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Date : 20040519

Dossier : T-2066-03

Référence : 2004 CF 732

Ottawa (Ontario), le 19 mai 2004

En présence de madame la juge Heneghan                          

ENTRE :

                                                          NAWAL HAJ KHALIL

                                        ANMAR EL HASSEN et ACIL EL HASSEN,

                        par l'entremise de sa tutrice à l'instance, NAWAL HAJ KHALIL

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                      défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]                Nawal Haj Khalil et ses enfants Anmar El Hassen et Acil El Hassen, représenté par sa tutrice à l'instance Nawal Haj Khalil (les « demandeurs » ), intentent la présente action contre Sa Majesté la Reine (la « défenderesse » ) pour obtenir la réparation suivante :

[TRADUCTION]


Une déclaration portant que l'alinéa 34(1)f) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés contrevient, à première vue ou dans son application, au droit à la liberté d'expression et d'association des demandeurs prévue à l'article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés et qu'il est inopérant par application du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, étant donné que la sanction d'inadmissibilité peut être, et a été, fondée uniquement sur une activité d'expression et d'association légale. Le refus d'accorder à une personne un droit d'établissement ou tout retard à cet égard - ainsi que l'empêchement à la réunification de la famille qui en découle - dont le fondement repose sur la carrière journalistique qu'elle a consacrée au représentant officiel de son peuple touche au coeur de la liberté d'expression et d'association.

Une déclaration portant que l'alinéa 34(1)f) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés contrevient, à première vue ou dans son application, à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés en interdisant des activités que peuvent exercer légitimement les Canadiens et qui s'inscrivent dans la quête d'un droit à l'autodétermination reconnu à l'échelle internationale, un droit fondamental de la personne pour tous les peuples, et en interdisant l'association et les activités des Palestiniens qui se livrent aux activités licites de l'organisation qui les représente, alors que d'autres personnes se livrant à des activités licites pour le compte de leur État ne sont pas sanctionnées en raison du lien avec l'État, bien que celui-ci puisse se rendre coupable de violations des droits de la personne, sauf si cet État a été désigné en application de l'alinéa 35(1)b) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et que la personne en question a occupé une position d'influence au sein du gouvernement.

Une déclaration portant que l'omission de la défenderesse de finaliser la demande d'établissement des demandeurs relève de la négligence et contrevient aux droits qui leur sont garantis par l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés d'une manière qui n'est pas conforme aux principes de justice fondamentale, qu'elle porte atteinte aux droits qui leur sont garantis par les articles 12 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et qu'elle va à l'encontre de leur liberté d'expression et d'association garantie par l'article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Les demandeurs sollicitent une réparation convenable et juste en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, notamment :

a.              Les réparations recherchées précédemment;

b.              Des dommages-intérêts généraux;

c.              Des dommages-intérêts punitifs;

d.             Tout autre jugement déclaratoire ainsi que toute autre réparation [...]


[2]                Par avis de requête déposé le 18 décembre 2003, la défenderesse a sollicité une ordonnance radiant la déclaration des demandeurs ou, subsidiairement, une prorogation du délai pour produire une défense. La requête a été rejetée par la protonotaire Milczynski et la défenderesse interjette aujourd'hui appel de cette décision conformément à l'article 51 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, dans sa forme modifiée.

LES FAITS

[3]                Les demandeurs, une mère et ses deux enfants, sont arrivés au Canada le 5 avril 1994. Le 21 décembre 1994, ils se sont vu accorder le statut de réfugié au sens de la Convention. Ils ont ensuite présenté une demande d'établissement le 11 janvier 1995. Ils ont été avisés que leur demande d'établissement avait reçu une approbation de principe.

[4]                La demanderesse Nawal Haj Khalil a été interrogée par le Service canadien du renseignement de sécurité quant à son appartenance à l'Organisation de libération de la Palestine. Un agent d'immigration l'a par la suite interviewée pour savoir si elle était une personne visée par l'alinéa 19(1)b) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, dans sa forme modifiée.

[5]                Par lettre datée du 25 février 2000, les demandeurs ont été avisés par l'agent d'immigration ayant mené l'entrevue du rejet de leur demande d'établissement, et ce, du fait que la demanderesse adulte a été jugée être une personne tombant sous le coup de la division 19(1)f)(iii)(B) de la Loi sur l'immigration, précitée.

[6]                Le 15 mars 2000, les demandeurs ont présenté une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision de l'agent d'immigration qui a rejeté leur demande d'établissement. Le 21 février 2001, l'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire leur a été accordée.

[7]                Le 22 octobre 2001, le ministre a sollicité une ordonnance accueillant la demande de contrôle judiciaire et annulant la décision contestée. Le 16 novembre 2001, la demande de contrôle judiciaire a été accueillie et l'affaire a été renvoyée pour réexamen.

[8]                Le 1er mars 2002, un autre agent d'immigration a interviewé la demanderesse adulte pour déterminer de nouveau son admissibilité au regard du sous-alinéa 19(1)f)(iii) de la Loi sur l'immigration, précité. Le 3 juin 2002, la demanderesse adulte a fait parvenir des observations écrites sur les questions en matière d'admissibilité et demandé une exception ministérielle conformément, respectivement, à l'alinéa à l'alinéa 34(1)f) et au paragraphe 34(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, dans sa forme modifiée ( « LIPR » ). On attend toujours l'issue de la décision relative à la demande d'établissement des demandeurs.

LA DÉCISION DE LA PROTONOTAIRE


[9]                Par ordonnance datée du 17 février 2004, la protonotaire a rejeté la requête de la défenderesse pour faire radier la déclaration des demandeurs. Elle a rejeté les arguments de la défenderesse portant que le jugement déclaratoire recherché par les demandeurs ne pouvait être obtenu que par voie de demande de contrôle judiciaire en application de l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, dans sa forme modifiée.

[10]            Dans son analyse, la protonotaire a pris acte de la tentative de la défenderesse de caractériser la procédure engagée par la demanderesse comme visant à obtenir un jugement déclaratoire quant au défaut de traitement de sa demande d'établissement dans un délai raisonnable, lequel défaut résulte de la négligence et porte atteinte à ses droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés, Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982 formant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11 (la « Charte » ), ainsi qu'un jugement déclaratoire portant que l'alinéa 34(1)b) de la LIPR contrevient à première vue ou dans son application à leurs droits garantis par les articles 12 et 15 de la Charte.

[11]            La protonotaire a de plus reconnu et accepté l'argument avancé par la défenderesse portant qu'un jugement déclaratoire contre tout office fédéral ne peut être obtenu que par la présentation d'une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 18(3) de la Loi sur les Cours fédérales, précitée. Elle a également souligné que le paragraphe 72(1) de la LIPR exige que le contrôle judiciaire de toute mesure - décision, ordonnance, question ou affaire - prise dans le cadre de la LIPR soit subordonné au dépôt d'une demande d'autorisation.

[12]            Cependant, la protonotaire a conclu que la demande de jugement déclaratoire des demandeurs ne concernait aucune « mesure - décision, ordonnance, question ou affaire - prise » dans le cadre de la LIPR. Une décision antérieure a été annulée et aucune autre décision n'a par la suite été rendue. Selon la protonotaire, les demandeurs ne sont pas tenus de déposer une demande de contrôle judiciaire afin de se voir décerner un bref de mandamus pour contraindre à la disposition de leur demande d'établissement avant d'intenter leur action en dommages-intérêts. À cet égard, elle a renvoyé aux affaires Zubi c. Canada (1993), 71 F.T.R. 168; Creed c. Canada (Solliciteur général), [1998] A.C.F. no 199 (1re inst.), et Burton c. Canada, [1996] A.C.F. no 1059 (1re inst.).

[13]            La protonotaire a commenté en ces termes le fondement de la revendication des demandeurs :

[TRADUCTION]

Ce que les demandeurs tentent d'obtenir par jugement déclaratoire, c'est une contestation directe et indépendante de la constitutionnalité de l'alinéa 34(1)f) de la LIPR. Sans vouloir décider de la qualité pour agir des demandeurs dans la présente instance, aucune interdiction générale ou absolue ne s'applique aux faits de l'espèce, où les demandeurs ont procédé par voie d'action plutôt que par demande de contrôle judiciaire. Au contraire, lorsqu'une instance ne concerne pas la décision d'un office fédéral mais qu'il s'agit plutôt d'une attaque directe contre la législation, ce n'est pas par le biais d'une demande de contrôle judiciaire que l'on peut amener la Couronne fédérale devant la Cour (Confédération des syndicats nationaux c. Canada, [1998] A.C.F. no 144 (1re inst.)).

En ce qui a trait à la demande de réparation pécuniaire des demandeurs, ceux-ci invoquent deux causes d'action - la première étant une action en dommages-intérêts pour une négligence de nature réglementaire. Les demandeurs allèguent un manquement à une obligation de diligence pour le défaut de rendre une décision dans les meilleurs délais. Deuxièmement, les demandeurs affirment que le délai était tel qu'il y a eu contravention à leurs droits garantis par l'article 7 de la Charte, donnant ainsi lieu aux dommages visés par le paragraphe 24(1) de la Charte. Les instances visent toutes deux une réparation pour les dommages subis et ont été à juste titre introduites par voie d'action.


OBSERVATIONS

I)           La défenderesse

[14]            La défenderesse soutient que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte, puisque la nature de la requête dont la protonotaire a été saisie pouvait influencer l'issue définitive de l'action. En conséquence, notre Cour devrait revoir l'affaire sur une base de novo. Subsidiairement, la défenderesse fait valoir que l'ordonnance était entachée d'une erreur manifeste et que la protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur un principe erroné ou sur une mauvaise appréciation des faits.

[15]            La défenderesse affirme qu'en application du paragraphe 18(3) de la Loi sur les Cours fédérales, précitée, la Cour ne peut accorder un jugement déclaratoire contre un office fédéral que si une demande de contrôle judiciaire a été présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, précitée.


[16]            La défenderesse estime que les demandeurs peuvent se voir décerner un jugement déclaratoire pour atteinte à leurs droits garantis par la Charte s'ils présentent une demande de contrôle judiciaire et invoque à cet égard l'affaire Gwela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 3 C.F. 404 (C.A.). Qui plus est, la défenderesse s'appuie sur l'affaire Machado c. Canada (1996), 124 F.T.R. 296, pour étayer la thèse selon laquelle la condition précise relative à l'obtention d'une autorisation, dans le contexte de la législation en matière d'immigration, milite en faveur du point de vue selon lequel les procédures engagées dans ce contexte devraient être introduites par une demande et non par une action.

[17]            La défenderesse renvoie ensuite au paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, précitée, qui dispose :


Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure - décision, ordonnance, question ou affaire - prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d'une demande d'autorisation.

Judicial review by the Federal Court with respect to any matter - a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised - under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.


[18]            La défenderesse fait valoir qu'on ne peut obtenir un jugement déclaratoire contre un office fédéral que par la présentation d'une demande de contrôle judiciaire. À cet égard, elle invoque les affaires Zubi, précitée, Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 174 (1re inst.), Jama c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 1256 (1re inst.), et Zarzour c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 268 N.R. 235 (C.A.).

[19]            La défenderesse estime également que la protonotaire a commis une erreur en définissant le terme « mesure » de manière trop restrictive lorsqu'elle a conclu que les demandeurs n'avaient pas à déposer une demande de contrôle judiciaire pour se voir décerner un jugement déclaratoire. À cet égard, la défenderesse invoque l'affaire Krause c. Canada, [1999] 2 C.F. 476 (C.A.).


[20]            La défenderesse fait de plus valoir que la protonotaire a commis une erreur en omettant de reconnaître l'exigence posée par la LIPR quant à l'obtention d'une autorisation.

[21]            Enfin, la défenderesse soutient que la présente instance constitue pour les demandeurs un moyen détourné de se voir décerner un bref de mandamus et un jugement déclaratoire. Elle avance également que la Cour peut rendre un jugement déclaratoire fondé sur la Charte dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire.

ii)          Les demandeurs

[22]            Les demandeurs conviennent avec la défenderesse de la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer. Ils font cependant valoir que la protonotaire n'a pas commis d'erreur, que la présente instance repose sur des fondements appropriés, qu'ils ne sont pas tenus de demander un contrôle judiciaire puisqu'il n'existe aucune décision pendante susceptible d'entraîner l'application soit de l'article 18 de la Loi sur les Cours fédérales, précitée, soit de l'article 72 de la LIPR, et que leur action est une action indépendante en dommages-intérêts résultant de la négligence et des atteintes à leurs droits fondés sur la Charte.

[23]            Les demandeurs soutiennent que les décisions invoquées par la défenderesse ne s'appliquent pas dans les circonstances exposées dans leur déclaration.


[24]            Les demandeurs affirment plus précisément que leur contestation de la constitutionnalité du paragraphe 34(1) de la LIPR est distincte de la LIPR mais qu'elle s'inscrit directement en relation avec les droits prévus par la Charte. Les demandeurs prétendent que la protonotaire n'a commis aucune erreur dans son appréciation du fondement de leur action.

ANALYSE ET DISPOSITIF

[25]            Dans l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a énoncé la norme de contrôle applicable aux appels formés contre la décision d'un protonotaire. À moins que la décision ne soit manifestement erronée, en ce sens qu'elle est fondée sur un mauvais principe juridique ou sur une mauvaise appréciation des faits, que le pouvoir discrétionnaire a été mal exercé, ou qu'elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue de la cause, cette décision ne doit pas être modifiée en appel.


[26]            La requête de la défenderesse a pour effet de mettre fin à l'action des demandeurs. Dans l'affaire Telefonaktiebolaget LM Ericsson c. Harris Canada Inc., [2002] A.C.F. no 789, la Cour a conclu qu'une norme de contrôle de novo devait s'appliquer quand la décision pouvait être décrite comme étant interlocutoire ou définitive, selon le résultat. Cette norme s'applique en l'espèce et j'examinerai la décision de la protonotaire sur une base de novo. Il s'agit alors de savoir si la protonotaire a commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire lorsqu'elle a rejeté la requête de la défenderesse.

[27]            À mon avis, non. La protonotaire a correctement relevé et rejeté la tentative de la défenderesse de qualifier la déclaration des demandeurs comme une demande de jugement déclaratoire s'inscrivant dans le cadre d'une ordonnance de mandamus, laquelle entraînerait l'application du paragraphe 18(3) de la Loi sur les Cours fédérales, précitée.

[28]            La protonotaire a correctement relevé les motifs invoqués par les demandeurs : premièrement, une allégation de négligence relativement au retard qu'ont accusé les préposés et mandataires de la défenderesse finalisant leur demande d'établissement et, deuxièmement, une allégation d'atteinte aux droits garantis par la Charte, tant en ce qui concerne la question du retard que de l'atteinte aux droits consacrés par l'article 7 de la Charte. Les demandeurs cherchent à obtenir des dommages-intérêts pour cause de négligence et pour atteinte aux droits garantis par la Charte, en application de l'article 24 de la Charte.

[29]            La protonotaire a reconnu le droit des demandeurs de qualifier leur cause d'action. Il n'est pas loisible à la défenderesse d'imposer une autre façon de procéder, soit par voie de demande de contrôle judiciaire, si les demandeurs n'ont pas eux-mêmes opté pour ce forum. En fait, aucune décision existante ne pourrait servir de fondement à une telle procédure.

[30]            À mon sens, la protonotaire a examiné la jurisprudence pertinente et l'a bien appliquée. Les demandeurs réclament des dommages-intérêts et suivant les affaires Creed, précitée, et Burton, précitée, ils ne peuvent se prévaloir de cette réparation par voie de demande de contrôle judiciaire.

[31]            Je renvoie à la décision plus récente Chesters c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 134 F.T.R. 151. Dans cette affaire, la demanderesse avait intenté une action pour obtenir un jugement déclaratoire portant que la disposition de la Loi sur l'immigration, précitée, sous le régime de laquelle sa demande de résidence permanente a été refusée est inopérante du fait qu'elle contrevient à l'article 7 et au paragraphe 15(1) de la Charte. Elle a également sollicité une déclaration portant qu'elle avait droit au statut de résidente permanente au Canada ainsi qu'à une exemption à l'égard de toute version modifiée de la disposition contestée.

[32]            La défenderesse a demandé la radiation de la déclaration ou, subsidiairement, la radiation de certaines parties dans lesquelles on demande des déclarations ainsi que la suspension de cette partie de l'action sollicitant des dommages-intérêts jusqu'à ce qu'il soit statué sur la demande de contrôle judiciaire. Le protonotaire adjoint Giles a rejeté la requête en tenant les propos suivants aux paragraphes 4, 5 et 6 de ses motifs :

4. Je tiens à faire remarquer qu'à mon avis, deux ou trois catégories de déclarations sont en cause dans la demande de réparation, dont les parties pertinentes se lisent comme suit :

[TRADUCTION]


a) une déclaration portant que le sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, dans sa forme modifiée, est incompatible avec l'article 7 et le paragraphe 15(1) de la Charte et que cette disposition est donc inopérante conformément au paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 et ne peut pas être sauvegardée en vertu de l'article premier de la Charte;

b) une déclaration portant que le refus de la défenderesse de faire droit à la demande de résidence permanente pour le motif qu'elle n'est pas admissible en vertu du sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration constitue une violation des droits que lui reconnaissent l'article 7 et le paragraphe 15(1) de la Charte;

c) une déclaration portant qu'elle a droit au statut de résidente permanente au Canada;

d) s'il est conclu que le sous-alinéa 19(1)a)(ii) est inopérant en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 et que la déclaration d'invalidité est suspendue de façon à permettre à la défenderesse de modifier les dispositions contestées, une exemption constitutionnelle de l'application du sous-alinéa 19(1)a)(ii);

...

5. En ce qui concerne les déclarations comme celle dont il est question à l'alinéa a), je remarque qu'elles auraient pour effet de rendre inopérante une disposition législative. À première vue, l'alinéa a) ne vise pas un office fédéral. Il faut faire une distinction entre ce genre de déclaration et la déclaration visée à l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, ne serait-ce que parce que le pouvoir central n'est pas autorisé à conférer une compétence exclusive à la Cour fédérale, puisque les tribunaux provinciaux ont également le droit de déclarer une disposition législative inconstitutionnelle ou de conclure qu'elle viole la Charte. De plus, pareille déclaration ne se rapporte pas à première vue à la contestation d'une décision d'un office fédéral, mais plutôt d'une disposition législative fédérale. Je conclus qu'une déclaration de ce genre peut être demandée dans une action. [...]

6. À mon avis, les alinéas b) et c) de la demande de réparation doivent être radiés. Les alinéas a) et d) peuvent à juste titre être maintenus dans une action visant à faire déclarer la disposition législative inopérante et à obtenir des dommages-intérêts (l' « action en dommages-intérêts » ). Je souscris aux arguments de l'avocate de la demanderesse, qui affirme que la question de savoir de si des dommages-intérêts peuvent être accordés à l'égard de mesures prises avant qu'une disposition législative soit jugée inconstitutionnelle est une question qui relève du juge présidant l'audience. Je ne radierai pas l'action en dommage-intérêts. Je n'ai pas l'intention de suspendre l'action en dommages-intérêts parce que, à mon avis, la demanderesse peut poursuivre l'action qu'elle a intentée en vue de faire déclarer la disposition législative inopérante et peut-être en vue d'obtenir des dommages-intérêts, et ce, que la décision de l'office soit infirmée ou non. [...]

[33]            Cette ordonnance n'a pas été portée en appel mais la défenderesse a tenté une fois de plus de faire radier l'action de la demanderesse en plaidant son caractère théorique. Cette requête a été rejetée par le protonotaire Lafrenière. Il ressort des motifs de celui-ci que la question de la viabilité d'une demande de dommages-intérêts assortie d'une demande de jugement déclaratoire a été soulevée une fois de plus. Rejetant la requête, le protonotaire a renvoyé à l'affaire Guimond c. Québec (Procureur général), [1996] 3 R.C.S. 347, où la Cour suprême du Canada a reconnu que, bien que l'octroi de dommages-intérêts soit rarement jumelé à une action en déclaration d'invalidité constitutionnelle, il pouvait exceptionnellement en être ainsi.

[34]            En appel de cette décision, répertoriée sous Chesters c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1135, la juge Dawson a confirmé la décision du protonotaire en tenant les propos suivants au paragraphe 24 :

24. Quant à la deuxième erreur alléguée, la présentation d'une offre de droit d'établissement ne pouvait avoir aucun effet sur le droit de la demanderesse de réclamer des dommages-intérêts découlant d'événements antérieurs à la présentation de l'offre. Le protonotaire a eu raison de conclure que la présentation d'une offre de droit d'établissement n'avait aucune incidence sur la question de savoir si en droit les mesures prétendument inconstitutionnelles de l'État peuvent donner lieu à des dommages-intérêts.

[35]            En définitive, l'appel est rejeté. Puisque la défenderesse a demandé l'autorisation de déposer une défense si elle n'obtient pas gain de cause dans cet appel, l'autorisation est accordée et elle dispose de vingt (20) jours à compter de la date des présentes pour déposer sa défense.

                                        ORDONNANCE


L'appel est rejeté avec dépens en faveur des demandeurs. La défenderesse doit déposer sa défense dans les vingt (20) jours à compter de la date des présentes.

                                                                                  « E. Heneghan »

                                                                                                     Juge

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


COUR FÉDÉRALE

Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                                     T-2066-03

INTITULÉ :                                                    NAWAL HAJ KHALIL ET AL c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

DATE DE L'AUDIENCE :                            Le 22 mars 2004

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Toronto (Ontario)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : La juge Heneghan

DATE DES MOTIFS :                                   Le 19 mai 2004

COMPARUTIONS :                       Mme Barbara Jackman                                                                

                                                                                                              Pour la demanderesse

                                                            M. John Loncar

                                                             M. Tamrat Gebeyehu      

                                                                                                             Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mme Barbara Jackman           

                                                              Toronto (Ontario)                                                      

                                                                                                             Pour la demanderesse

                                                             M. John Loncar

                                                            M. Tamrat Gebeyehu

                                                            Ministère de la Justice

Bureau régional de l'Ontario

                                                            130, rue King Ouest

Bureau 3400, C.P. 36

Toronto (Ontario)

                                                            M5X-1K6

                                                                                                            

                                                                                                            Pour le défendeur

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