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Date : 20041110

Dossier : T-1116-04

Référence : 2004 CF 1584

Ottawa (Ontario), le 10 novembre 2004

Présente :      Madame le juge Danièle Tremblay-Lamer

ENTRE :

                                             MARCHAND SYNDICS INC., syndic

                                              GEORGES E. MARCHAND, syndic

                                                   BRUNO MARCHAND, syndic

                                                                                                                                    Demandeurs

                                                                            et

                                                          SYLVIE LAPERRIÈRE

                                                                                                                                  Défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision de Mme Sylvie Laperrière, ès qualités de déléguée du surintendant des faillites, imposant deux séries d'instructions de mesures conservatoires aux termes de l'article 14.03 de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, L.R. 1985, ch. B-3 (la « Loi » ).


HISTORIQUE

[2]                Les demandeurs ont fait l'objet de plusieurs rapports du Bureau du surintendant des faillites ( « BSF » ) depuis plus d'une décennie parce que leur administration démontrait des lacunes chroniques dans les délais de fermeture de dossiers. Un rapport de vérification daté de janvier 1992 indique, par exemple, qu'un dossier ouvert en février 1973 n'a jamais été fermé. En février 2004, ce dossier était toujours ouvert et les sommes n'étaient toujours pas distribuées aux créanciers, alors que le solde du compte en fidéicommis de ce dossier s'élevait à 575 505,30 $.

[3]                Cela représente peut-être le cas le plus extrême, mais d'autres rapports de surveillance et de vérification, en octobre 2000 et en mars 2003, démontrent les mêmes problèmes.

[4]                Sept ententes relatives à des plans de fermeture ont été établies au cours de la période de 1993 à 2001 par le BSF en collaboration avec les demandeurs afin que ceux-ci procèdent à la fermeture de leurs dossiers âgés de plus de trois ans. Seulement un de ces sept plans (celui de 1996) fut respecté par les demandeurs.

[5]                De plus, pendant cette période, de nombreux créanciers se sont plaints de la lenteur avec laquelle les demandeurs complétaient l'administration de leur dossier et plusieurs jugements de la Cour supérieure du Québec dénonçaient leur négligence.


LES FAITS

[6]                Le 22 janvier 2003, le demandeur Georges Marchand sollicitait une rencontre avec M. Marc Mayrand, le surintendant des faillites, laquelle a eu lieu le 12 février 2003. Lors de cette rencontre, les demandeurs, ont communiqué leur volonté de nettoyer les arrérages de dossiers. Suite à cette rencontre initiale, d'autres discussions eurent lieu au cours du printemps et de l'été 2003.

[7]                En juillet 2003, le BSF a commencé l'Initiative pour l'administration ponctuelle et ordonnée des dossiers d'insolvabilité (IAPO) à travers le pays. Selon le paragraphe 5.3(e) de la Loi, le BSF a effectué une enquête générale pour identifier tous les syndics au Canada qui n'arrivent pas à fermer leurs dossiers en moins de trois ans à un niveau acceptable. Pour être identifiés par ce programme, les dossiers d'administration ordinaire âgés de plus de trois ans devaient composer plus de 60 % de l'inventaire du syndic, et les dossiers d'administration sommaire devaient composer plus de 15 %.

[8]                Le but de l'IAPO était de ramener ces niveaux à moins de 40 % et à moins de 10 %, respectivement. Quatre-vingt-dix-neuf syndics ont été identifiés dans cette enquête et les demandeurs étaient inclus dans ce groupe.

[9]                Le 5 août 2003, Mme Lorraine Provost, la représentante du BSF, écrivait aux 99 syndics identifiés pour les inviter à fournir, dans un délai de 15 jours ouvrables, un plan de fermeture acceptable par le BSF et à démontrer les progrès réguliers tout au long de l'année. Les rapports mensuels devront énumérer, au minimum, les dossiers fermés le mois précédent ainsi que ceux qui le seront dans le mois courant, en plus de fournir toutes autres informations quant au statut des autres dossiers devant être fermés suivant le plan de fermeture. Elle expliquait que le BSF considérait un dossier comme étant fermé seulement lorsque le syndic obtenait sa libération et non avant.

[10]            Dans la lettre qu'elle adressait aux demandeurs, elle remarquait que 94,29 % des dossiers ordinaires et 57,76 % des dossiers sommaires de Georges Marchand, et 97,70 % des dossiers ordinaires et 62,63 % des dossiers sommaires de Bruno Marchand étaient ouverts depuis plus de trois ans.

[11]            De plus, les demandeurs et tous les autres syndics identifiés dans l'IAPO - étaient également informés que le défaut de produire les documents ou de se conformer aux demandes pour un plan de fermeture acceptable par le BSF dans les délais impartis, les exposaient à des mesures conservatoires suivant l'article 14.03 de la Loi.

[12]            Le 26 août 2003 les demandeurs soumettaient au BSF un tableau où ils indiquaient le nombre de dossiers qu'ils planifiaient fermer pour chacun des quatre prochains trimestres commençant le 1er septembre 2003.

[13]            L'échange de correspondance entre les parties durant cette période est crucial parce qu'elle est au coeur du litige. Il est donc important d'en relater la teneur de façon détaillée.

[14]            Le 4 septembre 2003, M. Georges Marchand adressait une lettre à M. François Leblanc du BSF, dans laquelle il indiquait qu'il avait compris que le plan de fermeture devait être plus détaillé, ce qui fut fait le 8 septembre 2003.

[15]            Dans une lettre adressée à la même date, Mme Provost expliquait que le plan suggéré n'était pas acceptable. Pour qu'il le soit, le plan devait indiquer :

            ·           le nombre de dossiers d'administration sommaire de plus de trois ans pour lesquels seront produits des relevés de recettes et débours;

            ·           le nombre de dossiers d'administration sommaire de plus de trois ans pour lesquels la libération du syndic sera obtenue;

            ·           le nombre de dossiers d'administration ordinaire de plus de trois ans pour lesquels seront produits des relevés de recettes et débours;

            ·           le nombre de dossiers d'administration ordinaire de plus de trois ans pour lesquels la libération du syndic sera obtenue.


[16]            Le BSF exigeait également que les demandeurs fournissent une liste détaillée des dossiers qui devaient être fermé à l'intérieur du prochain trimestre.

[17]            Dans une lettre datée du 10 septembre 2003, les demandeurs demandaient au BSF des clarifications quant à l'ensemble des commentaires échangés dans la lettre du 5 août 2003, plus particulièrement quant à la référence à l'article 14.03 de la Loi. De plus, les demandeurs expliquaient, qu'à leurs yeux, vu la décision de la Cour supérieure dans l'affaire Abderrazik (Syndic de), [2002] J.Q. no 2241 (C.S.)(QL), le BSF n'avait pas le pouvoir d'exiger une liste détaillée des dossiers à fermer.

[18]            Le 19 septembre 2003, en réponse à cette lettre, Mme Provost informait les demandeurs que le plan soumis n'était pas accepté par le BSF. Elle expliquait que l'expression « les dossiers fermés » voulait dire que le BSF recevrait avant la fin de l'échéance prévue, un document démontrant la libération du syndic soit le certificat de conformité ou l'ordonnance de libération.

[19]            Le 25 septembre 2003, le procureur des demandeurs écrivait une autre lettre à Mme Provost. Il réitérait que le plan soumis était acceptable et que la demande d'une liste détaillée outrepassait les pouvoirs administratifs du BSF. Il suggérait une rencontre dans 90 jours, si cela s'avérait nécessaire, pour discuter de cette affaire.

[20]            Dans une lettre datée le 24 octobre 2003, le procureur du BSF avisait de nouveau les demandeurs que le plan soumis n'était pas acceptable et demandait un engagement écrit à fermer en priorité les dossiers de plus de 10 ans avec un solde bancaire de 25 000 $ et plus, soit un total de 17 dossiers d'administration ordinaire dont la liste leur était fournie.

[21]            Le 31 octobre 2003, le procureur du demandeur répondait à la lettre du 24 octobre 2003 en fournissant des chiffres quant à la fermeture de dossiers et des objectifs à atteindre à l'intérieur du délai. Il suggérait une rencontre au début de janvier 2004 pour faire le point et d'examiner les efforts déployés à cette fin sur une période représentée de quelques mois.

[22]            Le 7 novembre 2003, le procureur du BSF indiquait que le dossier était très sérieux. Il informait que la demande du BSF relativement au plan de fermeture des dossiers demeurait inchangée.

[23]            Le même jour, le procureur du demandeur renouvelait sa demande de tenir une réunion au début de l'année 2004 et demandait encore une fois en vertu de quelle disposition législative le BSF pouvait exiger un ordre séquentiel de fermeture des dossiers.

[24]            Pendant cette période M. Georges E. Marchand faisait également parvenir une série de lettres datées du 5 novembre, 21 novembre et 19 décembre 2003 faisant part de statistiques sur le cheminement dans la fermeture de dossiers.

[25]            Dans une lettre transmise le 19 janvier 2004, Mme Provost faisait une demande ultime aux demandeurs de transmettre au plus tard le 2 février 2004 un plan de fermeture détaillé des dossiers d'administration ouverts depuis plus de trois ans. Elle jugeait inacceptable le refus de répondre à cette exigence. Elle réitérait qu'un refus de la part de ceux-ci de se conformer les exposait à des mesures conservatoires suivant l'article 14.03 de la Loi. Elle refusait de rencontrer les demandeurs puisqu'une telle rencontre ne permettrait pas de résoudre le problème.

[26]            Le 2 février 2004, le procureur des demandeurs, écrivait à Mme Provost une lettre détaillée dans laquelle il rappelait au BSF que les demandeurs avaient voulu régler la question de volume de dossiers anciens plutôt que de s'attarder aux dossiers plus complexes. Or, en date du 19 janvier 2004, les délais de fermeture des dossiers d'administration sommaire étaient désormais considérés satisfaisants par le BSF.


[27]            Il soulignait également que les demandeurs avaient volontairement réduit leur chiffre d'affaires depuis plus d'une année et le résultat de ce processus était que le nombre proportionnel des anciens dossiers avait augmenté continuellement - le programme IAPO se base sur le pourcentage de dossiers de plus de trente-six mois dans l'inventaire du syndic - mais que la défenderesse n'avait accordé aucune importance à la diminution du nombre de nouveaux dossiers acceptés.

[28]            Il mentionnait également que le processus de fermeture d'un dossier de faillite est assujetti à des délais à l'égard desquels le syndic n'a aucun contrôle. C'est pourquoi le programme IAPO accorde normalement douze mois aux syndics pour faire leur preuve. Le fait que la défenderesse suggère d'imposer des mesures conservatoires après six mois seulement n'était pas équitable. Les demandeurs étaient disponibles pour discuter de l'avancement réel et significatif du processus de fermeture et ainsi éviter que ne soient prises des mesures conservatoires.

[29]            C'est à ce moment, vu le refus répété des demandeurs de se conformer aux exigences du BSF, que se cristallise la décision de la défenderesse d'imposer deux séries d'instructions de mesures conservatoires. Ces mesures ont été prises uniquement à l'égard des 48 dossiers ayant des soldes bancaires importants (10 000 $ et plus) puisque ce sont ces dossiers qui sont susceptibles de produire un dividende au créancier.

[30]            La première série qui prenait effet le 10 février 2004 prévoyait :

            ·           de retirer aux demandeurs 48 dossiers actifs d'administration ordinaire ouverts depuis plusieurs années, jusqu'à ce que le séquestre officiel en termine l'administration ou qu'un syndic gardien soit nommé à cette fin; et


            ·           de faire en sorte que les demandeurs ne puissent se voir confier, par le séquestre officiel de nouveaux dossiers d'administration ordinaire.

[31]            La deuxième série émise le 24 février 2004 avait comme résultat de confier à la firme H.H. Davis & associés inc. le mandat de terminer l'administration des 48 dossiers retirés aux demandeurs.

HISTORIQUE PROCÉDURAL

[32]            Le 12 février 2004, par voie de requête ex parte à la Cour fédérale, la défenderesse obtenait, sur la foi de l'affidavit de Mme Laperrière, une ordonnance d'exécution forcée des mesures conservatoires.

[33]            Le 26 février 2004, le juge Jean Guibault j.c.s. émettait une ordonnance de sauvegarde provisoire suspendant l'application des instructions de mesures conservatoires.

[34]            Le 5 avril 2004, le juge Robert Mongeon j.c.s. accueillant en partie l'exception déclinatoire présentée par la défenderesse, déclinait de renouveler l'ordonnance de sauvegarde. Il maintenait toutefois l'ordonnance du juge Guibault en force jusqu'au 15 avril 2004 afin de permettre aux intéressés de se pourvoir soit d'un appel du présent jugement ou encore devant la Cour fédérale d'une demande de révision judiciaire.


[35]            Le 14 avril 2004, alors que le procureur des demandeurs était en vacances, son collègue Me Des Aulniers déposait au greffe de la Cour fédérale une lettre demandant une audition rapide de 15 minutes pour obtenir une injonction provisoire le temps de permettre la tenue ultérieure d'une audition plus élaborée sur la demande d'injonction.

[36]            Dans une lettre datée du 15 avril 2004, la défenderesse s'opposait à la requête au motif que celle-ci était tout à fait irrégulière et irrecevable dans les circonstances.

[37]            Le même jour, soit la dernière journée où l'ordonnance du juge Guibault était maintenue en force, la Cour était informée de la demande.


[38]            À cette date, aucune demande de révision judiciaire n'avait été déposée. De plus, à la lecture même de la lettre, il était évident que le procureur voulait plutôt obtenir une extension du délai accordé par le juge Mongeon que de plaider la requête en injonction au mérite puisqu'il ne demandait qu'une audition de quelques minutes pour obtenir une injonction provisoire en attendant une audition plus élaborée. Ni la Loi et les Règles de la Cour fédérale, 1998, DORS/98-106, ainsi que de la jurisprudence applicable en matière d'injonction ne permettent d'accorder une injonction provisoire sans que les critères établis pour l'obtention d'un tel recours ne soient rencontrés. Je considérais donc que la demande de dernière minute était irrecevable à sa face même, qu'elle constituait un abus de procédures puisqu'aucune demande de contrôle judiciaire n'avait été déposée et en conséquence ne pouvait faire l'objet d'une audition.

[39]            Le 9 juin 2004 les demandeurs déposaient une demande de révision judiciaire à l'encontre des deux séries d'instructions de mesures conservatoires.

[40]            Dans une lettre datée du 15 septembre 2004, les demandeurs demandaient à l'administration de la Cour fédérale qu'un nouveau juge soit assigné au dossier vu les ordonnances interlocutoires que j'avais rendues dans le présent dossier.

[41]            Dans une lettre datée du 16 septembre 2004, la défenderesse s'opposait à une telle demande puisqu'aucune requête en récusation n'avait été déposée à cet effet. De plus, la défenderesse était d'avis que le fait que j'ai rendu une ordonnance ex parte dans la présente affaire ne me rendait pas inhabile à entendre l'affaire au mérite. Il est de pratique constante devant la Cour fédérale que le juge qui entend une ordonnance ex parte est celui qui entend le recours visant à contester une lettre ordonnance sous la règle 399 des Règles de la Cour fédérale, 1998, précitée. Si une telle situation ne crée pas de problème, a fortiori, il devait en être de même dans la présente situation. Quant à la demande de sauvegarde faite en avril dernier celle-ci était irrecevable et c'est à juste titre qu'elle était rejetée.

[42]            Le 17 septembre 2004, j'émettais la directive orale que l'affaire allait procéder au mérite puisqu'aucune requête n'était pendante à cette date.

[43]            Le 21 septembre 2004, soit la veille de l'audition au mérite du contrôle judiciaire, les demandeurs tentaient de déposer au greffe de la Cour fédérale une requête en récusation. Considérant qu'il n'y avait aucune justification pour présenter cette requête tardivement, laquelle préjudiciait la partie adverse, je ne relevais pas les demandeurs du défaut de déposer cette requête dans les délais impartis et je refusais le dépôt de la requête.

POSITION DES PARTIES

[44]            Les demandeurs soumettent qu'en date du 10 février 2004 il n'existait aucune circonstance compromettant la sauvegarde des actifs dont les demandeurs assuraient l'administration. Pour cette raison, la défenderesse a outrepassé sa compétence.

[45]            De plus, dans l'éventualité où la défenderesse avait compétence pour émettre les instructions pour des mesures conservatoires, elle a néanmoins agi d'une manière non conforme aux principes de justice fondamentale et d'équité procédurale, sur la foi d'informations erronées et de conclusions arbitraires, formulées sans tenir compte des données factuelles réelles fournies par les demandeurs.

[46]            La défenderesse soutient pour sa part que lorsqu'un syndic refuse ou néglige de terminer son administration, elle estime avoir des motifs raisonnables de croire que les actifs en cause doivent être sauvegardés. L'article 14.03 de la Loi n'est pas limité aux seuls cas de fraude et malversation financière. Il y avait en l'espèce de telles raisons justifiant la sauvegarde des actifs. Il ne s'agit pas pour le BSF de contrôler abusivement la pratique des syndics mais plutôt d'obtenir de leur part des engagements à fermer les dossiers qui, de l'avis du BSF, doivent être fermés en priorité, compte tenu de leur âge et de l'importance des sommes détenues en fiducie.

[47]            Les défendeurs soulignent également que, l'examen des instructions des mesures conservatoires contestées démontre que celles-ci n'ont pas le caractère draconien que veulent leur prêter les demandeurs. Elles ne visent qu'un nombre restreint de dossiers jugés problématiques. De plus, les demandeurs ont conservé toute leur capacité de se voir confier de nouveaux dossiers d'administration sommaire ou de proposition et de continuer d'administrer tous les dossiers qui étaient sous leur gestion avant le 10 février à l'exception des 48 dossiers d'actifs mentionnés aux instructions.

[48]            La défenderesse soumet qu'elle a donc exercé son pouvoir d'émettre des instructions de façon légale et raisonnable vu les circonstances.


[49]            Elle soutient finalement que les règles de justice naturelle ont été respectées puisque les demandeurs ont été informés par le BSF qu'ils s'exposaient à des mesures conservatoires en cas de refus de se plier aux demandes du BSF qui étaient légitimes compte tenu de l'administration déficiente des demandeurs.

Les dispositions législatives

[50]            Les dispositions législatives pertinentes aux fins des présentes figurent toutes à la Loi. Elles sont les suivantes :



5 (3)    Le surintendant, sans que soit limitée l'autorité que lui confère le paragraphe (2) :

a) reçoit les demandes de licences autorisant l'exercice des fonctions de syndic dans le cadre de la présente loi et délivre les licences aux personnes dont les demandes ont été approuvées;

[...]

c) lorsqu'il n'y est pas autrement pourvu, exige le dépôt d'un ou de plusieurs cautionnements continus pour garantir qu'il sera dûment rendu compte de tous les biens reçus par les syndics et assurer l'exécution régulière et fidèle de leurs fonctions dans l'administration des actifs auxquels ils sont commis, au montant qu'il peut fixer et qui est susceptible de l'augmentation ou de la diminution qu'il peut juger opportune; le cautionnement doit être en une forme satisfaisante au surintendant qui peut l'exécuter au profit des créanciers;

[...]

e) effectue ou fait effectuer les investigations ou les enquêtes, au sujet des actifs et autres affaires régies par la présente loi, et notamment la conduite des syndics agissant à ce titre ou comme séquestres ou séquestres intérimaires, qu'il peut juger opportunes et, aux fins de celles-ci, lui-même ou la personne qu'il nomme à cet effet a accès, outre aux données sur support électronique ou autre, à tous livres, registres, documents ou papiers se rattachant ou se rapportant à un actif ou à toute autre affaire régie par la présente loi, et a droit de les examiner et d'en tirer des copies;

f) reçoit et note toutes les plaintes émanant d'un créancier ou d'une autre personne intéressée dans un actif, et effectue, au sujet de ces plaintes, les investigations précises qu'il peut déterminer;

g) examine les comptes de recettes et de débours et les états définitifs des syndics.

14.03 (1) Pour assurer la sauvegarde d'un actif dans les circonstances visées au paragraphe (2), le surintendant peut :

a) donner instruction à quiconque de s'occuper des biens de l'actif visé dans les instructions conformément aux modalités qui y sont indiquées, notamment d'en continuer l'administration;

b) donner instruction à quiconque de prendre les mesures qu'il estime nécessaires à la sauvegarde des livres, registres, données sur support électronique ou autre, et documents de l'actif;

c) donner instruction à une banque ou autre dépositaire de ne faire aucun paiement sur les fonds détenus au crédit de cet actif, si ce n'est conformément à l'instruction;

d) donner instruction au séquestre officiel de ne plus nommer le syndic en cause pour administrer de nouveaux actifs tant qu'une décision n'est pas rendue au titre des paragraphes 13.2(5) ou 14.01(1).

Circonstances

(2) Le surintendant peut exercer les pouvoirs visés au paragraphe (1) dans les circonstances suivantes :

a) le décès, la destitution ou l'empêchement du syndic responsable de l'actif;

b) la tenue par lui de l'enquête prévue à l'alinéa 5(3)e);

c) l'exercice par lui des pouvoirs visés à l'article 14.01;

d) le défaut de paiement de droits prévus au paragraphe 13.2(2) à l'égard de la licence du syndic;

e) l'insolvabilité du syndic;

f) le syndic a été reconnu coupable d'un acte criminel ou n'a pas observé l'une des conditions ou restrictions de sa licence;

g) le fait qu'il envisage d'annuler la licence du syndic au titre des alinéas 13.2(5)c) ou d).

Teneur et effet des instructions

(3) Les instructions énoncent la disposition législative conformément à laquelle elles sont données, lient leur destinataire et font pleinement foi de leur contenu en faveur de leur destinataire.

Suppression de la responsabilité

(4) Quiconque obtempère aux instructions données en application du paragraphe (1) échappe à toute responsabilité pour les actes posés dans le seul but de s'y conformer.

5 (3)    The Superintendent shall, without limiting the authority conferred by subsection (2),

(a) receive applications for licences to act as trustees under this Act and issue licences to persons whose applications have been approved;

[...]

(c) where not otherwise provided for, require the deposit of one or more continuing guaranty bonds or continuing suretyships as security for the due accounting of all property received by trustees and for the due and faithful performance by them of their duties in the administration of estates to which they are appointed, in any amount that the Superintendent may determine, which amount may be increased or decreased as the Superintendent may deem expedient, and the security shall be in a form satisfactory to the Superintendent and may be enforced by the Superintendent for the benefit of the creditors;

[...]

(e) from time to time make or cause to be made such inspection or investigation of estates or other matters to which this Act applies, including the conduct of a trustee or a trustee acting as a receiver or interim receiver, as the Superintendent may deem expedient and for the purpose of the inspection or investigation the Superintendent or any person appointed by the Superintendent for the purpose shall have access to and the right to examine and make copies of all books, records, data, including data in electronic form, documents and papers pertaining or relating to any estate or other matter to which this Act applies;

(f) receive and keep a record of all complaints from any creditor or other person interested in any estate and make such specific investigations with regard to such complaints as the Superintendent may determine; and

(g) examine trustees' accounts of receipts and disbursements and final statements.

14.03 (1) The Superintendent may, for the protection of an estate in the circumstances referred to in subsection (2),

(a) direct a person to deal with property of the estate described in the direction in such manner as may be indicated in the direction, including the continuation of the administration of the estate;

(b) direct any person to take such steps as the Superintendent considers necessary to preserve the books, records, data, including data in electronic form, and documents of the estate;

(c) direct a bank or other depository not to pay out funds held to the credit of the estate except in accordance with the direction; and

(d) direct the official receiver not to appoint the trustee in respect of any new estates until a decision is made under subsection 13.2(5) or 14.01(1).

Circumstances

(2) The circumstances in which the Superintendent is authorized to exercise the powers set out in subsection (1) are where

(a) an estate is left without a trustee by the death, removal or incapacity of the trustee;

(b) the Superintendent makes or causes to be made any investigation pursuant to paragraph 5(3)(e);

(c) the Superintendent exercises any of the powers set out in section 14.01;

(d) the fees referred to in subsection 13.2(2) have not been paid in respect of the trustee's licence;

(e) a trustee becomes insolvent;

(f) a trustee is convicted of an indictable offence or has failed to comply with any of the conditions or limitations to which the trustee's licence is subject; or

(g) a circumstance referred to in paragraph 13.2(5)(c) or (d) exists and the Superintendent is considering cancelling the licence under subsection 13.2(5).

Contents and effect of direction

(3) A direction given pursuant to subsection (1)

(a) shall state the statutory authority pursuant to which the direction is given;

(b) is binding on the person to whom it is given; and

(c) is, in favour of the person to whom it is given, conclusive proof of the facts set out therein.

Liability ceases on compliance

(4) A person who complies with a direction given pursuant to subsection (1) is not liable for any act done by the person only to comply with the direction.


ANALYSE


[51]            Les demandeurs allèguent principalement que le surintendant, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire lui permettant d'imposer des mesures conservatoires, a outrepassé sa compétence, ce qui oblige donc la Cour à annuler cette décision (Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, alinéas 18.1(3)b) et 18(4)c) et f)). Il ne fait toutefois aucun doute que le surintendant était habilité à imposer des mesures conservatoires, parce qu'une enquête relative aux pratiques des demandeurs avait été entreprise conformément à l'alinéa 5(3)e) de la Loi.

[52]            La question est plutôt de savoir si la décision qu'a rendue le surintendant dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire équivaut à un excès de compétence. Les tribunaux ont affirmé à plusieurs reprises qu'un décideur discrétionnaire comme le surintendant outrepasse sa compétence s'il utilise son pouvoir discrétionnaire dans un but incorrect, s'il exerce ce pouvoir arbitrairement ou de mauvaise foi, ou s'il fonde l'exercice de ce pouvoir sur des considérations non pertinentes.

[53]            Néanmoins, l'alinéa 18(4)c) ne s'applique pas pour autant de façon autonome. Bien que l'article 18.1 ne prévoie expressément aucune norme de contrôle, la jurisprudence récente de la Cour suprême du Canada exige que la Cour fédérale ajoute aux éléments déjà mentionnés, la notion de l'analyse pragmatique ou fonctionnelle pour déterminer la norme de contrôle applicable dans chaque cas. (Pushpanathan c. Canada (M.C.I.), [1998] 1 R.C.S. 982; Baker c. Canada (M.C.I.), [1999] 2 R.C.S. 817; Chieu c. Canada (M.C.I.), [2002] 1 R.C.S. 84; Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226). En conséquence, pour conclure que le surintendant a outrepassé sa compétence, il faut au préalable avoir jugé que sa décision ne satisfaisait pas à la norme de contrôle applicable, soit la décision manifestement déraisonnable, la décision raisonnable simpliciter ou la décision correcte qu'il nous faut maintenant préciser.


La norme de contrôle applicable

[54]            La décision de la défenderesse que des mesures conservatoires étaient justifiées est celle au coeur de l'examen. La Cour doit donc appliquer l'approche pragmatique et fonctionnelle à cette décision, déterminer la norme de contrôle applicable et tirer une conclusion quant à savoir si la décision doit être maintenue à la lumière de cette norme.

[55]            Cette méthode exige de la cour de révision de soupeser une série de facteurs afin de décider si une question précise dont le tribunal administratif était saisi doit être soumise à un contrôle exigeant, subir un examen ou une analyse en profondeur ou être laissée à l'appréciation quasi-exclusive du décideur.

[56]            Quatre facteurs principaux doivent être pris en compte pour établir quelle norme de contrôle judiciaire est applicable à la décision d'un tribunal administratif : la présence ou l'absence d'une clause privative ; l'objet de la loi dans son ensemble et de la disposition particulière ; l'expertise du tribunal relativement à celle de la cour de révision sur la question en litige ; la nature de la question.


[57]            En l'espèce, il n'y a pas de clause privative, ce qui est une indication de moins de retenue. Quant à l'objet de la Loi, l'article 14.03 fait partie d'un ensemble de dispositions qui ont pour objet la surveillance de l'administration et de la conduite des syndics dans le but de protéger l'intérêt public en cause. Il ne faut pas perdre de vue que les syndics agissent à titre de fiduciaire et qu'ils gèrent le bien d'autrui pour le bénéfice de l'ensemble des créanciers.

[58]            Lorsque l'objet de la Loi requiert qu'un tribunal choisisse parmi une gamme de mesures de redressement ou de mesures administratives, veille à la protection du public, participe à l'établissement de politiques ou mette en balance de multiples intérêts ou facteurs, la cour de révision devra faire preuve d'une plus grande retenue (Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557).

[59]            Pour ce qui est de l'expertise du tribunal, j'estime que le BSF a une expertise relativement plus grande que la Cour sur la question en litige. Une enquête sous l'alinéa 5(3)e) de la Loi engage essentiellement l'expertise du BSF d'examiner l'administration des dossiers, et d'identifier les cas ou cette administration n'est pas adéquate. Le BSF utilise cette expertise afin de déterminer si des mesures conservatoires ou une autre forme d'intervention est requise.


[60]            Le dernier facteur est celui de la nature de la question. Cela nécessite de prendre en compte si la question en litige en est une de fait ou de droit. La Cour fera preuve de plus de retenue face à une question de fait. Par contre, la retenue sera moindre si la question est davantage axée sur le droit. En l'espèce, la décision de prendre des mesures conservatoires repose essentiellement sur une détermination de fait, ce qui amène à plus de retenue.

[61]            L'application de ces facteurs de la méthode pragmatique et fonctionnelle m'amène à conclure que la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable est la norme de contrôle applicable.

[62]            La décision manifestement déraisonnable sera celle qui a été décrite comme étant « clairement irrationnelle » ou de toute évidence non conforme à la raison. (Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941, aux pp. 963-64, le juge Cory ; Centre communautaire juridique de l'Estrie c. Sherbrooke (Ville), [1996] 3 R.C.S. 84, paragraphes 9-12, le juge Gonthier). Une décision qui est manifestement déraisonnable est à ce point viciée qu'aucun degré de déférence judiciaire ne peut justifier de la maintenir.

Application à la décision du BSF

            i)          Quels étaient les motifs de la décision ?


[63]            Dans le présent dossier, la preuve révèle des circonstances distinctes de celles de l'affaire Groupe G. Tremblay Syndics Inc. c. Canada (Surintendant des faillites), [1997] 2 C.F. 719. En effet dès la fin de l'année 2002, les demandeurs avaient identifié un problème avec l'arrérage de dossiers anciens, ce qui les a amenés à réduire le nombre de nouveaux mandats acceptés afin de concentrer leurs efforts sur les dossiers anciens. Et comme nous l'avons vu précédemment, plusieurs échanges ont eu lieu avec le BSF pour tenter de régler le problème.

[64]            Cependant, le BSF essuie toujours un refus de la part des demandeurs de se plier à leurs directives. Pour le BSF plus le temps s'écoule et que le syndic néglige de terminer son administration, plus les chances augmentent que les créanciers ne reçoivent pas les sommes auxquelles ils ont droit aux termes de la Loi. Il est clair que le but de la Loi n'est pas rencontré puisque les actifs doivent être réalisés avec diligence et les sommes alors obtenus doivent être versés aux créanciers dans les meilleurs délais (Article 151 de la Loi et les Règles 36 et 48). Ainsi, lorsque sans motifs valables des syndics empêchent la réalisation de ces objectifs, le BSF estime que les actifs doivent être sauvegardés puisqu'ils ne sont pas utilisés aux fins auxquels ils sont destinés et des mesures conservatoires sont justifiées.

            ii)         Dans de telles circonstances, la décision du BSF était-elle manifestement déraisonnable ?


[65]            Tout d'abord, était-il abusif pour le BSF de vouloir obtenir l'engagement des syndics de fermer en priorité dans un ordre séquentiel les dossiers les plus âgés dont les sommes détenues en fiducie étaient les plus importantes? Je ne le crois pas. Au contraire, la preuve révèle que les sommes détenues dans les dossiers les plus anciens étaient les plus importantes soit dans celui de Construction Morano datant de 1973 dont 575 505. $ était encore en fiducie et celui de Vide et traitement Canada Inc. datant de 1992 dont les actifs détenus en fiducie étaient de 414 986. $.

[66]            Que le surintendant avait le pouvoir d'agir ainsi en vertu du pouvoir général de contrôle qui lui est conféré au paragraphe 5(2) de la Loi et plus particulièrement l'alinéa 5(4)b) qui prévoit :


[...]

5.(2)    Le surintendant contrôle l'administration des actifs et des affaires régis par la présente loi.

5.(4)    Le surintendant peut :

[...]

b) donner aux séquestres officiels, aux syndics, aux administrateurs au sens de la section II de la partie III et aux personnes chargées de donner des consultations au titre de la présente loi des instructions relatives à l'exercice de leurs fonctions, et notamment leur enjoindre de conserver certains dossiers et de lui fournir certains renseignements;

[...]

5.(2)    The Superintendent shall supervise the administration of all estates and matters to which this Act applies.

5.(4)    The Superintendent may

[...]

(b) issue, to official receivers, trustees, administrators of consumer proposals made under Division II of Part III and persons who provide counselling pursuant to this Act, directives with respect to the administration of this Act and, without restricting the generality of the foregoing, directives requiring them

                (i) to keep such records as the Superintendent may require, and

                (ii) to provide the Superintendent with such information as the Superintendent may require;


[67]            Ainsi, le refus des demandeurs de fournir un plan de fermeture plus précis qui aurait permis dans les circonstances de s'attaquer aux dossiers les plus problématiques en priorité, ne peut être justifié.


[68]            Les demandeurs soutiennent que le BSF voulait contrôler de façon abusive la pratique des demandeurs et que, à la lumière de l'arrêt Abderrazik (Syndic de), précitée, ils n'avaient pas à se plier aux exigences du BSF.

[69]            Or, dans le présent dossier, contrairement à l'affaire Abderrazik, précitée, il n'y a aucune preuve que le BSF a utilisé son pouvoir d'intervention pour des motifs étrangers au dossier. Le fait d'exiger des demandeurs de procéder à la fermeture des dossiers dans un ordre séquentiel en commençant par les dossiers les plus anciens ne peut être considéré comme un exercice abusif de son pouvoir d'intervention et de contrôle sur l'administration des syndics.

[70]            Qui plus est, après avoir réitéré cette demande à maintes reprises pendant plusieurs mois et avoir à chaque fois essuyé un refus, le BSF tentait une ultime demande dans sa lettre du 19 janvier 2004 avec préavis comme toutes les fois précédentes de recourir aux mesures conservatoires. Encore une fois, les demandeurs refusaient de se conformer aux instructions. Dans de telles circonstances, il n'était pas manifestement déraisonnable de considérer que l'administration des actifs des dossiers les plus anciens était compromise et qu'il était nécessaire pour assurer leur sauvegarde de recourir à des mesures conservatoires afin que soit terminé l'administration des dossiers avec diligence et que les sommes obtenus soient versées aux créanciers dans les meilleurs délais.


[71]            À mon avis, une telle décision ne peut se qualifier de manifestement déraisonnable puisqu'elle n'est « ni clairement irrationnelle ou de toute évidence non conforme à la raison » .

L'équité procédurale

[72]            Les demandeurs soutiennent que dans l'éventualité où la défenderesse avait compétence pour émettre les instructions de mesures conservatoires, sa décision doit toutefois être annulée parce qu'elle a agi de manière non conforme à l'équité procédurale et aux principes de justice fondamentale contenus au paragraphe 2e) de la Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, App. III.

[73]            Bien que les décisions touchant à l'équité procédurale qui ont été rendues par la défenderesse ont trait à la décision finale qui a été rendue, les deux ne doivent pas être confondues. Le contrôle judiciaire d'une décision administrative est un exercice différent de celui de l'évaluation de l'équité procédurale : « L'équité procédurale concerne la manière dont le ministre est parvenu à sa décision, tandis que la norme de contrôle s'applique au résultat de ses délibérations » (S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, paragraphe 102).

[74]            Par conséquent, il n'est pas opportun de soumettre la question de l'équité procédurale au test de la norme de contrôle (Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), [2002] 1 R.C.S. 249, paragraphe 74).

[75]            En outre, l'examen de la Cour sur la question de l'équité procédurale doit être axé sur les lacunes alléguées dans la procédure et non pas sur la décision finale. Si la décision doit être annulée pour manquement à l'équité procédurale, ce sera le résultat de problèmes avec le processus - le fait, par exemple, ne pas avoir donné un avis suffisant aux parties - et non pas le résultat d'une appréciation que la décision, en elle-même, était injuste.

[76]            La Cour suprême a expliqué dans l'arrêt Baker, précité, que le concept d'équité procédurale est spécifique au contexte de la décision :

21    L'existence de l'obligation d'équité, toutefois, ne détermine pas quelles exigences s'appliqueront dans des circonstances données. Comme je l'écrivais dans l'arrêt Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, à la p. 682, « la notion d'équité procédurale est éminemment variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas » . Il faut tenir compte de toutes les circonstances pour décider de la nature de l'obligation d'équité procédurale: Knight, aux pp. 682 et 683; Cardinal, précité, à la p. 654; Assoc. des résidents du Vieux St-Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170, le juge Sopinka.


[77]            Plusieurs facteurs vont influencer son contenu, incluant « la nature de la décision recherchée et le processus pour y parvenir » ; « la nature du régime législatif » ; « l'importance de la décision pour les personnes visées » ; « les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision » ; « les choix de procédure que l'organisme fait lui-même » (Baker, précitée, aux paragraphes 23-28).

[78]            En l'espèce, la décision du BSF d'imposer des mesures conservatoires se rapproche d'une décision administrative plutôt que d'une décision judiciaire. Cela est apparent lorsque l'on étudie le contexte législatif. Au contraire des décisions prises sous l'autorité de l'article 14.01 de la Loi, une audition n'est pas requise pour déclencher l'application des mesures conservatoires visées par l'article 14.03 de la Loi lorsque l'une des situations énumérées se présente.

[79]            Comme je l'ai souligné dans l'arrêt Groupe G. Tremblay Syndics Inc., précité, la législation permet au BSF d'agir dans le but de protéger le bien d'autrui. D'autre part, je reconnais que la décision d'émettre les mesures conservatoires a des répercussions importantes pour les demandeurs. « Plus la décision est importante pour la vie des personnes visées et plus ses répercussions sont grandes pour ces personnes, plus les protections procédurales requises seront rigoureuses » (Baker, précitée, au paragraphe 25; aussi Kane c. Conseil d'administration de l'Université de la Colombie-Britannique, [1980] 1 R.C.S. 1105).

[80]            C'est en tenant compte de ces principes que je vais analyser les manquements à l'équité procédurale allégués au BSF par les demandeurs.


[81]            Les demandeurs se plaignent que la défenderesse n'a jamais accepté de les rencontrer avant d'émettre les mesures conservatoires. Ils soulignent également que malgré les nombreuses demandes à cet égard, ils n'ont jamais reçu de réponse quant au fondement juridique sur lequel s'appuie le BSF pour requérir un plan identifiant les dossiers qui allaient être fermés à chaque mois dans un ordre séquentiel.

[82]            En l'espèce, je dois prendre en considération la démarche entreprise par le BSF avec sa décision de commencer l'IAPO à travers le pays, ce qui a mené à une enquête plus spécifique dans les affaires d'administration des dossiers actifs des demandeurs. Je retiens que dès le commencement de cette démarche entre le BSF et les Syndics Marchand, le BSF a informé les demandeurs que l'omission de fournir un plan de fermeture acceptable pourrait déclencher des mesures conservatoires.

[83]            L'abondante correspondance échangée entre les demandeurs et le BSF témoigne que les règles de justice naturelle ont été respectées puisque les demandeurs ont été informés à maintes reprises des exigences du BSF et des conséquences auxquelles ils s'exposaient en cas de refus de se plier à ces exigences.


[84]            Les demandeurs estiment également avoir eu des attentes légitimes qu'une certaine procédure serait suivie. Ils mentionnent que le processus envisagé par le programme IAPO s'échelonnait sur une période de 12 mois, mais que dans leurs cas, les mesures conservatoires avaient été émises après six mois seulement. Je note cependant que le programme IAPO exigeait qu'un plan de fermeture satisfaisant aux exigences du BSF soit accepté au départ. Ce qui ne s'est pas produit en l'espèce. La défenderesse n'a donc contrevenu à la procédure établie par le programme IAPO puisque les demandeurs n'ont jamais fourni un plan de fermeture acceptable.

[85]            Dans ces circonstances, compte tenu du cadre législatif, le BSF n'avait pas besoin d'accorder aux demandeurs une audition, ni de les rencontrer une dernière fois puisque toutes les démarches précédentes s'étaient montrées inutiles. Comme je l'ai dit dans Groupe G. Tremblay, précitée, une audition n'est pas nécessaire avant de prendre des mesures conservatoires puisque lorsqu'elles s'avèrent nécessaires, il est impératif pour le BSF d'agir rapidement.

[86]            Je suis donc satisfaite que les règles de justice naturelle ont été respectées à l'égard des demandeurs et que la décision d'émettre des instructions de mesures conservatoires ne contrevient pas au paragraphe 2e) de la Déclaration canadienne des droits, précitée.


[87]            En conclusion, je rappelle le principe bien établi à l'effet qu'une cour supérieure ne doit pas intervenir quant à l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire par un organisme administratif pour le seul motif qu'elle n'aurait pas pris la même décision. Comme le soulignait le juge McIntyre dans l'affaire Maple Lodge Farms Limited c. Le gouvernement du Canada et al, [1982] 2 R.C.S. 2 aux pages 7 et 8 :

[...]    Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.

[88]            C'est le cas en l'espèce. Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée avec dépens.

                                                               « Danièle Tremblay-Lamer »

J.C.F.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               T-1116-04

INTITULÉ :                                              MARCHAND SYNDICS INC., syndic

GEORGES E. MARCHAND, syndic

BRUNO MARCHAND, syndic

et

SYLVIE LAPERRIÈRE

LIEU DE L'AUDIENCE :                        Québec (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                      Le 22 septembre 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                            Madame le juge Danièle Tremblay-Lamer

DATE DES MOTIFS :                             Le 10 novembre 2004

COMPARUTIONS :

Me Daniel Des Aulniers

Me Jean-Philippe Gervais                                              pour les demandeurs

Me Bernard Letarte

Me Robert Monette                                                       pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Grondin, Poudrier, Bernier

500, Grande-Allée est

Bureau 900

Québec (Québec)

G1R 2J7


Gervais et Gervais

500, Place d'Armes

Bureau 2100

Montréal (Québec)

H2Y 2W2                                                                     pour les demandeurs

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Bureau régional du Québec

Deblois & Associés, s.e.n.c.

Édifice Le Delta 1

2875, boulevard Laurier

10e étage

Ste-Foy (Québec)

G1V 2M2                                                                     pour la défenderesse

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