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Date : 20021224

Dossier : T-1900-00

Référence neutre : 2002 CFPI 1327

Ottawa (Ontario), le 24 décembre 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL

ENTRE :

                                  LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

                                                                                                                        demanderesse

                                                                       et

                                 LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS ET

DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX CANADA

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]                Il s'agit d'un appel interjeté par la Société canadienne des postes (la SCP) contre une décision par laquelle le protonotaire a rejeté, le 8 novembre 2002, la requête qu'elle avait présentée en vue de déposer un affidavit complémentaire conformément à l'article 312 des Règles de la Cour fédérale (1998), en invoquant comme motif la pertinence.


[2]                La demanderesse soutient que le protonotaire a mal appliqué le critère de la pertinence et a fondamentalement tiré une conclusion relative à l'admissibilité et au poids de la preuve qui aurait dû être laissée à l'appréciation du juge de première instance chargé d'entendre les demandes de contrôle judiciaire. Il est soutenu que le protonotaire a donc commis une erreur en rejetant l'affidavit complémentaire.

LES FAITS

[3]                La SCP a exercé, conformément à l'article 44 de la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), ch. A-1 (la Loi), deux recours en révision de deux décisions respectivement rendues les 29 septembre et 23 octobre 2000, autorisant la communication de certains documents la concernant. En sa qualité de tiers, la SCP s'oppose à la communication de ces documents.

[4]                L'une des principales questions soulevées par la SCP dans ces deux demandes est de savoir si les documents en question relèvent d'une institution fédérale au sens de l'annexe I de la Loi. La demanderesse affirme que ces documents relèvent du ministre responsable de la SCP, soit un organisme créé par la Loi sur la Société canadienne des postes, L.R.C. (1985), ch. C-10 (la Loi sur la SCP) qui ne figure pas à l'annexe I de la Loi. La SCP affirme que les documents ne relèvent donc pas du ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, soit l'entité à qui les demandes de communication étaient adressées. Les documents en question ne peuvent donc pas être communiqués en vertu de la Loi.


[5]                Le 28 septembre 2001 ou vers cette date, conformément à la règle 306, la SCP a déposé les affidavits et les pièces documentaires qu'elle entendait utiliser dans les deux instances. L'un de ces affidavits était celui de William R. Price, en date du 25 septembre 2001, dans lequel figurent des renseignements se rapportant à la relation existant entre la SCP, le ministre responsable de la SCP et le Groupe de la mise en oeuvre des initiatives ministérielles. Le 20 décembre 2001 ou vers cette date, les dossiers de la demanderesse ont été déposés auprès de la Cour dans les deux instances.

L'AFFIDAVIT COMPLÉMENTAIRE

[6]                L'affidavit complémentaire de M. Price, que la SCP tente d'ajouter à aux dossiers en tant que preuve, vise à ajouter des renseignements qui n'étaient pas disponibles au moment où les affidavits initiaux ont été déposés, le 28 septembre 2001 ou vers cette date. En outre, les document joints à l'affidavit complémentaire de M. Price n'étaient pas disponibles au moment où les dossiers de la demande de la SCP ont été déposés.

[7]                Les renseignements additionnels se rapportent aux modifications qui ont été apportées à la responsabilité ministérielle pour la SCP, ainsi qu'au sein du Groupe de la mise en oeuvre des initiatives ministérielles, après le dépôt des dossiers de la demanderesse. Les responsabilités de ces entités et les rapports hiérarchiques existant entre elles sont en litige dans les deux demandes de contrôle.


[8]                Le 15 janvier 2002 ou vers cette date, l'honorable John Manley a été nommé vice-premier ministre du Canada et ministre de l'Infrastructure et des Sociétés d'État. Par un décret en date du 15 janvier 2002, le vice-premier ministre et ministre de l'Infrastucture et des Sociétés d'État a été désigné à titre de ministre pour l'application de la Loi sur la SCP, d'où la modification apportée à la responsabilité ministérielle pour la SCP à la suite du dépôt des affidavits initiaux.

[9]                En tant que suivi aux modifications apportées à la responsabilité ministérielle pour la SCP, un décret a été signé le 20 février 2002, par lequel une partie de l'administration publique fédérale connue sous le nom de Groupe de la mise en oeuvre des initiatives ministérielles a été restructurée et ses attributions transférées au Bureau de l'Infrastructure et des Sociétés d'État du Canada conformément à la Loi sur les restructurations et les transferts d'attributions dans l'administration publique, L.R.C. (1985), ch. P-34. D'autres modifications ont été apportées à la responsabilité ministérielle pour la SCP et au Groupe de la mise en oeuvre des initiatives ministérielles jusqu'au 7 août 2002; il en est fait mention dans l'affidavit complémentaire.

ARGUMENTS DE LA SCP CONCERNANT LA PERTINENCE DE L'AFFIDAVIT COMPLÉMENTAIRE


[10]            La SCP soutient que l'affidavit complémentaire est pertinent pour ce qui est des questions soulevées dans les demandes. L'une des questions soulevées par la SCP dans les demandes principales est que la charge du ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux est légalement distincte de la charge du ministre responsable de la SCP même si, au moment de la demande de communication, les deux charges relevaient de la même personne.

[11]            Dans les demandes, il est également soutenu que le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux n'a aucune responsabilité législative à l'égard de la SCP et qu'il n'est pas nécessaire que le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux agisse également à titre de ministre responsable de la SCP. Il est affirmé qu'il s'agit donc de deux charges distinctes.

[12]            La demanderesse soutient que l'affidavit servirait d'exemple montrant que le ministre responsable de la SCP n'exerce pas en même temps les fonctions de ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, ce qui montre l'absence d'un lien nécessaire entre les deux charges, et qu'il s'agit donc de deux charges distinctes.

[13]            En outre, la SCP déclare qu'au moment où les demandes de communication ont été soumises, les documents en question étaient en la possession du Groupe de la mise en oeuvre des initiatives ministérielles, un élément de la fonction publique fédérale. Il est affirmé que les documents étaient conservés par ce groupe pour le compte du ministre responsable de la SCP, une charge non assujettie à la Loi, ou en sa qualité d'agent de ce ministre, et par conséquent non pour le compte du ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, étant donné qu'il s'agit d'une charge distincte.


[14]            La SCP veut utiliser l'affidavit complémentaire parce qu'il est pertinent lorsqu'il s'agit de comprendre le lien fonctionnel existant entre le Groupe de la mise en oeuvre des initiatives ministérielles et le ministre responsable de la SCP. De l'avis de la SCP, l'affidavit complémentaire démontrerait que le rôle de ce groupe consiste à appuyer le ministre responsable de la SCP, que le groupe ne fait pas partie intégrante du ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux du Canada et enfin que le groupe n'appuie pas le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux.

LA DÉCISION DU PROTONOTAIRE

[15]            Le protonotaire a rejeté la requête visant le dépôt d'un affidavit complémentaire fondée sur la pertinence, compte tenu des arguments invoqués par le défendeur. Le défendeur avait soutenu qu'étant donné que la question dont la Cour était saisie était de savoir si les documents demandés relevaient de l'institution fédérale au moment de la demande, les modifications apportées par la suite à la structure de rapport de Postes Canada n'ont rien à voir avec la question de savoir de qui relèvent les documents demandés. Il a en outre été affirmé, et le protonotaire en a convenu, que c'est la structure de rapport au moment de la demande qui est importante et pertinente plutôt que la structure de rapport existant après que la demande a été faite.


LE POINT LITIGIEUX

[16]            La décision du protonotaire est-elle clairement erronée ou le protonotaire a-t-il commis une erreur en appliquant le mauvais principe, à savoir le critère de la pertinence?

LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE À L'APPEL D'UNE DÉCISION DISCRÉTIONNAIRE DU PROTONOTAIRE

[17]            Dans l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd. [1993] 2 C.F. 425 (C.A.F.), au paragraphe 95, Monsieur le juge MacQuigan a expliqué la norme de contrôle que le juge des requêtes doit appliquer en examinant une décision discrétionnaire du protonotaire :

Selon en particulier la conclusion tirée par lord Wright dans Evans v. Barkland [1937] A.C. 473 (H.L.) à la page 484, et par le juge Lacourcière, J.C.A., dans Stoicevski v. Casement [1983] 43 O.R. (2 LD) 436 (C. div.), le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

a)            l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits,

b)             l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal.

L'ANALYSE

[18]            Dans la décision Eli Lilly & Co. c. Apotex Inc. (1997), 76 C.P.R. (3d) 15, aux pages 20 et 21 [ordonnance modifiée (1997), 77 C.P.R. (3d) 154 (1re inst.)], la Cour a décidé qu'en déterminant si une partie doit être autorisée à déposer un affidavit complémentaire, il sera habituellement tenu compte des facteurs suivants :

a)          Cette mesure servirait-elle les intérêts de la justice?

b)          Cette mesure aiderait-elle la Cour à rendre sa décision définitive?

c)          Cette mesure causerait-elle un préjudice important ou grave aux [autres parties]?


[19]            Les facteurs établis dans la décision Eli Lilly, précitée, ont été suivis par les juges de la Cour. Dans la décision Chopra c. Canada (Conseil du Trésor) (1999), 168 F.T.R. 273 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 12, Monsieur le juge Dubé a dit ce qui suit, dans le contexte précis du dépôt d'affidavits additionnels :

Les critères permettant de déterminer si l'autorisation doit être accordée consistent à savoir si la justice l'exige, si cela aidera la Cour et si cela causera un préjudice grave ou important aux autres parties. Cette cour a accordé l'autorisation de déposer un affidavit en réponse lorsque l'autre partie ne pouvait pas prévoir que la partie adverse présenterait de nouveaux éléments de preuve (Abbott Laboratories Ltd. c. Nu-Pharm Inc., [1997] A.C.F. no 1658 (1re inst.); Eli Lilly & Co. c. Apotex Inc. (1997), 137 F.T.R. 226 et Abbott Laboratories Ltd. c. Apotex Inc., [1997] A.C.F. no 1659 (1re inst.) au par. 7). En l'espèce, le juge qui présidera l'audience relative au contrôle judiciaire, à l'aide de l'affidavit déposé en réponse et des contre-interrogatoires, sera mieux placé pour déterminer si la décision du sous-ministre délégué était celle qu'il fallait prendre.

[20]            En outre, les juges de la Cour ont généralement hésité à déterminer, à un stade interlocutoire, si un nouvel élément de preuve est admissible et à se prononcer sur le poids à lui accorder. Ils estimaient que le juge de première instance serait mieux placé pour le faire. Dans la décision Kirkbi AC c. Ritvik Holdings Inc. (1998), 142 F.T.R. 308 (C.F 1re inst.), au paragraphe 16, Monsieur le juge Muldoon a mentionné avec approbation l'analyse effectuée par Monsieur le juge Joyal dans la décision Figgie International Inc. c. Citiwide Machine Wholesale Inc. (1995), 60 C.P.R. (3d) 490 (C.F. 1re inst.) :

Après avoir analysé la question, je conclus qu'une Cour rendra rarement une décision a priori sur la question de l'admissibilité de la preuve. Sauf dans les cas où les affidavits ne sont pas déposés dans les délais prescrits, ou lorsque la preuve est manifestement irrecevable, un tribunal ne prendra pas le risque de rendre une décision prématurée et préférera, comme l'expérience le démontre largement, laisser le juge des faits trancher cette question.


[21]            Je me suis reporté à ces décisions; je suis d'avis que le protonotaire n'a pas appliqué le bon critère en appréciant la preuve; les facteurs préconisés dans la décision Eli Lilly auraient dû être utilisés. Je crois que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur un mauvais principe et qu'une erreur de droit susceptible de révision a donc été commise.

[22]            Si j'applique à la présente espèce les trois facteurs établis dans la décision Eli Lilly, précitée, je considère que les renseignements contenus dans l'affidavit complémentaire touchent l'intérêt de la justice parce qu'ils permettent à la demanderesse d'illustrer son argumentation et permettraient peut-être de mieux la comprendre. Je crois que l'avocat devrait si possible avoir à sa disposition tous les outils qui lui sont utiles pour présenter sa cause.

[23]            Une lecture minutieuse du projet d'affidavit complémentaire et des pièces qui y sont jointes me permet également de conclure que ces nouveaux renseignements seront en fin de compte utiles au juge de première instance lorsqu'il rendra une décision définitive parce qu'ils semblent constituer un exemple de la procédure de nomination et de la structure de responsabilisation de la SCP auprès du ministre responsable.

[24]            Enfin, le défendeur n'allègue aucun préjudice.

[25]            Par conséquent, il a été satisfait aux trois facteurs; l'affidavit complémentaire et les pièces qui y sont jointes devraient faire partie des deux dossiers de la demande.


                                              ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

-           La décision du protonotaire en date du 8 novembre 2002 est infirmée;

-           La demanderesse est autorisée à déposer l'affidavit complémentaire de M. Price dans les deux instances;

-           La requête est accueillie, sans qu'aucuns dépens soient adjugés.

                                                                                                 « Simon Noël »               

                                                                                                                 Juge                       

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                               COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                          SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                            AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                   T-1900-00

INTITULÉ :                                  La Société canadienne des postes

et

Le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :            Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :          le 12 décembre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                    MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL

DATE DES MOTIFS :                 le 24 décembre 2002

COMPARUTIONS :

M. Ronald D. Lunau                        POUR LA DEMANDERESSE

Phuong T.V. Ngo

M. Christopher Rupar                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling, Lafleur, Henderson           POUR LA DEMANDERESSE

Ottawa (Ontario)

Ministère de la Justice                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


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