Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision






Date : 20000128


Dossier : T-1793-98



Entre :

     ANTOINE ZARZOUR, présentement détenu

     à l'établissement Drummond

     situé au 2025, rue Jean-De-Bréboeuf,

     Drummondville, province de Québec

     Demandeur

Et:

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Défendeur


     MOTIFS D'ORDONNANCE



LE JUGE ROULEAU


[1]      Il s'agit en l'espèce d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision rendue le 5 août 1998 par M. Roy, commissaire-adjoint du Service correctionnel Canada. Cette décision maintenait la décision de M. Watkins, sous-commissaire régional du Québec, qui confirmait les décisions de la directrice du pénitencier de La Macaza d'augmenter la cote sécuritaire du requérant de faible à modéré et de le placer en isolement. Cette dernière décision maintenait également la décision du directeur du Centre régional de réception de transférer le demandeur de l'établissement La Macaza vers l'établissement de Drummond.

[2]      Le demandeur demande à la Cour d'émettre un bref de certiorari annulant les décisions du Service correctionnel et d'ordonner toute réparation que la Cour estime juste en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés.

[3]      Le 15 avril 1998, alors que le demandeur était détenu à l'établissement La Macaza au sein du Service correctionnel Canada, un vol est survenu à la cantine de l'établissement. Divers articles, principalement du tabac, ont été volés. La marchandise fut évaluée à 2 229,00$.

[4]      Le 16 avril 1998, le demandeur était placé en isolement préventif de façon involontaire pour des fins d'enquête administrative relativement au vol de la cantine du 15 avril 1998, et ce en vertu de l'alinéa 31(3)b) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (ci-après "la Loi") du fait que l'établissement possédait de l'information reliant le demandeur au complot pour ledit vol.

[5]      Le 17 avril 1998, le directeur de l'établissement a confirmé le maintien en isolement préventif du demandeur conformément à l'article 20 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

[6]      Le 20 avril 1998, le demandeur recevait une lettre l'avisant que le président de révision des cas d'isolement désirait le rencontrer au sujet du vol de la cantine et de l'enquête administrative en cours.

[7]      Le 23 avril 1998, le demandeur et certains autres détenus ont été interrogés par M. Perrault, agent de sécurité préventive, ainsi que son adjoint M. Pillette, au sujet du vol de la cantine.

[8]      Le 30 avril 1998, le demandeur recevait un document l'avisant qu'il serait rencontré à nouveau par le Comité des réexamens des cas d'isolement. Le document l'informait aussi que l'enquête administrative donnait des motifs raisonnables de croire qu'il avait été ou était impliqué dans certaines activités mettant le bon ordre et la sécurité de l'établissement en danger. On le soupçonnait d'avoir fait entreposer à la cantine des produits de tabac obtenus par le biais de son implication dans des activités illicites, d'avoir comploté avec d'autres détenus dans le but d'agresser un co-détenu, et d'avoir participé à la planification du vol de la cantine le 15 avril 1998.

[9]      À la suite de cette rencontre entre le demandeur et le Comité des examens des cas d'isolement, le maintien en isolement du demandeur fut recommandé, au motif qu'il ne pouvait retourner dans la population de l'établissement sans compromettre la sécurité d'une personne ou de l'établissement. Il fut de plus suggéré qu'il soit transféré dans un autre pénitencier. La directrice du pénitencier a décité de suivre ces recommandations.

[10]      Le 30 avril 1998, le demandeur déposait une plainte auprès des autorités de l'établissement La Macaza et contestait tout transfert de pénitencier ainsi que l'augmentation de sa cote de sécurité. Le 14 mai 1998, le directeur adjoint de l'établissement répondait négativement à ladite plainte.

[11]      Le 20 mai 1998, l'établissement recevait un grief de premier palier logé par le demandeur. Ce grief fut refusé le 27 mai.

[12]      Le 1er juin 1998, le demandeur déposait un grief de deuxième palier.

[13]      Le 26 juin 1998, le demandeur recevait un "Rapport récapitulatif" qui exposait les raisons justifiant la hausse de sa cote de sécurité et son transfert vers un autre établissement. Le rapport mentionnait les accusations de vol de la cantine et d'agression d'un co-détenu. Le même jour, le demandeur recevait un "Avis de recommandation d'un transfèrement non sollicité" résumant les motifs de son transfert vers un autre établissement.

[14]      Le 30 juin 1998, la directrice de l'établissement entérinait la recommandation de transfèrement non sollicité.

[15]      Le 2 juillet 1998, le sous-commissaire régional du Québec accueillait en partie le grief de deuxième palier du demandeur. Le grief était maintenu quant à l'argument selon lequel le directeur adjoint de l'établissement n'aurait pas dû répondre au premier grief puisqu'il était celui qui avait répondu à la plainte le 14 mai 1998.

[16]      Le 20 juillet 1998, le commissaire du Service correctionnel Canada recevait un grief de troisième palier logé par le demandeur. Or, ce même jour, le demandeur était transféré dans un autre établissement.

[17]      Le 5 août 1998, le commissaire-adjoint refusait le grief de troisième palier. Cette décision fait l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

[18]      Le demandeur soumet qu'il n'a pas pleinement bénéficié de l'équité de procédure dans cette affaire, puisqu'il n'a pas été représenté par avocat lors de sa rencontre avec le Comité de réexamen des cas d'isolement. À ce sujet, le paragraphe 31(2) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoit qu'un détenu puisse avoir recours à un avocat lors d'une audition disciplinaire; ce qui n'est toutefois pas le cas en l'espèce. Toutefois, le Règlement accorde à un détenu le droit de consulter un avocat afin de se préparer à la rencontre avec le Comité de réexamen des cas d'isolement.


[19]      Le défendeur soumet que la question se rapportant à l'isolement préventif involontaire est devenu théorique puisque le demandeur a été transféré et n'est donc plus en isolement. Il affirme que la question était déjà académique au moment où la présente demande de contrôle judiciaire a été déposée, soit le 14 septembre 1998, car son isolement a pris fin le 20 juillet 1998.

[20]      Le demandeur soutient qu'il n'a pas pu prendre connaissance de l'essentiel des informations sur lesquelles M. Perrault s'est fondé pour arriver aux conclusions qu'il aurait comploté pour voler la cantine et agressé un co-détenu, et qu'il aurait entreposé du tabac à la cantine. Le demandeur invoque la décision Demaria1 pour affirmer qu'il n'a pas obtenu suffisamment de renseignements pour se prévaloir d'une défense équitable et répondre aux allégations menant au transfèrement et à la hausse de sa cote de sécurité.

[21]      Par ailleurs, le demandeur affirme qu'il est incohérent que, dans le contre-interrogatoire écrit du 31 mars 1999, M. Perrault ait avoué que le demandeur n'était pas directement relié au complot pour agresser un co-détenu, alors que ce complot est un motif ayant entraîné la hausse de sa cote de sécurité et son transfèrement.

[22]      Le défendeur affirme qu'il est établi que les exigences de la règle audi alteram partem ne sont pas les mêmes en matière disciplinaire qu'en matière de décisions purement administratives prises en vue de sauvegarder le bon ordre et la sécurité, tel les transfèrements de détenus. Il reproduit certains extraits des décisions Gallant2 et Cartier3 qui viennent nuancer la décision Demaria à laquelle le demandeur fait référence.

[23]      L'arrêt Borowski4 établit les règles à suivre pour déterminer si une question est devenue théorique. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada s'exprime comme suit:

En premier, il faut se demander si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique. En deuxième lieu, si la réponse à la première question est affirmative, le tribunal décide s'il doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l'affaire... Un tribunal peut de toute façon choisir de juger une question théorique s'il estime que les circonstances le justifient.

[24]      Ainsi, du moment que la question à débattre est sérieuse et qu'il y a des circonstances fournissant l'assurance que la question, malgré son caractère théorique, sera adéquatement débattue par les parties devant le tribunal et que l'intérêt public le justifie, il est ouvert à un tribunal de disposer d'une question académique. En l'espèce, il ne me semble pas utile de débattre la question relative à l'isolement du demandeur puisque le litige est maintenant inexistant.

[25]      La décision de transférer un détenu dans un établissement en est une administrative, sujette au pouvoir discrétionnaire du service correctionnel d'un établissement. Cette décision est soumise à l'obligation de respecter les exigences de l'équité procédurale5. En effet, les autorités publiques qui rendent des décisions administratives affectant les droits et privilèges d'un individu doivent respecter les exigences de l'équité de procédure, et ce, selon les circonstances de l'espèce.

[26]      Dans la présente affaire le demandeur reproche au service correctionnel de ne pas lui avoir fourni suffisamment d'informations sur les motifs causant la hausse de sa cote de sécurité et son transfèrement de pénitencier. Il affirme que le service correctionnel ne lui a pas communiqué tous les détails relatifs au complot du vol de la cantine, au complot d'agression d'un co-détenu et à sa présumée participation à la répartition de la marchandise volée à la cantine. Il soumet donc qu'il n'a pu répondre pleinement aux accusations lancées contre lui.

[27]      Ainsi, la question centrale est de déterminer si le service correctionnel a communiqué au demandeur tous les renseignements utiles dans la prise de décision, tel que le stipule l'article 27 de la Loi. Cette obligation de divulgation est tempérée par le paragraphe 27(3) qui prévoit que le Commissaire peut refuser de communiquer certains renseignements au détenu "s'il a des motifs raisonnables de croire que cette communication mettrait en danger la sécurité d'une personne ou du pénitencier ou compromettrait la tenue d'une enquête licite".6 Selon la preuve présentée devant moi, je suis d'avis qu'il n'y avait rien qui puisse suggérer que la sécurité d'un individu ou celle de l'établissement aurait été affectée par la communication de certains renseignements. Il reste donc à déterminer si, dans les circonstances, le détenu a obtenu suffisamment de renseignements pour pouvoir adéquatement répondre aux accusations portées contre lui.

[28]      Le demandeur fait reposer son argument sur la décision Demaria7. Cette affaire fut discutée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Gallant8. Dans cet arrêt, le juge Marceau explique la portée de la règle audi alteram partem dans le cas d'une décision concernant le transfert d'un détenu:

Le principe audi alteram partem qui porte tout simplement que la personne dont les droits ou intérêts peuvent être touchés doit pouvoir participer au processus décisionnel, est fondé sur la prémisse suivante: la personne doit toujours avoir la possibilité de soumettre de l'information, sous forme de faits ou d'arguments, afin de permettre à l'instance décisionnelle de rendre une décision équitable et raisonnable. Il est reconnu depuis longtemps qu'en toute logique et en pratique, la portée et la nature de cette participation dépendent des circonstances de l'espèce et de la nature de la décision à rendre.
Dans le cas d'une décision visant à imposer une sanction ou une punition à la suite d'une infraction, les règles d'équité exigent que la personne accusée dispose de tous les détails connus de l'infraction. Il n'en est pas de même dans le cas d'une décision de transfèrement rendue pour le bon fonctionnement de l'établissement et fondée sur la croyance que le détenu ne devrait pas rester où il est, compte tenu des questions que soulève son comportement. Dans un tel cas, il n'y a pas de raison d'exiger que le détenu dispose d'autant de détails relatifs aux actes répréhensibles dont on le soupçonne. [...] En l'occurrence, il ne s'agissait pas d'établir la culpabilité du détenu, mais de savoir si les renseignements reçus des six sources différentes représentaient de préoccupations assez importantes pour justifier son transfèrement.
Dans Demaria, presque aucun renseignement n'avait été divulgué, ce qu'on avait simplement voulu justifier par l'affirmation générale que "tous les renseignements concernant la sécurité préventive étaient confidentiels et ne pouvaient être communiqués".

[29]      Le juge Strayer de la Cour d'appel fédérale dans la décision Camphaug9 souscrivait aux propos du juge Marceau et expliquait que, dans le cas d'une décision concernant le transfèrement d'un détenu, le décideur doit avoir des motifs sérieux de croire que le détenu devrait être transféré. Par conséquent, l'obligation d'équité ordonne aussi que le détenu reçoive l'information utile pour être en mesure de faire ses observations.

[30]      Les motifs pertinents au transfèrement sont les accusations de vol de la cantine et d'agression d'un co-détenu. Lors d'un contre-interrogatoire, M. Perrault avouait que le demandeur n'avait pas participé au complot relativement à l'agression du co-détenu. Ce qui reste des motifs permettant de croire que le demandeur devrait être transféré réside dans les accusations relatives au vol de la cantine. Selon la preuve présentée, le service correctionnel ne possède pratiquement pas d'information permettant de croire que le demandeur pouvait, d'une façon ou d'une autre, être impliqué dans le vol de la cantine.

[31]      Je suis d'avis que la caractère raisonnable et sérieux des motifs sur lesquelles la décision a été prise est douteux. En effet, je n'ai pas été convaincu que les accusations de vol n'aient été fondées sur autre chose que de simples soupçons et il m'est impossible de croire que la conduite du demandeur mettait en danger le bon ordre et la sécurité de l'établissement.

[32]      À la lumière de la récente jurisprudence, il m'appert que le demandeur n'a pas reçu suffisamment de renseignements relativement aux motifs de son transfèrement et de la hausse de sa cote de sécurité pour affirmer que les règles d'équité procédurale ont été respectées.

[33]      Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Je suis d'avis que les accusations des autorités relativement au transfèrement du demandeur ainsi qu'à la hausse de sa cote de sécurité causeront un préjudice irréparable à ce dernier lorsqu'il deviendra admissible pour faire une demande de libération conditionnelle. J'ordonne donc que les accusations concernant sa participation au vol de la cantine survenu le 15 avril 1998, son implication dans l'agression d'un co-détenu ainsi que l'allégation relative à l'entreposage de tabac obtenu suite à son implication dans des activités illicites soient radiées du dossier du demandeur.

[34]      Puisqu'il s'agit ici d'une demande de contrôle judiciaire, il n'y a pas lieu d'accorder des dommages-intérêts au demandeur.




                                     JUGE

OTTAWA, Ontario

Le 28 janvier 2000

__________________

     1 Demaria c. Le Comité régionale de classement des détenus, [1987] 1 F.C. 74

     2 Gallant c. Canada (Sous-commissaire, Service correctionnel Canada), [1989] 3 F.C. 329

     3 Cartier c. Canada (Procureur général), [1998] A.C.F. 1211

     4 Borowski c. Procureur général du Canada, [1989] 1 R.C.S. 342

     5 Kelly c. Procureur général du Canada (1987), 12 F.T.R. 296

     6 Supra, note 3

     7 Supra, note 1

     8 Supra, note 2

     9 Camphaug c. Canada (1990), 34 F.T.R. 165

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.