l"ordonnance a été rendue.                 

[14]      Cette approche, fondée sur le paragraphe 399(2) des Règles, n"a été ni débattue ni mentionnée dans la requête ou dans l"argumentation écrite. Pourtant, et je ne statuerai pas sur ce point, si une requête similaire était débattue sur la base du paragraphe 399(2) des Règles , cette disposition pourrait s"appliquer, peut-être pas comme moyen d"annuler l"ordonnance du 5 août 1998, mais pour modifier l"ordonnance ou obtenir une ordonnance supplémentaire sur la base de faits nouveaux : voir par exemple Preston Banking Company v. William Allsup & Sons , [1895] 1 Ch. 14, une décision de la Cour d"appel, que la Cour d"appel a appliquée dans l"affaire Scowby v. Scowby , [1897] 1 Ch. 742, à la page 754.

[15]      En pratique, une requête fondée sur le paragraphe 399(2) des Règles pourrait par exemple entraîner la délivrance d"une ordonnance enjoignant à Annacis Auto de céder à compter de maintenant, tout droit d"intenter une action réelle ou personnelle à l"égard des frais de mouillage qu"elle pourrait avoir contre le navire ou Chenko Marine. Cela pourrait être une approche équitable; en effet, si la cession était organisée de la façon appropriée, Annacis Auto pourrait conserver sa garantie, International Trust pouvant obtenir du navire les frais continus de mouillage directement contre le navire au moyen d"une saisie. Pareil résultat ne nuirait peut-être pas à Annacis Auto, qui pourrait bien être privée du poste de mouillage pour une période indéfinie, alors que les fonds à l"aide desquels les frais de mouillage doivent être payés s"épuiseront avec le temps.

CONCLUSION

[16]      Étant donné que le droit est bien établi en ce qui concerne la nature finale des ordonnances, aucune réparation ne peut être accordée à International Trust en ce moment. Toutefois, si la requête était de nouveau présentée en vertu du paragraphe 399(2) des Règles, il serait possible d"obtenir une réparation. Bien sûr, rien n"empêche Annacis Auto et International Trust d"en arriver elles-mêmes à une solution.

[17]      Les requêtes sont rejetées. Les dépens sont adjugés à Annacis Auto Terminals (1997) Ltd. ceux-ci devant être compensés par les dépens adjugés à International Trust & Finance Corporation par l"ordonnance du 26 août 1998, dans laquelle Annacis Auto n"a pas réussi à faire réexaminer une ordonnance.

                 " John A. Hargrave "

                 Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 24 février 1999.

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DATE DE L'AUDIENCE :      le 17 février 1999

No DU GREFFE :      T-1261-98

    

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Annacis Auto Terminals (1997) Ltd.
     c.
     le navire " Cali " et autres
LIEU DE L'AUDIENCE :      Vancouver (Colombie-Britannique)

MOTIFS DE L"ORDONNANCE du protonotaire John A. Hargrave en date du 24 février 1999

ONT COMPARU :

     Glenn Morgan      pour la demanderesse
     John Bromley      pour International Trust & Finance Co.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

     Davis et associés

     Vancouver (Colombie-Britannique)      pour la demanderesse

     Bromley, Chapelski

     Vancouver (Colombie-Britannique)      pour International Trust & Finance Co.

     Bull, Housser & Tupper

     Vancouver (Colombie-Britannique)      pour les défendeurs, Califa Shipping et le " Cali "

     Loreen Carroll

     Rivtow Marine      pour le compte de Rivtow Marine and RVC Holdings Ltd.
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