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Date : 20030707

Dossier : T-1836-90

Référence : 2003 CF 837

ENTRE :

                                             ELDERS GRAIN COMPANY LIMITED

                                                                            et

                        LES BRASSERIES CARLING O'KEEFE DU CANADA LIMITÉE

                                                                                                                                     demanderesses

ET :

NAVIRE M/V « RALPH MISENER » ET LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE M/V « RALPH MISENER »

                                                                            et

                                                  MISENER HOLDINGS LIMITED

                                                                            et

                                                            MISENER SHIPPING

                                                                                                                                            défendeurs

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON


[1]                Le 31 mai 1989, pendant le déchargement d'une cargaison de granulés de luzerne de la cale no 4 du navire « RALPH MISENER » à Québec, un incendie s'est déclaré et a causé des dommages à la cargaison. Par conséquent, les demanderesses, propriétaires de la cargaison, ont intenté la présente poursuite contre les défendeurs, propriétaires du navire, afin de recouvrer leur perte.

[2]                Les demanderesses affirment que la perte qu'elles ont subie résulte de la négligence des défendeurs et d'un bris de contrat de leur part. Les défendeurs nient toute responsabilité pour la perte subie par les demanderesses et font une demande reconventionnelle pour la perte qu'ils ont eux-mêmes subie en raison de l'incendie à bord de leur navire.

LES FAITS

[3]                Les fait pertinents peuvent être résumés comme suit. Selon un connaissement signé à Surrey (C.-B.), le 22 mai 1989, les défendeurs ont convenu et se sont chargés de transporter 3 976,760 tonnes métriques (tm) de granulés de luzerne canadienne séchée au soleil de première catégorie, de 1/4 po de diamètre (la cargaison), de Thunder Bay (Ontario) à Québec. La cargaison devait en bout de ligne être transportée de Québec en Arabie saoudite à bord du navire « RICH ALLIANCE » , ladite cargaison ayant été vendue par les demanderesses à la société Saudi Livestock, Transport and Trading Co. de Riyad, où la cargaison devait servir à l'engraissement de moutons pour des fins religieuses.

[4]                Avant d'aller plus loin, je devrais dire quelques mots concernant le navire. Le « RALPH MISENER » est un vraquier non gréé classique des Grands Lacs doté de cinq cales à cargaison, chacune desquelles est munie de six panneaux de cale de type ponton. Les cales sont éclairées par des projecteurs de 150 watts fixés derrière des hublots de verre dans les passages sous pont bâbord et tribord. Quatre projecteurs sont fixés sur les deux côtés de chaque cale. Aucun matériel électrique ne traverse les cales et le cheminement des câbles longe les passages sous pont. Les cales sont aérées au moyen de petits reniflards, mais il n'y a pas de ventilation électrique.

[5]                La cargaison a été chargée à Thunder Bay à l'élévateur 10 ouest dans la cale no 4 du navire le 22 mai 1989. Avant le début du chargement, des contrôleurs d'Agriculture Canada sont montés à bord du navire afin de faire un contrôle des cales et ont certifié qu'elles étaient aptes à recevoir la marchandise. Une goulotte de chargement de 18 po à 24 po de diamètre a été utilisée pour charger la cargaison. Le chargement, qui a débuté à 8 h 5 à l'arrière du navire, s'est déroulé sans incident jusqu'à ce qu'il soit complété à 12 h 53. Selon le premier lieutenant du navire, M. Farook Kooka, il y avait énormément de poussière lors du chargement de la cargaison et, par conséquent, il était très difficile de voir la cargaison pendant le chargement. M. Kooka et le troisième lieutenant, M. Lincoln Joseph, étaient de quart lors du chargement.


[6]                Je devrais signaler que ni M. Kooka ni Peter Schultz, le capitaine du navire, n'avaient transporté une cargaison de granulés de luzerne auparavant. Je devrais également ajouter que les demanderesses n'ont fourni absolument aucun renseignement aux défendeurs concernant la cargaison avant ou pendant le voyage du navire entre Thunder Bay et Québec.

[7]                La cargaison chargée à bord du navire à Thunder Bay était formée de deux parties distinctes. La première, d'environ 1 500 tonnes métriques, était arrivée à Thunder Bay en septembre 1988. La deuxième partie de la cargaison était arrivée à Thunder Bay en mai 1989. Les deux parties provenaient de l'usine de déshydratation des demanderesses à Creston (C.-B.).

[8]                En plus de sa cargaison de granulés de luzerne, on a chargé le navire de cargaisons de canola et de blé à Thunder Bay. Plus précisément, le canola a été chargé dans la cale no 2 et le blé a été chargé dans les cales nos 1, 3 et 5.

[9]                Après un voyage sans incident, le navire est arrivé à Québec à 2 h 14 le 31 mai 1989 et s'est amarré à la section 18 du quai, où il devait décharger sa cargaison de luzerne ainsi que le blé contenu dans les cales nos 1 et 3. Le déchargement du blé a débuté à 8 h 10. Le déchargement des granulés de luzerne a débuté vers 16 h et, vers 17 h 40, on a remarqué que de la fumée s'échappait de la cargaison à bâbord. L'inscription pertinente faite par le deuxième lieutenant dans le journal de passerelle fait état de ce qui suit :

[traduction] Remarqué fumée sortant de la cargaison à bâbord, cale no 4. Entré dans cale no 4 et vérifié cargaison. Fumée légère et chaleur. Utilisé tuyau d'incendie pour refroidir et aussi arrosé la cargaison dans la cale no 4 à bâbord. 19 h 15- arrivée de la police du port. 19 h 20 - les pompiers arrivent et utilisent des tuyaux d'incendie dans la cale no 4. Ouvert trou d'homme no 4 à bâbord et vérifié la chaleur. Aucune chaleur sentie. 21 h 50 - pompiers cessent de combattre l'incendie. Mise en place d'un piquet d'incendie. Tuyaux d'incendie en place et prêts.


[10]            Lorsque la fumée a été découverte, on a arrêté l'opération de déchargement. À ce moment-là, 1 520 tonnes métriques de la cargaison de granulés de luzerne avaient été déchargées. Les pompiers de la ville de Québec sont arrivés à 19 h 20 et se sont mis à combattre l'incendie en utilisant de l'eau et de la mousse extinctrice. Selon les pompiers, le foyer de l'incendie était très profond et, par conséquent, ils ont dû creuser environ 15 à 20 pi dans la cale afin de combattre l'incendie de manière efficace. Vers 21 h 35, les pompiers ont déclaré l'incendie maîtrisé et, vers 22 h 15, ils ont quitté le navire. Il y a lieu de noter qu'avant l'arrivée des pompiers, l'équipage du navire avait utilisé deux tuyaux pour déverser de l'eau dans la cale où la fumée avait été aperçue.

[11]            La preuve démontre que le feu a débuté à bâbord de la cale no 4, profondément à l'intérieur de la cargaison et à peu près à égalité ou sous le niveau du haut du bordé inférieur de la trémie, directement sous le projecteur cargo dans les environs du panneau de cale no 23.

[12]            À 8 h 40 le lendemain, le déchargement de la cargaison de blé de la cale no 3 a recommencé et s'est terminé vers 10 h. À ce moment-là, toute la cargaison chargée à Thunder Bay et destinée à Québec avait été déchargée, sauf ce qui restait de la cargaison de luzerne dans la cale no 4.

[13]            À 10 h 15, le navire a quitté la section 18 pour la section 21, dans l'attente d'autres directives. Après avoir reçu des directives, le navire s'est dirigé vers la section 52, où la luzerne


endommagée a été déchargée au moyen de portiques. Le 2 juin 1989, le navire a quitté la section 52 vers 16 h 8 et, vers 20 h 15, on a aperçu de la fumée se dégageant de l'endroit où se trouvait la cargaison mouillée. Des lectures de température ont montré que la température se situait quelque part entre 110 oF et 125 oF.

[14]            À 22 h 44 le 2 juin 1989, le navire a continué sa route vers Havre St-Pierre puis Sept-Îles pour charger d'autres cargaisons. De Sept-Îles, le navire s'est rendu à Prescott (Ontario), où il est arrivé le 9 juin 1989. À Prescott, le reste de la cargaison de luzerne a été déchargé. Des photographies prises à Prescott montrent la présence de moisissure dans les granulés de luzerne. Je devrais noter que les panneaux de cale sont demeurés sur les cales pendant toute la durée du voyage de Québec à Prescott.

[15]            Par conséquent, les demanderesses et les défendeurs réclament tous deux des dommages-intérêts pour leur perte. Les demanderesses réclament la somme de 320 000 $US et les défendeurs, demandeurs reconventionnels, réclament la somme de 91 436,71 $CAN. Les quanta respectifs sont acceptés.


LES ARGUMENTS DES PARTIES

[16]            Les demanderesses avancent que, puisqu'un connaissement net a été délivré par le capitaine du navire, les défendeurs ont le fardeau de prouver ou d'expliquer la cause de la perte. Puisque la cause de la perte demeure inconnue, les demanderesses disent que les défendeurs doivent donc assumer la responsabilité pour les dommages causés par l'incendie.

[17]            Comme je l'ai déjà mentionné, les défendeurs nient toute responsabilité en ce qui concerne la perte. Leur principal argument est que la cargaison était une cargaison dangereuse, c'est-à-dire de nature inflammable; donc, en vertu de la règle 6 de l'article IV de l'Annexe intitulée Règles sur les connaissements (les Règles de La Haye), de la Loi sur le transport des marchandises par eau, S.R., ch. C-15 (la Loi), les demanderesses sont responsables de tous les dommages subis et de toutes les dépenses encourues par les défendeurs.

[18]            Les défendeurs soutiennent que, de toute façon, ils ne sont pas responsables de la perte subie par les demanderesses en raison des dispositions de la règle 2b) de l'article IV des Règles de La Haye, qui prévoient qu'un transporteur n'est pas responsable pour perte ou dommage résultant d'un incendie, à moins qu'il ne soit causé par son fait ou sa faute. Les défendeurs disent que leur fait ou leur faute ne sont pas en cause dans la présente affaire.

[19]            Enfin, les défendeurs invoquent la règle 2q) de l'article IV des Règles de La Haye qui, prétendent-ils, les dégage de toute responsabilité en ce qui concerne « toute autre cause ne provenant pas [de leur] fait ou de [leur] faute [...] ou du fait ou de la faute [de leurs] agents ou préposés [...] » .

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[20]            Les dispositions pertinentes de la loi, c'est-à-dire les règles 2b), 2q) et 6 de l'article IV, sont les suivantes :


2. Ni le transporteur ni le navire ne seront responsables pour perte ou dommage résultant ou provenant :

[...]

2. Neither the carrier nor the ship shall be responsible for loss or damage arising or resulting from:

[...]

b) d'un incendie, à moins qu'il ne soit causé par le fait ou la faute du transporteur;

[...]

(b) fire, unless caused by actual fault or privity of the carrier;

[...]

q) de toute autre cause ne provenant pas du fait ou de la faute du transporteur ou du fait ou de la faute des agents ou préposés du transporteur, mais le fardeau de la preuve incombera à la personne réclamant le bénéfice de cette exception et il lui appartiendra de montrer que ni la faute personnelle ni le fait du transporteur ni la faute ou le fait des agents ou préposés du transporteur n'ont contribué à la perte ou au dommage.

[...]

(q) any other cause arising without the actual fault and privity of the carrier, or without the fault or neglect of the agents or servants of the carrier, but the burden of proof shall be on the person claiming the benefit of this exception to show that neither the actual fault or privity of the carrier nor the fault or neglect of the agents or servants of the carrier contributed to the loss or damage.

[...]


6. Les marchandises de nature inflammable, explosive ou dangereuse, à l'embarquement desquelles le transporteur, le capitaine ou l'agent du transporteur n'auraient pas consenti, en connaissant leur nature ou leur caractère, pourront à tout moment, avant déchargement, être débarquées à tout endroit ou détruites ou rendues inoffensives par le transporteur sans indemnité et le chargeur de ces marchandises sera responsable de tout dommage et dépenses provenant ou résultant directement ou indirectement de leur embarquement.

     Si quelqu'une de ces marchandises embarquées à la connaissance et avec le consentement du transporteur devenait un danger pour le navire ou la cargaison, elle pourrait de même façon être débarquée ou détruite ou rendue inoffensive par le transporteur, sans responsabilité de la part du transporteur si ce n'est du chef d'avaries communes, s'il y a lieu.

6. Goods of an inflammable, explosive or dangerous nature to the shipment whereof the carrier, master or agent of the carrier has not consented, with knowledge of their nature and character, may at any time before discharge be landed at any place or destroyed or rendered innocuous by the carrier without compensation, and the shipper of such goods shall be liable for all damages and expenses directly or indirectly arising out of or resulting from such shipment.

     If any such goods shipped with such knowledge and consent shall become a danger to the ship or cargo, they may in like manner be landed at any place or destroyed or rendered innocuous by the carrier without liability on the part of the carrier except to general average, if any.


LE CONNAISSEMENT EN TANT QUE PREUVE PRIMA FACIE

[21]            Les demanderesses ont prétendu que, puisque le capitaine du navire avait délivré un connaissement net, il existait une présomption selon laquelle les granulés de luzerne avaient été reçus en bon état et que, par conséquent, le fardeau d'expliquer la perte revenait aux défendeurs. Vu les éléments de preuve qui me sont soumis, je ne puis souscrire à cette prétention. Bien que le connaissement soit net, il est clair qu'il était extrêmement difficile, sinon impossible, pour les personnes à bord du navire d'observer convenablement la condition des granulés de luzerne pendant leur chargement à bord du navire à Thunder Bay.


[22]            M. Kooka, le premier lieutenant, qui était de quart lors du chargement de la cargaison, a témoigné de façon non équivoque que pendant l'opération de chargement, le navire était entouré d'un nuage de poussière qui rendait l'observation visuelle très difficile. À ce propos, je veux souligner que le rythme de chargement de la cargaison était de l'ordre de 14,79 pi3 par seconde. Donc, dans un nuage de poussière, les personnes à bord du navire qui observaient le passage de la cargaison de la goulotte de chargement à la cale no 4 ne pouvaient, à mon sens, bien voir l'état de la cargaison. Dans ces circonstances, je suis d'avis que le connaissement net ne constitue pas une preuve prima facie que la cargaison était en bonne condition lors de son chargement.

LA CAUSE DE LA PERTE

[23]            J'examinerai maintenant la cause de la perte. À mon avis, la preuve nous amène à une seule conclusion : la combustion spontanée de la cargaison de luzerne est la véritable cause de la perte. J'en viens à cette conclusion pour les raisons qui suivent.

[24]            À l'origine, on a dit que l'incendie avait été causé par la chaleur dégagée par un projecteur de cale. Toutefois, les demanderesses ont abandonné ce point vu la conclusion tirée par leur expert, M. Jean-René Dumont, selon laquelle un projecteur n'aurait pas pu allumer l'incendie dans la cargaison. À ce sujet, je note que deux des experts des défendeurs, M. James Lygate et le capitaine Clifford Parfett, en sont également arrivés à la conclusion qu'un projecteur n'aurait pas pu allumer l'incendie.

[25]            Dans son rapport présenté en preuve pour le compte des demanderesses, M. Dumont n'a pas écarté la possibilité qu'une cigarette ait pu causer la perte; ainsi, après avoir conclu que la combustion spontanée n'aurait pas pu allumer l'incendie dans la cargaison, il a dit à la page 17 de son rapport que la seule cause possible était [traduction] « tout probablement reliée à une intervention humaine accidentelle ou intentionnelle » .


[26]            M. Lygate, dans son rapport présenté en contre-preuve et dans son témoignage, a examiné cette possibilité et a tiré la conclusion que [traduction] « il est très peu probable qu'une cigarette jetée ait pu être à l'origine de cet incendie » (voir le paragraphe 4.20 de son rapport, daté du 8 mars 2002). Les expériences faites en laboratoire pour le compte de M. Lygate et les motifs qu'il donne à l'appui de sa conclusion me paraissent convaincants, et j'accepte donc son opinion sur cette question.

[27]            La seule autre cause possible de perte soulevée dans cette affaire est la combustion spontanée de la cargaison. M. Dumont, un chimiste appelé à témoigner comme expert par les demanderesses, a rejeté cette cause. Toutefois, trois experts appelés par les défendeurs soit, M. Lygate, M. Dale Pulkinen et le capitaine Clifford Parfett, ont conclu que la combustion spontanée était la cause probable de l'incendie.

[28]            Je commence par la preuve de M. Dumont. En tirant la conclusion que la combustion spontanée n'aurait pas pu causer l'incendie, M. Dumont a admis que des granulés de luzerne pouvaient, dans certaines circonstances, s'enflammer. Toutefois, il était d'avis que ces conditions n'étaient pas présentes dans l'affaire qui nous occupe.


[29]            Premièrement, il a noté que pendant le voyage de neuf jours du navire de Thunder Bay à Québec, la cargaison contenue dans la cale no 4 n'avait pas été touchée par de la pluie ou de l'eau. À son avis, si de l'eau avait rejoint les granulés de luzerne, on aurait remarqué des agglomérats sur le dessus de la cargaison au moment où les panneaux de cale ont été enlevés à Québec.

[30]            Deuxièmement, il a réalisé une expérience de biodégradation sur des granulés de luzerne dans les installations de son entreprise à Laval. Bien que l'humidité des granulés ait été augmentée de manière artificielle, on n'a observé aucune augmentation de la température ou de la production de gaz au cours d'une période de huit jours. Par conséquent, selon M. Dumont, la combustion spontanée de la cargaison à l'intérieur de la cale no 4 ne pouvait être la cause de l'incendie. Pour ces raisons, M. Dumont a conclu que la seule cause possible de l'incendie était reliée à une intervention humaine accidentelle ou intentionnelle.

[31]            Je passe maintenant aux experts des défendeurs et je commence par la preuve de M. Pulkinen, un nutritionniste de Tisdale (Saskatchewan), diplômé en zootechnie et en nutrition animale. De 1984 à 1989, M. Pulkinen était le directeur général de l'Association des Déshydrateurs canadiens.


[32]            Les défendeurs ont demandé à M. Pulkinen de déposer un rapport en contre-preuve pour réfuter le rapport déposé par M. Dumont, et, en particulier, on lui a demandé de donner son avis sur la conclusion de M. Dumont selon laquelle la combustion spontanée n'était pas une cause possible de l'incendie qui s'est produit le 31 mai 1989. Selon M. Pulkinen, la méthodologie employée pour le test en laboratoire mené par M. Dumont n'a pas tenu compte de principes importants de dégradation microbiologique d'aliments pour animaux. En particulier, M. Pulkinen dit que la conclusion de M. Dumont est erronée et qu'il ne devrait lui être attribué aucun poids, pour les raisons suivantes :

1.        M. Dumont a ajusté le contenu d'humidité des granulés de luzerne en y ajoutant de l'eau, alors qu'il aurait dû ajuster l'humidité de l'air. Par conséquent, l'apparition d'activité microbiologique, c'est-à-dire de moisissure, [traduction] « est devenue presque impossible » à cause de la méthodologie suivie par M. Dumont.

2.        M. Pulkinen a expliqué que la combustion spontanée était un processus comportant deux étapes. Premièrement, l'apparition de moisissure et, deuxièmement, la réaction chimique qui mène à la combustion si des conditions particulières sont présentes, c'est-à-dire accumulation de chaleur et approvisionnement en oxygène. Selon M. Pulkinen, les tests menés par M. Dumont auraient dû être faits sur des échantillons de luzerne moisie afin d'établir la probabilité de combustion spontanée.

3.        À la page 3 de son rapport présenté en contre-preuve, sous la rubrique [traduction] « combustion spontanée dans les granulés de luzerne entreposés » , M. Pulkinen affirme ce qui suit :


[traduction] Des matériaux biologiques tels que des granulés de luzerne qui ont été exposés à une humidité excessive peuvent être à l'origine d'une réaction de croissance microbiologique. Cette croissance produit de l'humidité et de la chaleur additionnelles. S'il est renfermé dans un lieu isolant, ce processus va continuer et causer une hausse de température. À une certaine température, le processus biologique prendra fin et une réaction chimique débutera. Si un approvisionnement adéquat en oxygène est introduit, il y aura combustion spontanée.

[33]            Se fondant sur le document intitulé Guidelines for the Safe Processing and Storage of Alfalfa Pellets préparé par Mill Mutual Fire Prevention Bureau, bulletin no F803-73, publié en 1973, M. Pulkinen décrit ensuite les trois facteurs que l'on considère pertinents pour qu'il y ait combustion spontanée soit, la teneur en humidité des granulés, leur température et leur teneur en produits fins. À son avis, une bonne gestion de l'entreposage des granulés de luzerne est essentielle pour éviter l'apparition de combustion spontanée. À cet égard, il renvoie encore une fois au document de Mill Mutual, précité, qui recommande un certain nombre d'étapes pour l'entreposage sécuritaire de granulés de luzerne, c'est-à-dire, le retrait des produits fins avant l'entreposage et/ou l'étalement des produits fins lors de l'entreposage, un contrôle du niveau d'humidité avant l'entreposage, une bonne procédure d'aération pendant l'entreposage, l'égalisation de la température des granulés de luzerne entreposés et de la température ambiante, et la surveillance de la température des produits entreposés.


[34]            Parce que la combustion spontanée ou l'échauffement des granulés de luzerne lors de l'entreposage peuvent être un problème sérieux pour les membres de l'industrie transformatrice de luzerne dans l'Ouest du Canada, plusieurs d'entre eux ont adopté les recommandations de Mill Mutual et ont élaboré leurs propres procédures de gestion de l'entreposage. Après une inspection de quatre installations de granulation en Saskatchewan, faite dans le but de savoir si des incendies de produits entreposés étaient survenus et d'obtenir des renseignements concernant les circonstances entourant ces incendies, M. Pulkinen a conclu que tous les incendies s'étaient produits là où il y avait une zone d'humidité élevée dans les granulés de luzerne. Il a également conclu que le niveau élevé d'humidité était probablement causé par une concentration de produits fins et/ou par une ventilation insuffisante. À son avis, une ventilation insuffisante ou l'absence d'un bon équipement de contrôle a permis au problème d'atteindre [traduction] « le point de fumée et, éventuellement, la combustion spontanée » avant la détection.

[35]            À ce sujet, M. Pulkinen souligne que la cargaison en question avait été entreposée dans des silos pendant une période considérable. Il faut rappeler qu'une partie des granulés de luzerne est arrivée à Thunder Bay en septembre 1988 et est demeurée dans un silo jusqu'à son chargement à bord du navire, le 22 mai 1989. La deuxième partie est arrivée à Thunder Bay en mai 1989, mais avait probablement été entreposée pendant une période de six à douze mois avant son arrivée à Thunder Bay. On ne sait rien des conditions concernant l'entreposage de la première partie, si ce n'est qu'elle est demeurée dans un silo à l'élévateur à grains 10 ouest de septembre 1988 à mai 1989. On ne m'a fourni aucune élément de preuve concernant le système de ventilation, ou son existence même, à l'élévateur à grains 10 ouest, non plus qu'un élément de preuve portant sur un système de retrait de produits fins.


[36]            Par conséquent, selon l'avis de M. Pulkinen, le fait que la cargaison en question soit demeurée en entreposage pendant un nombre considérable de mois avant d'être chargée sur le navire contribuerait à la présence de courants de convection qui, à leur tour, favoriseraient la formation de zones de haute humidité au niveau supérieur et/ou au centre des produits entreposés si des produits fins y étaient concentrés et n'étaient pas retirés. Selon M. Pulkinen, ces zones [traduction] « pourraient potentiellement augmenter l'apparition de moisissure » . En ce qui a trait à la moisissure, M. Pulkinen mentionne les photos prises à Prescott le 9 juin 1989, qui montrent clairement des agglomérats de granulés de luzerne moisis. Il y avait donc présence de moisissure 18 jours après le chargement de la cargaison à Thunder Bay et 9 jours après la découverte de l'incendie. Ces observations ont amené M. Pulkinen à se former l'opinion suivante :

[traduction] À mon avis, la cause de l'incendie était fort probablement la combustion spontanée qui a résulté de la dégradation microbiologique (la moisissure) de granulés. Je crois que la formation de moisissure avait débuté bien avant que l'incendie ne commence. Même si la lutte contre l'incendie comprenait l'arrosage d'une partie de la cargaison avec de l'eau, nous savons, à la lecture du rapport CEP (le rapport de M. Dumont), que des granulés mouillés ne forment pas de moisissure en 8 jours à moins que, pendant toute cette période, la température ambiante soit demeurée supérieure à 30 0C et l'humidité relative supérieure à 800. On m'informe que ce n'est pas le cas. Je conclus que la formation de moisissure a débuté plus tôt; elle a probablement débuté au cours de la longue période pendant laquelle la cargaison était en entreposage à Thunder Bay.

Il poursuit alors en tenant les propos suivants :

[traduction] La réaction chimique à l'origine de la combustion spontanée a probablement débuté au moment ou avant le moment où le produit a été retiré de l'entreposage et chargé à bord du Ralph Misener. De plus, je n'ai pas d'information concernant le contenu de produits fins de la cargaison à bord du navire. Cependant, le chargement du Ralph Misener constitue à tout le moins une troisième manipulation de la cargaison. Indépendamment du contenu de produits fins après le chargement dans les silos à grains à Thunder Bay, l'opération de chargement à bord du navire signifiait qu'on laissait tomber les granulés d'une hauteur de plus de 60 pi... Le moins qu'on puisse dire est que le contenu de produits fins aurait augmenté au moment du chargement et est demeuré à ce niveau élevé jusqu'au début de l'incendie. Le fait que le foyer de l'incendie était situé en profondeur renforce la conclusion logique selon laquelle on peut s'attendre à ce que la combustion se produise là où la concentration de produits fins est à son plus haut, puisque les produits fins isolent les points chauds, accélérant ainsi une hausse de température. Le manque d'oxygène a probablement retardé l'apparition de fumée et de feu jusqu'au début du déchargement à Québec.

[37]            Je passe maintenant à M. Lygate, un enquêteur sur les incendies de renommée internationale, qui possède de vastes qualifications officielles en tant qu'ingénieur de protection contre les incendies, qui a déposé un rapport présenté en preuve ainsi qu'un rapport en contre-preuve pour réfuter le rapport de M. Dumont. Pour des motifs semblables à ceux donnés par M. Pulkinen, M. Lygate conclut que la combustion spontanée de la cargaison est la cause probable de l'incendie. En tirant cette conclusion, M. Lygate, tout comme M. Pulkinen, s'est basé, en partie, sur le document préparé par Mill Mutual, précité, qui, entre autres, précise que la teneur en humidité des granulés, leur température et leur contenu en produits fins constituent les facteurs importants menant à la combustion spontanée des granulés de luzerne.

[38]            M. Lygate a souligné que pendant le déchargement de la cargaison, des agglomérats de moisissure ont été aperçus d'un bout à l'autre de la cargaison et dans des parties de la cale qu'il était peu probable que [traduction] « de l'eau d'extinction ait pu atteindre » . Au paragraphe 5.3.16 de son rapport présenté en preuve, M. Lygate fait la déclaration suivante laquelle, à mon avis, est entièrement soutenue par la preuve :

[traduction] Plutôt, ce qui semble s'être produit est qu'une fois les panneaux de cale enlevés, de l'air s'est introduit dans la cargaison et s'est diffusé à travers les granulés jusqu'au foyer de l'incendie. L'amélioration de l'alimentation en air a contribué à augmenter le taux de croissance de moisissure, jusqu'à ce que les produits de combustion soient dégagés à un taux suffisant pour que l'incendie soit découvert à 17 h 40. À mon avis, ceci est compatible avec un incendie dont le foyer est très profond, qui était le résultat d'un échauffement spontané dû au fait que les granulés étaient trop humides.


[39]            Le capitaine Clifford Parfett, un expert maritime de Montréal, a également été appelé par les défendeurs à donner son avis sur la cause possible de la perte. Après avoir éliminé comme causes possibles un projecteur cargo et un morceau de métal chaud, le capitaine Parfett s'est arrêté au phénomène de la combustion spontanée. En raison du fait que des fabricants de granulés à travers le Canada paraissent avoir passablement de succès dans la prévention de l'échauffement de leurs produits au moyen de méthodes sophistiquées de contrôle de la température et d'une bonne ventilation, et se basant sur le document préparé par Mill Mutual, précité, qui précise qu'une bonne ventilation et le contrôle de la température constituent des facteurs essentiels à la prévention du déplacement de la moisissure et des augmentations de température, le capitaine Parfett a conclu que la combustion spontanée était la [traduction] « seule cause probable de l'incendie » .

[40]            En tirant cette conclusion, le capitaine Parfett a fait remarquer que son enquête avait révélé que l'élévateur 10 ouest ne paraissait pas avoir une bonne ventilation ou un bon système de contrôle de la température ni à l'automne 1988 ni au printemps 1989.

[41]            À mon avis, il existe une preuve écrasante au soutien de l'opinion selon laquelle la cause probable de l'incendie est la combustion spontanée des granulés de luzerne. Les demanderesses n'ont mis de l'avant aucune théorie et je conclus donc que l'incendie à bord du navire à Québec le 31 mai 1989, a été causé par la combustion spontanée.


[42]            Pour terminer sur cette question, je dirai quelques mots du témoignage offert par M. Don Crane qui, à l'époque pertinente, était négociant en grains pour la demanderesse Elders Grain Co. Ltd. Je note qu'avant 1989, M. Crane avait été directeur général d'une usine de déshydratation de luzerne qui était la propriété de Allstate Grain Co., qui, à un moment donné, a été achetée par la demanderesse Elders. Donc, M. Crane avait une connaissance considérable en matière de production et de déshydratation de granulés de luzerne.

[43]            M. Crane a expliqué que des granulés de luzerne pouvaient demeurer en entreposage pendant des années une fois la déshydratation terminée. Il a témoigné qu'il n'avait jamais eu de problèmes de combustion dans son aire d'entreposage, puisque sa société suivait

des directives internes très strictes concernant l'innocuité du produit. Il a expliqué que la moisissure apparaissait généralement sur les granulés environ 7 à 10 jours après la fin de la déshydratation et que des sondes de température portatives étaient utilisées pour mesurer la température du produit. M. Crane a également expliqué que les directives internes prévoyaient le retrait des produits fins et une bonne ventilation dans l'aire d'entreposage.

[44]            Je retiens du témoignage de M. Crane le fait qu'il existait une préoccupation selon laquelle, si de bonnes mesures n'étaient pas prises, des granulés de luzerne pouvaient s'échauffer et éventuellement s'enflammer. Voilà pourquoi la température des granulés était constamment mesurée afin de prévenir des problèmes éventuels.


[45]            M. Crane a témoigné qu'il n'avait pas de rapports d'échantillonnage/analyse des granulés qui ont été transportés de Creston à Thunder Bay et qu'il ne pouvait pas en produire. Il a tenu à préciser qu'il n'y avait pas de rapports concernant les deux parties distinctes de granulés de luzerne qui ont été chargées à bord du navire « RALPH MISENER » . M. Crane a dit qu'il ne connaissait pas bien le fonctionnement de l'élévateur 10 ouest et, par conséquent, il ne pouvait fournir d'éléments de preuve à ce sujet. Il a également dit qu'il ne se rappelait pas que sa société ait donné des directives concernant l'entreposage et la manutention des granulés, que ce soit aux opérateurs de l'élévateur 10 ouest ou aux défendeurs.

[46]            À mon avis, le témoignage de M. Crane appuie les témoignages d'opinion fournis par M. Pulkinen, M. Lygate et le capitaine Parfett selon lesquels les systèmes de contrôle de la température et une bonne ventilation sont essentiels pour empêcher les granulés de luzerne d'atteindre le point de combustion.

LA CARGAISON DE GRANULÉS DE LUZERNE ÉTAIT-ELLE UNE CARGAISON DANGEREUSE?

[47]            La réponse à cette question est évidente. Il s'agissait en effet d'une cargaison dangereuse. Mal entreposée, elle pouvait s'enflammer et ainsi causer la perte du navire et d'autres cargaisons.


[48]            Dans Effort Shipping Co. Ltd. c. Linden Management S.A. and another (The "Giannis NK"), [1998] 1 Lloyd's Rep. 337, à la page 341, la Chambre des lords a dit qu'il était bien établi en droit depuis Chandris c. Isbrandtsen-Moller Co. Inc., (1950) 83 Ll.L.Rep. 385, que l'on devait donner au mot « dangereuse » dans l'expression « marchandises de nature [...] dangereuse » un sens large et que, par conséquent, l'expression « marchandises dangereuses » n'était pas limitée à des marchandises de nature inflammable ou explosive.

[49]            Dans la présente affaire, les défendeurs, invoquant la règle 6 de l'article IV des Règles de La Haye, affirment que les demanderesses sont responsables de la perte qu'ils ont subie en raison de l'incendie. À mon avis, les défendeurs ont raison. Par souci de commodité, je reproduis une fois de plus la règle 6 de l'article IV :


6. Les marchandises de nature inflammable, explosive ou dangereuse, à l'embarquement desquelles le transporteur, le capitaine ou l'agent du transporteur n'auraient pas consenti, en connaissant leur nature ou leur caractère, pourront à tout moment, avant déchargement, être débarquées à tout endroit ou détruites ou rendues inoffensives par le transporteur sans indemnité et le chargeur de ces marchandises sera responsable de tous dommages et dépenses provenant ou résultant directement ou indirectement de leur embarquement. [Soulignement et caractères gras ajoutés.]

     Si quelqu'une de ces marchandises embarquées à la connaissance et avec le consentement du transporteur devenait un danger pour le navire ou la cargaison, elle pourrait de même façon être débarquée ou détruite ou rendue inoffensive par le transporteur, sans responsabilité de la part du transporteur si ce n'est du chef d'avaries communes, s'il y a lieu.

6. Goods of an inflammable, explosive or dangerous nature to the shipment whereof the carrier, master or agent of the carrier has not consented, with knowledge of their nature and character, may at any time before discharge be landed at any place or destroyed or rendered innocuous by the carrier without compensation, and the shipper of such goods shall be liable for all damages and expenses directly or indirectly arising out of or resulting from such shipment. [Emphasis added]

     If any such goods shipped with such knowledge and consent shall become a danger to the ship or cargo, they make in like manner be landed at any place or destroyed or rendered innocuous by the carrier without liability on the part of the carrier except to general average, if any.



Il n'existe aucun élément de preuve selon lequel les défendeurs connaissaient le caractère dangereux de la cargaison de granulés de luzerne lorsqu'ils ont accepté de la transporter. Il est aussi clairement démontré en preuve que les demanderesses n'ont pas donné de directives ni de renseignements aux défendeurs en ce qui concerne leur cargaison et, en particulier, n'ont pas informé les défendeurs de la nature inflammable des granulés de luzerne. Dans les circonstances, je ne peux que conclure à la responsabilité des demanderesses en vertu de la règle 6 de l'article IV.

[50]            Dans « The Giannis NK » , précité, les propriétaires de la cargaison ont mis de l'avant un argument selon lequel la responsabilité d'un chargeur sous la règle 6 de l'article IV, était diminuée par les dispositions de la règle 3 de l'article IV, qui se lit comme suit :


3. Le chargeur ne sera pas responsable des pertes ou dommages subis par le transporteur ou le navire et qui proviendraient ou résulteraient de toute cause quelconque sans qu'il y ait acte, faute ou négligence du chargeur, de ses agents ou de ses préposés.

3. The shipper shall not be responsible for loss or damage sustained by the carrier or the ship arising or resulting from any cause without the act, fault or neglect of the shipper, his agents or his servants.


En d'autres termes, les propriétaires de la cargaison ont allégué qu'un chargeur ne sera responsable des dommages causés par une cargaison dangereuse que s'il sait ou s'il a le moyen de savoir qu'il s'agit de matières dangereuses. La responsabilité d'un chargeur ne devrait être retenue que lorsque sa faute ou sa négligence ont été prouvées. Les défendeurs, propriétaires du navire, ont avancé, en réponse, l'argument selon lequel la règle 6 de l'article IV était une disposition autonome, applicable en matière de biens dangereux.

[51]            Après un examen minutieux de la jurisprudence pertinente, la Chambre des lords a conclu que la règle 6 de l'article IV était une disposition autonome et qu'elle n'était pas assujettie, ni expressément ni explicitement, à la règle 3 de l'article IV. Selon l'avis des lords, la règle 6 de l'article IV imposait aux chargeurs une responsabilité stricte lorsqu'ils expédient des biens dangereux, et ce, qu'ils soient fautifs ou non.

[52]            La Chambre des lords s'est ensuite arrêtée au transport de biens dangereux en common law. Bien qu'il n'ait pas été nécessaire de trancher cette question en raison de la conclusion tirée par les lords concernant la règle 6 de l'article IV, lord Lloyd a dit que, néanmoins, il convenait, dans les circonstances, de trancher la question. Après examen de la jurisprudence, en particulier Brass c. Maitland, (1856) 6 E. & B. 470, où il y avait une divergence d'opinions quant à savoir si un chargeur était responsable sans qu'il y ait faute de sa part, la Chambre des lords a conclu dans le sens de la majorité dans Brass c. Maitland, précité, qu'en common law, la responsabilité d'un chargeur dans le transport de matières dangereuses ne dépendait pas du fait qu'il sache ou qu'il ait le moyen de savoir qu'il s'agissait de matières dangereuses.

[53]            En conséquence, que la responsabilité d'un chargeur découle de la règle 6 de l'article IV, ou de la common law, elle demeure la même. Dans la présente affaire, les demanderesses ont contrevenu à la règle 6 de l'article IV des Règles de La Haye pour avoir expédié une cargaison dangereuse dont la nature et le caractère étaient inconnus des défendeurs. En conséquence, les demanderesses sont responsables de tous dommages et de toutes dépenses occasionnés au navire et à ses propriétaires.

CONCLUSION


[54]            Pour ces motifs, l'action des demanderesses sera rejetée et la demande reconventionnelle des défendeurs sera accueillie. Les demanderesses seront condamnées à payer aux défendeurs la somme de 91 436,71 $CAN avec intérêts au taux appliqué aux débiteurs de premier ordre du 9 juin 1989 jusqu'à la date du présent jugement. Pour ce qui est des intérêts après jugement, ils seront payables selon les termes du paragraphe 37(1) de la Loi sur la Cour fédérale. En ce qui concerne les dépens, ils feront l'objet d'une discussion.

« M. Nadon »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 7 juillet 2003

Traduction certifiée conforme

Caroline Raymond, LL.L.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                       T-1836-90

INTITULÉ :                      ELDERS GRAIN CO. LTD. et al.

c.

LE NAVIRE « RALPH MISENER » et al.

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                              QUÉBEC (QUÉBEC) et MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATES DE L'AUDIENCE :                          LES 8, 9 10 ET 11 AVRIL 2002; LES 19, 20 ET 21 AOÛT 2002; ET LE 13 SEPTEMBRE 2002.

MOTIFS DU JUGEMENT :                         LE JUGE NADON

DATE DES MOTIFS :     LE 7 JUILLET 2003

COMPARUTIONS :

Normand Laurendeau          POUR LES DEMANDERESSES

Andrew Penhale

John G. O'Connor               POUR LES DÉFENDEURS

Jean Grégoire

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robinson Sheppard Shapiro                              POUR LES DEMANDERESSES

Montréal (Québec)

Langlois Gaudreau O'Connor                            POUR LES DÉFENDEURS

Québec (Québec)


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