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Date : 20040326

Dossier : T-519-03

Référence : 2004 CF 469

Ottawa (Ontario), le 26 mars 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

ENTRE :

                LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DE PERCEPTION DE LA COPIE PRIVÉE

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                              AMICO IMAGING SERVICES INC.

                                                                             et

                                               COMPUTER DIRECT DEPOT INC.

                                                                                                                                    défenderesses

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La défenderesse Amico Imaging Services Inc. a déposé une requête dans laquelle elle demande à la Cour d'annuler l'ordonnance Anton Piller accordée par le juge Lemieux le 30 avril 2003.


LES FAITS

[2]                La Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. 1985, ch. C-42 (la Loi), a été modifiée en 1997 en vue d'autoriser la copie pour usage privée; les modifications créaient également un régime dans lequel les auteurs, les artistes et les producteurs d'enregistrement sonore admissibles ont droit à une rémunération équitable pour les copies privées effectuées par les consommateurs. Cette rémunération devait provenir des redevances imposées aux fabricants et importateurs canadiens de supports d'enregistrement audio vierges. La Commission du droit d'auteur établit chaque année le tarif applicable aux cassettes audio et CD vierges. Elle a désigné la Société canadienne de perception de la copie privée (SCPCP, la demanderesse), à titre d'organisme de perception des tarifs. Cette Société a pour mandat de percevoir les redevances auprès des fabricants et des importateurs et de verser les montants perçus aux titulaires de droit d'auteur admissibles.

[3]                Aux termes de l'article 88 de la Loi, la demanderesse peut intenter une action pour percevoir les redevances non acquittées et obtenir des contrevenants qu'ils observent les autres obligations énoncées dans la partie VIII de la Loi.


[4]                L'action instituée par la demanderesse vise deux défenderesses, Amico Imaging Services Inc. (la défenderesse Amico) et Computer Direct Depot Inc. (la défenderesse CDD). Amico est une société constituée selon les lois de la province de l'Ontario. Elle fait la vente en gros de fournitures de formation d'images (reprographie), d'accessoires pour ordinateur et de supports d'enregistrement sonore vierges. CDD est également une société constituée selon les lois de la province de l'Ontario qui importe des supports d'enregistrement sonore vierges et qui les revend à des tiers.

[5]                La demanderesse soutient que les défenderesses n'ont pas respecté les obligations énoncées à la partie VIII de la Loi, et en particulier, elles n'ont pas déclaré l'importation et la vente de supports audio vierges et n'ont pas remis à la demanderesse les redevances prévues.

[6]                La demanderesse soutient qu'Amico s'est volontairement soustraite à ses obligations en dissimulant son importation de cassettes audio vierges en s'entendant avec CDD pour que cette dernière fasse office d'importateur officiel pour des supports audio vierges destinés en fait à être vendus par Amico.

[7]                D'après les preuves, il semble que les copropriétaires d'Amico, M. Frankel et M. Grunbaum, ont été informés en 2002 qu'ils étaient tenus de payer une redevance sur les CD vierges importés. Ils ont immédiatement donné l'ordre à M. Young, le directeur des ventes d'Amico, de cesser d'importer des CD et de les obtenir auprès d'un fournisseur canadien, de façon à éviter d'avoir à verser des redevances. Ils ne semblaient pas être au courant du fait que les fabricants canadiens étaient également tenus de payer cette redevance de sorte que, peut-on présumer, un grossiste doit assumer le coût de la redevance, que les CD soient importés ou fabriqués au Canada.


[8]                Après avoir fait enquête sur les ventes de CD effectuées par les deux défenderesses, la demanderesse a demandé une ordonnance Anton Piller qu'elle a obtenue le 30 avril 2003. L'ordonnance Anton Piller a été exécutée les 21 et 22 mai 2003. Les documents qui ont été saisis ont été conservés par la demanderesse, conformément à l'ordonnance de madame la juge Dawson datée du 3 juin 2003; les photocopies de ces documents ont toutefois été rendues à la défenderesse.

[9]                La défenderesse Amico demande maintenant l'annulation de l'ordonnance Anton Piller, le retour de tous les documents originaux et des copies, l'attribution de dommages-intérêts pour entrave à ses activités commerciales et des dépens sur la base procureur-client. La défenderesse Amico soutient que l'ordonnance Anton Piller a été obtenue à la suite d'une divulgation qui n'était ni franche ni complète et que la demanderesse n'a pas démontré le bien-fondé de ses arguments, ni l'existence d'un préjudice grave.

LA QUESTION EN LITIGE

[10]            Y a-t-il lieu d'annuler l'ordonnance Anton Piller?


LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[11]            Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. 1985, ch. C-42, mod. 1997, ch. 24, art. 50.


82. (1) Quiconque fabrique au Canada ou y importe des supports audio vierges à des fins commerciales est tenu :

82. (1) Every person who, for the purpose of trade, manufactures a blank audio recording medium in Canada or imports a blank audio recording medium into Canada

a) sous réserve du paragraphe (2) et de l'article 86, de payer à l'organisme de perception une redevance sur la vente ou toute autre forme d'aliénation de ces supports au Canada;

(a) is liable, subject to subsection (2) and section 86, to pay a levy to the collecting body on selling or otherwise disposing of those blank audio recording media in Canada; and

b) d'établir, conformément au paragraphe 83(8), des états de compte relatifs aux activités visées à l'alinéa a) et aux activités d'exportation de ces supports, et de les communiquer à l'organisme de perception.

(b) shall, in accordance with subsection 83(8), keep statements of account of the activities referred to in paragraph (a), as well as of exports of those blank audio recording media, and shall furnish those statements to the collecting body.

(2) Aucune redevance n'est toutefois payable sur les supports audio vierges lorsque leur exportation est une condition de vente ou autre forme d'aliénation et qu'ils sont effectivement exportés.

(2) No levy is payable where it is a term of the sale or other disposition of the blank audio recording medium that the medium is to be exported from Canada, and it is exported from Canada.


ANALYSE


[12]            Les ordonnances Anton Piller sont habituellement accordées dans les cas de violation d'un droit d'auteur ou de contrefaçon d'une marque de commerce; en l'espèce, l'ordonnance a été accordée à la demanderesse en se basant sur une allégation selon laquelle la défenderesse n'avait pas versé les redevances exigées par la Loi sur le droit d'auteur. Le critère applicable à l'octroi et à l'annulation d'une ordonnance Anton Piller n'a pas changé, même s'il doit être modifié pour tenir compte du fait qu'il ne s'agit pas d'une véritable affaire de violation du droit d'auteur.

[13]            L'ordonnance Anton Piller a pour objet d'assurer la préservation de documents qui touchent une instance et qui, si avis était donné à la défenderesse d'une poursuite imminente, risqueraient d'être détruits dans le but d'éviter une telle poursuite. Ce nom vient d'une affaire qui a été entendue par la Cour d'appel d'Angleterre, Anton Piller KG c. Manufacturing Processes Ltd., [1976] Ch. 55 (C.A.), dans laquelle la Cour d'appel a jugé qu'un tribunal avait le pouvoir de rendre une ordonnance à la suite d'une demande ex parte en vue d'obliger le défendeur à autoriser le demandeur à inspecter des locaux et à prendre possession de documents ou d'en faire des copies. L'ordonnance Anton Piller est souvent combinée à une injonction enjoignant au défendeur de cesser l'acte de contrefaçon, et peut autoriser la saisie des biens contrefaits en attendant que l'affaire soumise à la Cour soit tranchée.


[14]            Dans la présente affaire, l'ordonnance Anton Piller délivrée par le juge Lemieux le 30 août 2003 autorisait l'inspection des locaux des deux défenderesses, Amico et CDD, la saisie des documents se rapportant à la vente de supports d'enregistrement audio, la saisie d'échantillons de ces supports et l'enregistrement par photographie, caméra vidéo ou autres moyens des supports audio vierges trouvés dans les locaux des défenderesses. Les deux défenderesses ont consenti à l'exécution de l'ordonnance mais la défenderesse Amico, l'auteure de la présente requête, a réservé le droit de contester la délivrance de l'ordonnance, comme cela était mentionné dans l'examen de l'ordonnance, daté du 3 juin 2003, qui a été mené par madame la juge Dawson. La défenderesse Amico demande aujourd'hui à la Cour d'annuler l'ordonnance Anton Piller et d'ordonner à la demanderesse de lui verser des dommages-intérêts pour le préjudice causé aux activités commerciales de la défenderesse, pour le coût des conseils juridiques obtenus et enfin de rendre immédiatement tous les originaux et les copies des documents, des données et des inventaires saisis.

[15]            Deux aspects de la présente demande sont à considérer : 1) le critère applicable en matière de délivrance d'une ordonnance Anton Piller et 2) la question de savoir si l'omission de la part de la demanderesse de procéder à une divulgation sincère et complète des éléments de preuve, comme le soutient la défenderesse, doit entraîner l'annulation de l'ordonnance Anton Piller.

Le critère applicable en matière d'ordonnance Anton Piller

[16]            Trois conditions doivent être remplies pour qu'un tribunal accorde une ordonnance Anton Piller. Étant donné que l'ordonnance est un recours extraordinaire d'equity qui accorde au demandeur le droit de procéder à une perquisition à la suite d'une requête ex parte, les tribunaux vérifient soigneusement que ces conditions sont effectivement remplies. Lorsque le défendeur réussit à démontrer que la requête a été accordée sur des preuves insuffisantes, l'ordonnance est annulée.


[17]            Lord Ormrod a formulé dans l'arrêt Anton Piller mentionné ci-dessus ces trois conditions :

[traduction]Tout d'abord, il faut un commencement de preuve très solide. Deuxièmement, le préjudice réel ou possible doit être très grave pour le requérant. Troisièmement, il faut la preuve manifeste que les défendeurs ont en leur possession des documents ou des objets pouvant servir de pièces à conviction et qu'il est réellement possible que les défendeurs détruisent ces pièces avant que puisse être introduite une demande inter partes. (Anton Piller, précité, page 198).

[18]            Comme les tribunaux l'ont déclaré dans les affaires Adobe Systems Inc. c. KLJ Computer Solutions Inc., [1999] 3 C.F. 621 (1re inst.) et Viacom Ha! Holding Company c. Jane Doe, [2000] A.C.F. n ° 498 (1re inst.), les deux premières conditions sont normalement remplies par la preuve du titre sur les droits de propriété intellectuelle et la preuve manifeste d'une contrefaçon. Cela s'applique aux affaires touchant les marques de commerce et le droit d'auteur. En l'espèce, les conditions sont légèrement différentes mais j'estime qu'elles ont été remplies.


[19]            Il n'est pas contesté que la SCPCP a le droit de percevoir des redevances sur tous les supports audio vierges vendus au Canada, qu'ils aient été fabriqués dans ce pays ou importés. La SCPCP soutient que, si elle n'avait pas obtenu l'ordonnance Anton Piller, elle n'aurait pas eu la possibilité de présenter des preuves et de récupérer les sommes qui devaient être versées aux artistes-interprètes et aux titulaires de droit d'auteur. Le risque de préjudice est donc réel. De la même façon que le fait d'établir le droit de propriété et la contrefaçon constitue un commencement de preuve solide et montre l'existence d'un préjudice grave, je pense que le fait d'établir le droit à percevoir des redevances et l'absence de versement répond aux deux premières conditions de délivrance d'une ordonnance Anton Piller. Le débat porte habituellement sur la troisième condition, la question de savoir si la crainte que des preuves soient détruites justifient vraiment d'accorder au demandeur le droit d'effectuer une perquisition après avoir présenté une requête ex parte.

[20]            La défenderesse Amico soutient qu'il n'existait aucun motif de craindre que les preuves soient détruites; la défenderesse est une entreprise bien établie, respectueuse des lois, qui aurait respecté les conditions imposées si elle en avait été informée par la SCPCP, par exemple, en lui envoyant une mise en demeure. Cependant, compte tenu du stratagème complexe mis sur pied pour éviter de verser les redevances exigées, il existait des motifs de craindre que des preuves pourraient être détruites si les défenderesses (Amico et CDD) étaient averties à l'avance de l'intention de la SCPCP de réclamer ces redevances; les preuves une fois détruites, la SCPCP aurait éprouvé des difficultés à établir le montant de l'arriéré des redevances. Le préjudice et le risque de destruction de preuves avaient donc été établis.

L'annulation de l'ordonnance est-elle justifiée?


[21]            L'auteure de la requête, la défenderesse Amico, soutient qu'aucun commencement de preuve solide n'a été établi puisqu'il n'existe aucun élément indiquant qu'Amico ait importé des CD après juin 2002. Cette affirmation fait problème pour deux raisons : elle nie le fait que la défenderesse aurait dû payer des redevances avant juin 2002. En fait, des éléments de preuve ont été fournis à ce sujet et la défenderesse a reconnu qu'elle avait vendu entre 2000 et 2002 plus de 2,8 millions de CD pour lesquels elle n'avait versé aucune redevance. Cette affirmation obligerait également le tribunal à ne pas tenir compte des preuves indiquant qu'Amico importait des CD par l'intermédiaire de CDD, sans qu'aucune de ces entreprises ne verse de redevances.

[22]            La défenderesse Amico soutient également que, lorsque la demanderesse a demandé la délivrance d'une ordonnance Anton Piller, elle n'a pas effectué une divulgation fidèle et complète des faits concernant l'entreprise de la défenderesse.

[23]            La défenderesse mentionne certains points mineurs de l'affidavit Pavloff mais je ne pense pas que ces points aient joué le moindre rôle dans la décision du juge Lemieux d'accorder une ordonnance Anton Piller. La défenderesse mentionne que, dans son affidavit, M. Pavloff semble laisser entendre que la société n'est pas une entreprise établie, qu'elle a l'habitude de violer les lois en ne facturant pas les taxes et en acceptant facilement des paiements en espèces; M. Pavloff mentionne également que des CD provenaient d'une société « Earth Corp. » qui, d'après la défenderesse, n'exporte pas de CD.


[24]            Il est révélateur que la défenderesse ne conteste pas les principaux points pertinents, à savoir les faits suivants : M. Pavloff a déclaré avoir vu un grand nombre de CD en stock, ainsi que trois différentes marques de CD provenant de l'étranger. Le directeur des ventes, M. Young, offre de fournir des CD en grande quantité, y compris des CD importés. En lisant l'affidavit de Pavloff, on a l'impression qu'Amico est une société bien établie - elle dispose de locaux considérables, elle a publié un catalogue en couleur et emploie au moins cinq employés. L'affidavit ne donne aucunement l'impression que si cette société recevait une commande, elle disparaîtrait sans laisser de trace. Le fait que M. Pavloff ait cru à tort que la TPS n'avait pas été facturée sur son achat (une erreur compréhensible étant donné que le total à payer ne mentionnait pas le montant de la TPS), ou qu'il mentionne avoir effectué ses achats en espèces ne sont pas les éléments sur lesquels il s'appuie pour expliquer sa crainte de voir des preuves détruites si la SCPCP agissait sans avoir obtenu au préalable une ordonnance Anton Piller. M. Pavloff décrit fort bien les motifs pour lesquels Amico risquerait de détruire des preuves. Ces éléments ne sont pas contestés par l'auteure de la présente requête.

[25]            Dans une requête en annulation d'une ordonnance Anton Piller, le tribunal a le droit d'examiner à la fois les preuves présentées au moment de la délivrance de l'ordonnance et les preuves nouvelles ayant pu apparaître par la suite. Dans Adobe Systems, mentionné ci-dessus, le juge en chef adjoint Richard, tel était alors son titre, examinait une requête en annulation d'une ordonnance Anton Piller qui était également fondée sur une divulgation insuffisante de la part de la demanderesse dans une instance ex parte.


[26]            Au paragraphe 46, le juge en chef adjoint Richard cite longuement l'arrêt de la Cour d'appel d'Angleterre dans l'affaire Brink's-MAT Ltd. v. Elcombe, [1988] 3 All ER 188 (C.A.), qui traite des principes qui permettent de décider si une divulgation incomplète de la part du demandeur en vue d'obtenir une ordonnance Anton Piller doit automatiquement entraîner la mainlevée de l'ordonnance. J'extrais de cette citation les énoncés suivants :

... (i) l'obligation du requérant est celle de faire « une divulgation complète et juste de tous les faits importants » ; ...

(ii) les faits importants sont ceux que le juge doit absolument connaître pour donner suite à la requête qui lui est présentée; ...

(vi) la question de savoir si les faits dissimulés sont d'une importance suffisante pour justifier ou appeler une mainlevée immédiate de l'ordonnance sans examen du bien-fondé dépend de l'importance des faits en question pour les points qui devaient être décidés par le juge au vu de la requête. ...

(vii) finalement, « il n'y aura pas automatiquement mainlevée de l'injonction toutes les fois qu'il y aura omission. ... »

[27]            Aux paragraphes 47 à 49, le juge en chef adjoint Richard déclare ce qui suit :

¶ 47       Il est bien établi que, étant donné que j'examine une ordonnance qui n'a pas été rendue par moi, l'audience que je préside est une audience de novo en ce qui concerne à la fois le droit et les faits se rapportant à cette affaire. Comme l'indiquait M. le juge Teitelbaum dans l'affaire Proctor & Gamble Inc. c. M. Untel (1997), 76 C.P.R. (3d) 350 (C.F. 1re inst.), à la page 354, citant M. le juge Smith, de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'affaire Gulf Islands Navigation Ltd. v. Seafarers Internat'l Union of North America (Can. Dist.) (1959), 18 D.L.R. (2d) 625 (C.A. C.-B.) [à la page 627] :

... si le second juge entend la requête, il devrait s'agir d'une audience de novo en ce qui concerne à la fois le droit et les faits.

¶ 48       Il ne s'agit pas ici d'un appel contre la décision rendue par le juge qui a rendu l'ordonnance Anton Piller mais d'un examen de novo. Par conséquent, le juge qui effectue cet examen peut tenir compte des preuves additionnelles valablement présentées par les demanderesses au soutien de l'ordonnance.

¶ 49       Il s'agit de savoir si, au vu de l'ensemble des preuves et des arguments présentés par les parties, l'ordonnance demandée est justifiée.

[28]            Cette dernière affirmation s'applique à la présente espèce. Pour déterminer s'il est justifié d'annuler l'ordonnance Anton Piller, je dois prendre en considération tous les éléments de preuve et tous les arguments présentés par les parties.

[29]            Selon ce principe, je n'ai aucune difficulté à conclure que le tribunal était fondé à délivrer une ordonnance Anton Piller. J'en arrive à ces conclusions en tenant compte des faits suivants :

-          la défenderesse Amico a admis (contre-interrogatoire de M. Grunbaum et M. Frankel), n'avoir jamais payé de redevances sur les supports audio vierges importés;

-          le directeur des ventes d'Amico, M. Young, savait dès 2000 (dans une correspondance électronique découverte par la demanderesse) que l'entreprise était tenue de payer des redevances;

-          M. Grunbaum et M. Frankel ont tous deux déclaré qu'ils n'ont été informés de l'obligation de verser des redevances qu'en 2002. Cependant, lorsqu'ils ont appris cette obligation, aucun d'eux n'a cherché à connaître le montant des redevances à payer; ils ont simplement décidé de ne pas importer de CD, de façon à ne pas avoir à verser de redevances.

[30]            Ils n'ont pas non plus tenté de découvrir si les redevances applicables aux CD que leur société achetait et vendait avaient été versées, même après avoir été informés de cette obligation. Ils s'en sont entièrement remis à M. Young, qui a pris des arrangements avec CDD pour que cette entreprise devienne l'importatrice officielle de ces CD. M. Ho Dam, le directeur de CDD, semble, d'après son contre-interrogatoire, avoir complètement ignoré qu'il était obligatoire de verser une redevance et la raison pour laquelle il était devenu subitement l'importateur de tous les CD vendus par Amico, une activité lucrative pour lui.


[31]            Il est incontestable que les copropriétaires d'Amico ont tenté de se soustraire au paiement des redevances et, surtout, n'ont pris aucune mesure pour veiller à ce que les CD vendus par Amico aient été légalement importés, et aient donné lieu au paiement des redevances prévues. Le partage de la responsabilité entre Amico et CDD est une question qui sera tranchée au cours d'une autre instance. Pour le moment, j'estime qu'il existe suffisamment de preuves pour prouver l'existence d'un commencement de preuve solide, le préjudice causé à la demanderesse et le risque de destruction de preuves.

[32]            L'impression que donnaient les affidavits présentés à l'appui de la demande Anton Piller n'était pas qu'Amico était une entreprise louche, ce qui n'est pas le cas comme l'ont reconnu toutes les parties; ces affidavits indiquaient plutôt qu'Amico cherchait à dissimuler les preuves se rapportant à son système d'importation. Les autres preuves découvertes grâce à l'ordonnance Anton Piller ont confirmé qu'aucune redevance n'avait été payée, que ce soit par Amico ou par son « importateur officiel » CDD. Il semble qu'Amico ait participé volontairement à un système ayant pour but d'éviter le versement des redevances, sans que ses propriétaires aient cherché à savoir si un tel système était légal. C'est la volonté de se soustraire à la loi, confirmée par les contre-interrogatoires de M. Frankel et M. Grunbaum, qui a amené la demanderesse à craindre que des preuves ne soient détruites si avis était donné d'une poursuite imminente.

[33]            Le fait qu'aucune redevance n'ait été versée, malgré qu'Amico ait vendu ouvertement de grandes quantités de supports audio vierges importés constitue un commencement de preuve solide. Il est évident que M. Young savait parfaitement qu'aucune redevance n'était versée à l'égard des CD importés. M. Young est celui qui avait mis sur pied l'arrangement impliquant CDD. Il savait que CDD ne versait aucune redevance, étant donné que ce versement se serait répercuté sur le prix versé par Amico à CDD pour l'importation des CD. M. Young savait lui qu'il ne respectait pas la loi. Il aurait eu de bonnes raisons de détruire des preuves s'il avait été mis au courant du fait que la demanderesse s'apprêtait à intenter une action.

[34]            M. Young a agi pour le compte d'Amico qui lui a demandé précisément de ne plus importer de CD mais de trouver un fournisseur canadien. C'est ce qu'il a fait, tout en évitant d'avoir à verser des redevances. Les copropriétaires d'Amico n'ont jamais demandé comment il était possible d'éviter le coût assumé par les importateurs et les fabricants; ils ont cherché à se soustraire à la loi et il est donc douteux qu'ils auraient conservé des preuves susceptibles de les incriminer.

[35]            Pour ces motifs, je ne vois aucune raison d'annuler l'ordonnance Anton Piller.

Les dépens

[36]            J'ai entendu les observations orales des parties au sujet des dépens.


[37]            La demanderesse a droit aux dépens de la colonne 5, payables immédiatement, compte tenu des circonstances de l'affaire.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

-          la présente requête est rejetée;

-          la demanderesse a droit aux dépens de la colonne 5, payables immédiatement.

                                                                                                                                     _ Pierre Blais _               

                                                                                                                                                     Juge                       

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        T-519-3

INTITULÉ :

                   SOCIÉTÉ CANADIENNE DE PERCEPTION DE LA COPIE PRIVÉE

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                              AMICO IMAGING SERVICES INC.

                                                                             et

                                               COMPUTER DIRECT DEPOT INC.

                                                                                                                                    défenderesses

LIEU DE L'AUDIENCE :                TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 25 MARS 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                     LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :                     LE 26 MARS 2004

COMPARUTIONS :

Daniel S. Drapeau                                                                     POUR LA DEMANDERESSE

Michelle Wassenaar                                                                   POUR LA DÉFENDERESSE

Avocate pour la défenderesse Amico Imaging Services Inc.

Shawn Philbert                                                                          POUR LA DÉFENDERESSE

Avocat pour la défenderesse Computer Direct Depot Inc.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ogilvy Renault                                                                           POUR LA DEMANDERESSE

Montréal

Johnston Avisar Wassenaar (Amico)    POUR LA DÉFENDERESSE

Cabinet d'avocats Philbert (Computer Direct)


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