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                                                                                                                             Date : 20000215

                                                                                                 Dossier : T-694-97

Ottawa (Ontario), le 15 février 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                          CAPORAL H.J. ROCKMAN,

                                                                                                             demandeur

                                                           - et -

                               LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

                                                                                                              défendeur

                         MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE PELLETIER


[1]         Le caporal Rockman, membre des Forces armées canadiennes, était parvenu, avec force raison, à la conclusion que ses chances d'avancement dans les Forces étaient plutôt limitées. Le fait d'avoir été arrêté par la police militaire pour possession de marijuana dans des circonstances où une accusation de trafic pouvait être portée avait sans doute influencé sa décision. Il a demandé sa libération des Forces dans le cadre du Programme de réduction des Forces 1996 (le PRF 96). Ce programme lui accordait des avantages financiers considérables, y compris une pension. En présentant sa demande de libération, il a signé une formule qui précisait que les Forces pouvaient annuler à tout moment le choix qu'il avait fait dans le cadre du PRF, s'il était déterminé que sa libération devait plutôt relever d'un autre numéro plus approprié[1]. Sa demande de libération ayant été traitée, le Conseil de révision des carrières a modifié son statut de libération à « 5f) - Inapte à continuer son service militaire - Aptitude C. » [2], ce qui a fait perdre au caporal Rockman son statut au regard du PRF et les avantages financiers qui y étaient liés. Le motif justifiant le changement de son statut de libération était énoncé dans une lettre adressée au caporal Rockman le 13 mars 1997 qui incorpore la décision du Directeur général - Carrières militaires :

[TRADUCTION]

Après étude de tous les documents qui lui ont été présentés, le Conseil de révision des carrières a déterminé que vous avez clairement violé la Politique des Forces canadiennes relative aux drogues.

Le Conseil a conclu que, en offrant des drogues à un agent de police en civil, vous vous êtes livré au trafic de drogues illégales. En outre, votre usage de drogues a révéléune probabilité significative de récidive de votre part dans l'usage non autorisé de drogues illégales. Par conséquent, vous ne remplissez pas les critères de rétention dans les Forces énoncés au paragraphe 24 de l'OAFC 19-21.

[2]         Puisqu'aucune accusation criminelle n'a été déposée par suite de l'incident qui a mené à son arrestation, le caporal Rockman estime que les Forces canadiennes ont fait indirectement ce qu'elles n'auraient pas pu faire directement, c'est-à -dire le déclarer coupable de trafic de drogues. Il s'adresse à notre Cour pour qu'elle annule la décision du Directeur général - Carrières militaires. Il invoque, à cet égard, le fait qu'on ne lui a pas donné la possibilité de répondre à l'accusation qui pesait contre lui, pour les raisons suivantes :


1)          on lui a remis une version considérablement occultée du rapport de la police militaire, alors que le Conseil de révision des carrières avait en main une version complète du même rapport;

2)          on ne lui a pas donné la transcription d'un enregistrement secret de sa conversation avec l'agent de police en civil, qui, croit-il, établirait qu'il ne lui a pas offert de drogues;

3)          on ne lui a pas communiqué les motifs à l'appui de la recommandation du Conseil de révision des carrières et, par conséquent, il n'a pas eu la possibilité d'être entendu par l'instance décisionnelle, ce qui constitue, selon lui, une violation des règles de justice naturelle. Cet argument avait été avancé à l'origine parce qu'il n'avait pas été informé de l'avis donné au Conseil de révision des carrières par son conseiller juridique, le major Powers, afin qu'il puisse comparaître pour présenter sa version des faits mais, au cours du débat, il est devenu évident que la véritable plainte était l'impossibilité pour lui de répondre aux recommandations du Conseil de révision des carrières qui, présume-t-on, incorporaient l'opinion et les recommandations du conseiller juridique.


[3]         Le caporal Rockman était basé à Halifax. Ses difficultés ont commencé lorsque d'autres membres des Forces canadiennes se sont plaints à la police militaire que, pendant un cours à la Base des Forces canadiennes Borden, le caporal faisait usage de drogues illégales tout en encourageant d'autres à faire comme lui. L'enquête de la police militaire a mené celle-ci à un militaire selon qui le caporal Rockman parlait ouvertement de son usage de drogues pendant qu'il le conduisait à Toronto les fins de semaine. Espérant tirer avantage de ce genre de comportement, la police militaire a pris des dispositions pour qu'un agent de police en civil remplace le militaire pour conduire le caporal à Toronto le 24 mars 1995. Par suite de la conversation qu'ils ont eue pendant le voyage, le caporal Rockman a été arrêté par la police militaire avant d'arriver à Toronto. Il a été fouillé; on a saisi sur lui une petite quantité d'une substance qui devait se révéler plus tard être de la marijuana. La perquisition de ses locaux d'habitation à Borden n'a pas permis de découvrir d'autres drogues. Il a été détenu pendant quatre jours, puis relâché. Le Cabinet du juge-avocat général ayant examiné la preuve recueillie contre lui et les circonstances dans lesquelles elle a été obtenue a conclu qu'elle serait exclue en raison de la violation des droits reconnus au caporal Rockman par la Charte, ce qui empêcherait une déclaration de culpabilité. De plus, le Cabinet du juge-avocat général estimait que les éléments de preuve, s'ils n'étaient pas exclus, ne justifieraient que le dépôt d'une accusation de possession de drogues pour usage personnel et non une accusation de trafic ou de possession en vue du trafic. En conséquence, aucune accusation n'a été déposée.


[4]         Par suite de l'action de la police, la procédure du Conseil de révision des carrières a été mise en branle. Le 17 novembre 1995, le rapport de police a été envoyé pour approbation au Directeur - Accès à l'information et protection des renseignements personnels. Des notifications ont été envoyées, dont une à l'unité du caporal sollicitant des recommandations relatives à sa carrière. Pour diverses raisons, le traitement de la documentation du Conseil de révision des carrières n'a pris fin que le 3 mai 1996 lorsque le directeur de la police a donné son aval au rapport de police approuvé. Dans l'intervalle, le 12 novembre 1995, le caporal Rockman a déposé une demande de libération des Forces dans le cadre du PRF 96. Une note destinée aux parties intéressées et expédiée par un officier au bureau du Directeur - Administration des carrières du personnel en date du 23 janvier 1996 faisait savoir que, compte tenu de la révision en instance devant le Conseil de révision des carrières, la demande de libération du caporal Rockman devait être traitée suivant l'hypothèse qu'il avait un droit minimal en attendant que prenne fin la procédure du Conseil de révision des carrières et que soit établi son droit, le cas échéant, à des avantages plus élevés. Pour des motifs qui n'ont pas été versés au dossier, cela ne s'est pas passé ainsi et le caporal Rockman n'a pas été avisé de cette intention. Le 16 février 1996, la demande de libération présentée dans le cadre du PRF 96 a été approuvée. Le 24 mai 1996, le Quartier général de la Défense nationale a été avisé des choix financiers du caporal Rockman relatifs à sa libération. À la fin, le caporal Rockman a été libéré dans le cadre du PRF 96 sous le régime du numéro « 5c) Au terme de la période pour laquelle ses services sont requis. » .

[5]         Dans l'intervalle, par lettre datée du 7 mai 1996, le caporal Rockman a été avisé de la convocation du Conseil de révision des carrières. Au même moment, il a reçu copie du rapport de police occulté et un résumé que le Conseil de révision des carrières avait établi relatant très brièvement les circonstances de ses démêlés avec la police militaire. On y mentionnait également les problèmes relatifs à la Charte qui empêchaient le dépôt d'accusations criminelles, mais qui [TRADUCTION] « ne remettaient pas en question la nature de la substance trouvée en la possession du caporal Rockman » . Le résumé notait également la recommandation du commandant, soit le [TRADUCTION] « maintien avec mise en garde et surveillance » .

[6]         Le caporal Rockman a obtenu des conseils juridiques et, le 24 juin 1996, il a rédigé une lettre qu'il a fait parvenir au Conseil de révision des carrières par le truchement de son secrétaire, le capitaine Morgan. Dans cette lettre, il nie être un [TRADUCTION] « gros consommateur de stupéfiant ou un vendeur » , mais ne nie pas qu'une quantité de marijuana a été trouvée sur sa personne. De façon générale, la lettre répond au contenu du rapport de police et au résumé qu'il avait reçu antérieurement. Le 13 septembre 1996, le capitaine Morgan a écrit au caporal Rockman pour l'aviser que, par suite de l'examen des documents dont il a été saisi, le Conseil de révision des carrières est parvenu à la conclusion préliminaire qu'il [TRADUCTION] « a violé la politique des Forces canadiennes relative aux drogues illégales » . Étant donné qu'une conclusion négative pouvait alors être tirée quant à sa libération, un avis d'intention de recommander sa libération lui a été signifié. Les motifs pour lesquels la libération, au titre du numéro 5f) serait recommandée, sont énoncés comme suit :


[TRADUCTION]

Le caporal Rockman a été arrêté en possession d'une drogue illégale, en l'occurrence de la marijuana. En outre, le caporal Rockman a offert des drogues à un agent de police en civil, ce qui constituait du trafic de stupéfiant. Par conséquent, le caporal Rockman ne remplit pas les conditions de rétention sous la rubrique Mise en garde et surveillance figurant aux paragraphes 24 et 25 de l'OAFC 19-21.

[7]         Le 12 mars 1997, le Conseil de révision des carrières, ayant [TRADUCTION] « examiné les documents concernant cette affaire, lesquels avaient tous été antérieurement remis au militaire dans le cadre de la procédure de communication » a conclu que le caporal Rockman avait violé la politique des Forces canadiennes relative aux drogues et s'était livré au trafic en offrant des drogues à un agent de police en civil pour payer son voyage à Toronto. Le Conseil a recommandé qu'il soit libéré des Forces canadiennes en vertu du numéro 5f) du chapitre 15 Inapte à continuer son service militaire - Aptitude C. des Ordonnances et règlements royaux (ORFC). La recommandation du Conseil de révision des carrières et les documents dont le Conseil était saisi (y compris les observations du caporal Rockman et de son avocat) ont été transmis à l'instance décisionnelle. Le même jour, la recommandation a été approuvée par l'instance décisionnelle, le brigadier-général M. Matte, Directeur général - Carrières militaires. Le caporal Rockman a introduit sa demande de contrôle judiciaire de la décision du brigadier-général Matte le 14 avril 1997.

[8]         Le premier point invoqué pour le compte du caporal Rockman est qu'il n'a pas reçu une communication suffisante parce que le rapport de police qui a été remis à lui et à son avocat avait été occulté, alors que le rapport complet non occulté a été remis au Conseil de révision des carrières. Il prétend également qu'il n'a pas reçu copie de l'enregistrement sur bande de sa conversation avec l'agent de police en civil. Le caporal Rockman affirme que l'absence de ces documents l'a empêché de présenter une défense pleine et entière aux allégations faites contre lui, ce qui constitue une violation de la justice naturelle ou de l'équité procédurale.


[9]         D'abord, pour ce qui est de l'enregistrement sur bande, aucune preuve n'établit l'existence d'un tel enregistrement. Une remarque dans le rapport de police indique qu'au cours du voyage à Toronto l'agent de police banalisé [TRADUCTION] « a noté et enregistré les renseignements suivants » . Le rapport de police ne mentionne aucun appareil d'enregistrement ni aucune mesure prise pour enregistrer les conversations. Aucune transcription n'a été produite en réponse à cette demande. La décision de ne pas poursuivre le caporal Rockman a été prise en raison de la violation de ses droits au titre de l'article 8 de la Charte, ce qui pourrait comprendre des enregistrements non autorisés, mais aussi des fouilles et perquisitions non autorisées. Les mots utilisés dans le rapport de police sont conformes à la pratique qui consiste à préparer des notes d'événements significatifs le plus tôt possible après la survenance de l'événement. En l'absence de toute preuve établissant que l'enregistrement existe et que l'instance décisionnelle en était saisie, je ne suis pas disposé à ordonner sa production ni à tirer des inférences défavorables de son absence du dossier.

[10]       Même si le caporal Rockman n'a pas reçu copie du rapport de police non occulté avant d'être invité à présenter ses observations, ce rapport lui a été communiqué au cours de la présente instance. Le défendeur invoque l'affaire Miller c. Directeur général, Carrières militaires (Officiers) et autres, [1994] A.C.F. no 330; (1994) 76 F.T.R. 15, à l'appui de la proposition selon laquelle la communication qui a été faite à l'intimé était suffisante. Dans l'affaire Miller, l'omission de communiquer avait trait à une note de synthèse dont le contenu avait été précédemment communiqué au requérant. Compte tenu de ces faits, le juge Denault a statué :

Je ne crois pas que l'omission de communiquer cette note de synthèse constitue un manquement à l'obligation d'équitépuisque les renseignements qu'elle contient avaient déjà été communiqués au requérant. Enfin, je ne crois pas que cette omission ait pu lui causer quelque préjudice que ce soit.


[11]       En l'espèce, tout comme dans l'affaire Miller, l'essentiel du rapport de police a été communiqué au requérant. Cependant, les parties qui ne l'ont pas été auraient pu avoir quelque pertinence quant à la question de la crédibilité du caporal Rockman. Par ailleurs, le caporal Rockman n'a pas soulevé d'exemples particuliers de préjudice maintenant que le rapport de police non occulté a été communiqué. Comme on l'a dit de nombreuses fois, particulièrement dans les affaires de « prisonniers » , la communication ne signifie pas communication complète dans tous les cas. Dès lors que d'autres intérêts entrent en conflit avec le droit du requérant à la communication, une certaine forme limitée de communication peut être justifiée au point où le requérant peut n'avoir droit tout au plus qu'à l'essentiel de l'accusation portée contre lui. Cadieux c. Établissement Mountain, [1985] 1 C.F. 378; (1984) 9 Admin. L.R. 50.

[12]       Il est clair que le caporal Rockman connaissait l'essentiel de l'accusation portée contre lui. En fait, il en savait beaucoup plus. Ce qu'il peut avoir ignoré était le cours des événements qui ont mené à son voyage à Toronto en compagnie d'un agent de police militaire en civil. Il n'était pas non plus au courant de tous les détails des déclarations faites à la police par ceux qui l'avaient dénoncé. Mais il est clair qu'il savait qu'il avait été arrêté en possession de marijuana, qu'il était accusé d'avoir tenté d'inciter d'autres à fumer des drogues avec lui et d'avoir l'intention de retourner à sa base à Halifax avec une quantité de drogues en vue d'en tirer un profit. Il était au courant de toutes ces choses. Dans le cours normal des choses, cela constituerait une communication suffisante.

[13]       La situation a-t-elle changé du fait que le Conseil de révision des carrières et le brigadier-général Matte sont censés avoir conclu que le caporal Rockman s'est livré au trafic de drogues en offrant à l'agent de police en civil un « joint » en contrepartie du voyage à Toronto, une accusation que réfute le caporal Rockman, soulevant ainsi une question de crédibilité? Cette question de crédibilité change-t-elle les exigences relatives à la communication?


[14]       La crédibilité n'est mise en cause que si l'affaire en question est essentielle à la conclusion tirée par l'instance décisionnelle. La conclusion relative au trafic est-elle essentielle à la décision? Le paragraphe 24 - Politique de libération des Ordonnances administratives des Forces canadiennes (OAFC) 19-21, Programme des Forces canadiennes sur le contrôle des drogues, prévoit qu'un militaire sera normalement libéré des Forces s'il est établi qu'il a enfreint l'article 20.04 des Ordonnances et règlements royaux, la Loi sur les stupéfiants ou la Loi sur les aliments et drogues, sauf si « le délit porte uniquement sur l'usage personnel de drogues illicites ou sur la possession de drogues illicites pour un usage personnel » ou « il est improbable que le militaire récidive ou qu'il soit mêlé à des activités illégales en matière de drogues » [3]. D'après cette politique, toute infraction aux lois fédérales sur les drogues est normalement établie par une condamnation devant les tribunaux. Dans les cas où il n'y a pas de poursuite, pour des motifs « qui ne remettent pas en question la nature de l'acte ou l'intention de commettre l'infraction » [4], un Conseil spécial de révision des carrières établi pour les incidents relatifs aux drogues est convoqué au Quartier général de la Défense nationale afin de déterminer s'il y a eu infraction aux lois fédérales sur les drogues[5]. Cette conclusion devient le fondement de toute autre mesure.


[15]       En l'espèce, la conclusion du Conseil de révision des carrières selon laquelle le caporal Rockman s'est livré au trafic de drogues constituait une condition préalable à sa libération des Forces[6]. La résolution de la question de la crédibilité était par conséquent une étape importante dans la détermination en dernière analyse par le Conseil des droits du caporal Rockman. Ce n'est pas là cependant le seul fondement de la décision du Conseil de révision des carrières qui a donné lieu à la libération du caporal Rockman; le Conseil a également conclu que l'usage que faisait le caporal Rockman de drogues illégales « a révélé une probabilité significative de récidive de votre part dans l'usage non autorisé de drogues illégales » . Cela fait également tomber la cause du caporal Rockman sous le coup des conditions qui justifieraient sa libération des Forces. Ces deux conclusions pouvaient être tirées, et ont vraisemblablement été tirées, à partir du contenu des rapports de police. Le fait de refuser de lui communiquer la version non occultée du rapport de police, alors que les conclusions qui devaient en être tirées avaient des conséquences si importantes pour lui, constituait-il une violation des droits du caporal Rockman à l'équité procédurale?

[16]       La communication a été refusée pour le motif qu'elle était interdite par la Loi sur la protection des renseignements personnels. Cette loi empêchait-elle que le rapport de police non occulté fût remis à l'avocat du caporal Rockman? Dans l'affaire Lee c. Canada (Forces armées, chef d'état-major) (1992), 51 F.T.R. 136; [1992] A.C.F. no 145, le juge Cullen a statué que la Loi sur la protection des renseignements personnels ne s'appliquait pas à la communication de renseignements à une personne qui avait un intérêt dans ces renseignements et qui avait besoin d'y avoir accès pour protéger son droit à la liberté ou d'autres droits importants. Pour parvenir à cette conclusion, il s'est fondé sur la décision rendue par le juge Reed dans l'affaire Gough c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles)(1990) 45 Admin. L.R. 304 (C.F. 1re inst.); [1990] A.C.F. no 1152, dans laquelle le juge avait exprimé son opinion en ces termes :

Le recours aux dispositions de la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), chap. A-1 et de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), chap. P-21 est hors de propos. Ainsi qu'il a été dit ci-dessus, ces dispositions législatives prévoient les cas où les individus n'auront pas certains renseignements qu'ils cherchent à obtenir du gouvernement. Toutefois, ces exemptions ne sont pas conçues pour s'appliquer au contexte d'une situation où l'individu qui cherche à obtenir les renseignements fait face à de sérieuses conséquences relatives à sa liberté par suite de décisions rendues sur la base de ceux-ci. Ces lois prévoient la restriction de l'accès d'un individu à l'information lorsque l'information cherchée peut être demandée sans autre raison que la curiosité pure et simple. De même, dans ce contexte, cette Cour a une fonction de contrôle qui voit à ce que les exemptions réclamées soient réclamées de façon appropriée – rôle qui, l'intimée le nie catégoriquement, est approprié dans les circonstances plus sérieuses où se trouve le requérant.


[17]       En l'espèce, la menace qui pesait sur la liberté du caporal Rockman était passée, mais il avait un autre intérêt important en jeu : le statut de sa libération des Forces canadiennes. Cet intérêt est économique, mais pas uniquement économique. Il s'agit également d'une question de statut qui peut avoir des répercussions à long terme.

[18]       Bref, la procédure dont le Conseil de révision des carrières était saisi exigeait qu'il détermine si le caporal Rockman s'était livré au trafic et s'il était probable qu'il récidive en faisant un usage non autorisé de drogues illégales. L'effet de ces déterminations était de faire passer le caporal Rockman d'une catégorie où il ne serait pas libéré des Forces à une catégorie où il le serait. Cela l'exposait au risque que soit modifié rétroactivement son statut de libération et touchait par conséquent ses intérêts, notamment son intérêt économique. Le caporal Rockman a nié certaines des allégations contenues dans le rapport de police, particulièrement celle selon laquelle il avait offert des drogues à l'agent de police en civil en échange du voyage. La conclusion affirmant qu'il était probable qu'il récidive en faisant un usage non autorisé de drogues illégales était fondée en partie sur une conclusion quant à la crédibilité de certains des indicateurs qui avaient parlé à la police militaire et dont le Conseil de révision des carrières était saisi des noms et des déclarations. Le caporal Rockman, par le truchement de son avocat, a demandé la communication du rapport de police non occulté, en contrepartie d'un engagement de la part de l'avocat d'en respecter la confidentialité. La raison pour laquelle la communication du rapport de police était sollicitée avait trait à l'examen de la question de la crédibilité. Même si la procédure ne comprenait pas l'interrogatoire et le contre-interrogatoire des témoins, le rapport de police non occulté pouvait toujours être utilisé pour miner la foi prêtée au document par le Conseil de révision des carrières. Les contradictions et les incohérences internes ainsi que les improbabilités pouvaient être portées à l'attention du Conseil de révision des carrières de manière à illustrer le manque de fiabilité du document comme preuve de son contenu. Il s'agit là d'une utilisation légitime du document, utilisation qui était limitée par l'omission de fournir à l'avocat une copie non occultée du rapport de police.


[19]       De prime abord, cela justifierait la tenue d'une nouvelle audience. La difficulté réside dans le fait que le rapport non occulté a été communiqué au caporal Rockman dans le cadre de la procédure de communication relative au contrôle judiciaire. Ayant le document en main, il n'a pas démontré qu'il contient les genres d'erreurs, d'incohérences, d'improbabilités qui pourraient être invoquées pour en contester la fiabilité. On ne gagnerait pas grand-chose à renvoyer l'affaire pour qu'une nouvelle audience soit tenue sans qu'il existe une certaine indication qu'on pourrait dire quelque chose à propos du rapport qui n'a pas encore été dit.

[20]       Lorsqu'une affaire est renvoyée pour le motif qu'il n'y a pas eu communication d'un document, c'est la possibilité que le demandeur utilise le document qui justifie la tenue de la nouvelle audience. Lorsque le document a été communiqué dans le cadre d'un contrôle judiciaire, il ne s'agit plus d'une question de possibilités. Le document est disponible et ses lacunes peuvent être exposées. Aucune raison ne permet à notre Cour d'ordonner la tenue d'une nouvelle audience si le demandeur ne démontre pas qu'il y a lieu de mettre en doute la valeur probante du document. Conclure autrement forcerait les parties à engager des dépenses pour la tenue d'une nouvelle audience pour une simple question de forme. Étant donné qu'on n'a pas démontré l'existence dans le document de lacunes telles à justifier le juge des faits de réexaminer à tout le moins ses conclusions, aucune injustice d'importance n'a été causée, malgré le vice de procédure. En conséquence, je refuse de renvoyer l'affaire pour la tenue d'une nouvelle audience.


[21]       Dans son avis de demande, le caporal Rockman soulève la question de son incapacité de s'adresser à l'instance décisionnelle. Le dossier révèle que l'avocat a demandé que ses observations et celles du caporal Rockman soient soumises à l'examen du Conseil de révision des carrières. Selon l'affidavit du capitaine Morgan, ces observations ont été soumises au Conseil de révision des carrières, et le capitaine Morgan a certifié que les observations de l'un et l'autre ont été soumises à l'autorité en matière de libération. Dans cette mesure, les observations du caporal Rockman ont été soumises aux instances décisionnelles. L'avocat a également demandé qu'il lui soit permis de s'exprimer sur les recommandations du Conseil de révision des carrières avant que l'autorité en matière de libération ne prenne sa décision finale. Cela ne s'est pas produit. Selon l'avocat, il s'agit là d'une violation de la règle de justice naturelle qui veut qu'une partie doive être entendue.

[22]       L'avocat du caporal Rockman invoque l'arrêt Duncan c. Ministre de la Défense nationale (1990), 55 C.C.C. (3d) 28 (C.F. 1re inst.); [1990] A.C.F. no 258, un appel de la sentence imposée par la cour martiale. La procédure suivie dans cette affaire était que l'accusé, ou son avocat le représentant, présentait des observations au directeur du Service juridique du personnel, lequel à son tour, préparait et présentait ses propres observations relatives à la sentence. Les observations du directeur étaient transmises à l'instance décisionnelle, en l'occurrence le sous-ministre adjoint (personnel), qui prenait la décision. Les observations de l'accusé n'avaient pas été transmises au sous-ministre adjoint. Sur la base de ces faits, le juge Muldoon a conclu qu'il y avait eu violation des exigences de la justice naturelle et, à mon humble avis, il avait raison. En l'espèce, cependant, le Conseil de révision des carrières et l'autorité en matière de libération ont été saisis des observations du caporal Rockman et de son avocat.

[23]       L'affaire Gayler c. Canada (Directeur de l'Administration des carrières (PNO), Quartier général de la Défense nationale) (1re inst.), [1995 ] 1 C.F. 801, est une autre cause portant sur les drogues dans laquelle aucun rapport de police n'avait été fourni à quelque moment que ce soit, ni devant le Conseil de révision des carrières ni au cours de la demande de contrôle judiciaire. Gayler n'a jamais été mise au courant de la preuve recueillie contre elle et n'a jamais eu la possibilité de contester le bien-fondé de cette preuve ni devant le Conseil de révision des carrières, ni devant l'autorité en matière de libération. En l'espèce, le rapport de police a été remis, bien qu'ayant été occulté, et les observations au fond ont été présentées au Conseil de révision des carrières et l'autorité en matière de libération en a été saisie.


[24]       Le demandeur invoque également l'affaire Gallant c. Canada (Sous-commissaire, Service correctionnel Canada), (1989), 92 N.R. 292 (C.A.F.); [1989] A.C.F. no 71. Gallant était un prisonnier qui devait être transféré involontairement à un autre établissement parce qu'on prétendait qu'il avait participé à une extorsion dans l'établissement. On lui a communiqué très peu de détails concernant les allégations faites contre lui de manière à protéger ses victimes. La question était de savoir si la communication était suffisante et si elle avait pour effet d'entraîner une participation utile. En elle-même, la décision rendue dans l'affaire Gallant ne justifie pas la proposition selon laquelle la personne dont les droits sont touchés a toute latitude pour avoir accès à l'instance décisionnelle.

[25]       La dernière décision invoquée par l'avocat est Diotte c. Canada (1992), 54 F.T.R. 276 (C.F. 1re inst.), une autre affaire de libération de l'armée. Diotte a été involontairement libéré en raison de ses nombreuses difficultés avec ses supérieurs. À la fin, une décision de le libérer a été prise par son commandant. Diotte et « son officier désigné » ont été avisés oralement de la recommandation et des motifs à l'appui. On leur a dit que le dossier avait été transmis à l'autorité en matière de libération pour son approbation. Diotte pensait qu'on communiquerait avec lui pour obtenir ses observations avant que la décision ne soit prise, ce qui n'a pas été fait. Par la suite, la seule chose qu'il ait apprise a été la confirmation de sa libération. Le rapport de la décision n'est pas clair sur la procédure suivie, mais il ne semble pas que Diotte avait été averti et invité à présenter des observations formelles quant aux motifs de sa libération. En l'espèce, le caporal Rockman a reçu un avis formel du risque de libération ainsi que du risque de conclusion défavorable. Il a effectivement présenté des observations et l'autorité en matière de libération en a été saisie. L'espèce peut par conséquent être distinguée.


[26]       En somme, les arrêts invoqués par le caporal Rockman ne vont pas jusqu'à lui conférer le droit de présenter des observations directement à l'autorité en matière de libération dès lors que sont connues les recommandations du Conseil de révision des carrières. Ces arrêts appuient la proposition selon laquelle une personne dont les droits seront touchés doit avoir l'occasion d'être entendue, mais pas nécessairement en personne. En l'espèce, le Conseil de révision des carrières et l'autorité en matière de libération étaient saisis des observations du caporal Rockman et de celles de son avocat. Même si on peut comprendre pourquoi le caporal Rockman aurait souhaité s'adresser directement à l'autorité en matière de libération, le fait qu'il n'a pas pu le faire ne constitue pas une violation des règles de justice naturelle dans la mesure où ses observations sont parvenues en leur forme originale à l'autorité en matière de libération sans être modifiées ni filtrées par quelque intermédiaire. Pour ce motif, ce moyen de demande de contrôle judiciaire échoue.

[27]       Le dernier moyen de demande de contrôle judiciaire est que le défendeur ne s'est pas conformé aux Règles de la Cour concernant la remise d'une copie certifiée des documents demandés par une partie. Dans la mesure où cela a trait à un enregistrement sur bande, j'ai précédemment conclu qu'aucune raison ne permettait de croire qu'un tel enregistrement existe. Il est vrai que la réponse du « tribunal » , lequel en l'espèce est l'autorité en matière de libération, n'est pas conforme aux Règles, mais je conclus que ce défaut de conformité est une irrégularité qui n'entraîne pas une annulation de l'instance.

[28]       En définitive, j'ordonne le rejet de la demande.


                                                                 ORDONNANCE

Pour les motifs susmentionnés, la demande est rejetée avec dépens à taxer.

« J.D. Denis Pelletier »                                                                                                                                     Juge

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


                                                                                                                                        ANNEXE I

                                                                   OAFC 19-21

                 Programme des Forces canadiennes sur le contrôle des drogues

POLITIQUE DE LIBÉRATION

24.        La politique des FC prescrit que tout militaire en activité sera normalement libéré s'il est établi au-delà de tout doute raisonnable qu'il contrevient à la Loi sur les stupéfiants ou à la Loi sur les aliments et drogues, sous réserve des dispositions énoncées au para 25 qui suit.

25.        Normalement, plutôt que d'être libéré, le militaire qui contrevient à l'une ou l'autre loi sera soumis à des mesures de mise en garde et de surveillance ou fera l'objet d'un rapport d'insuffisance, pourvu que toutes les conditions énumérées ci-après s'appliquent à son cas.

1.               le délit porte uniquement sur l'usage personnel de drogues illicites ou sur la possession de drogues illicites pour un usage personnel;

2.               il s'agit du premier délit attesté et documenté;

3.               le délit n'a pas eu lieu pendant que le militaire était de service ou n'a pas compromis l'état de préparation opérationnelle ni la sécurité;

4.               il est peu probable que le militaire récidive ou qu'il soit mêlé à des activités illégales en matière de drogues;

5.               la conduite et le rendement du militaire sont par ailleurs satisfaisants, et sa capacité d'exercer son leadership n'est pas compromise.


26. Si le militaire ne répond pas à toutes les conditions énumérées ci-dessous au para 25, il sera normalement libéré.

LIBÉRATION NON FONDÉE SUR UN VERDICT DE CULPABILITÉ

32. Toute infraction à l'article 20.04 des ORFC, à la Loi sur les stupéfiants ou à la Loi sur les aliments et drogues est normalement établie par une condamnation d'une cour civile ou d'un tribunal militaire. Un Cmdt peut néanmoins recommander la libération aux termes de la présente ordonnance, même en l'absence de condamnation. Ceci pourrait normalement se produire lorsqu'un militaire n'a pas été reconnu coupable d'une accusation pour des motifs qui ne remettent pas en question la nature de l'acte ou l'intention de commettre l'infraction. Par exemple, un non-lieu peut avoir été prononcé à l'égard d'une accusation en raison du délai qui s'est écoulé avant que le tribunal ne soit saisi de l'affaire. Une telle recommandation peut aussi être faite lorsque la décision de ne pas porter d'accusation a été prise en dépit de l'existence de preuves sûres et pertinentes démontrant qu'une infraction à été commise. Un exemple de ce genre de situation pourrait être le cas où la seule preuve d'usage non autorisé d'une drogue serait les résultats d'une analyse d'urine alors que ceux-ci ne peuvent être utilisés à titre de preuve dans des procédures disciplinaires en raison des restrictions prévues au Chapitre 20 des ORFC.


33. Dans les affaires où il n'y a aucune condamnation appuyant la recommandation de libération aux termes de la présente ordonnance, un comité spécial de révision des carrières (CSRC) établi pour les incidents relatifs aux drogues est convoqué au QGDN ou au quartier général de commandement intéressé, lorsque le paragraphe 21 s'applique. Ce comité s'ajoute aux procédures normales applicables lorsqu'une preuve d'infraction a été reconnue par un verdict de culpabilité. Le comité révisera tous les documents pertinents qui ont été fournis par le Cmdt et le militaire afin de déterminer si une infraction à l'article 20.04 des ORFC, à la Loi sur les stupéfiants ou à la Loi sur les aliments et drogues a été établie. Lorsque le comité décide qu'une infraction a été établie, les procédures administratives normales sont prises sur le fondement du verdict du comité et des documents fournis par le commandant et le militaire.


                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                 SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

             NOMS DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                     T-694-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :        Caporal H. J. Rockman

- et -

Le procureur général du Canada

DATE DE L'AUDIENCE :               le 9 août 1999

LIEU DE L'AUDIENCE :               Halifax (Nouvelle-Écosse)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE PAR Le juge Pelletier

EN DATE DU :                  15 février 2000

COMPARUTIONS :

David J. Bright                    POUR LE DEMANDEUR

Robert Barnes                      POUR LE DÉFENDEUR

Denise Blais

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Boyne Clarke

Dartmouth (Nouvelle-Écosse)        POUR LE DEMANDEUR

Burchell Hayman Barnes             POUR LE DÉFENDEUR

Halifax (Nouvelle-Écosse)


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               Date : 20000215

                                            Dossier : T-694-97

ENTRE :

CAPORAL H. J. ROCKMAN

                                                             

                                                     demandeur

- et -

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

                                                     défendeur

                                                                              

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET

ORDONNANCE

                                                                               



     [1]       [TRADUCTION] Je comprends que mon choix dans le cadre du PRF 96 peut être annulé avant ou après la date de prise d'effet de ma libération si l'autorité en matière de libération détermine que je devrais être libérédes FC au titre d'un numéro de libération plus approprié que le numéro 5c) de l'OAFC 15-2.

     [2]         Inapte à continuer son service militaire - S'applique à la libération d'un officier ou militaire du rang qui, soit entièrement soit principalement à cause de facteurs en son pouvoir, manifeste des faiblesses personnelles ou un comportement ou a des problèmes de famille ou personnels qui compromettent grandement son utilité ou imposent un fardeau excessif à l'administration des Forces canadiennes. Ordonnances et règlements royaux, article 15.01.

     [3]       OAFC 19-21, paragraphe 24. Voir l'annexe 1.

     [4]       OAFC 19-21, paragraphe 32. Voir l'annexe 1.

     [5]       OACF 19-21, paragraphe 33. Voir l'annexe 1.

     [6]       Le caporal Rockman avait déjà étélibérédes Forces canadiennes. La question qui l'intéresse est celle du statut de sa libération, mais elle est liée à la question de savoir s'il aurait été libéré involontairement.

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