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Recueil des arrêts de la Cour fédérale
Martin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.F.) [2005] 3 C.F. 615

Date : 20050117

Dossier : IMM-472-04

Référence : 2005 CF 60

Québec (Québec), le 17 janvier 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUC MARTINEAU

ENTRE :

                                                  CLAUDETTE MARRI MARTIN

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La présente demande de contrôle judiciaire, déposée en vertu de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), porte sur une décision de la Section d'appel de l'immigration (la Section d'appel) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR). Par cette décision, en date du 19 décembre 2003, la Section d'appel a conclu que l'appel déposé par la demanderesse devait être rejeté pour défaut de compétence.


CONTEXTE FACTUEL ET LÉGAL

[2]                La demanderesse, Claudette Marri Martin (alias Avis Petronella Creary), n'est pas citoyenne canadienne. Née en Jamaïque, elle est arrivée au Canada en 1983, à l'âge de 31 ans, et il semble qu'elle réside ici depuis cette date. Ceci étant dit, ce n'est que le 9 décembre 1991 qu'elle est devenue résidente permanente. Elle a reçu le droit d'établissement au Canada suite au parrainage de sa mère, Phyllis Francis, qui est citoyenne canadienne. La demanderesse est la mère de trois enfants, dont deux (Natasha Jackson, 30 ans et Rowan Gordon, 12 ans) sont nés au Canada et sont citoyens canadiens. Il semble que Rowan vit avec sa mère. En mars 1999, la demanderesse a été arrêtée en possession d'un faux passeport alors qu'elle tentait d'importer de la cocaïne en provenance de la Jamaïque. En avril 2002, elle a été déclarée coupable d'importation de cocaïne au Canada, en contravention du paragraphe 6(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19, (la Loi réglementant certaines drogues et autres substances) et elle a été condamnée à trois ans de prison. Elle a aussi été déclarée coupable de l'infraction prévue à l'article 405 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46 (le Code criminel) (reconnaissance d'un instrument sous un faux nom), infraction pour laquelle elle a été condamnée à six mois de prison, à servir concurremment. Suite à cette condamnation, la demanderesse a d'abord passé six mois en prison et ensuite six mois en maison de transition. Elle a été libérée depuis.


[3]                Le paragraphe 36(1) de la LIPR prescrit que :


36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

36. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

a) être déclaré coupable au Canada d'une infraction à une loi fédérale punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins dix ans ou d'une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

b) être déclaré coupable, à l'extérieur du Canada, d'une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins dix ans;

(b) having been convicted of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years; or

c) commettre, à l'extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins dix ans.

(c) committing an act outside Canada that is an offence in the place where it was committed and that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years.



[4]                La Section de l'immigration de la CISR a tenu une enquête en vertu du paragraphe 44(2) de la LIPR et, au vu de la preuve au dossier, elle a conclu que la demanderesse était une personne décrite à l'alinéa 36(1)a). Dans un tel cas, l'alinéa 45d) prescrit la prise d'une mesure de renvoi. En conséquence, le 9 octobre 2002, la Section de l'immigration a pris une ordonnance d'expulsion de la demanderesse. L'alinéa 46(1)c) prescrit que la prise d'effet d'une mesure de renvoi emporte perte du statut de résident permanent. Le paragraphe 48(1) prescrit que la mesure de renvoi est exécutoire depuis sa prise d'effet dès lors qu'elle ne fait pas l'objet d'un sursis. Dans un tel cas, l'effet est immédiat puisque le paragraphe 48(2) prescrit que « [l]'étranger visé par la mesure de renvoi [...] doit immédiatement quitter le territoire du Canada » . Si l'étranger n'a pas quitté le Canada et qu'il se soustraira vraisemblablement à l'entrevue prévue pour fixer la date du renvoi, il peut être arrêté et détenu, avec ou sans mandat, sous réserve des conditions prévues à l'article 55. Finalement, l'article 52 prévoit que l'exécution de la mesure de renvoi emporte interdiction de revenir, sauf autorisation d'un agent ou dans les autres cas prévus au Règlement.

[5]                Ceci étant dit, le droit d'appel d'une décision de la Section de l'immigration suite à une enquête peut être exercé dès que la mesure de renvoi prononcée en vertu de l'article 45 peut être exécutée par le ministre. Le paragraphe 49(1) prévoit à ce sujet que la mesure de renvoi non susceptible d'appel prend effet immédiatement. Toutefois, si la mesure de renvoi est susceptible d'appel, la même disposition prévoit qu'elle ne prend effet que quand est rendue la décision qui a pour résultat le maintien définitif de la mesure. En l'espèce, la demanderesse a déposé un avis d'appel à la Section d'appel. Avant l'audition de l'appel, le ministre a déposé une requête demandant le rejet sommaire de l'appel. Le 19 décembre 2003, la Section d'appel a accueilli la requête du ministre et rejeté l'appel de la demanderesse.

LA DÉCISION CONTESTÉE

[6]                Pour l'essentiel, la décision de la Section d'appel est fondée sur sa conclusion que la sentence de trois ans d'emprisonnement infligée à la demanderesse justifie l'application de l'article 64 de la LIPR, qui est rédigé comme suit :



64. (1) L'appel ne peut être interjeté par le résident permanent ou l'étranger qui est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée, ni par dans le cas de l'étranger, son répondant.

64. (1) No appeal may be made to the Immigration Appeal Division by a foreign national or their sponsor or by a permanent resident if the foreign national or permanent resident has been found to be inadmissible on grounds of security, violating human or international rights, serious criminality or organized criminality.(2) L'interdiction de territoire pour grande criminalité vise l'infraction punie au Canada par un emprisonnement d'au moins deux ans.

(Non souligné dans l'original.)

(2) For the purpose of subsection (1), serious criminality must be with respect to a crime that was punished in Canada by a term of imprisonment of at least two years.

(My emphasis)


[7]                La demanderesse sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la Section d'appel rejetant son appel pour défaut de compétence.

LES MOTIFS PRINCIPAUX DE LA CONTESTATION

[8]                La demanderesse conteste la légalité de la décision pour deux motifs principaux, présentés de façon très détaillée à l'audience par son avocat.


[9]                La demanderesse soutient qu'elle n'est pas visée par le paragraphe 64(2) de la LIPR, puisqu'elle n'a été en prison que pendant six mois (un autre six mois étant passé dans une maison de transition). Elle soutient que la phrase du paragraphe 64(2), « punie au Canada par un emprisonnement » , se rapporte à la période passée en prison. Elle déclare que son interprétation se fonde sur le libellé d'autres dispositions de la LIPR, où l'on définit la grande criminalité. Elle renvoie notamment à l'alinéa 36(1)a), où la notion de grande criminalité vise spécifiquement les personnes déclarées coupables d'une infraction « punissable » d'un emprisonnement maximal d'au moins 10 ans, ou pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est « infligé » . Elle soutient que le législateur a voulu donner deux définitions différentes de la « grande criminalité » dans la LIPR, sans quoi il aurait simplement utilisé la même terminologie au sujet de la grande criminalité au paragraphe 64(2) qu'il avait utilisée à l'alinéa 36(1)a). Notre Cour a traité cette question très directement et rejeté un argument semblable dans Cartwright c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1024 (C.F. 1re inst.) (QL), mais la demanderesse soutient que l'interprétation adoptée dans cette affaire est erronée. Elle s'appuie sur les mots clés du Oxford English Dictionary (2nd ed, 1989) à la définition de « punish » (punir) : [traduction] « faire en sorte [...] subisse une peine; frapper d'une peine judiciaire; infliger une peine » . Elle soumet que ce sont les actes eux-mêmes qui sont la composante fondamentale du terme « punir » . Elle renvoie aussi à la distinction en droit criminel entre la « sentence » , qui est la détermination par le tribunal d'une sanction légale, alors que la « peine » s'entend du fait même d'infliger cette sanction (Commission canadienne sur la détermination de la peine, Réformer la sentence : Une approche canadienne (Ottawa : Imprimeur de la Reine, 1987), p. 110 et suiv.; R. c. McDonald (1998), 127 C.C.C. (3d) 57, aux p. 76 à 78 (C.A. Ont.); R. c. Wust, [2000] 1 R.C.S. 455, au par. 36).



[10]            Subsidiairement, la demanderesse soutient que l'article 64 est inopérant parce qu'il viole l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), (la Charte) (et qu'il n'est pas justifié par l'article premier), savoir qu'il viole son droit à la « liberté » , d'une façon qui ne respecte pas les exigences de justice fondamentale (Singh et autres c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1985] 1 R.C.S. 177; R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30; B. (R.) c. Children's Aid Society of Metropolitan Toronto, [1995] 1 R.C.S. 315). En déposant son appel, la demanderesse cherche à obtenir que la Section d'appel exerce sa compétence en equity et lui accorde l'occasion de présenter sa preuve et ses prétentions quant à sa situation personnelle. Toutefois, son appel ayant été rejeté pour défaut de compétence, elle soutient que l'application de l'article 64 de la LIPR viole son droit constitutionnel de ne pas être privée de sa _ liberté _ sauf en accord avec les principes de justice fondamentale. Ceci étant dit, l'avocat de la demanderesse a mis un bémol à cette déclaration en affirmant que la demanderesse ne prétend pas que la justice fondamentale dans l'application de l'article 7 de la Charte exige qu'on lui accorde un droit d'appel à la Section d'appel de la CISR, puisqu'il est clair que la jurisprudence de la Cour suprême ne reconnaît pas un tel droit. De plus, la demanderesse ne prétend pas que la décision dont elle veut faire appel est erronée, en droit ou en fait. Il ressort qu'elle reconnaît que l'infraction d'importation de cocaïne, prévue au paragraphe 6(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, ainsi que sa sentence de trois ans en prison, font qu'elle est interdite de territoire canadien pour grande criminalité en vertu de l'alinéa 36(1)a) de la LIPR. Elle ne prétend pas non plus que la Section de l'immigration a violé les règles de justice naturelle avant de délivrer la mesure de renvoi. En fait, elle était présente à l'enquête, mais elle semble avoir choisi de ne pas être représentée par un avocat à ce moment-là. La prétention de la demanderesse est que la justice fondamentale exige qu'une personne dans sa situation ait accès à une forme de recours pour respecter le principe de proportionnalité. Ce principe de justice fondamentale exige une évaluation de la situation personnelle de l'intéressé et de l'intérêt bien compris de tout enfant en cause, pour ensuite les pondérer avec les intérêts de l'État et ce, avant le renvoi du Canada. Ce recours peut être sous la forme de tout mécanisme raisonnable prévu par le législateur, ce qui peut comprendre ou non un appel à Section d'appel. Notre Cour a été renvoyée à l'alinéa 67(1)c) et au paragraphe 68(1) de la LIPR, qui permettent à la Section d'appel de faire droit à un appel ou de surseoir à la mesure de renvoi « sur preuve qu'il y a - compte tenu de l'intérêt supérieur de l'enfant directement touché - des motifs d'ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l'affaire, la prise de mesures spéciales » . Les voies de recours pourraient aussi comprendre une demande écrite, comme une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire. Pour que les droits en cause soient respectés, il est important que la demande soit complétée et fasse l'objet d'une décision avant l'exécution de la mesure de renvoi. La demanderesse soutient qu'à l'heure actuelle il n'existe pas de recours de cette nature sous le régime de renvoi prévu dans la LIPR. En fait, elle soutient que rien ne permet d'obtenir le report d'une mesure de renvoi pendant l'examen d'une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire, sauf l'exercice du pouvoir discrétionnaire de l'agent chargé du renvoi.

L'INTERPRÉTATION DES TEXTES DE LOI EN CAUSE

[11]            Je suis arrivé à la conclusion que toute personne interdite de territoire pour grande criminalité, savoir pour une infraction punie au Canada par un emprisonnement d'au moins deux ans, ne peut interjeter appel au vu de la restriction de ce droit prévue au paragraphe 64(2) de la LIPR.


[12]            Dans Cartwright, précité, notre Cour s'est penchée sur la définition de « grande criminalité » au paragraphe 64(2), en comparaison avec le régime de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (l'ancienne Loi sur l'immigration), au vu du sens ordinaire et grammatical des termes du paragraphe 64(2), et compte tenu du libellé différent de l'alinéa 36(1)a). Dans Cartwright, précité, la juge Heneghan déclare que :

Le libellé du paragraphe 64(2) n'est pas des plus limpides. Il énonce qu'une personne tombe sous le coup de la définition du terme « grande criminalité » et perd ses droits d'appel à la SAI lorsqu'elle a perpétré une « infraction punie » au Canada « par un emprisonnement d'au moins deux ans » . Le mot « punie » se distingue nettement des termes employés dans les dispositions sur la non-admissibilité de l'ancienne Loi, selon lesquelles la peine maximale d'emprisonnement susceptible d'être infligée pour une infraction donnée constituait souvent le facteur déterminant (paragraphes 19(1) et (2) de l'ancienne Loi).

                                                                     [...]

Selon l'interprétation des termes du paragraphe 64(2) dans leur « sens ordinaire et grammatical » , c'est la peine réellement infligée au Canada qui est déterminante. Les termes préliminaires de la version anglaise du paragraphe 64(2), « For the purpose of subsection 1 [...] » , me donnent à penser qu'il faut lire cette disposition indépendamment de l'alinéa 36(1)a) de la LIPR, dont le texte définit la grande criminalité pour les besoins de la non-admissibilité et se fonde sur les peines susceptibles de punir une infraction.

                                                                     [...]

Bien que le paragraphe 64(2) ne puisse être interprété selon les mêmes paramètres que ceux applicables à l'alinéa 36(1)a) de la LIPR et que la définition qui y est donnée soit différente de la définition de la criminalité prévue par l'ancienne Loi, j'estime que l'interprétation avancée par le demandeur est inacceptable. C'est la durée de la peine d'emprisonnement infligée qui est précisée au paragraphe 64(2) et non la durée de la période réellement passée en prison avant l'octroi de la libération conditionnelle.

                                                                     [...]

« Punir » une personne pour une infraction consiste à lui infliger une sanction judiciaire, à la condamner à une peine se rapportant au crime à l'égard duquel la déclaration de culpabilité a été prononcée. À mon avis, cette définition du terme « punir » étaye l'interprétation voulant que le demandeur ait été « puni » au moment du prononcé de sa sentence, lorsque la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse l'a déclaré coupable et condamné [le demandeur dans cette affaire] à une peine d'emprisonnement de quatre ans dans un pénitencier fédéral.


[13]            Plus loin dans ses motifs, la juge Heneghan ajoute, pour expliquer encore davantage pourquoi la Cour ne peut adopter l'argument repris par la demanderesse en l'espèce, que :

La peine prononcée contre le demandeur est un emprisonnement d'une durée de quatre ans, non de dix mois. Même si le fait qu'il a été libéré conditionnellement le plus tôt possible, après dix mois environ, permet de penser qu'il ne constituait pas un risque considérable pour la société, cela ne change rien au fait qu'il a été puni par une peine d'emprisonnement d'au moins deux ans pour un crime au Canada.

L'admissibilité à la libération conditionnelle est régie par la partie II de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20. Par ailleurs, il existe différentes sortes de libertés conditionnelles, lesquelles s'assortissent de conditions variables. Si l'interprétation du paragraphe 64(2) offerte par le demandeur est admise, la durée de l' « emprisonnement » , au sens où ce mot est employé dans la LIPR, serait déterminée par la Commission nationale des libérations conditionnelles ou les commissions des libérations conditionnelles provinciales, selon le cas, plutôt que par les juridictions pénales lors du prononcé de la sentence.

                                                                     [...]

À mon sens, le paragraphe 64(2) renvoie à l'emprisonnement auquel le contrevenant a été condamné, c'est-à-dire la peine infligée, plutôt qu'à la période réellement passée en prison avant l'obtention de la libération conditionnelle.


[14]            La demanderesse conteste le raisonnement adopté par notre Cour dans Cartwright, précité, et suggère une analyse différente du sens reçu pour le terme « punish » (punir) par rapport à celle adoptée par la juge Heneghan, en s'appuyant sur la distinction faite en droit criminel entre la sentence et la peine. Nonobstant l'argumentation sérieuse de son avocat, je ne peux adopter l'interprétation avancée par la demanderesse. Lorsque les termes du paragraphe 64(2) sont replacés dans leur contexte global, non seulement en suivant leur sens ordinaire et grammatical mais aussi pour qu'ils s'harmonisent avec l'esprit et l'objet de la LIPR (Rizzo et Rizzo Shoes Ltd (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au par. 21), on ne peut raisonnablement leur donner un autre sens que celui qui renvoie à la longueur de la sentence prononcée et non à celle de la période réellement passée en prison.

[15]            Ce n'est pas tant les mots utilisés dans les versions anglaise et française du paragraphe 64(2) qui importent ( « l'infraction punie au Canada par un emprisonnement d'au moins deux ans » et « a crime that was punished in Canada by a term of imprisonment of at least two years » ), mais plutôt les concepts qu'ils désignent. Les expressions « infraction punie » en français et « crime punished » en anglais, utilisées au paragraphe 64(2), doivent être opposées aux expressions « infraction punissable » en français et « offence punishable » en anglais, utilisées au paragraphe 36(1). De la même manière, l'alinéa 36(1)a) se rapporte à des concepts différents : 1) la sentence maximale prévue par une loi et 2) la période à purger en prison fixée par la sentence. Dans ce contexte, les expressions « infraction punissable » en français et « offence punishable » en anglais, utilisées pour la première de ces deux réalités, doivent être opposées aux expressions « emprisonnement infligé » en français et « imprisonment imposed » en anglais, utilisées pour la seconde. Le législateur a utilisé des libellés différents dans l'alinéa 36(1)a) et dans le paragraphe 64(2) de la LIPR pour atteindre des objectifs différents.


[16]            Premièrement, nonobstant le fait qu'il a été condamné à moins de six mois de prison, un résident permanent ou un étranger sera interdit de territoire pour grande criminalité si l'infraction en cause est punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins 10 ans. Deuxièmement, nonobstant le fait qu'il a été condamné au Canada pour une infraction punissable d'un emprisonnement maximal de moins de 10 ans, un résident permanent ou un étranger sera interdit de territoire pour grande criminalité si on lui a infligé une peine d'emprisonnement de plus de six mois (alinéa 36(1)a)). Par ailleurs, tout en désirant élargir les motifs justifiant l'interdiction de territoire, le législateur n'a pas voulu limiter le droit d'appel en cas d'infractions non visées par le paragraphe 64(2), qui porte sur « l'infraction punie au Canada par un emprisonnement d'au moins deux ans » . En contexte, ce libellé ne peut viser que la sentence prononcée au Canada. En fait, le paragraphe 64(2) exclut spécifiquement le résident permanent déclaré coupable d'une infraction commise hors du Canada, et ce même si l'autorité étrangère a imposé une peine d'emprisonnement de deux ans ou plus. Dans un tel cas, bien que le résident permanent soit interdit de territoire en vertu de l'alinéa 36(1)b) (lorsqu'un même acte commis au Canada constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins 10 ans), il conserve néanmoins son droit d'appel.


[17]            La distinction qui a pu s'établir entre les mots « peine » et « sentence » dans le contexte du droit criminel ne permet pas de trancher la présente affaire. La question consistait à savoir si les tribunaux pouvaient déduire le temps que le prévenu avait passé en détention avant le procès et le prononcé de la sentence, si l'effet d'une telle déduction était de ramener la sentence prononcée par le tribunal à une période plus courte que le minimum prévu par la loi. C'est dans ce contexte qu'on a demandé aux tribunaux de trancher la question de savoir si la période de détention avant le prononcé de la sentence constituait une « peine » . L'alinéa 344a) prescrit une peine minimale de quatre ans d'emprisonnement pour vol qualifié, s'il y a usage d'une arme à feu, alors que le paragraphe 719(3) du Code criminel autorise le tribunal à prendre en compte toute période passée sous garde pour fixer la peine à infliger. Une stricte interprétation croisée de ces deux dispositions tendrait à indiquer que le crédit pour la période d'emprisonnement avant le prononcé de la sentence ne peut venir diminuer une peine minimale, puisque ce serait contraire au concept même de peine minimale. Eu égard au principe général d'interprétation législative énoncé dans l'arrêt Rizzo et Rizzo Shoes Ltd. (Re), précité, la Cour suprême du Canada a réitéré, dans l'arrêt R. v. Wust, précité, que le concept de peine minimale doit être replacé dans le contexte plus général du régime de détermination de la peine. Durant la période passée sous garde, le détenu est en prison et souvent dans un environnement plus dur que ce qui sera prévu au prononcé de la peine. De plus, les peines minimales sont _ réduites _, comme toutes les autres, et souvent sous le minimum prévu. C'est pourquoi la Cour suprême a adopté une interprétation plus large du terme anglais « punishment » .

[18]            Dans l'arrêt R. c. Wust, précité, la juge Arbour a parlé de la distinction entre les mots anglais « sentence » et « punishment » , soulignée par le juge Rosenberg dans l'arrêt R. c. McDonald, précité. Elle ajoute à ce sujet :


Bien que cette distinction soit utile, elle n'est pas, selon moi, essentielle pour étayer la conclusion que le par. 719(3) peut être appliqué à l'al. 344a). Il n'y a pas, dans la version française, de distinction similaire dans le texte des deux articles. En français, l'expression « la peine » est utilisée indistinctement pour rendre « punishment » (al. 344a)), « sentencing » (note marginale de l'art. 718.2) et « sentence » (aux art. 718.2 et 719). Cependant, le mot « punishment » est utilisé à deux reprises au par. 718.3(1), où il est rendu, en français, par les expressions « de peine » dans le premier cas et « la punition » , plus loin dans la même phrase. Ce n'est pas tant les mots utilisés dans les versions française et anglaise qui importent, mais plutôt les concepts qu'ils désignent.

(Non souligné dans l'original.)

(R. c. Wust, précité, au par. 36)

[19]            En droit criminel, les mots « punition » en français et « punishment » en anglais peuvent s'appliquer à la « sentence » (peine) à imposer. En fait, l'article 718.3 du Code criminel utilise l'expression française « la punition à infliger » , et en anglais « the punishment to be imposed » , en parlant des peines et de la discrétion du tribunal à cet égard. Comme le déclare le juge Pinard dans Atwal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 63 (C.F.) (QL) : « En adoptant l'article 64 de la LIPR, le législateur a voulu établir une norme objective de criminalité au regard de laquelle un résident permanent perd son droit d'appel. On peut présumer que le législateur était au courant du fait que, conformément à l'article 719 du Code criminel, la période de détention présentencielle est prise en considération lors de la détermination des peines. » Par conséquent, comme le confirme la jurisprudence, appliquer l'article 64 de la LIPR en faisant abstraction de la période de détention présentencielle lorsque cette période a été expressément prise en compte dans la détermination de la peine serait contraire à l'intention qu'avait le législateur lors de l'adoption de cet article (Atwal, précité; Allen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 5 mai 2003, IMM-2439-02; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Smith, 2004 CF 63, [2004] A.C.F. no 2159 (C.F.) (QL)).


[20]            La présente affaire est clairement à distinguer d'autres. Par exemple, dans Atwal, précité, le prévenu avait été déclaré coupable relativement à deux chefs d'accusation de vol qualifié et à un chef d'accusation d'usage d'une fausse arme à feu. L'accusé avait déjà passé 20 mois en détention au moment du prononcé de la sentence. Le mandat de dépôt prescrivait une peine d'emprisonnement additionnelle de six mois, en sus de la période de 20 mois de détention précitée (comptée comme trois ans et demi), pour un total de quatre ans. Il n'y a donc aucun doute que dans l'affaire Atwal, précitée, l'intéressé avait été déclaré coupable d'une infraction punie au Canada par un emprisonnement d'au moins deux ans. Il n'avait donc aucun droit d'appel au vu du paragraphe 64(2) de la LIPR. En l'espèce, il n'est pas question d'emprisonnement avant le prononcé de la sentence. De plus, selon moi on ne peut dire que la demanderesse ne s'est pas vu infliger trois ans d'emprisonnement, puisque c'est la sentence qui a été prononcée. En fait, la demanderesse pourrait être emprisonnée à nouveau si elle viole les conditions de sa libération conditionnelle avant que la période de trois ans ne soit terminée. Bien que la demanderesse ait obtenu sa libération conditionnelle avant d'avoir purgé toute la peine qui lui avait été infligée, soit trois ans d'emprisonnement, je ne peux conclure qu'en adoptant le paragraphe 64(2) le législateur a voulu que ce soit la décision en matière de libération conditionnelle qui constitue le facteur déterminant pour le droit d'appel dans un cas de grande criminalité (Cartwright, précité).


[21]            En conclusion, le paragraphe 64(2) doit être interprété par rapport à la période d'emprisonnement prévue par la sentence plutôt que par rapport à la période passée en prison avant la libération conditionnelle. Par conséquent, la Section d'appel n'avait pas compétence pour entendre l'appel de la demanderesse.

L'APPLICATION DE LA CHARTE

[22]            La demanderesse ne conteste pas la constitutionnalité des articles 36, 44, 45, 46, 48 et 49 de la LIPR, non plus que la légalité de la mesure d'expulsion. Son avis de question constitutionnelle porte uniquement sur l'application ou l'effet du paragraphe 64(2), en ce qu'il violerait l'article 7 de la Charte. Par conséquent, la question de l'application de la Charte peut être énoncée comme suit : la Constitution autorise-t-elle qu'on enlève le droit d'appel à la Section d'appel d'une mesure de renvoi visant un résident permanent qui a été déclaré interdit de territoire par la Section de l'immigration pour grande criminalité en raison d'une infraction punie au Canada par un emprisonnement d'au moins deux ans?

[23]            L'article 7 de la Charte est rédigé comme suit :


7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

7. Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.



[24]            L'analyse en vertu de l'article 7 de la Charte peut se faire en deux temps. Il faut constater d'abord qu'il a été porté atteinte au droit « à la vie, à la liberté et à la sécurité [d'une] personne » et, le cas échéant, il faut déterminer si cette atteinte est contraire aux principes de justice fondamentale (R. c. Beare, [1988] 2 R.C.S. 387, au par. 68). Par conséquent, si la vie, la liberté ou la sécurité de la personne n'est pas en cause, l'analyse en vertu de l'article 7 prend fin. Ceci étant dit, la « liberté » ne s'entend pas uniquement de l'absence de contrainte physique; elle est en cause lorsque des contraintes ou des interdictions influent sur « les choix importants et fondamentaux qu'une personne peut faire dans sa vie » (Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307, au par. 49).

[25]            En l'espèce, en cas de violation de l'article 7 de la Charte, il faudrait alors procéder à la question de savoir si l'article 64 de la LIPR est justifié au titre de l'article premier. Pour les motifs qui suivent, et comme l'arrêt Chiarelli c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711, fait toujours autorité, j'arrive à la conclusion que la suppression du droit d'appel dans le cadre du paragraphe 64(2) n'est pas contraire aux principes de justice fondamentale. Cette conclusion ne change pas, même si je devais supposer aux fins de la discussion que le droit à la « liberté » de la demanderesse est mis en cause par l'application de la disposition légale contestée.


1)          L'article 7 de la Charte est-il en cause?

[26]            La jurisprudence sur la question de savoir si une mesure de renvoi enclenche l'application de l'article 7 de la Charte n'est pas univoque.

[27]            Dans l'arrêt Chiarelli c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1990] 2 C.F. 299 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a jugé que l'expulsion met nécessairement en cause l'article 7 de la Charte. En infirmant la décision pour d'autres motifs, la Cour suprême n'a pas jugé nécessaire de traiter cette question. Par ailleurs, deux autres décisions de la Cour d'appel fédérale, Romans c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1416 (C.A.F.) (QL) et Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 366 (C.A.F.) (QL), ne permettent pas de trancher cette question, puisque la Cour d'appel fédérale n'a fait que supposer que l'article 7 était applicable. Par conséquent, elle n'a pas selon moi réglé la question pour de bon.


[28]            Par ailleurs, on a jugé que l'expulsion pour des infractions graves n'est ni une privation de « liberté » au sens de l'article 7 de la Charte, ni une « peine » au sens de l'article 12 de la Charte. On a aussi jugé qu'une mesure d'expulsion motivée par la perpétration d'une infraction grave ne viole pas l'article 7 de la Charte et que la suppression du droit d'appel à la Section d'appel d'une mesure d'expulsion prise contre un non-réfugié auquel la loi ne reconnaît pas le droit d'être au Canada n'entraîne pas une perte de « liberté » (Canepa c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 3 C.F. 270 (C.A.F.); Hurd c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 594 (C.A.F.); Hoang c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] A.C.F. no 1096 (C.A.F.) (QL); Williams c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1997] 2 C.F. 646, au par. 15 (C.A.F.); Kroon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 857 (C.F.) (QL)).

[29]            En fait, dans l'arrêt Canepa, précité, la Cour d'appel fédérale a déclaré, à la page 277, que ses décisions antérieures (Hurd et Hoang, précités) lui interdisaient d'admettre tout argument à ce sujet fondé sur une violation de l'article 7. Toutefois, dans l'arrêt Grewal c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 581 (C.A.F.), aux pages 588 et 589, la Cour d'appel fédérale semble être arrivée à la conclusion que l'expulsion d'un résident permanent déclaré coupable d'une infraction criminelle met en cause l'article 7 de la Charte, puisqu'elle a examiné la question de savoir si les principes de justice fondamentale avaient été observés à son égard. De plus, dans l'arrêt Nguyen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 1 C.F. 696 (C.A.F.), aux pages 704 et 705, la Cour d'appel fédérale a déclaré que la perte de la liberté en cause dans toute expulsion forcée revêt une nouvelle dimension du fait que la personne qui doit être expulsée revendique le statut de réfugié. Par conséquent, on peut à bon droit supposer que l'article 7 de la Charte entre en jeu dans le cadre du régime global.


[30]            Ceci étant dit, depuis lors la Cour suprême du Canada a rendu l'arrêt Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307, où la cour, à la majorité, elle déclare que l'article 7 de la Charte doit être interprété de façon libérale et que le droit à la liberté ne s'entend plus uniquement de l'absence de toute contrainte physique. Elle déclare aussi que, dans notre société libre et démocratique, chacun a le droit de prendre des décisions d'importance fondamentale sans intervention de l'État.

[31]            Peu de temps après que la Cour suprême eut rendu l'arrêt Blencoe, précité, le juge Gibson, dans l'affaire Al Yamani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 3 C.F. 433, [2000] A.C.F. no 317 (C.F. 1re inst.) (QL) (IMM-1919-98, 14 mars 2000), a examiné la question de savoir si, au vu des faits dont il était saisi, l'article 7 était en cause. Le juge Gibson a retenu le point de vue exprimé par le juge Pratte dans l'arrêt Chiarelli, précité, que « l'expulsion entrave nécessairement la liberté [du demandeur] » , ce qui fait que l'article 7 de la Charte entre en jeu. De plus, tant dans Romans c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 740 (C.F. 1re inst.) (QL), au paragraphe 30, que dans Powell c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1120, [2004] A.C.F. no 1538 (C.F.) (QL), au paragraphe 25, notre Cour a conclu que l'expulsion met en cause l'article 7 de la Charte.


[32]            Par ailleurs, dans l'arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, la Cour suprême a jugé qu'en certaines circonstances l'article 7 peut entrer en jeu lors d'un renvoi, par exemple s'il y a expulsion vers un pays où la personne en cause risque d'être soumise à la torture. Toutefois, la présente espèce n'en est pas une où la « vie » ou la « sécurité » de la personne est en cause (voir Singh et autres, précité; Suresh, précité). La demanderesse n'est pas une réfugiée au sens de la Convention et rien dans les prétentions ou la preuve au dossier n'indique qu'il y aurait un risque pour sa vie ou sa sécurité si elle était renvoyée en Jamaïque. En fait, depuis qu'elle a été admise au Canada, elle est retournée en Jamaïque quelques fois.


[33]            Si l'un des droits prévus à l'article 7 de la Charte est en jeu, cela ne peut être que celui de la « liberté » de la demanderesse, selon la définition libérale que la Cour suprême a donné à ce terme dans l'arrêt Blencoe, précité. À ce sujet, l'on soutient que la délivrance d'une mesure d'expulsion prise en bonne et due forme et légalement exécutoire, par l'application des articles 46, 48 et 49 de la LIPR, fait que la demanderesse ne peut prendre la décision d'importance fondamentale de demeurer au Canada. En plus de perdre son statut de résident permanent, d'être séparée de sa famille et d'être interdite de territoire au Canada, on soutient que la suppression de l'appel et l'exécution de la mesure de renvoi auront comme conséquence directe la perte des droits de travailler, d'étudier et d'obtenir les soins de santé financés par l'État. Or, ce sont là tous des droits qui sont acquis aux personnes ayant le statut de résident permanent au Canada. Toutes ces conséquences défavorables découlent normalement d'une expulsion. Toutefois, je note que dans Nokhodchari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1075 (C.F. 1re inst.) (QL), où il a été mis fin à l'appel du demandeur aux termes de l'article 196 de la LIPR (décision rendue par notre Cour avant la décision de la Cour d'appel fédérale dans Medovarski, précité), le juge Blais déclare « que la question n'est pas de savoir si l'expulsion déclenche l'application de l'article 7 de la Charte mais plutôt si la suppression, par voie législative, d'un appel prévu devant la SAI déclenche l'application de l'article 7 » (Non souligné dans l'original.). Ceci étant dit, aux fins de la présente demande de contrôle judiciaire, je vais supposer que l'article 7 de la Charte est en cause suite à la suppression du droit de la demanderesse d'en appeler à la Section d'appel de la décision de la Section de l'immigration d'ordonner son expulsion (Medovarski, précité, au par. 58).

2)          La privation du droit d'appel est-elle contraire aux principes de justice fondamentale?


[34]            Bien que l'espèce présente porte uniquement sur la constitutionnalité de la disposition légale que l'on trouve à l'article 64 de la LIPR, qui supprime le droit d'appel à la Section d'appel, je vais néanmoins examiner la position adoptée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Chiarelli, précité, au sujet de la légalité du régime global d'expulsion contenu dans les textes de loi antérieurs. Avant de procéder, toutefois, je dois souligner que même si la LIPR peut avoir élargi quelque peu les motifs d'interdiction de territoire (maintenant prévus aux articles 34 à 40 de la LIPR) pour y inclure des infractions non mentionnées dans l'article 19 de l'ancienne Loi sur l'immigration, les objectifs visés par le législateur n'ont pas changé et les moyens de les atteindre sont restés essentiellement les mêmes. Après l'établissement du Constat d'interdiction de territoire et sa transmission au ministre, il y a toujours une enquête pour déterminer si le résident permanent fait partie d'une catégorie de personnes interdites de territoire (enquête où l'ancien arbitre a été remplacé par un membre de la Section de l'immigration). Ceci étant, l'article 70 de l'ancienne Loi sur l'immigration accordait un droit d'appel général d'une ordonnance d'expulsion à la Section d'appel, sous réserve du droit du pouvoir exécutif de le supprimer pour des raisons graves liées à la sécurité. Ce droit a été fondamentalement modifié dans le régime actuel, où le droit d'appel du résident permanent (ou de l'étranger) qui est interdit de territoire pour raison de sécurité (article 34), atteinte aux droits humains ou internationaux (article 35) ou criminalité organisée (article 37), a carrément été supprimé par le paragraphe 64(1). De la même façon, la LIPR restreint maintenant le droit d'appel en cas d'interdiction de territoire pour grande criminalité (article 36), par l'introduction d'une distinction entre l'infraction punie au Canada par un emprisonnement d'au moins deux ans (le droit d'appel est supprimé en vertu des paragraphes 64(1) et (2)), et l'infraction punie par une peine plus courte (le droit d'appel est prévu aux paragraphes 63(3) et 64(2)).


[35]            Ceci étant dit, dans l'arrêt Chiarelli, précité, la Cour suprême devait répondre à la question suivante : les articles 27 et 32 de la Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52 (la Loi sur l'immigration de 1976), qui étaient semblables aux articles 44 et 45 de la LIPR, violaient-ils les principes de justice fondamentale en ce qu'ils étaient impératifs et exigeaient que l'arbitre ordonne l'expulsion indépendamment des circonstances de l'infraction ou du contrevenant. Dans l'arrêt Chiarelli, précité, la Cour suprême insiste sur le fait que pour déterminer la portée des principes de justice fondamentale en tant qu'ils s'appliquent à l'espèce, la Cour doit tenir compte des principes et politiques qui sous-tendent le droit de l'immigration. À ce sujet, le principe le plus fondamental du droit de l'immigration veut que les non-citoyens n'aient pas un droit absolu d'être au pays ou d'y demeurer. En fait, la distinction entre citoyen et non-citoyen est reconnue dans la Charte même. Bien que le paragraphe 6(2) de la Charte accorde aux résidents permanents le droit de se déplacer dans tout le pays, et d'établir leur résidence et de gagner leur vie dans toute province, seuls les citoyens se voient garantir le droit « de demeurer au Canada, d'y entrer ou d'en sortir » , par le paragraphe 6(1). Par conséquent, le droit absolu de demeurer au Canada reconnu par le paragraphe 6(1) de la Charte n'a pas d'application en l'espèce, la demanderesse n'étant pas citoyenne canadienne.


[36]            Dans l'arrêt Chiarelli, précité, la Cour suprême a ajouté que le Parlement a le droit d'adopter une politique en matière d'immigration et de légiférer pour prescrire les conditions à remplir par les non-citoyens pour qu'il leur soit permis d'entrer au Canada et d'y demeurer. L'applicabilité et la constitutionnalité du régime légal général établi par la LIPR ne sont pas en cause en l'espèce. Dans les circonstances, je suis convaincu que les conditions susmentionnées traduisent un choix légitime et non arbitraire fait par le législateur d'un cas où il n'est pas dans l'intérêt public de permettre à un non-citoyen de rester au pays. Tant l'alinéa 19(1)c) de l'ancienne Loi sur l'immigration (en vigueur au moment où la demanderesse a été déclarée coupable d'importation de cocaïne), que l'alinéa 36(1)a) de la LIPR, prévoient comme condition du maintien au Canada d'un résident permanent qu'il n'ait pas été déclaré coupable au Canada d'une infraction à une loi fédérale punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins 10 ans. L'importation de cocaïne au Canada est un acte criminel qui rend le contrevenant passible de l'emprisonnement à perpétuité (paragraphe 6(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances). En l'espèce, la demanderesse a été déclarée interdite de territoire pour grande criminalité, conclusion qui n'est pas contestée.

[37]            En l'espèce, comme l'affirme la Cour suprême dans l'arrêt Chiarelli, précité, mettre effectivement fin au droit du résident permanent de demeurer au Canada ne va nullement à l'encontre de la justice fondamentale. En fait, dans le cas du résident permanent, seule l'expulsion permet d'atteindre ce résultat (Chiarelli, précité, au par. 27). Je vais néanmoins me pencher sur la question de savoir si l'article 64 de la LIPR est incohérent avec l'article 7 de la Charte, du fait qu'il établit un processus qui prive le demandeur de son droit d'appel de la mesure d'expulsion en vertu de l'un des motifs énoncés au paragraphe 67(1) de la LIPR, et ce contrairement aux principes de justice fondamentale.


[38]            Bien que la demanderesse soit privée, par l'application du paragraphe 64(2) de la LIPR, du droit d'en appeler à la Section d'appel pour obtenir l'annulation de la décision de la Section de l'immigration, notamment au motif qu'elle est erronée en droit ou en fait ou qu'il y a eu manquement à un principe de justice naturelle (alinéas 67(1)a) et b)), je constate que les mêmes motifs, ou à peu près, peuvent néanmoins être invoqués par la demanderesse à l'appui d'une demande de contrôle judiciaire par notre Cour, en vertu de l'article 72 de la LIPR (voir les motifs prévus au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7). À mon avis, le droit de présenter une telle demande d'autorisation et de contrôle judiciaire permet de protéger adéquatement un résident permanent face à une décision de la Section de l'immigration qui serait erronée en droit ou en faits. Par conséquent, il n'y a pas violation d'un principe de justice fondamentale lorsqu'on supprime un droit d'appel pour de tels motifs.

[39]            Par conséquent, la question consiste à savoir si les principes de justice fondamentale exigent autre chose que le droit de présenter une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de la légalité d'une décision de la Section de l'immigration, pour des motifs de faits et de droit. La demanderesse soutient à cet égard que la justice fondamentale exige qu'une personne dans sa situation ait une voie de recours, dans le respect du principe de proportionnalité. Un appel à la Section d'appel fondé sur des motifs d'ordre humanitaire pourrait constituer un tel recours. Cet argument est aussi voué à l'échec. La Constitution ne garantit pas un droit d'appel. Comme la Cour d'appel fédérale en a décidé dans l'arrêt Canada (Secrétaire d'État) c. Luitjens (C.A.F.), [1992] A.C.F. no 319 (C.A.F.) (QL), « [i]l est loisible au Parlement de refuser constitutionnellement le droit d'appel. Les principes de justice fondamentale n'obligent pas à tenir des audiences et des appels interminables à chacune des étapes d'une procédure » .

[40]            Nonobstant le fait que l'alinéa 72(1)b) de la Loi sur l'immigration de 1976 prévoyait un droit d'appel au motif que, compte tenu « des circonstances de l'espèce » , la personne en cause ne devrait pas être renvoyée du Canada, la Cour suprême a jugé, dans l'arrêt Chiarelli, précité, que l'article 7 de la Charte ne commandait pas que soit accordée la possibilité d'un appel fondé sur des motifs de compassion. Voici ce que dit le juge Sopinka à ce sujet, s'exprimant au nom de la Cour, aux paragraphes 41 et 42 :


Il est donc évident qu'un droit universel d'interjeter contre une ordonnance d'expulsion un appel fondé sur les « circonstances de l'espèce » n'a jamais existé. Cet appel a toujours été purement discrétionnaire. Quoique ce moyen d'appel soit maintenant prévu par la loi, l'exécutif conserve toujours le pouvoir d'empêcher qu'un appel fondé sur ce moyen soit accueilli dans des cas mettant en cause de graves questions de sécurité.

Si un droit d'interjeter appel de l'ordonnance d'expulsion visée au par. 32(2) s'impose pour que soient respectés les principes de justice fondamentale, alors une telle exigence est manifestement remplie par un appel véritable dans le cadre duquel des moyens de fait et de droit peuvent être invoqués pour contester la décision du premier palier. L'absence d'un appel fondé sur des moyens dont la portée est plus large que celle des motifs sur lesquels reposait la décision initiale ne constitue pas une violation de l'art. 7.


[41]            Ceci dit, la demanderesse soutient toutefois que l'obiter dictum de l'arrêt Chiarelli, précité, portant sur le renvoi d'un résident permanent du Canada a été atténué par des décisions plus récentes de la Cour suprême. La demanderesse fait remarquer à ce sujet que dans l'arrêt Chiarelli, précité, le juge Sopinka s'est appuyé de façon importante sur les motifs des juges LaForest et McLachlin (maintenant juge en chef) dans l'arrêt Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779. La demanderesse soutient que ces motifs utilisent une approche contextuelle pour examiner la justice fondamentale au vu de l'article 7. Même si l'on y parle de la pondération des intérêts, il est clair qu'on a préféré l'approche contextuelle, qui implique une analyse historique du processus en cause ainsi que de l'intérêt de l'État (l'extradition en l'espèce). La demanderesse soutient de plus qu'au moment où la Cour suprême a examiné le pourvoi États-Unis c. Burns, [2001] 1 R.C.S. 283, le principe que la justice fondamentale au vu de l'article 7 exige une pondération équitable des intérêts personnels et de ceux de l'État avait été confirmé par la Cour suprême dans l'arrêt Cunningham c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 143. Ce principe étant confirmé, la Cour suprême a décidé, dans l'arrêt Burns, précité, que des éléments d'intérêt personnel, notamment le syndrome du couloir de la mort et le risque d'une déclaration de culpabilité erronée, avaient inversé la tendance de l'opinion publique si bien que maintenant le renvoi d'une personne qui risque la peine capitale choquerait la conscience. Le contexte n'était donc plus de première importance. La demanderesse soutient aussi que le principe énoncé dans l'arrêt Burns, précité, a été incorporé directement dans le droit de l'immigration par l'arrêt Suresh, précité. L'approche contextuelle est toujours pertinente, mais elle doit céder le pas à d'autres considérations importantes comme la proportionnalité et la pondération des intérêts. La demanderesse soutient aussi que la Cour d'appel fédérale a reconnu ceci implicitement dans l'arrêt Romans, précité, lorsqu'en citant l'arrêt Burns, précité, elle a décidé qu'on avait respecté les exigences fondamentales au vu de l'article 7 dans cette affaire puisque la Section d'appel de l'immigration avait procédé à la pondération des intérêts.


[42]            Quoi qu'il en soit, la Cour d'appel fédérale a décidé, en 2003, dans l'arrêt Medovarski, précité, que le fait de mettre fin à un appel d'une mesure de renvoi par l'application de l'article 196 de la LIPR (qui prescrit que, nonobstant l'article 192, il est mis fin à l'appel « si l'intéressé [...] ne fait pas l'objet d'un sursis au titre de l'ancienne loi » ), n'est pas contraire aux principes de justice fondamentale. Le juge Evans, qui a rédigé les motifs au nom de la majorité, (le juge Pelletier a rédigé des motifs dissidents, sans toutefois traiter de la question de l'article 7 de la Charte) s'est appuyé sur l'arrêt Chiarelli, précité, et réaffirmé que les principes de justice fondamentale n'exigent pas que le législateur accorde un droit d'appel pour motifs d'ordre humanitaire avant l'expulsion d'un résident permanent pour grande criminalité. Le juge Evans a aussi rejeté l'argument subsidiaire, repris par la demanderesse à la présente instance, voulant qu'en l'absence d'un droit d'appel pour motifs d'ordre humanitaire à la Section d'appel, les principes de justice fondamentale exigent néanmoins que le législateur donne au résident permanent une occasion véritable de s'opposer à la mesure de renvoi avant son exécution. Le juge Evans a fait remarquer dans cette affaire que les personnes qui sont dans la même situation que la demanderesse ont d'autres occasions de faire connaître aux fonctionnaires de l'immigration les motifs pour lesquels elles ne devraient pas être renvoyées, nonobstant leur condamnation pour infraction criminelle. En fait, aux termes du paragraphe 112(1) de la LIPR, elles ont le droit d'obtenir une évaluation des risques en cas de renvoi du Canada. De plus, elles peuvent demander un droit de séjour pour motifs d'ordre humanitaire (demande CH), en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR.

[43]            Toutefois, l'avocat de la demanderesse remet en question le raisonnement utilisé dans l'arrêt Medovarski et dans Powell, précités, et soutient que la Cour doit arriver à la conclusion que le droit de présenter une demande CH est illusoire, étant donné qu'aucune des dispositions de la LIPR qui portent sur le sursis d'une mesure de renvoi n'exige l'octroi d'un tel sursis pendant l'examen de la demande CH (Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le RIPR), et modifications, articles 230, 231, 232 et 233). De ce fait, la demanderesse soutient qu'il n'existe aucun processus prévu par la Loi ou le Règlement, autre que le pouvoir discrétionnaire de l'agent de renvoi de surseoir à l'expulsion jusqu'à ce qu'il soit statué sur la demande CH.


[44]            Bien qu'à une étape ultérieure du processus menant au renvoi de la demanderesse la question puisse se poser de savoir si l'article 7 de la Charte exige qu'il y ait un sursis jusqu'à ce que l'on ait statué sur la demande CH, notre Cour est tout à fait justifiée à cette étape de refuser d'accorder à la demanderesse une forme de déclaration ou de redressement à cet égard. La Cour n'est pas vraiment saisie de cette question en l'espèce et elle semble donc prématurée. La présente demande de contrôle judiciaire porte uniquement sur la décision de la Section d'appel de refuser d'entendre l'appel de la demanderesse. La contestation fondée sur l'article 7 de la Charte, comme on peut le constater dans l'avis de question constitutionnelle déposé et signifié par la demanderesse, vise uniquement la légalité de la disposition légale qui supprime le droit d'appel dans les cas énumérés au paragraphe 64(2) de la LIPR. En l'espèce, la demanderesse a choisi de ne pas contester la légalité de la mesure d'expulsion prise par la Section de l'immigration. Vu sa position qu'elle a un droit d'appel pour motifs d'ordre humanitaire à la Section d'appel, la demanderesse a décidé de ne pas présenter la demande CH prévue à l'article 25 de la LIPR.



[45]            La légalité d'une mesure d'expulsion délivrée par la Section de l'immigration suite à une enquête est une question différente de celle qui consiste à savoir si l'on doit surseoir à cette mesure lorsqu'elle est exécutoire. En matière de renvoi, la question du où et quand relève du ministre (Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, au par. 74). En effet, l'article 233 du RIPR porte que la décision du ministre prise au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR, selon laquelle il estime que des circonstances d'ordre humanitaire existent ou que l'intérêt public le justifie, emporte sursis de la mesure de renvoi. À ce sujet, le paragraphe 25(1) de la LIPR prévoit expressément que, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le ministre tiendra compte de l'intérêt supérieur de l'enfant directement touché. Je sais que les juges de notre Cour ne sont pas tous du même avis quant à la portée du pouvoir discrétionnaire de l'agent chargé du renvoi de surseoir au renvoi en attendant qu'on ait tranché la demande CH. J'ai moi-même déclaré que l'agent chargé du renvoi n'est pas tenu de tenir compte des considérations d'ordre humanitaire : Adviento c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 C.F. 1430, [2003] A.C.F. no 1837 (C.F.) (QL), au par. 41. Je fais remarquer que dans cette affaire il n'y avait pas d'enfant en cause et que cet obiter dictum a été prononcé dans le contexte de l'ancienne Loi sur l'immigration. Toutefois, s'alignant sur l'obiter dictum de la Cour suprême dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, le législateur a adopté depuis l'alinéa 3(3)f) de la LIPR, qui énonce clairement que cette loi doit être interprétée et mise en oeuvre de façon conforme aux instruments internationaux portant sur les droits de l'homme dont le Canada est signataire. Ceci comprend clairement la Convention relative aux droits de l'enfant, R.T. Can. 1992, no 3. En fait, dans Martinez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1695 (C.F.) (QL), où le père devait être renvoyé alors que les enfants demeuraient au Canada, la juge Simpson a ordonné le sursis de la mesure de renvoi, après que l'agent chargé du renvoi n'ait pas ordonné de sursis jusqu'à ce que l'on tranche la demande CH. La juge Simpson a déclaré à ce sujet qu' « il est contraire à l'article premier de la Convention [relative aux droits de l'enfant] d'utiliser les dispositions de la LIPR pour séparer le demandeur et ses enfants avant qu'une décision ne soit prise concernant la demande CH » . La juge Simpson a aussi conclu qu'une pareille violation des droits de la personne constitue un préjudice irréparable.

[46]            Ceci étant dit, rien dans la preuve au dossier ne vient appuyer l'allégation de la demanderesse que la présentation d'une demande au ministre serait illusoire dans le contexte de la présente affaire. La Cour suprême du Canada a réitéré maintes fois que les décisions relatives à la Charte ne doivent pas être rendues dans un vide factuel, ce qui banaliserait la Charte et produirait inévitablement des opinions mal motivées. L'énoncé d'un contexte factuel adéquat est essentiel à un bon examen des questions relatives à la Charte (Danson c. Ontario (Procureur général de l'Ontario), [1990] 2 R.C.S. 1086, à la p. 1099; MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357, aux p. 361 et 362; Bande Kitkatla c. Colombie-Britannique (Ministre des Petites et moyennes entreprises, du Tourisme et de la Culture), [2002] 2 R.C.S. 146, au par. 46). De plus, une cour est justifiée de refuser d'entendre une demande de réparation, sous forme de jugement déclaratoire ou autre, s'il est possible de recourir à une autre procédure ou si le législateur voulait que cette autre procédure soit suivie (Kourtessis c. M.R.N., [1993] 2 R.C.S. 53, à la p. 115). C'est clairement le cas ici (Medovarski, précité, aux par. 56 et 62; Powell, précité, au par. 29).

[47]            En conclusion, j'ai décidé de rejeter la demande de contrôle judiciaire. La demanderesse a proposé que je certifie les deux questions suivantes :


[traduction]

a)          Le terme « punie » , utilisé au paragraphe 64(2) de la LIPR au sujet d'un emprisonnement, renvoie-t-il à la sentence imposée ou à la période de temps passée sous garde?

b)          Le paragraphe 64(2) de la LIPR viole-t-il l'article 7 de la Charte d'une façon qui ne peut être justifiée par l'article premier de la Charte?


[48]            Bien que la première question soit quelque peu différente que celle qu'ont certifiée mes collègues Pinard et Campbell dans Awtal et Smith, précités, elle porte sur un aspect important quant à la portée de la disposition légale en cause, aspect qui n'a pas encore été tranché par la Cour d'appel fédérale. Au vu de la décision récente de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Medovarski, précité, on ne peut dire la même chose de la deuxième question, puisque dans cette dernière affaire la Cour d'appel, à la majorité, a conclu que l'article 196 de la LIPR ne viole pas les principes de justice fondamentale (le juge Pelletier, dissident, n'a pas exprimé d'avis relativement à l'article 7 de la Charte). Je ne vois pas comment le raisonnement du juge Evans, qui a rédigé les motifs de la majorité, ne pourrait pas être appliqué intégralement à l'alinéa 64(2) de la LIPR dont l'effet est le même. Ceci étant dit, je note que le juge Evans s'est appuyé de façon importante sur la décision de la Cour suprême du Canada dans Chiarelli, précité. En novembre 2004, la Cour suprême a accordé l'autorisation d'en appeler devant elle de l'arrêt Medovarski, précité. Suite à l'arrêt Medovarski, un raisonnement semblable a été adopté par le juge Gibson dans Powell, précité, où il a certifié deux questions constitutionnelles fondées sur l'article 7 de la Charte. Cette dernière affaire impliquait un résident permanent déclaré coupable d'infraction criminelle et condamné à un emprisonnement de deux ans ou plus, qui contestait la validité de l'alinéa 45d) de la LIPR ainsi que le régime général de renvoi prévu par la LIPR (ce qui comprend la suppression du droit d'appel en vertu de l'article 64). Étant donné que la Cour suprême du Canada a accordé une autorisation d'appel de l'arrêt Medovarski, précité, et que la Cour d'appel fédérale ne s'est pas encore prononcée sur les questions certifiées dans Powell, précité, je considère qu'il est préférable dans les circonstances de certifier la deuxième question proposée par la demanderesse.

[49]            En conséquence, après avoir examiné les prétentions des avocats et conclu que les questions que l'on me demande de certifier au nom de la demanderesse sont des questions graves de portée générale qui, prises comme un tout, permettraient de trancher l'appel, je suis d'accord pour les certifier.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          Que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Que les questions suivantes sont certifiées :

a)          Le terme « punie » , utilisé au paragraphe 64(2) de la LIPR au sujet d'un emprisonnement, renvoie-t-il à la sentence imposée ou à la période de temps passée sous garde?


b)          Le paragraphe 64(2) de la LIPR viole-t-il l'article 7 de la Charte d'une façon qui ne peut être justifiée par l'article premier de la Charte?

                _ Luc Martineau _                       

Juge                                 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :               IMM-472-04

INTITULÉ :               CLAUDETTE MARRI MARTIN

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              QUÉBEC (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 16 DÉCEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :                                   LE 17 JANVIER 2005

COMPARUTIONS :

Ronald Poulton                                                  POUR LA DEMANDERESSE

Marina Stefanovic                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ronald Poulton                                                  POUR LA DEMANDERESSE

Mamann & Associates

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


Dossier : IMM-472-04

ENTRE :

                          CLAUDETTE MARRI MARTIN

                                                                                    demanderesse

                                                     et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                           défendeur

LA PRÉSENTE CERTIFIE que la Cour (le juge Martineau) a prononcé l'ordonnance suivante le 17 janvier 2005 :

1.          Que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Que les questions suivantes sont certifiées :

a)          Le terme « punie » , utilisé au paragraphe 64(2) de la LIPR au sujet d'un emprisonnement, renvoie-t-il à la sentence imposée ou à la période de temps passée sous garde?


b)          Le paragraphe 64(2) de la LIPR viole-t-il l'article 7 de la Charte d'une façon qui ne peut être justifiée par l'article premier de la Charte?

____________________________

Diane Perrier

Administratrice de district

CERTIFIÉ À QUÉBEC (QUÉBEC), le 19 janvier 2005

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

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