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                                                                                                                                 Date : 20040405

                                                                                                                             Dossier : T-609-99

                                                                                                                  Référence : 2004 CF 501

ENTRE :

                                               Budisukma Puncak Sendirian Berhad,

                                  Maritime Consortium Management Sendirian Berhad

                                                                                                                                  demanderesses

                                                                             et

                        Sa Majesté la Reine du chef du Canada, B.S. Warna et D.A. Hall

                                                                                                                                          défendeurs

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE CAMPBELL

[1]                Le 5 avril 1997, le vraquier Lantau Peak est entré dans le port de Vancouver pour deux raisons : premièrement, réparer les membrures de la coque qui s'étaient détachées au cours du voyage entre le Japon et le Canada et deuxièmement, une fois ces réparations effectuées, prendre un chargement de charbon pour le voyage de retour vers le Japon. Le capitaine savait que le navire ferait l'objet d'une inspection de sécurité à son arrivée à Vancouver mais il n'aurait pu prévoir les répercussions qu'aurait cette opération de routine.


[2]                Dès qu'il a pris son poste à quai en vue des réparations, le Lantau Peak a été inspecté par les inspecteurs de navires à vapeur du gouvernement canadien, MM. Warna et Hall, qui ont ordonné son immobilisation à titre de mesure de contrôle des navires par l'État du port pour assurer la sécurité en mer. Le navire est demeuré immobilisé jusqu'au 13 août 1997, jour où il a appareillé pour effectuer un voyage sur lest vers la Chine en vue d'y effectuer les réparations importantes de la coque qu'exigeaient les conditions dont était assortie sa libération.

[3]                L'aspect essentiel de la présente action est le fait que l'immobilisation a été principalement ordonnée pour le motif que les membrures de la coque du navire étaient endommagées par la corrosion au-delà de ce qui était considéré comme une limite acceptable; la limite imposée était de 17 p. 100 de l'épaisseur initiale de la membrure au moment de la construction du navire. Au moment de l'immobilisation, les inspecteurs Warna et Hall ont informé le capitaine du navire que le navire demeurerait immobilisé tant que les membrures de la coque n'auraient pas été réparées selon cette norme. Les propriétaires du Lantau Peak ont contesté cette décision mais ont finalement effectué les réparations, sous toutes réserves, après l'imposition d'une norme moins stricte qu'ils estimaient néanmoins être déraisonnable.

[4]                Les demanderesses sollicitent des dommages-intérêts en se fondant sur la faute que constitue l'immobilisation du navire et le retard mis à le libérer. Les défendeurs invoquent principalement le fait que les inspecteurs Warna et Hall ont agi en vertu du pouvoir légal que leur conférait la Loi sur la marine marchande du Canada, et soutiennent que, dès lors, aucune poursuite en responsabilité délictuelle n'est recevable.


[5]                La défense fondée sur l'exercice d'un « pouvoir légal » est invoquée à titre d'exception interdisant aux tribunaux de conclure que la conduite des inspecteurs de navires à vapeur canadiens qui effectuent des inspections de sécurité sur des navires se trouvant dans les eaux canadiennes pour le compte de l'État du port constitue une faute. Si cette exception n'est pas reconnue en droit, rien n'empêche alors que la responsabilité de ces personnes soit engagée selon les règles de la responsabilité délictuelle du droit maritime.

[6]                Pour les motifs qui suivent, je conclus que l'exception fondée sur l'exercice d'un « pouvoir légal » ne peut être invoquée, étant donné que l'immobilisation du Lantau Peak n'a pas été ordonnée aux termes de la Loi sur la marine marchande du Canada, que les défendeurs sont responsables délictuellement et que les inspecteurs Warna et Hall ainsi que leurs superviseurs ont commis une faute dans l'exercice de leurs fonctions pour ce qui est de l'inspection et de l'immobilisation du navire.

I. Le contexte factuel

[7]                La présente partie des motifs contient des renseignements au sujet du Lantau Peak et expose les événements qui ont menés à l'immobilisation du navire, ainsi que ceux qui se sont produits pendant cette immobilisation et après. Ces faits ne sont pas contestés; cependant, certains éléments des « raisons » à l'origine de ces faits le sont. Cette dernière question est abordée dans la section IV.

[8]                Les avocats ont fourni des observations écrites détaillées, qui décrivent avec précision ce qui s'est produit. En particulier, les « conclusions finales » des demanderesses (CFD) sont une bonne source de renseignements et je les cite abondamment pour faciliter la relation de ces faits.


[9]                Les avocats des demanderesses ont ajouté à leurs observations une « chronologie des événements » , dont l'exactitude est admise par les avocats des défendeurs. Ce document, modifié pour plus de clarté et reproduit ci-dessous, relate en détail les événements importants qui ont marqué l'immobilisation du navire et contient des références permettant de retracer les preuves présentées au procès concernant les événements qui y sont décrits.

[10]            Au cours du procès, un nombre restreint de questions de preuve ont été contestées et ont fait l'objet d'observations écrites et orales; les décisions sur ces questions ont été reportées à la présentation des présents motifs. Ces questions contestées sont tranchées dans la dernière partie de la présente section.


A. Le contrôle des navires par l'État du port

[11]            Le Lantau Peak a été immobilisé dans le cadre du « contrôle des navires par l'État du port » , un régime de mise en oeuvre des normes de sécurité découlant d'une entente conclue par les nations maritimes. Il existe deux ententes : le Mémorandum d'entente de Paris qui régit l'Atlantique et le Mémorandum d'entente de Tokyo (Mémorandum) qui s'applique au Pacifique. Le Canada est partie à ces deux ententes.

[12]            Dans leurs « observations liminaires » les demanderesses fournissent, aux pages 4 à 6, une description concise du fondement de cette mission :

[traduction] L'expression « liberté des mers » est un élément fondamental du droit international qui remonte à l'établissement des premières relations juridiques entre nations. Cette notion débouche sur le principe universellement accepté de la liberté de navigation qui est fondée sur la souveraineté et l'égalité des pays souverains et qui est également reconnue de nos jours comme étant le fondement des rapports entre nations.

La liberté de navigation accorde à toutes les nations le droit d'autoriser des navires à battre leur pavillon. Ce principe débouche directement sur le principe traditionnel selon lequel l'État du pavillon exerce un contrôle absolu sur le navire et sur les événements qui se produisent à son bord. Comme le déclare Peter B. Payoyo dans sa thèse intitulée « Port State Control in the Asia Pacific » (Le contrôle des navires par l'État du port dans l'Asie du Pacifique) aux pages 5 et 6 :

« L'État possède le droit inhérent d'attribuer à un navire le privilège de battre son pavillon et il en résulte que seul cet État exerce un contrôle suprême sur le navire et les événements qui s'y produisent. D'une façon générale, la loi du pavillon ou la loi du pays d'immatriculation du navire régit, à l'exception de toutes les autres, le navire et ses activités. Sous l'expression « la suprématie de l'État du pavillon » , ce principe reflète ce qui demeure un thème traditionnel et dominant du droit international de la mer. »

L'accroissement des pouvoirs de l'État côtier est un principe qui va à l'encontre de la suprématie de l'État du pavillon et qui s'est développé sur une période relativement courte, soit depuis une cinquantaine d'années environ. Des problèmes comme la pollution, la préservation des espèces, notamment la pêche et même la sécurité nationale, ont amené les États à étendre leur contrôle à la zone économique exclusive que l'on appelle souvent la zone des 200 milles. Si la plupart des États y compris le Canada exercent leur pleine compétence sur leurs eaux territoriales jusqu'à la limite de 12 milles, certaines lois relatives à la pollution et à la gestion des ressources s'appliquent à l'intérieur de la zone de 200 milles. Cette réglementation est toutefois assujettie au droit de passage inoffensif des navires battant pavillon étranger.


La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 reconnaît le maintien de ces deux principes, la notion de navire battant pavillon étranger et la liberté de navigation et tout ce qui découle de ces principes, tout en reconnaissant les droits de l'État côtier de protéger ses rivages et ses citoyens. Voir la partie XII de la Convention - cadre des droits des États en matière de pollution, voir les articles 218 à 223.

Le contrôle des navires par l'État du port n'est pas le sujet d'une convention internationale ni même de lois universellement acceptées. Ce contrôle découle d'une entente [Mémorandum] conclue entre un nombre limité d'État qui a été négociée et signée par les autorités maritimes d'un certain nombre de pays. Le caractère contraignant de ces ententes est très controversé mais si l'on met de côté cette question, le Mémorandum d'entente de Paris ou de Tokyo n'a pas pour effet de supprimer le droit de l'État du pavillon de réglementer ses propres navires. Comme le déclare G. Kasoulides dans son ouvrage « The Port State Enforcement Regime Through International Organizations » (Le régime du contrôle des navires par l'État du port par le biais des organisations internationales) :

« Le fait que le Mémorandum ait été adopté sous la forme d'un mémorandum et non pas d'une convention, combiné au fait qu'il a été conclu par les autorités maritimes et non pas par les États, reflète la volonté des États qui coopèrent dans ce but de participer à un régime harmonisé de contrôle des navires par l'État du port et d'échange de renseignements mais non pas d'assumer de nouvelles obligations contractuelles contraignantes. »

B. Le Lantau Peak (le navire), ses propriétaires et ses exploitants

[13]            Les « conclusions finales » des demanderesses (pages 1 à 5) contiennent une description utile des caractéristiques pertinentes du navire et des personnes qui y sont étroitement associées :

[traduction] La demanderesse Budisukma Puncak Sendirian Berhad (Budisukma) est une société malaisienne ayant un bureau à Kuala Lumpur en Malaisie. Cette société est devenue le 9 septembre 1996 le propriétaire officiel du navire et elle possédait cette qualité à toutes les époques pertinentes (Exposé conjoint des faits (pièce P-2), paragraphes 1 et 3).

Budisukma et la seconde demanderesse, Maritime Consortium Management Sendirian Berhad (MCM) sont toutes deux des filiales à 100 p. 100 de Global Carriers Berhad (Global), une société également constituée en Malaisie où se trouve son siège social. Global était cotée à la Bourse de Kuala Lumpur en avril 1996 en tant que société publique (Exposé conjoint des faits, paragraphe 2 et transcription 388-389).


En 1997, Global était propriétaire de 23 navires de haute mer comprenant sept transporteurs de produits, dix vraquiers et six navires porte-conteneurs. En 1996, Global prenait des mesures pour mettre en oeuvre le Code international de gestion de la sécurité (ISM) qui est devenu obligatoire dans le monde entier le 1er juillet 1998 et a pour cette fin retenu les services du commandant Swa (transcription, pages 257 à 259). Le Code ISM prévoit une norme internationale pour la gestion de la sécurité et l'exploitation des navires ainsi que la prévention de la pollution; il prévoit également la mise en oeuvre d'un système de gestion de la sécurité.

Le navire est un vraquier sans apparaux de manutention; il mesure 249,18 mètres de long, 38,0 mètres de large et 23,7 mètres de creux; c'est un navire « Capesize » . Le navire a une jauge brute de 62 412, une jauge de 37 377 et une jauge de port en lourd de 113 926 tonnes anglaises. (Exposé conjoint des faits, paragraphe 5)

Le navire a été construit au Japon en 1977 sous la surveillance de la société de classification japonaise Nippon Kaiji Kyokai (Société NK). Le navire a toujours été utilisé pour le commerce international par la Showa Line du Japon et transportait généralement du charbon et du minerai de fer entre divers pays sources et le Japon. (Exposé conjoint des faits et témoignage du capitaine Khoo)

Le navire possède neuf cales et chacune d'elles est pourvue dans sa partie supérieure d'un panneau de cales utilisé pour le chargement et le déchargement du produit transporté. Entre le plafond des ballast (le fond de la cale) et le pont du navire, il y a environ 21 mètres.

Le navire a été acheté par l'intermédiaire de MCM pour sa compagnie désignée Budisukma en vertu d'un protocole d'entente daté du 10 août 1996 (volume 1, onglet 17). Le prix d'achat était de 6 550 000 $US.

MCM a transféré en Malaisie l'immatriculation du navire qui était au départ immatriculé à Panama. Les certificats légaux ont été établis par la société de classification pour le compte de l'État du pavillon.

Le navire a toujours été « classé » par la Société NK depuis sa construction. La Société NK est une des plus grandes sociétés de classification au monde. Elle a été créée au Japon en 1899 en vue de promouvoir la réglementation et le développement de l'industrie de la construction navale et de commerce maritime au Japon. La société a adopté son nom actuel en 1946 et a pris de l'expansion. En 1966, le registre des navires de la Société NK représentait plus de 10 millions de tonnes et en 1997, plus de 100 millions de tonnes. En 2003, la Société NK avait classé plus de 6 500 navires qui représentaient plus de 111 millions de tonnes. La société a des bureaux généraux à Tokyo, Londres et New York et possède plus de 90 bureaux d'inspection exclusifs dans les principaux ports du monde. La Société NK est un des membres fondateurs de l'AISC (l'Association internationale des sociétés de classification créée en 1968). À l'heure actuelle, la Société NK occupe, avec une autre société de classification, la première place au monde pour ce qui est du nombre des navires classés et de la jauge. (Interrogatoire principal de M. Agaki et pièces P-15 et P-16).

La Société [est] un organisme indépendant qui fournit ses services dans le monde entier; le propriétaire du navire est tenu d'effectuer les réparations exigées s'il veut conserver la classe du navire.

La United Kingdom Mutual Steam Ship Assurance Association (Bermuda) Limited, la plus grosse société d'assurance maritime (Club P & I), a accepté d'assurer le LANTAU PEAK selon les Règles du Club P & I. Cette acceptation a été accordée après une série d'inspections et de communications avec les demanderesses.


L'état du navire était suivi par un certain nombre d'organismes, notamment l'État du pavillon, la Société NK, l'Association de protection et d'indemnisation ayant accordé l'assurance-responsabilité (Club P & I) et enfin, les administrations des États du port dans les pays où le navire est exploité.

C. Les événements

Chronologie des événements

Mars 1978

Construction du Lantau Peak au chantier naval Tsu Works (Japon)

Volume 1, onglet 27

30 mars 1978

Lantau Peak inscrit auprès de la société de classification Nippon Kaiji Kyokai (Société NK)

Volume 1, onglet 27

30 mars 1978

Lantau Peak certifié par la Société NK pour ce qui est des apparaux de manutention du chargement, de l'équipement de sécurité, des installations de prévention de la pollution maritime et de l'équipement radio

Volume 1, onglet 28

25 janvier 1996

Immobilisation du Lantau Peak à Vancouver (Colombie-Britannique) par M. Warna et M. Hall. Immobilisation fondée sur la règle 11, chapitre 1 de la Convention SOLAS, corrosion des hiloires de cale. Navire innavigable »

Volume 3, onglets 5, 6, 9

1er février 1996

Lantau Peak libéré à Vancouver par M. Warna

Volume 3, onglet 10

10 août 1996

Charte-partie d'affrètement à temps entre BPS, Showa Line et N.P. Shipping

Volume 2, onglet 105

9 septembre 1996

Achat du Lantau Peak par Budisukma Puncak Sendirian Berhad de NP Shipping S.A.

Volume 1, onglet 19

17 septembre 1996

Le capitaine Aloro prend possession du navire avec nouvel équipage à Hong Kong

Volume 2, onglet 116

20 septembre 1996

Nomination de Maritime Consortium Management Sendirian Berhad à titre d'exploitant du navire

Volume 1, onglet 20

6 novembre 1996

Lantau Peak inspecté à Singapour par le Club P & I du R.-U. en vue de l'assurer

Volume 1, onglet 21 et volume 5, onglet 179

8 janvier 1997

Inspection du Lantau Peak par la Société NK à Shenzhen

Volume 1, onglet 25

20 janvier 1997

Lantau Peak soumis à une inspection dans le cadre du contrôle des navires par l'État du port à Port Hedland (Australie)

Volume 1, onglet 26

7 février 1997

Navire à Kaoshung; nouvelle inspection par les inspecteurs du Club P & I

Volume 5, un onglet 195

20 février 1997

Arrivée du navire à Newcastle (Australie) pour prendre un chargement

Volume 2, onglet 109

27 février 1997

Départ de Newcastle (Australie) pour Kawasaki (Japon)

Volume 2, onglet 109

3 mars 1997

Délivrance d'un certificat d'immatriculation provisoire du registre de la Malaisie pour le Lantau Peak

Volume 3, onglet 19

18 mars 1997

Arrivée du navire à Kawasaki (Japon)

Volume 2, onglet 109

21 mars 1997

Navire inspecté par la Société NK à Kawasaki (Japon)

Volume 3, onglet 16

22 mars 1997

Navire inspecté par Showa à Kawasaki (Japon)

Volume 2, onglet 111

23 mars 1997

Départ du navire de Kawasaki (Japon) pour Vancouver (C.-B.)

Volume 2, onglet 109

5 avril 1997

Arrivée du Lantau Peak à Vancouver (C.-B.). Le commandant Swa et le réparateur montent à bord avec M. Warna et M. Hall.

5 avril 1997

Lantau Peak soumis à une inspection du contrôle des navires par l'État du port effectuée par M. Hall et M. Warna à Vancouver (C.-B.) et immobilisé

Volume 1, onglet 32, 33 et 34

5 avril 1997

Lantau Peak en suspension d'affrètement à 15 h 20

Volume 2, onglet 99, A33, et volume 2, onglet 102H

7 et 8 avril 1997

Nouvelle visite de M. Warna sur le navire

Pièce D-35

10 avril 1997

État du pavillon écrit à M. Hall pour demander la libération du navire

Volume 3, onglet 29

11 avril 1997

MCM écrit à M. Hall et al. les informant de la différence de coût entre les travaux effectués en Chine et au Canada

Volume 3, onglet 30

15 avril 1997

Délivrance par la Société NK à Vancouver (C.-B.) d'un certificat de navigabilité pour le navire à moteur Lantau Peak

Volume 1, onglet 39

18 avril 1997

Compensation du compas du navire et délivrance d'un certificat le confirmant

Volumes 3, onglet 35

18 avril 1997

La Société NK Tokyo envoie une télécopie à la Société NK Vancouver avec une pièce jointe à la Société NK Seattle confirmant, notamment, leurs critères de corrosion de 25 p. 100 pour la semelle et de 7,5 mm minimum pour l'âme. Télécopie envoyée au commandant Swa et au capitaine Khoo au Sands Hotel de Vancouver le même jour

Volume 2, onglets 99, B39 et B40

21 avril 1997

La Société NK délivre un autre rapport d'inspection de son bureau de Seattle indiquant que le navire est conforme à sa classification

Volume 1, onglet 44

22 avril 1997

Réunion de négociation tenue, sous toutes réserves, dans les bureaux des défendeurs

23-24 avril 1997

Note d'information préparée par M. Warna, révisée par M. Hall et M. Nelson, et envoyée à M. Streeter par M. Nelson.

Volume 3, onglets 39, 44 et 47

1er mai 1997

Nouvelle visite de M. Warna sur le navire

Pièce D-35

5 mai 1997

Nouvelle visite de M. Warna sur le navire

Pièce D-35

5 mai 1997

La Société NK délivre un autre certificat de navigabilité à l'égard du Lantau Peak

Volume 1, onglet 55

6 mai 1997

Lettre de Transports Canada confirmant l'achèvement des travaux sauf sur les membrures litigieuses

Volume 3, onglet 71

8 mai 1997

La Société NK écrit au gouvernement malaisien en exposant ses critères en matière de corrosion : 25 p. 100 pour la semelle et un minimum de 7,5 mm pour l'âme. Il est confirmé que ces renseignements ont été reçus à Ottawa le 13 mai 1997

Volume 1, onglet 63 et volume 8, onglet 315, sous-onglet 15

12 mai 1997

Lettre de Campney & Murphy transmettant à Transports Canada, notamment, le document de la Société NK dans lequel celle-ci décrivait ses normes en matière de détérioration, dont la réception à Ottawa le 13 mai 1997 a été confirmée.

Volume 1, onglet 64 et volume 8, onglet 315 sous-onglet 15

13 mai 1997

Ottawa a reçu et transmis à Vancouver les documents exposant clairement les normes de corrosion de la société de classification

Volume 8, onglet 315, sous-onglets 15 et 16

15 mai 1997

M. Jenkins écrit au nom de M. Streeter à la Malaisie et affirme encore que 180 membrures sont détériorées et ne répondent pas aux normes de classification

Volume 8, onglet 315, sous-onglet 19

23 mai 1997

MCM écrit à Ottawa pour préciser une nouvelle fois la norme de la société de classification et affirme qu'aucune des membrures n'est détériorée au-delà de ces limites

Volume 8, onglet 315, sous-onglet 21

2 juin 1997

Le capitaine Khoo envoie à la Société NK un projet de lettre qu'il lui demande d'envoyer à M. Streeter, étant donné qu'il craint encore qu'Ottawa ne comprenne pas les critères de la société de classification

Volume 2, onglet 99 D1

3 juin 1997

La Société NK envoie une lettre à Ottawa dans laquelle elle précise clairement une fois de plus les critères en matière de corrosion

Volume 8, onglet 315, sous-onglet 22

18 juin 1997

M. Flood, un architecte naval d'Ottawa, rédige une note de service dans laquelle il déclare, notamment, qu' « il conviendrait de prendre des arrangements pour permettre au navire d'appareiller pour Shanghai » à trois conditions

Volume 8, onglet 315, sous-onglet 26

2 juillet 1997

Le dossier de Vancouver contient une version provisoire de la lettre signée par M. Streeter. Le dossier de M. Streeter ne contient pas cette version provisoire, seulement la lettre définitive.

Volume 4, onglets 10,7 et 108 et volume 8, onglet 315, sous-onglet 30

8 juillet 1997

MCM informe Transports Canada qu'elle envisage de remorquer le navire en Chine et demande à quelles conditions Transports Canada l'autoriserait.

Volume 1, onglet 73

11 juillet 1997

M. Hall envoie les conditions d'autorisation du remorquage aux demanderesses, qui comprennent le dépôt d'un cautionnement de garantie de 1 000 000 $ qui serait confisquée par la Couronne si les réparations n'étaient pas effectuées dans les 150 jours

Volume 1, onglet 74

17 juillet 1997

M. Warna passe toute la journée dans son bureau sur le dossier du Lantau Peak.

Pièce D-35

17 juillet 1997

Un projet de la décision d'appel de M. Streeter du 18 juillet est préparé dans le bureau de Vancouver.

Volume 4, onglet 137

18 juillet 1997

M. Streeter rend sa décision en utilisant une formulation identique, sous de nombreux points, au projet préparé à Vancouver le 17 juillet. M. Streeter reconnaît qu'il a dû avoir eu connaissance du projet de lettre du 17 juillet mais que celui-ci ne figure pas dans son dossier volume 8, onglet 315

Volume 4, onglet 138

30 juillet 1997

Nouvelle visite de M. Warna sur le navire

Pièce D-35

Diverses dates

Les demanderesses effectuent les travaux demandés à Vancouver

11 août 1997

Nouvelle visite de M. Warna sur le navire

Pièce D-35

12 août 1997

Levée de l'immobilisation du Lantau Peak

Volume 3, onglet 21

Sans date

Facture de 13 000 $ préparée pour le compte de M. Warna et envoyée au mandataire du navire

Volume 4, onglet 152

13 août 1997

Key Marine remet un rapport d'achèvement des travaux pour tous les travaux que devaient faire les défendeurs à Vancouver

Volume 1, onglet 78

Diverses dates

Le navire rallie la Chine pour effectuer les réparations exigées par le ministère des Transports. Les réparations sont achevées le 10 octobre 1997 ou vers cette date.

10 octobre 1997

Le navire peut de nouveau être affrété.

Volume 2, onglet 102H

23 décembre 2000

Vente du Lantau Peak

Volume 2, onglet 118

1. Les principaux acteurs

[14]            Voici les principaux acteurs qui ont joué un rôle dans l'immobilisation et la libération du navire : pour les demanderesses : le capitaine Aloro, le commandant Swa et le capitaine Khoo; pour les défendeurs : l'inspecteur Biant Warna, l'inspecteur David Hall, le capitaine Phil Nelson, M. Bud Streeter et M. Richard Day.


Le capitaine Aloro

Le capitaine Aloro est un ressortissant philippin qui a une longue expérience de la mer; il a commencé à naviguer sur des navires de haute mer en 1962 et a continué à le faire jusqu'à sa semi-retraite prise en 1999. Il est capitaine au long cours et il a navigué en qualité de capitaine depuis 1980 pour un certain nombre de compagnies de navigation notamment pour les sociétés Philippine President Line, Zim Line, Mitsui OSK, Showa et d'autres. Il a commandé des navires porte-conteneurs, des vraquiers et d'autres navires de taille et âge divers.

Le capitaine Aloro a pris le commandement du « Lantau Peak » le 17 septembre 1996, peu après son achat par les demanderesses. Il était à bord pendant toute la durée de l'immobilisation du navire à Vancouver.

Le commandant Swa

Le commandant est un ressortissant malaisien qui a une longue expérience de l'industrie navale. Il s'est engagé dans la marine malaisienne en 1972; il a étudié à l'Université de technologie de la Malaisie et obtenu un baccalauréat en ingénierie mécanique en 1977; a étudié au Royal Naval Engineering College en Angleterre et obtenu le certificat d'ingénierie marine pratique. Il a travaillé pour la marine comme officier ingénieur de marine sur des navires de transport, au bureau de planification du Bureau de remise en état de navires et au projet de construction de navires de patrouille de haute mer à Pusan (Corée) pendant deux ans; il a fréquenté l'Université en Malaisie en 1988 pour devenir commandant dans la marine malaisienne; a été nommé responsable de l'entretien de la flotte (coque, etc.) pour toute la marine, nommé en 1991 responsable de l'inspection de tous les navires; a été affecté à la Royal Navy Training School en 1993 en qualité de chef de la division de la formation technique où il est resté jusqu'au milieu de l'année 1996.

Le commandant Swa a commencé à travailler pour la demanderesse MCM le 1er novembre 1996; ses fonctions consistaient au départ à organiser le programme international de gestion de la sécurité et il a été ensuite nommé ingénieur d'inspection pour la flotte de MCM, ce qui consistait à visiter et à inspecter des navires.

Le commandant Swa a été invité à se rendre à Vancouver pour aider à la réparation des membrures détachées. Il se trouvait en Espagne en train d'inspecter un autre navire de MCM et est arrivé à Vancouver la veille de l'arrivée du navire; il y est resté pendant 39 jours.

Le capitaine Khoo


Le capitaine C.Y. Khoo est un ressortissant malaisien qui a été embauché par la Malaysian International Shipping Company comme élève officier de pont. Il a ensuite terminé son apprentissage et obtenu par la suite son certificat de compétence de capitaine au long cours en 1990. Il a navigué comme capitaine sur des transporteurs de produits jusqu'en 1993, année au cours de laquelle il a été embauché par la demanderesse MCM.

Le poste qu'occupait initialement le capitaine Khoo au sein de la MCM était celui de capitaine d'armement chargé des opérations de la flotte, ce qui comprenait la planification des déplacements des navires et les questions connexes. En janvier 1994, il a été nommé directeur de l'exploitation, le capitaine d'armement travaillant sous ses ordres. Il est demeuré dans ce poste jusqu'à sa nomination comme directeur de la flotte, début 1995. Pendant cette période, MCM acquérait d'autres navires. En tant que directeur de la flotte, il était responsable d'un certain nombre de questions, notamment les questions techniques concernant l'entretien, la classification et l'assurance des navires exploités par MCM. Il est demeuré directeur de la flotte jusqu'en janvier 1996, où il a été nommé « directeur général de la flotte » , poste qu'il a occupé jusqu'à sa nomination à celui de directeur général des opérations de MCM en 1999.

Le capitaine Khoo a appris la détention du navire et les conditions imposées par les inspecteurs chargés du contrôle des navires par l'État du port à Vancouver et il a décidé de se rendre à Vancouver pour offrir son aide et y est arrivé le 14 avril 1997.

L'inspecteur Biant Warna

L'inspecteur Warna a été nommé inspecteur de navires à vapeur en 1983 et a continué à travailler dans cette capacité jusqu'à aujourd'hui. Ses diplômes professionnels comprennent un diplôme d'achèvement d'un programme à plein temps de quatre ans du Government of India Marine Engineering College et un certificat de capacité de mécanicien de première classe, navires à vapeur.

L'expérience professionnelle de l'inspecteur Warna comprend : de 1965 à 1977 mécanicien de quart, mécanicien en second et chef-mécanicien sur des vraquiers et des cargos soumis à la Convention, de 1977 à 1978, chef-mécanicien sur un navire de la Garde côtière canadienne, de 1978 à 1979, agent de formation technique - construction mécanique pour la Garde côtière canadienne, de 1979 à 1983 en qualité d'expert maritime principal - formation et examens, de 1983 à aujourd'hui inspecteur maritime principal (machines) - Garde côtière canadienne / Transports Canada.

En tant qu'inspecteur de navires à vapeur, les fonctions de l'inspecteur Warna comprennent : les inspections de contrôle des navires par l'État du port, les enquêtes sur la pollution, les examens des ingénieurs pour tous les niveaux des certificats de capacité jusqu'à chef-mécanicien, en qualité d'expert, donner des séminaires sur le contrôle des navires par l'État du port aux agents de contrôle de l'État du port des pays membres des Mémorandums d'entente de Paris et de Tokyo, notamment le Canada, la Malaisie, la Corée du Sud et le Vietnam.


Avant que le Canada devienne membre du Mémorandum d'entente de Paris, ses fonctions comprenaient l'inspection des navires étrangers transportant du bois d'oeuvre en pontée et des appareils de manutention, l'inspection des navires canadiens et les enquêtes sur les cas de pollution.

L'inspecteur David Hall

L'inspecteur David Hall a été nommé inspecteur de navires à vapeur en 1988; il a travaillé depuis dans cette capacité et il est à l'heure actuelle expert maritime principal. Ses diplômes professionnels comprennent un diplôme de philosophie de l'Université de Guelph en Ontario.

L'expérience professionnelle de l'inspecteur Hall est la suivante : jusqu'en 1974, steward sur des navires de transport de passagers et sur des pétroliers, de 1974 à 1988 mécanicien sur divers navires, de 1974 à 1980 environ, il a navigué pour la Garde côtière canadienne et pendant une brève période pour Pêches et Océans et ensuite pour cinq ans avec la Northern Transportation Company entre Hay River et les Territoires du Nord-Ouest. Il a acquis une expérience dans les postes suivants : graisseur, magasinier salle des machines, quatrième mécanicien, troisième mécanicien, mécanicien en second et chef-mécanicien. Il a navigué en tant que mécanicien sur des navires, des remorqueurs et des garde-pêche de la Garde côtière.

L'inspecteur Hall a reçu une formation d'inspecteur de navire à vapeur en cours d'emploi. Aux termes du Mémorandum de Paris, pour être inspecteur du contrôle des navires par l'État du port, il faut être un expert maritime de l'État du pavillon depuis au moins deux ans et aux termes du Mémorandum de Tokyo, être expert maritime de l'État du pavillon depuis au moins douze mois.

Le capitaine Phillip Nelson

Le capitaine Nelson possède une expérience longue et variée du transport maritime. De 1972 à 1987, il a navigué comme cadet navigant, troisième et second mécanicien sur des vraquiers, des pétroliers, des transporteurs de produits chimiques et d'autres transporteurs dans le monde entier. Pendant des années, il a navigué sur la côte Ouest du Canada et des États-Unis. Au cours des cinq dernières années de cette période, il a navigué comme capitaine de pétrolier le long de la côte Atlantique d'Amérique du Nord ainsi que sur les eaux intérieures du Canada.

Le capitaine Nelson est entré dans la fonction publique en 1987. Pendant les 15 années qu'il a passées à la Direction de la sécurité maritime - Transports Canada, il s'est occupé des différents aspects des postes d'expert maritime, d'expert maritime principal et de directeur régional de 1997 à 2003. En mars 2003, il a accepté le poste de président du Council of Marine Carriers de Vancouver.


Au moment de l'immobilisation du Lantau Peak, le capitaine Nelson était le supérieur immédiat des inspecteurs Warna et Hall.

M. Bud Streeter

M. Streeter est diplômé du collège de la Garde côtière canadienne de Sydney en Nouvelle-Écosse où il a obtenu un diplôme de mécanicien de marine et un certificat de capacité de mécanicien de marine de quatrième classe , en juin 1973. Il a navigué pratiquement constamment jusqu'en juin 1978. Il a obtenu un certificat de capacité de première classe de mécanicien de marine, navires à moteur, en mars 1978. M. Streeter a navigué à bord de navires commerciaux, civils et gouvernementaux, notamment comme chef-mécanicien.

M. Streeter a enseigné les sciences et les technologies de la mécanique jusqu'au premier niveau au Collège de la Garde côtière canadienne entre juillet 1978 et mai 1981. Il a également été pendant quelque temps expert non exclusif du Registre de la Lloyd's.

Il a été nommé expert en machines de navire auprès de la Direction de la sécurité des navires de la Garde côtière canadienne à Sydney (N.-É.) en mai 1981 et est demeuré dans ce poste, après un bref passage au Collège de la Garde côtière canadienne en qualité d'instructeur pour remédier à une pénurie d'enseignants jusqu'à sa nomination comme expert principal à Charlottetown (Î.-P.-É.), responsable de l'Île-du-Prince-Édouard et des Îles de La Madeleine (Québec) en décembre 1985.

En septembre 1987, M. Streeter a accepté le poste de directeur des services techniques de Marine Atlantic Inc., un opérateur important de traversiers pour passagers à Moncton (N.-B.). Il a été promu au poste de directeur des services techniques en 1988 et à celui de vice-président, Sécurité et affaires réglementaires, en janvier 1995.

En novembre 1996, M. Streeter s'est vu offrir le poste de directeur général, Sécurité maritime, par le gouvernement du Canada à Ottawa. Il a été responsable des questions réglementaires maritimes pour le Canada jusqu'à ce qu'il accepte de se joindre à la société Lloyd's Register North America, Inc. en avril 2002.


[15]            Seul M. Streeter a témoigné au sujet du processus décisionnel d'Ottawa qui a débouché sur le prolongement de l'immobilisation du navire à Vancouver, bien que d'autres personnes aient directement participé à ce processus. Les demanderesses s'intéressent particulièrement à la participation de M. Richard Day qui était le directeur intérimaire du service, Politique et planification, sous la direction de M. Streeter à Ottawa. Les preuves indiquent que M. Day a joué un rôle central dans le processus décisionnel qui a débouché sur le prolongement de l'immobilisation du navire. M. Day était en mesure de témoigner, et il se trouvait même parfois dans la salle d'audience pendant l'instruction mais les défendeurs ne lui ont pas demandé de témoigner pour fournir des explications au sujet du comportement du personnel du bureau d'Ottawa qui est en partie à l'origine de la présente action. Les demanderesses m'ont par conséquent invité à tirer une conclusion défavorable de ce fait, à savoir qu'il n'existe pas d'explication satisfaisante des décisions apparemment négligentes prises à l'égard de l'immobilisation du navire après l'intervention du bureau d'Ottawa dans cette affaire. Cette question est examinée dans la section IV ci-dessous.

[16]            Les demanderesses mentionnent également spécialement M. Flood, un architecte naval du bureau d'Ottawa qui a été consulté vers le milieu du mois de juin 1997 au sujet du navire et qui a préparé un avis dans lequel il concluait que le navire devrait, à certaines conditions, être autorisé à rallier la Chine. M. Flood n'a pas témoigné. Sa participation est également abordée dans la section IV.

[17]            À l'exception de certains éléments du témoignage de l'inspecteur Warna qui seront exposés dans la section IV, je ne vois aucune raison de mettre en doute la crédibilité des personnes qui ont témoigné à l'instruction.


2. Les preuves concernant l'état du navire avant son arrivée à Vancouver

[18]            Les preuves concernant l'état du navire, par opposition à son état réel, au moment de son arrivée à Vancouver et l'utilisation qu'ont faites de ces preuves les inspecteurs Warna et Hall ainsi que les superviseurs Nelson et Streeter, constituent un élément important de la présente action.

[19]            J'admets que les preuves démontrent, de façon incontestable, le bien-fondé de l'affirmation suivante faite par les demanderesses :

[traduction] Il est impossible de qualifier d'improvisé ou de négligent le programme d'entretien permanent du navire. Toutes les réparations exigées ont été effectuées conformément aux directives fournies par les experts ou au programme régulier d'entretien en vigueur à bord. Avant l'arrivée du navire à Vancouver le 5 avril 1997, aucune autorité de contrôle de l'État du port, la société de classification, le Club P & I, l'équipage ou les propriétaires n'ont jamais laissé entendre que le navire ne pouvait continuer à naviguer en sécurité dans l'état où l'avaient trouvé de nombreux inspecteurs compétents et d'expérience. Le navire a toujours respecté les normes de classification et tous les certificats légaux (SOLAS et autres) étaient valides lorsqu'il est arrivé à Vancouver (voir : Liste des visites au volume 1, onglet 29 et les certificats légaux au volume 3, onglet 16). En fait, M. Warna et l'inspecteur Hall ont permis au navire de naviguer avec un chargement en janvier 1996 même si de nombreuses membrures étaient détériorées au-delà de 17 p. 100. (OLD, page 6)

a. l'immobilisation de 1996


[20]            En janvier 1996, les inspecteurs Warna et Hall ont inspecté le navire à Vancouver, alors qu'il appartenait au propriétaire précédent, et ils l'ont jugé « innavigable » , principalement pour le motif que des panneaux de cale étaient corrodés. Le navire a été immobilisé et après que les travaux exigés aient été effectués, le navire a été libéré et a pu appareiller. Il est important de noter qu'à l'époque, les inspecteurs ont autorisé le navire à appareiller avec un chargement, même si de nombreuses membrures étaient détériorées au-delà de 17 p. 100.

b. les inspections du navire effectuées entre la date de l'achat par les demanderesses et la date de l'immobilisation

[21]            Au début de 1997, le navire a été inspecté les 8, 20, 27 janvier, le 7 février, les 21 et 22 mars, ce qui montre bien que le programme d'entretien permanent du navire ne pouvait être qualifié d'improvisé ou de négligent. L'exposé qui suit indique dans quel ordre se sont produits ces événements :

[traduction] Le capitaine était à bord au cours des visites de la Société NK et du Club P & I qui ont été effectuées peu après l'achat du navire par les demanderesses. Une liste de travaux d'entretien lui avait été remise au départ et il a confirmé l'exécution de ces travaux à mesure qu'ils étaient effectués (volume 1, onglet 21 et transcription, pages 129 à 131).

[Le capitaine Aloro] se souvient des visites qu'ont faites à Singapour les experts du Club P & I du R.-U. à Singapour et du fait qu'ils sont descendus dans les cales du navire (transcription, page 131 et volume 5, onglet 179). Ces experts ont fait des commentaires sur l'état des cales dans leur rapport de visite (volume 5, onglet 179, paragraphe 4). Ils ont affirmé qu'il n'y avait « aucun élément indiquant qu'il y ait détérioration ou corrosion grave » et le capitaine Aloro a confirmé que ces observations étaient conformes aux siennes (transcription, page 133, lignes 16 à 20).

Le navire après avoir été inspecté pour le compte de la Société NK à Shenzhen (Chine) (volume 1, onglet 25), a rallié Port Hedland, en Australie, où il a été inspecté par un inspecteur du contrôle des navires par l'État du port (M. Kenneison) qui est resté à bord près de 24 heures (volume 1, onglet 26). Le capitaine Aloro a déclaré que M. Kenneison avait d'abord vérifié les certificats appropriés et qu'il s'était rendu ensuite dans les cales avant le commencement des opérations de chargement (transcription, pages 135 et 136). L'inspecteur du contrôle par l'État du port a identifié certaines défectuosités qui ont été corrigées avant le départ du navire, sauf pour deux d'entre elles qui devaient être réparées plus tard. [L'inspecteur a examiné les cales mais n'a pas noté de détérioration ni de corrosion (CAP, page 6)]. Le navire a donc quitté l'Australie comme prévu, avec un plein chargement de charbon à destination de Taïwan.

Le navire a été inspecté à nouveau à Taïwan pour le compte du Club P & I et il a été jugé en bon état (transcription, page 138, lignes 25 - 141, ligne 9 et volume 2, onglet 195, page 2). Les experts du Club P & I ont déclaré que « les membrures intérieures, les cloisons et les plafonds de ballast étaient apparemment en bon état » , ce qui était conforme aux souvenirs qu'avait le capitaine de l'état du navire.


Outre les divers rapports de visite rédigés par les experts de la Société NK et du Club P & I, l'équipage préparait quotidiennement des rapports de travail qui étaient signés et approuvés par le capitaine (volume 2, onglet 109, transcription, pages 141 et 143). Ces rapports font état d'activités comme le nettoyage des cales et de questions touchant l'entretien courant de navire.

Le navire est retourné à Newcastle (Australie) pour y charger du charbon (transcription, page 143, lignes 17 à 144, ligne 4). Le navire a ensuite quitté l'Australie avec un chargement de charbon pour se rendre au Japon (transcription, page 141, lignes 7 à 12).

Le navire est arrivé au mouillage de Kawasaki le 18 mars 1997 et a pris son poste à quai le lendemain le 19 mars 1997.

L'affréteur, la Showa Line, a procédé à une inspection du navire à Kawasaki (volume 2, onglet 111, page 2). Cette inspection a eu lieu le 21 mars mais le chargement n'avait pas encore été tout à fait déchargé et l'inspecteur n'a pas mentionné l'état des cales (transcription, page 148, lignes 1 à 12).

Il y a également eu une visite de la Société NK le 21 mars 1997 (volume 3, onglet 16, page 5 et transcription, page 149, lignes 14 à 150, ligne 12). Cet expert a mentionné la présence de membrures déformées dans la cale n ° 1 qui devaient être examinées de plus près au cours de la prochaine visite à sec. Il ne formule pas d'observations concernant les autres cales mais il y a lieu de rappeler que les opérations de déchargement n'étaient pas encore achevées à ce moment-là. (CAP, pages 7 à 9)

c. les membrures détachées

[22]            L'immobilisation du Lantau Peak est étroitement reliée à la question des membrures transversales de sa coque.

[23]            Pendant le voyage entre Kawasaki (Japon) et Vancouver vers la fin mars 1997, l'équipage procédait au nettoyage des cales du navire lorsqu'il a constaté qu'il y avait des membrures détachées dans les cales 3 et 9. Des arrangements ont été pris avec le mandataire du navire à Vancouver pour effectuer ces réparations à son arrivée et le commandant Swa s'est rendu à Vancouver pour y rencontrer le navire et surveiller les réparations.


[24]            Pour faciliter la compréhension de la façon dont le Lantau Peak a été construit, et en particulier, la fonction des membrures de cales, les avocats des deux parties ont accepté que soit inclus dans les présents motifs l'exposé et le diagramme suivant. Les paragraphes 11 et 12 sont particulièrement importants (pièce Y pour l'identification, pages 1 à 8) :

[traduction]

DESCRIPTION GÉNÉRALE DU M/S LANTAU PEAK

5.        Le navire est un vraquier-minéralier à coque d'acier, à simple ligne d'arbres, construit en 1978 par le chantier naval Tsurimi de Nippon Kokan, en conformité avec les normes Nippon Kaiji Kyoki (NKK), la société de classification japonaise. Au moment de sa détention, le M/S Lantau Peak était classé par la NKK [également appelé la Société NK].

6.        Le navire est divisé en neuf cales, toutes situées sur l'avant de la salle des machines. Les cales sont séparées par des cloisons étanches transversales en acier ondulé. Le château, contenant les emménagements, s'élève au-dessus de la salle des machines, à la poupe du navire...

Caractéristiques du navire

Longueur hors-tout

260,000 mètres

Longueur, entre perpendiculaires

248,000 mètres

Largeur, hors membrures

38,000 mètres

Creux sur quille

23,700 mètres

Tirant d'eau nominal (moulé)

16,720 mètres

Tirant d'eau en charge d'été (ext)

16,736 mètres

Port en lourd

115 754 tonnes

Constructeur

Nippon Kokan, Chantier Tsurimi

Date construction

Mars 1978

Société de classification

NKK

N ° d'identification

780777

AGENCEMENT STRUCTUREL DU M/S LANTAU PEAK

7.        La partie médiane du navire... offre la configuration d'un vraquier-minéralier avec un double fond, des bords de cale en trémie et des citernes supérieures à fond oblique sous le pont. Les citernes du double fond, qui forment également le bouchain, et les citernes supérieures contiennent le combustible et l'eau de ballastage. La figure 3 illustre la disposition des éléments de structure pour ce type de construction de vraquier minéralier classique, [voir ci-dessous].


8.        Le pont principal, la muraille latérale au niveau de la citerne supérieure et le fond de la citerne supérieure du M/S Lantau Peak sont renforcés par des membrures longitudinales. Ces membrures sont des pièces de structure qui raidissent les tôles dans le sens longitudinal (d'avant en arrière). Les tôles de fond, le dessus de la citerne du réservoir, la trémie de cale et la partie inférieure de la muraille sont également raidis par des renforts longitudinaux. Le rôle principal de ces membrures longitudinales est de supporter les tôles auxquelles elles sont fixées et de les raidir pour prévenir le flambage sous l'effet des flexions de la poutre-coque (arc et contre-arc) que subissent normalement les grands navires océaniques.

9.        Le phénomène d'arc se produit lorsque la flottabilité est supérieure au poids au milieu du navire, et inférieure au poids aux deux extrémités. Lorsque la coque fléchit en arc, les éléments de structure supérieurs sont en tension et les éléments inférieurs travaillent en compression. L'inverse se produit lorsque la flottabilité de la partie centrale est inférieure à celles des extrémités et la coque fléchit alors en contre-arc. Dans cette situation, les éléments supérieurs travaillent en compression et les éléments inférieurs, en tension.

10.      Les membrures longitudinales sont stabilisées par des éléments transversaux à âme renforcée. Au niveau des caissons supérieurs et des caissons de bouchain, ces éléments de renfort forment un anneau à la périphérie de la zone intérieure. Dans les doubles fonds, des supports latéraux sont fixés entre la coque extérieure et le fond intérieur formant ce que l'on appelle un plancher plein. Des membrures longitudinales sont également fixées entre la coque extérieure et le fond intérieur. Il s'agit de poutres qui coopèrent avec les supports transversaux pour former un quadrillage capable de supporter le poids du chargement, quand la cale est pleine, et la pression de la mer, quand la cale est vide.

11.      La muraille latérale au niveau des cales est renforcée transversalement. Les membrures de cale servent de raidisseurs verticaux pour la coque et sont peu affectées par les efforts de flexion en arc et en contre-arc Les membrures de cale permettent au vaigrage de résister à la pression latérale du chargement de la cale et à la muraille de résister à la pression extérieure de la mer. Elles servent également à renforcer les plaques de la coque dans le sens vertical pour supporter des charges de haut en bas, comme celles d'un ballast d'eau dans les caissons supérieurs. Les membrures de la cale sont renforcées par des goussets au niveau de leur raccordement au fond des citernes supérieures et au-dessus des citernes de trémie.

12.      Les membrures de la cale ont une section en T dont l'âme est à l'intérieur. La semelle du T forme la face d'appui de la membrure. La partie supérieure du T est l'âme de la membrure. Les membrures transversales sont de différentes sections selon la cale dans laquelle elles se trouvent. Les cales 1, 3, 5, 7 et 9 sont prévues pour le transport de minerai, une cargaison très lourde. Avec le plein de minerai dans ces cales, le navire peut atteindre sa charge maximale avec les cales 2, 4, 6 et 8 vides. Les membrures des cales 2, 4, 6 et 8 doivent donc être plus fortes que celles des cales 1, 3, 5, 7 et 9 pour supporter la forte pression externe de la mer sans la contre-pression créée par la cargaison. La cale 6 est également prévue pour servir de citerne de ballast. Avec la cale n ° 6 pleine d'eau et le navire à son tirant d'eau de ballast, la pression interne créée par l'eau nécessite des membrures très renforcées.


Dimensions des membrures de cale

Cales 1, 3, 5, 7 et 9

Âme           525 mm x 12 mm

Semelle 150 mm x 25 mm

Cales 2, 4 et 8

Âme          550 mm x 14 mm

Semelle 150 mm x 25 mm

Cale 6

Âme          800 mm x 14 mm

Semelle 200 mm x 25 mm

Side Trans.                                            Traverse latérale

Deck Trans.                                          Traverse de pont

(Topside) Bottom Trans.                        Traverse de fond (supérieure)

Trans. Ring in Topside Tank                  Anneau transversal de la citerne supérieure

Hatchside Coaming                                Hiloire longitudinale de panneau

Hatchend Coaming                                Hiloire transversale de panneau

Hatchend Beam                                     Barrot d'extrémité de panneau

Cross Deck Beam                                 Barrot transversal

Deck Longl.                                          Lisse de pont

Side Longl.                                            Lisse de muraille

(Topside) Bottom Longl.                        Lisse de fond (supérieure)

Hold Frame                                           Membrure de cale

Bilge Hopper (longl.)                             (Lisse) trémie de cale

Side longl.                                             Lisse (de muraille)

Lower Stool                                          Support inférieur

Inner Bottom                                         Double fond

(Tanktop of Double Bottom)                  (Plafond de ballast du double fond)

Center Girder                                        Support central

Side Girder                                            Support latéral

Tanktop (Inner Bottom) Longl. Lisse de plafond de ballast (double fond)

Bottom Longl.                           Lisse de fond

Bottom Trans.                           Traverse de fond

Bilge Hopper Trans.                              Traverse de la trémie de cale

Side Trans.                                            Traverse latérale

Trans. Ring in Bilge Hopper                   Anneau transversal de la trémie de cale

Solid Floor                                            Varangue pleine



[25]            Dans le diagramme ci-dessus, qui est la figure 2 mentionnée dans la description ci-dessus, les membrures de la cale sont les montants verticaux se trouvant de chaque côté : une de ces membrures est mentionnée sur le côté gauche juste au-dessus de la mention « trémie de cale » . La présente action porte sur 137 membrures remplacées à Vancouver et 671 qui ont été remplacées en Chine.

3. L'immobilisation du navire

[26]            Lorsque le navire est arrivé à Vancouver, les inspecteurs Warna et Hall sont montés à bord pour procéder à une inspection de contrôle des navires par l'État du port. Ils se sont partagés les tâches; l'inspecteur Warna a inspecté la coque et les machines tandis que l'inspecteur Hall vérifiait les équipements de sécurité. L'inspecteur Hall n'est pas descendu dans les cales du navire et n'a en fait pas participé à la décision d'immobiliser le navire pour des anomalies de la coque, si ce n'est pour signer l'ordre de détention.

[27]            Avant l'arrivée du navire à Vancouver, les inspecteurs Warna et Hall avaient été informés de la présence de membrures détachées mais étant donné qu'il était certain qu'elles seraient réparées, le navire n'a pas été immobilisé pour cette raison. L'inspecteur Warna s'est uniquement rendu dans les cales 1, 3 et 9 et n'a procédé qu'à une inspection visuelle rapide de ces cales. Les certificats de sécurité du navire étaient tous valides. L'immobilisation était basée sur une anomalie mineure touchant le compas et trois problèmes apparemment graves, l'un concernant en particulier l'état des membrures de la coque qui étaient touchées par la corrosion.

[28]            Les « circonstances de la détention » notées sur l' « ordre de détention » daté du 5 avril 1997 étaient des « anomalies structurelles, SOLAS, chapitre 1, règle 11 » (volume 1, onglet 34). Le formulaire B qui l'accompagnait intitulé « Rapport d'inspection en application du Mémorandum d'entente sur le contrôle des navires par l'État du port » et rempli le 5 avril (volume 1, onglet 33), contenait les observations suivantes au sujet des éléments à l'origine de l'immobilisation du navire :

[traduction]

Le compas magnétique doit être réglé et compensé...

Les raidisseurs latéraux des membrures principales à bâbord et à tribord de la cloison arrière de la cale n ° 1 qui sont détériorés dans leur partie inférieure doivent être coupés et remplacés. Plusieurs autres semelles de membrure principale et de raidisseurs latéraux des membrures de la section endommagée doivent être réparés.

Toutes les membrures verticales des cales 1, 2, 3, 4, 5, 7, 8 et 9 dont la section présente une perte d'épaisseur supérieure à 17 %, indiquées dans le rapport d'état de la coque, daté des 9 et 11 janvier 1995, doivent être découpées et remplacées.

Toutes les tôles de pont réparées avec des plaques de renfort, entre les hiloires des panneaux, doivent être réparées de manière permanente (sans renforts), plutôt qu'au moyen de plaques rapportées. [Non souligné dans l'original]

[29]            Le 8 avril, un autre « Formulaire B : Rapport d'inspection » (volume 3, onglet 27) a été rempli et il contenait le passage suivant :

[traduction] Comme convenu, toutes les sections soulignées indiquant une détérioration supérieure à 17 p. 100 dans le Special Survey Thickness Report Number S/2 995/95 daté du 12 au 21 avril 1995 de Shin Toyo Engineering Private Limited, Singapour. Toutes les membrures verticales des cales 1, 2, 3, 4, 5, 7, 8 et 9 doivent être découpées et remplacées.

[30]            Le rapport Shin Toyo (pièce P-4) fournit des mesures précises, obtenues par ultrasons, de l'épaisseur de l'acier des membrures de cale à la date à laquelle il a été préparé, à savoir au cours d'une visite spéciale effectuée en 1995. Le fait essentiel qu'il y a lieu de retenir des documents contenus dans le « Rapport d'inspection » préparé par l'inspecteur Warna est que le navire a été immobilisé jusqu'à ce que toutes les membrures de cale détériorées au-delà de 17 p. 100 soient réparées; la seule exception était les membrures de la cale 6 qui n'étaient pas aussi gravement touchées par la corrosion, parce que cette cale était utilisée comme citerne de ballastage.

[31]            Les preuves indiquent clairement que personne n'a jamais accepté au nom des propriétaires de réparer les membrures dont l'épaisseur était réduite de 17 p. 100.

4. Événements non contestés survenus avant la libération du navire

[32]            La « chronologie des événements » expose les principaux éléments non contestés qui suivent touchant les efforts déployés par les demanderesses pour obtenir la levée de l'immobilisation du navire, et qui sont admis par les défendeurs :

[traduction]

1. Les propriétaires du navire ont fait savoir, par l'intermédiaire de leurs divers représentants, qu'il était déraisonnable d'exiger des réparations selon la norme d'une détérioration de 17 p. 100.

2. À la demande des propriétaires, l'État du pavillon du navire, la Malaisie, a demandé la libération du navire.


3. Les propriétaires ont tenté de faire modifier la norme de 17 p. 100 en soutenant que la norme à appliquer était le critère de la Société NK.

4. À l'appui de la position du propriétaire, peu après l'immobilisation du navire, la Société NK a confirmé que la norme en matière de corrosion prévue pour cette classe à l'endroit des membrures de la coque était de 25 p. 100 de l'épaisseur originale pour la semelle et une épaisseur minimale de 7,5 mm pour l'âme.

5. Le capitaine Khoo a accepté d'effectuer certaines réparations à Vancouver mais a demandé que le reste des réparations soit effectué à Shanghai. Les propriétaires soutenaient en effet qu'étant donné que les réparations étaient beaucoup moins chères en Chine, il fallait autoriser le navire à se rendre sur lest à Shanghai pour y effectuer les réparations exigées.

6. À l'appui de la position du propriétaire, la Société NK a fourni des certificats et des calculs montrant qu'elle estimait que le navire était tout à fait en état de traverser le Pacifique pour se rendre en Chine.

6. Une solution de rechange, consistant à faire remorquer le navire en Asie pour qu'il y soit réparé, a été envisagée.

7. Étant donné que M. Streeter était le président du bureau des navires à vapeur aux termes de la Loi sur la marine marchande du Canada et l'expert principal ayant le pouvoir de modifier la norme de 17 p. 100 appliquée par l'inspecteur Warna, les propriétaires du navire se sont adressés à lui pour qu'il règle le problème. L'inspecteur Warna a remis à M. Streeter une note d'information dans laquelle il exposait les motifs justifiant l'immobilisation du navire.

5. Les événements contestés survenus avant la libération du navire


[33]            Un élément important des événements survenus au début de l'immobilisation du navire est une réunion tenue le 22 avril entre des représentants des deux parties au litige pour essayer d'en arriver à un compromis. Cette réunion se tenait sous la condition expresse, imposée par les avocats des défendeurs, que tout ce qui serait dit au cours de la réunion serait confidentiel et n'aurait aucun effet sur les droits des parties. Au cours de l'instruction, il a été fait référence à ce qui a pu se dire au cours de cette réunion ou autour de celle-ci sur deux aspects : ce qu'ont dit les représentants des demanderesses au sujet de la norme de la Société NK pour ce qui est de la corrosion des membrures de coque et ce qu'ont dit les représentants des défendeurs au sujet d'une modification de la norme de réparation qui serait passée de 17 à 25 p. 100 d'usure. Je conclus sur ce point que le dossier ne contient aucune preuve admissible ou digne de foi sur ces questions.

[34]            Il existe des preuves qui montrent qu'à la fin du mois d'avril, les défendeurs avaient l'impression que la norme de la Société NK était de 25 p. 100. Néanmoins, les preuves établissent clairement que le 13 mai 1997, les défendeurs avaient été informés de la norme exacte utilisée par la Société NK. Le 8 mai, la Société NK a écrit au ministère de la Marine de la Malaisie péninsulaire pour reconfirmer la navigabilité du navire et sa capacité de faire un voyage sur lest en vue d'effectuer des réparations en Chine et a également confirmé le fait que les règles de la Société NK précisent que la limite de la corrosion pour la semelle est de 25 p. 100 de l'épaisseur initiale et que l'épaisseur minimale de l'âme est de 7,5 mm. Dans un envoi par télécopie daté du 12 mai 1997, la lettre de la Société NK du 8 mai avec le rapport d'inspection de la Société NK du 21 avril ainsi que le certificat de navigabilité de la Société NK du 5 mai ont été envoyés à Bill Henderson à la direction de la sécurité des navires de Transports Canada à Ottawa. (volume 8, onglet 315, sous-onglet 15). Le tampon « reçu » confirme la réception le 13 mai de la télécopie et de la lettre de la Société NK du 8 mai. Cette information a été envoyée par Ottawa à Vancouver le 13 mai 1997 (volume 8, onglet 315, sous-onglet 16).


[35]            Je n'accorde aucune force probante aux critiques que l'on pourrait faire à l'endroit des demanderesses dans l'éventualité où les défendeurs n'auraient pas été informés de la norme exacte utilisée par la Société NK avant le 13 mai, étant donné que, comme cela est examiné dans la section IV ci-dessous, les défendeurs n'avaient aucune intention d'accepter la norme de la Société NK pour libérer le navire, quelle qu'ait été cette norme.

[36]            Quant à la question d'un changement qui aurait été apporté à la norme au cours de la période d'immobilisation du navire, j'estime que le contenu de la décision finale de M. Streeter du 18 juillet 1997 (volume 8, onglet 36) démontre de façon concluante que la norme qu'avait imposée initialement l'inspecteur Warna, à savoir 17 p. 100, n'a été changée qu'à la date de cette décision :

[traduction]

LE 18 JUILLET 1997

Capitaine C.Y. Khoo

Maritime Consortium Management Sdn. Bhd. (282453-W)

No. 68C, Kompleks Damai, Jalan Lumut Off Jalan Ipoh

50400 Kuala Lumpur, Malaisie

M. le capitaine Khoo,

SUJET : N.M. LE « LANTAU PEAK »

Nous avons examiné avec beaucoup de soin votre lettre datée du 15 juillet 1997. Nous avons étudié les renseignements que vous avez fournis et nous avons eu des consultations avec notre bureau régional du Pacifique.

Après avoir examiné la situation de façon approfondie, nous vous informons maintenant du résultat de nos délibérations.

(1)      Dans le cas où le n.m. « LANTAU PEAK » serait remorqué à Shanghai, il faudrait respecter la liste des conditions que vous a remise le directeur régional de la région du Pacifique.

(2)      Nous estimons qu'une caution d'un million de dollars est raisonnable.

(3)      Si vous décidez que le navire fasse une traversée sur lest pour se rendre à Shanghai, nous demandons que toutes les membrures dont la semelle est détériorée à 33 p. 100 ou plus dans les cales numéros 4, 5, 7 et 8 soient remplacées avant de quitter Vancouver.


(4)      À l'arrivée à Shanghai, tous les éléments figurant dans les rapports d'inspection du contrôle des navires par l'État du port des 5 et 8 avril 1997 devront être mis en oeuvre. Après longue réflexion, nous avons fait passer la limite de détérioration de 17 à 25 p. 100. Les mêmes conditions s'appliqueront si vous décidez de réparer le navire à Vancouver à des fins d'emporter un chargement ou pour préserver la validité du certificat SOLAS.

Nous reconnaissons que cette époque de l'année est favorable pour une traversée de l'océan Pacifique et nous recommandons dans ce cas un routage météorologique.

Nous apprécions le fait que vous ayez pris l'initiative de venir au Canada pour travailler en étroite collaboration avec nous et nous sommes convaincus que nous réussirons à décider ensemble de la meilleure façon de procéder pour que le n.m. « LANTAU PEAK » puisse faire en sécurité une traversée sur lest pour se rendre à Shanghai.

Veuillez recevoir mes sincères salutations.

Bud Streeter

Directeur général

Sécurité maritime

[Non souligné dans l'original]

[37]            Au cours des plaidoiries, l'avocat des défendeurs a affirmé que le capitaine Khoo avait accepté la norme de réparation correspondant à une détérioration de 25 p. 100. Aucune preuve admissible n'a été fournie pour étayer cette affirmation. Les preuves indiquent clairement que le capitaine Khoo avait accepté de donner suite aux demandes des défendeurs qui exigeaient que certaines réparations soient faites à Vancouver, les autres étant effectuées en Chine, mais pas selon les normes exigées par les défendeurs.


[38]            Vers le 20 avril, les efforts déployés par le capitaine Khoo pour obtenir la levée de l'immobilisation par le bureau de Vancouver de Transports Canada n'avaient encore rien donné. Il a, par conséquent, décidé d'écrire directement à Ottawa où il a envoyé une lettre le 21 avril. Dans cette lettre, il parlait du coût des réparations à Vancouver par rapport à leur coût à Shanghai et demandait la libération du navire étant donné que la Société NK avait reconnu que le navire était en mesure de se rendre en sécurité à Shanghai pour y être réparé. Il a plus précisément affirmé ce qui suit (volume 1, onglet 43) :

[traduction] La société de classification estime que le navire respecte les recommandations concernant sa classification, tel qu'indiqué dans le « certificat de navigabilité » délivré le 15 avril 1997, et que certaines défectuosités doivent être rectifiées avant le début de la traversée et les autres dans le prochain port.

La lettre se terminait avec cette déclaration :

[traduction] Nous nous en remettons à vos bons offices pour faire libérer le navire et l'autoriser à appareiller pour Shanghai comme nous le proposons. Nous nous engageons à effectuer les réparations nécessaires à Vancouver de façon à rectifier les anomalies mentionnées dans les recommandations de la société de classification avant le début du voyage et d'achever toutes les autres réparations dans le prochain port à Shanghai.

[39]            Au cours de son témoignage au procès, le capitaine Khoo a confirmé qu'il voulait surtout indiquer qu'il était prêt à respecter les exigences de la Société NK (transcription, volume 3, page 505).


[40]            Au cours de l'instruction, l'avocat des défendeurs a présenté un argument au sujet du « certificat de navigabilité » et de la déclaration du capitaine Khoo. Dans la partie du certificat intitulée « Exposé narratif » , l'expert, M. Koshino, reprend, pour l'essentiel, les anomalies à l'origine de l'ordre de détention, y compris l'ordonnance concernant la détérioration de 17 p. 100. Les membrures détachées étaient également mentionnées. Le certificat allègue ensuite qu'une fois réparés certains éléments mineurs, comprenant notamment les membrures détachées des cales 3 et 9, avec un chargement et un avitaillement corrects du navire, et en prenant soin d'effectuer un routage météorologique, le navire serait tout à fait en état de se rendre à Shanghai pour qu'on y effectue des réparations permanentes. Les réparations permanentes recommandées faisaient référence à des éléments mentionnés dans l'exposé narratif, à savoir les réparations dont avaient besoin les membrures de la cale 1, les réparations temporaires du pont et ce qui suit (volume 1, onglet 39) :

[traduction] La plupart des membrures de toutes les cales à l'exception de la cale n ° 6 étaient usées à plus de 17 p. 100 de l'épaisseur initiale, d'après le rapport précédent de mesure de l'épaisseur des plaques n ° S/2995/95 daté du 12 au 21 avril 1995, fourni par Shin-Yoyo Engineering Pte. Ltd.

J'estime que, si on lit dans ce contexte la déclaration du capitaine Khoo et le certificat, il n'est pas possible d'en déduire que le capitaine Khoo avait accepté les exigences imposées à l'occasion de l'immobilisation du navire. C'est-à-dire qu'il n'acceptait pas d'effectuer les réparations selon les normes fixées par Transports Canada, y compris celles de 17 p. 100, mais acceptait d'effectuer les réparations selon les normes de la Société NK, qu'il savait fort bien être de 25 p. 100 de détérioration pour la semelle et de 7,5 mm d'épaisseur pour l'âme (transcription, page 497).

[41]            Plus tard au cours de son témoignage, le capitaine Khoo a expliqué plus en détail quel était son état d'esprit lorsqu'il a accepté de donner suite à la recommandation contenue dans le certificat de navigabilité. Le capitaine Khoo a estimé qu'il était obligé d'accepter d'effectuer les réparations selon les exigences de Transports Canada parce que s'il n'obtempérait pas, il ne pourrait plus naviguer dans la région du Pacifique, étant donné la collaboration existant entre les autorités du contrôle des navires par l'État du port ayant signé le protocole d'entente. Voici le passage qui explique clairement cet aspect (transcription, volume 3, pages 538 et 539) :


[traduction] Très bien, si j'ai bien compris ce que vous dites, c'est que avec ou sans cautionnement, vous étiez obligé d'effectuer les travaux exigés par Transports Canada sinon vous ne pourriez plus exploiter le LANTAU PEAK dans la région du Pacifique, est-ce bien cela?

R.             C'est exact. Dans le monde entier je crois.

Q.             Très bien, et pourquoi dites-vous cela? Autrement dit, comment est-ce que les agents canadiens chargés du contrôle des navires par l'État du port vous empêchent d'exploiter le LANTAU PEAK en Chine, par exemple, si vous ne faisiez pas ce qu'ils vous ordonnaient?

R.             Eh bien, les services chinois du contrôle par l'État du port ne nous permettraient pas de quitter ce pays et ils seraient également obligés de vérifier que nous avons respecté ces exigences.

Q.             Aviez-vous l'intention d'effectuer ces travaux en Chine si le navire était autorisé à partir?

R.             Oui, monsieur.

LA COUR : Vous parlez de « travaux » , de quels travaux?

M. SWANSON : Les travaux demandés par le gouvernement.

Q.             Eh même, capitaine...

LA COUR : Laissez-le répondre.

M. SWANSON : Oh, désolé.

R.             Oui, Votre Honneur?

LA COUR : Aviez-vous l'intention, si le navire se rendait en Chine, aviez-vous l'intention de le faire réparer conformément aux spécifications de Transports Canada?

R.             C'est cela, monsieur, c'était l'intention.

LA COUR : Sur ce point, je croyais vous avoir entendu dire tout à l'heure que votre intention était d'effectuer les réparations selon les spécifications de la société de classification. Vous ai-je mal compris?

R.             Oui, bien sûr, l'idée était d'effectuer les réparations selon des exigences de la société de classification, Votre Honneur, mais si les services du contrôle des navires par l'État du port de Transports Canada continuaient à exiger l'application d'une autre norme, il était impossible que la société de classification puisse contester cette décision, Votre Honneur.

LA COUR : En fait, vous ne vouliez pas effectuer les réparations selon les spécifications exigées par Transports Canada.


R.             C'est exact, Votre Honneur.

LA COUR : Très bien, je comprends.

6. Le respect des conditions de la libération du navire

[42]            M. Streeter a modifié la norme de 17 p. 100 de la façon suivante : les membrures du navire dont la corrosion était supérieure à 33 p. 100 devaient être réparées à Vancouver avant la libération du navire, à la condition que dès sa libération, le navire appareillerait pour la Chine où les autres membrures de la coque corrodées au-delà de 25 p. 100 seraient réparées.

[43]            Comme nous venons de le montrer, le capitaine Khoo a estimé qu'il n'avait d'autre choix que d'accepter cette proposition. Le navire a donc rallié Shanghai où les réparations ont été effectuées conformément à la décision de M. Streeter.

[44]            Les propriétaires ont donc accepté, sous toutes réserves, les conditions fixées par M. Streeter pour la libération du navire; ils ont respecté ces conditions et intenté une action en responsabilité fondée sur l'immobilisation du navire. La section IV ci-dessous traite de la responsabilité et la section V des dommages-intérêts.


7. Conclusion

[45]            Les arguments présentés par les demanderesses concernant la possibilité d'effectuer des réparations selon les normes de la Société NK n'ont été pris en considération. Entre le moment où l'inspecteur Warna a délivré l'ordre de détention et celui où M. Streeter l'a révisé, la norme de 17 p. 100 est demeurée en vigueur.

D. Les questions de preuve contestées

1. La télécopie relative aux membrures détachées

[46]            En route vers Vancouver, on a découvert des membrures détachées. Il n'existe aucune preuve concluante au sujet de l'origine de cette situation. Selon les hypothèses construites à partir des preuves, il n'y aurait que deux possibilités : la corrosion ou un dommage mécanique causé par l'équipement utilisé pour décharger le charbon au Japon. Les défendeurs soutiennent que le tribunal doit conclure que la cause de cette avarie est la corrosion. La seule preuve sur laquelle repose cet argument est une télécopie.


[47]            Après la découverte des membrures détachées, le capitaine Aloro a envoyé une télécopie le 3 avril 1997 au mandataire désigné par la charte-partie à Vancouver, SMI Marine. La télécopie est un diagramme de la structure interne de la coque du navire identique à celle qui figure dans les présents motifs à la section I mais avec deux éléments supplémentaires. Sur le diagramme, quatre membrures situées sur le côté droit du navire sont noircies avec l'inscription « membrure de cale » et l'on trouve les mots suivants écrits à la machine dans le haut du diagramme (voir volume 9, onglet 3, volume 7, 283) :

La membrure transversale noircie que vous pouvez voir en dessous est déjà détachée de sa soudure et séparée du bordé tribord à cause d'une forte corrosion; elle doit être découpée et remplacée : dans la cale n ° 3, entre les membrures n ° 234 et 237, sur une longueur d'environ 2,5 à 3,0 mètres, il y a une ouverture de 10 à 15 cm; dans la cale n ° 9, entre les membrures n ° 69 à 72, sur une longueur d'environ 1,5 à 2,0 mètres, l'ouverture est d'environ 5 à 6 cm.

[48]            Après avoir reçu la télécopie, le mandataire a écrit à l'affréteur, la Showa Line Tokyo, le 3 avril au sujet du Lantau Peak et a fait l'observation suivante (volume 7, 283) :

Nous venons d'être informés par le capitaine que les propriétaires ont l'intention de faire effectuer les réparations à Vancouver avant d'aller charger à Roberts Bank. Selon le capitaine, il y a 4 membrures des cales 3 et 9 qui sont déjà détachées de leurs soudures, dans une certaine mesure, et se sont séparées du bordé de muraille tribord sous l'effet d'une forte corrosion; elles doivent être découpées et remplacées.

[49]            Le capitaine Aloro a été très ferme dans le témoignage qu'il a livré au procès : l'équipage a découvert l'existence de membrures détachées au cours du nettoyage des cales pendant que le navire se trouvait entre le Japon et Vancouver; le capitaine en second a examiné les membrures détachées et préparé la télécopie; le capitaine Aloro l'a envoyée; le capitaine Aloro s'est rendu dans les cales une fois avec l'officier en second pour inspecter les membrures détachées; il a également accepté la déclaration que le capitaine en second a imprimée sur la télécopie.


[50]            Les défendeurs soutiennent que ces preuves montrent que les membrures se sont détachées à cause de la corrosion. Je ne peux retenir cet argument. Tout d'abord, l'opinion qui figure sur la télécopie est une opinion sous forme de ouï-dire émanant du capitaine en second qui n'a pas été assigné à témoigner et qui n'est pas admissible en preuve. Deuxièmement, si les preuves indiquent que le capitaine Aloro a admis ce que le capitaine en second avait déclaré au sujet de la pièce jointe parce qu'il avait confiance en lui (transcription, volume 2, pages 237 et 238), j'estime que, d'après l'ensemble de la preuve, cette acceptation n'englobe pas l'avis du capitaine en second au sujet du motif à l'origine du détachement des membrures. Il est important de noter sur ce point que, dans son témoignage, le capitaine Aloro a émis l'hypothèse que les membrures s'étaient peut-être détachées parce qu'elles étaient entrées en contact avec des appareils de déchargement au Japon et a émis sa propre opinion : [traduction] « même avec une forte corrosion, je ne pense pas que les membrures se seraient détachées » (transcription, volume 1, page 186). Et enfin, il est évident que la déclaration contenue dans la télécopie du mandataire envoyée à l'affréteur attribuée au capitaine Aloro ne prouve rien.

[51]            Les défendeurs ont cité M. Don Rogers de SMI Marine, les mandataires de la Showa Lines, les affréteurs du navire, pour tenter de montrer que la déclaration figurant sur la télécopie contestée au sujet de la corrosion, en tant que cause du détachement des membrures, émanait du capitaine Aloro. Bien sûr, étant donné que M. Rogers n'a fait que recevoir une télécopie, il n'est pas en mesure de témoigner au sujet de la vérité de son contenu. J'estime que M. Rogers n'a pas présenté d'éléments de preuve utiles au règlement des questions en litige dans la présente action.

2. Le rapport C.R. Cushing


[52]            Les allégations de faute formulées en l'espèce portent principalement sur la décision d'immobiliser le navire qu'ont prise les inspecteurs Warna et Hall le 5 avril 1997, sur la décision de maintenir l'immobilisation du navire et sur la décision finale prise par M. Streeter le 18 juillet 1997 au sujet de la libération du navire. C'est-à-dire que, comme cela est exposé dans l'analyse qui se trouve dans la section IV ci-dessous, la demande des demanderesses porte principalement sur la qualité des décisions prises. En fait, il est important d'évaluer les éléments de preuve dont disposaient les décideurs au sujet de la navigabilité du navire pour pouvoir juger de la qualité des décisions prises. J'estime toutefois qu'il n'y a pas lieu de trancher la question de savoir si le navire était vraiment navigable.

[53]            Dans la toute dernière étape du processus décisionnel des défendeurs, les services d'une étude d'architectes navals de New York, C.R. Cushing & Co., ont été retenus et ils ont été chargés de produire un rapport sur la navigabilité réelle du navire. Dans le cadre de la collecte de données en vue de l'élaboration du rapport, un architecte naval de cette étude, M. Szilard Pantyik, a effectué une inspection détaillée des membrures des cales 4, 5, 7 et 8 du Lantau Peak les 22 et 23 juillet. Ces données font partie de la base de données à partir de laquelle un autre architecte naval de cette étude, M. George Zinger, a produit le rapport déposé à titre de pièce Y pour l'identification (le rapport C.R. Cushing). Les défendeurs n'ont pas eu en main le rapport C.R. Cushing avant la libération du navire mais ce rapport a été remis à l'avocat des défendeurs avant le procès.

[54]            Au cours du procès, M. Pantyik a témoigné au sujet de ses constatations par téléconférence organisée avec Budapest (Hongrie) et M. Zinger a comparu en personne.

[55]            Les demanderesses sollicitaient l'admission en preuve du rapport C.R. Cushing dans le but d'établir trois faits : la nature du processus que l'on peut utiliser pour évaluer de façon appropriée la résistance d'un navire; la résistance réelle du Lantau Peak à la date de la production du document et le fait que le navire était apte à faire la traversée de Vancouver en Chine, en vue d'y effectuer des réparations, en juillet 1997.

[56]            Les défendeurs s'opposent à l'admission du rapport C.R. Cushing pour le motif qu'il ne se rapporte pas à la principale question en litige en l'espèce, à savoir la qualité des décisions qui ont été prises. En outre, ils soutiennent que la méthode utilisée par M. Zinger pour former son opinion comportait des lacunes; M. Andrew Kendrick, un architecte naval, a produit un rapport d'expert sur ce point et a été appelé à témoigner.

[57]            Je conclus que le rapport C.R. Cushing est pertinent et devrait être admis en preuve mais uniquement pour établir la première des trois raisons pour laquelle il est présenté. C'est-à-dire que le rapport permet d'établir que, dans le transport maritime, une analyse professionnelle, technique et détaillée des données relatives à l'état de la coque permet de formuler un avis concret et solidement étayé au sujet de la navigabilité d'un navire à un moment donné. J'estime que l'opinion qu'a formulée M. Zinger en procédant à ce genre d'analyse au sujet du Lantau Peak n'est pas pertinente parce qu'elle n'a joué aucun rôle dans les décisions qui ont été prises. Par conséquent, le témoignage de M. Kendrick n'est pas non plus pertinent.

[58]            J'estime toutefois qu'une remarque incidente formulée par M. Zinger et M. Pantyik au sujet de la limite de détérioration de 17 p. 100 utilisée par l'inspecteur Warna est pertinente. Ces deux témoins sont des architectes navals et ils ont tous deux fait état d'un point précis; aucun d'eux n'avait jamais entendu parler d'une norme de 17 p. 100 pour la corrosion des membrures de coque. En fait, M. Zinger mentionne dans son rapport que l'imposition d'une norme de 17 p. 100 est injustifiable (pièce 4 pour l'identification, page 24).

3. L'inspection effectuée en Chine après les réparations

[59]            Au moment des réparations effectuées en Chine, le navire a subi une inspection détaillée aux ultrasons entre les 4 et 15 septembre 1997 effectuée par la Nantong Ocean Ship Engineering Co. Ltd. Le rapport d'inspection est daté du 20 septembre 1997 et constitue la pièce P pour identification (le rapport Nantong).

[60]            Les défendeurs soutiennent qu'il y a lieu d'admettre en preuve le rapport Nantong dans le but d'établir l'état réel du navire au moment de son immobilisation de façon à la justifier. Pour les mêmes raisons que celles que j'ai fournies ci-dessus au sujet du rapport C.R. Cushing, je conclus que l'objet pour lequel le rapport est présenté n'est pas pertinent et que celui-ci n'est donc pas admissible à cette fin.


[61]            Cependant, comme je l'ai indiqué au cours de l'instruction, je conclus que le rapport Nantong est d'une grande pertinence pour la question du préjudice. Au cours des plaidoiries orales, l'avocat des demanderesses a admis qu'à son arrivée à Vancouver, le navire aurait dû respecter les conditions de sa classification pour ce qui est de l'état des membrures de la coque et que, par conséquent, il a admis que les coûts des réparations en Chine des membrures qui ne répondaient pas aux normes de la Société NK ne devaient pas être assumés par les défendeurs. C'est pour cette raison, comme cela est expliqué dans la section V ci-dessous, que la plupart des arguments présentés au sujet des dommages-intérêts ont porté sur le rapport Nantong.

                             II. La question de compétence

En vertu de quel pouvoir les inspecteurs Warna et Hall ont-ils immobilisé le navire

    et en vertu de quel pouvoir ont-ils, eux ou leurs superviseurs,

                        maintenu l'immobilisation du navire?

[62]       Les demanderesses soutiennent ce qui suit :

[traduction] Les demanderesses allèguent dans la déclaration que les conditions imposées par les défendeurs à l'égard du navire étaient excessives, qu'elles étaient contraires à la position adoptée par la Société NK et l'État du pavillon, à savoir, le gouvernement de la Malaisie, que la conduite des défendeurs était contraire à la Loi sur la marine marchande du Canada et à ses règlements, aux obligations contenues dans la Convention internationale de 1974 pour la sauvegarde de la vie humaine en mer, de ses amendements et du Protocole. Les demanderesses soutiennent en outre que tous les défendeurs ont commis une faute et n'ont pas respecté l'obligation qu'ils avaient envers les demanderesses lorsqu'ils ont effectué l'inspection de contrôle par l'État du port et ordonné l'immobilisation du navire (PCO, page 52).


[63]            Un des éléments essentiels de la défense qu'oppose les défendeurs dans cette action est l'argument selon lequel la détention a été ordonnée conformément aux dispositions de la Loi sur la marine marchande du Canada, L.R. 1985, ch. S-9 (la Loi) en particulier, aux termes de l'article 310 tel que cité ci-dessous, et que ce fait constitue un obstacle insurmontable pour les demanderesses. Les demanderesses soutiennent qu'en fait l'immobilisation n'a pas été ordonnée aux termes de la Loi et que, de toute façon, sur le plan du droit, elle n'aurait pu être ordonnée aux termes de la Loi et que, par conséquent, cet obstacle insurmontable n'existe pas.

[64]            D'après l'analyse qui suit, je suis d'accord avec les demanderesses.

A. Le régime international de la sécurité en mer

1. La Convention internationale de 1974 pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (SOLAS)

[65]            Le Canada est un gouvernement contractant qui a adhéré à la Convention; il est toutefois convenu par les parties que cette Convention ne fait pas partie du droit interne canadien, étant donné que le Parlement n'a pas légiféré en ce sens. La Convention SOLAS intéresse toutefois la présente affaire, comme cela est mentionné dans la section I, étant donné que l'immobilisation du navire a été apparemment ordonnée en raison de « défectuosités structurelles : SOLAS, ch. 1, règ. 11 » . Il est par conséquent important de comprendre les éléments essentiels de la Convention.

[66]            L'article 1b) se lit ainsi :

Les Gouvernements contractants s'engagent à promulguer toutes lois, tous décrets, ordres et règlements et à prendre toutes autres mesures nécessaires pour donner à la Convention son plein et entier effet, afin de garantir que, du point de vue de la sauvegarde de la vie humaine, un navire est apte au service auquel il est destiné.

[67]            Le chapitre 1 de la partie B de l'annexe à la Convention SOLAS de 1974 contient les dispositions importantes suivantes (volume 13, onglet 47) :

Règle 6

a)              L'inspection et la visite des navires, en ce qui concerne l'application des prescriptions des présentes règles et l'octroi des exemptions pouvant être accordées, doivent être effectuées par des fonctionnaires de l'Administration. Toutefois, l'Administration peut confier l'inspection et la visite de ses navires, soit à des inspecteurs désignés à cet effet, soit à des organismes reconnus par elle.

...

d)             Le cas échéant, le Gouvernement de l'État du port intéressé doit veiller à empêcher le navire d'appareiller jusqu'à ce qu'il puisse prendre la mer ou quitter le port pour se rendre au chantier de réparation approprié sans danger pour le navire lui-même ou pour les personnes à bord.

Règle 11

L'état du navire et de son armement doit être maintenu conformément aux prescriptions des présentes règles de manière que la sécurité du navire demeure à tous points de vue satisfaisante et que le navire puisse prendre la mer sans danger pour lui-même ou les personnes à bord.

Règle 19

a)             Tout navire est sujet, dans un port d'une autre Partie, au contrôle de fonctionnaires dûment autorisés par ce gouvernement dans la mesure où ce contrôle a pour objet de vérifier que les certificats délivrés en vertu de la règle 12 ou de la règle 13 du présent chapitre sont en cours de validité.

b)             Ces certificats, s'ils sont en cours de validité, doivent être acceptés à moins qu'il n'existe de bonnes raisons de penser que l'état du navire ou de son armement ne correspond pas en substance aux indications de l'un quelconque de ces certificats ou que le navire et son armement ne satisfont pas aux dispositions des paragraphes a) et b) de la règle 11 du présent chapitre.

c)              Dans les circonstances énoncées au paragraphe b) de la présente règle et dans le cas où un certificat est venu à l'expiration ou a cessé d'être valable, le fonctionnaire exerçant le contrôle doit prendre les mesures nécessaires pour empêcher le navire d'appareiller jusqu'à ce qu'il puisse prendre la mer ou quitter le port pour se rendre au chantier de réparation approprié, sans danger pour le navire lui-même ou les personnes à bord.


d)             Dans le cas où le contrôle donnerait lieu à une intervention quelconque, le fonctionnaire exerçant le contrôle doit informer immédiatement et par écrit le consul, ou en son absence, le plus proche représentant diplomatique de l'État dont le navire est autorisé à battre le pavillon, de toutes les circonstances qui ont fait considérer cette intervention comme nécessaire. En outre, les inspecteurs désignés ou les organismes reconnus qui sont chargés de la délivrance des certificats doivent également être avisés. Il doit être fait rapport à l'Organisation des faits concernant cette intervention.

e)              L'autorité de l'État du port concernée doit communiquer tous les renseignements pertinents intéressant le navire aux autorités du port d'escale suivant, ainsi qu'aux personnes et organismes mentionnés au paragraphe d) de la présente règle, si elle ne peut prendre les mesures spécifiées aux paragraphes c) et d) de la présente règle ou si le navire a été autorisé à se rendre au port d'escale suivant.

f)              Dans l'exercice du contrôle en vertu des dispositions de la présente règle il convient d'éviter, dans toute la mesure du possible, de retenir ou de retarder indûment le navire. Tout navire qui a été retenu ou retardé indûment par suite de l'exercice de ce contrôle a droit à réparation pour les pertes ou dommages subis.

La règle 12 exige que soient délivrés les certificats mentionnés à la règle 19a). Les certificats sont énumérés à la règle 12a)(vii), ainsi que les conditions dont dépend leur délivrance :

       (vii) Les Certificats de sécurité pour navire à passagers, les Certificats de sécurité de construction pour navire de charge, les Certificats de sécurité du matériel d'armement pour navire de charge, les Certificats de sécurité radioélectrique pour navire de charge et les Certificats d'exemption doivent être par l'Administration, soit par toute personne ou organisme dûment autorisé par elle. Dans tous les cas, l'Administration assume l'entière responsabilité du certificat.

2. Le Mémorandum d'entente (Mémorandum)

[68]            Comme nous l'avons mentionné, le Canada a signé deux Mémorandums d'entente sur le contrôle des navires par l'État du port : le Mémorandum de Paris qui s'applique au transport maritime dans l'océan Atlantique et le Mémorandum de Tokyo qui s'applique au transport maritime dans l'océan Pacifique. Le Memorandum of Understanding on Port State Control in the Asia-Pacific (Mémorandum d'entente de Tokyo sur le contrôle des navires par l'État du port dans l'Asie du Pacifique) a été signé à Tokyo le 1er décembre 1993 et le 11 avril 1994 par les pays suivants, désignés dans le Mémorandum comme étant « les Autorités » :



Australie

Canada

République populaire de Chine

Fidji

Hong Kong, Chine

Indonésie

Japon

République de Corée

Malaisie

Nouvelle-Zélande

Papouasie-Nouvelle-Guinée

Philippines

Fédération russe

République de Singapour

Îles Solomon

Thaïlande

République de Vanuatu

République socialiste du Vietnam


[69]            Le préambule du Mémorandum énonce ce qui suit (volume 6, onglet 219) :

[traduction] Reconnaissant l'importance d'assurer la sécurité de la vie humaine en mer et dans les ports et l'urgence croissante de protéger l'environnement marin et ses ressources;

Rappelant l'importance des dispositions contenues dans les conventions maritimes pertinentes pour assurer la sécurité maritime et la protection de l'environnement marin;

Rappelant également l'importance des dispositions visant l'amélioration des conditions de vie et de travail à bord des navires;

Notant les résolutions adoptées par l'Organisation maritime internationale (OMI) et plus spécialement la résolution A682(17) adoptée au cours de sa 17e assemblée, concernant la coopération régionale dans le contrôle des navires et des décharges en mer;

Notant également que le Mémorandum n'est pas un document juridiquement contraignant et n'a pas pour but d'imposer des obligations juridiques aux Autorités;

Conscientes que la responsabilité principale pour l'application effective des normes figurant dans les instruments internationaux appartient aux administrations du pavillon que le navire est autorisé à battre;

Reconnaissant toutefois qu'une action efficace des États du port est nécessaire pour prévenir l'exploitation de navires inférieurs aux normes;

Reconnaissant également qu'il faut éviter la distorsion de concurrence entre les ports;

Convaincues qu'à ces fins il est nécessaire d'établir un système de contrôle par l'État du port amélioré et harmonisé et de renforcer la coopération et l'échange d'informations;

...

[70]            Les dispositions suivantes du Mémorandum intéressent particulièrement la présente action :

[traduction]

Section 1    Généralités

1.1            Chaque Autorité qui a accepté le Mémorandum donne effet aux dispositions du présent Mémorandum.

...

1.3            Chaque Autorité met en oeuvre un régime efficace de contrôle des navires par l'État du port en vue d'assurer, sans discrimination, que les navires de commerce étrangers faisant escale dans un port de son Autorité, ou mouillant au large d'un tel port, sont conformes aux normes établies dans les instruments pertinents visés à la section 2.

Section 2    Instruments pertinents

2.1            Aux fins du Mémorandum, les instruments pertinents sur lesquels se fonde le contrôle régional de l'État du port sont les instruments ci-après :

1.              Convention internationale sur les lignes de charge, 1966;

2.              Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer et ses amendements;

3.              Protocole de 1978 relatif à la Convention internationale de 1974 pour la sauvegarde de la vie humaine en mer;

4.              Convention internationale de 1973 pour la prévention de la pollution par les navires, telle qu'amendée par le Protocole de 1978;

5.              Convention internationale de 1978 sur les normes de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille, et ses amendements;

6.              Convention sur le règlement international de 1972 pour prévenir les abordages en mer;

7.              Convention internationale de 1969 sur le jaugeage des navires;

8.              Convention de 1976 concernant les normes minima à observer sur les navires marchands (Convention OIT n ° 147).


2.2            Pour ce qui est de la Convention de 1976 concernant les normes minima à observer sur les navires marchands (Convention OIT n ° 147), chaque Autorité se guide sur les instructions du chapitre 4 du Asia-Pacific Port State Control Manual (Manuel pour le contrôle des navires par l'État du port dans la région Asie-Pacifique, ci-après le Manuel). La mise en oeuvre de la Convention OIT n ° 147 n'exige pas la modification des structures ou installations touchant les emménagements pour les navires construits avant le 1er avril 1994.

2.3            Dans l'application des autres instruments pertinents, chaque Autorité est guidée par les normes précisées dans le chapitre 3 du Manuel.

2.4            Chaque Autorité applique ceux des instruments pertinents qui sont en vigueur et qu'elle est tenue de mettre en oeuvre. En cas d'amendements à un instrument pertinent, chaque Autorité applique ceux des amendements qui sont en vigueur et qu'elle est tenue de respecter. Un instrument ainsi amendé est considéré comme l' « instrument pertinent » pour cette Autorité.

...

2.6            Lorsqu'elle inspecte les navires pour vérifier le respect des dispositions des instruments pertinents auxquels elle est partie, l'Autorité agissant pour le compte de l'État du port n'impose pas aux navires étrangers des normes supérieures aux normes applicables aux navires qui battent le pavillon de l'État du port.

Section 3    Procédures d'inspection, rectification et immobilisation

3.1           Dans la mise en oeuvre du Mémorandum, les Autorités effectuent des inspections qui consistent en au moins une visite à bord du navire en vue de vérifier les certificats et les documents; en outre, les Autorités s'assurent que l'équipage et l'état général du navire, l'équipement, la salle des machines et le logement de l'équipage, ainsi que les conditions d'hygiène, sont conformes aux dispositions des instruments pertinents. En l'absence de certificats en cours de validité ou s'il existe des motifs évidents de croire que l'état du navire ou de ses équipements, ou son équipage ne répondent pas de manière substantielle aux prescriptions d'un instrument pertinent ou de croire que le capitaine ou l'équipage ne connaissent pas bien les procédures essentielles du bord concernant la sécurité des navires ou la prévention de la pollution, il est procédé à une inspection détaillée. Les inspections sont effectuées conformément au Manuel.

3.2           Motifs évidents

3.2.1        Les Autorités considèrent comme étant des « motifs évidents » notamment les éléments suivants :

.1              un rapport ou un avis donné par une autre Autorité;

.2              un rapport ou une plainte déposé par le capitaine, un membre de l'équipage, ou toute personne ou organisation ayant un intérêt légitime dans la sécurité de l'exploitation du navire, dans la vie à bord et les conditions de travail ou la prévention de la pollution, à moins que l'Autorité concernée n'estime que le rapport ou la plainte est manifestement non fondé;


.3              toutes autres indications d'anomalies graves, compte tenu en particulier du Manuel.

3.2.2        Aux fins du contrôle, les « motifs évidents » spécifiques comprennent les motifs prescrits au paragraphe 2.3 de la résolution A.787(19) de l'OMI figurant au chapitre 3 du Manuel.

3.2.3         Aucun élément de ces procédures ne saurait être interprété comme une limitation des pouvoirs des Autorités à prendre des mesures dans leur propre juridiction, pour tout sujet auquel les instruments pertinents se rapportent.

...

3.6           Chaque Autorité veille à ce que toutes les anomalies relevées soient rectifiées. À condition que tous les efforts possibles aient été faits pour rectifier toutes les anomalies, autres que celles visées dans la section 3.7, le navire peut être autorisé à appareiller vers un port où ces anomalies peuvent être rectifiées. Les dispositions du paragraphe 3.8 s'appliquent en conséquence.

Dans des circonstances exceptionnelles, à l'issue d'une inspection initiale ou d'une inspection détaillée, lorsque l'état général du navire et de ses équipements, en tenant également compte de l'équipage ainsi que de ses conditions de vie et de travail, sont inférieures aux normes, l'Autorité peut suspendre l'inspection.

La suspension de l'inspection pourra durer jusqu'à ce que les parties responsables aient pris des mesures nécessaires pour que le navire soit mis en conformité avec les prescriptions des instruments pertinents.

Avant la suspension de l'inspection, l'Autorité est tenue d'enregistrer les anomalies pouvant entraîner l'immobilisation dans les domaines mentionnés à l'annexe 1 de la résolution A.787(19) de l'OMI et de la Convention de l'OIT, comme approprié.

Au cas où le navire est détenu et son inspection suspendue, l'Autorité devra le notifier, le plus tôt possible, aux parties responsables. La notification devra comprendre les renseignements sur l'immobilisation. Elle devra indiquer, en outre, que l'inspection est suspendue jusqu'à ce que l'Autorité soit informée de la mise en conformité du navire aux prescriptions des instruments pertinents.


3.7           Lorsque les anomalies présentent un risque manifeste pour la sécurité, la santé ou l'environnement, l'Autorité, à l'exception des cas visés à la section 3.8, fait en sorte que le risque est disparu avant que le navire ne soit autorisé à reprendre la mer. À cette fin, des mesures appropriées seront prises pouvant aller jusqu'à l'immobilisation ou à une interdiction formelle au navire de poursuivre son exploitation en raison des anomalies constatées qui, prises individuellement ou ensemble, rendraient dangereuse la poursuite de cette exploitation. En cas d'immobilisation, l'Autorité notifie le plus tôt possible par écrit l'État du pavillon ou son consul ou, en son absence, le représentant diplomatique le plus proche de toutes les circonstances ayant rendu nécessaire cette mesure. Lorsque l'Autorité qui a délivré le certificat n'est pas une administration maritime, elle est également informée de l'immobilisation.

Lorsque les anomalies, visées au paragraphe 3.7, donnant lieu à une immobilisation, ne peuvent être rectifiées dans le port de l'inspection, l'Autorité peut autoriser le navire à rejoindre le plus proche chantier de réparation disponible, choisi par le capitaine en accord avec l'Autorité, pour autant que les conditions imposées par l'Autorité et acceptées par l'Autorité compétente de l'État du pavillon soient respectées. Ces conditions doivent assurer que le navire puisse rejoindre ledit chantier sans présenter de risque pour la sécurité et la santé des passagers ou de l'équipage, sans risque pour d'autres navires, ou sans constituer une menace sérieuse de nuisance pour l'environnement marin. Dans ces circonstances, l'Autorité avertit l'Autorité compétente du prochain port d'escale du navire, les parties mentionnées à la section 3.7 et toute autre autorité concernée. La notification aux Autorités s'effectue conformément au chapitre 7 du Manuel. L'Autorité destinataire de la notification informera l'Autorité émettrice des mesures prises.

Lorsqu'un navire visé au paragraphe 3.8 prend la mer sans s'être conformé aux conditions fixées par l'Autorité du port d'inspection :

1.              cette Autorité alerte immédiatement toutes les autres Autorités,

2.              le navire est immobilisé dans le port des Autorités qui ont accepté le Mémorandum, jusqu'à ce que le propriétaire ou l'exploitant ait apporté la preuve, à la satisfaction de l'Autorité de l'État du port, que le navire satisfait pleinement aux prescriptions des instruments pertinents.

Dans le cas où le navire visé au paragraphe 3.8 ne rejoint pas le port de réparation désigné, l'Autorité du port de réparation alerte immédiatement toutes les autres Autorités.

...

3.12          Dans le cadre du contrôle exercé par l'État du port conformément au Mémorandum, les Autorités déploient tous les efforts possibles afin d'éviter qu'un navire ne soit indûment immobilisé ou retardé. Le présent Mémorandum ne restreint aucunement les droits découlant des dispositions des instruments pertinents concernant l'indemnisation en cas d'immobilisation indue ou de retard indu.

[Non souligné dans l'original]

[71]            Le chapitre 2 du MOU précise que la règle 19 de la Convention SOLAS, telle que citée ci-dessus, est un « instrument pertinent » .

B. Le régime de sécurité interne

1. La Loi sur la marine marchande du Canada

[72]            La Loi énonce aujourd'hui une liste d'objectifs alors que la version qui était en vigueur au moment de l'immobilisation ne contenait pas cette liste; les parties reconnaissent toutefois que ces objectifs exposent l'objet de la Loi, tel qu'il était à l'époque et tel qu'il est à l'heure actuelle :


Loi sur la marine marchande du Canada

Objet

5. La présente loi a pour objet :

Canada Shipping Act

Objectives of Act

5. The objectives of this Act are to

a) de protéger la santé et le bien-être de ceux qui participent au transport et au commerce maritimes, y compris l'équipage;

(a) protect the health and well-being of individuals, including the crews of ships, who participate in marine transportation and commerce;

b) de favoriser la sûreté du réseau de transport maritime;

(b) promote safety in the marine transportation system;

c) de protéger le milieu marin contre les dommages causés par les activités de navigation et de transport maritime;

(c) protect the marine environment from damage due to navigation and shipping activities;

d) d'élaborer des outils de réglementation qui favorisent des activités de transport et de commerce maritimes viables, efficaces et économiques;

(d) develop a regulatory scheme that encourages viable, effective and economical marine transportation and commerce;

e) de favoriser l'efficacité du réseau de transport maritime;

(e) promote an efficient marine transportation system;

f) de faire en sorte que le Canada honore ses obligations internationales découlant d'accords bilatéraux et multilatéraux en matière de navigation et de transport maritime;

(f) ensure that Canada can meet its international obligations under bilateral and multilateral agreements with respect to navigation and shipping;

g) d'encourager l'harmonisation des pratiques maritimes;

(g) encourage the harmonization of marine practices;


h) d'offrir un régime de responsabilité et d'indemnisation approprié en cas d'incidents mettant en cause des navires;

(h) provide an appropriate liability and compensation regime in relation to incidents involving ships; andi) d'établir un programme efficace d'inspection et d'exécution de la loi.

L.R. (1985), ch. S-9, art. 5; 1998, ch. 16, art. 3.

(i) establish an effective inspection and enforcement program.

R.S., 1985, c. S-9, s. 5; 1998, c. 16, s. 3.


[73]            Conformément aux objectifs essentiels consistant à protéger la santé et à favoriser la sécurité, la partie V de la Loi intitulée « Mesures de sécurité » prévoit la création du Service d'inspection des navires à vapeur et notamment : la nomination d'inspecteurs de navires à vapeur, la création du Bureau d'inspection des navires à vapeur composé d'inspecteurs de navires à vapeur et des autres personnes nommées, la nomination du président du bureau, l'attribution de certaines responsabilités et pouvoirs au directeur du bureau qui intéressent la présente action, à savoir :


Loi sur la marine marchande du Canada

PARTIE V

MESURES DE SÉCURITÉ

Canada Shipping Act

PART V

SAFETY

Fonctions du président

306. Le président doit diriger les inspecteurs de navires à vapeur, recevoir et examiner tous leurs rapports et comptes, et est responsable envers le ministre de l'application de la loi en ce qui concerne l'inspection des navires à vapeur.

S.R., ch. S-9, art. 371.

Duties of Chairman

306. The Chairman shall supervise the steamship inspectors, receive and examine all their reports and accounts and is responsible to the Minister for the administration of the law relating to steamship inspection.

R.S., c. S-9, s. 371.

Contestations

307. (1) Toute contestation découlant de la présente loi et s'élevant entre le propriétaire d'un navire ou un autre intéressé et un inspecteur de navires à vapeur peut, par l'une ou l'autre partie, être renvoyée au président qui décide lui-même la question ou qui la soumet à la décision du Bureau s'il estime que les circonstances le justifient.

...

Matters in dispute

307. (1) Any matter in dispute arising under this Act between the owner of a ship or any other interested party and a steamship inspector may be referred by either of them to the Chairman, who shall decide on the matter himself, or, if he considers that the circumstances warrant it, shall refer it to the Board for a decision.

...


Appel au ministre

(3) Lorsque le propriétaire d'un navire ou un autre intéressé n'est pas satisfait de la décision du président ou du Bureau, rendue en vertu du paragraphe (1), ou lorsqu'une contestation découlant de la présente partie s'élève entre un propriétaire de navire ou un autre intéressé et le président ou le Bureau, ce propriétaire ou cet intéressé peut renvoyer la question au ministre qui décide en dernier ressort.

Appeal to Minister

(3) Where the owner of a ship or any other interested party is dissatisfied with any decision given by the Chairman or by the Board under subsection (1), or where any matter in dispute arises under this Part between the owner of a ship or any other interested party and the Chairman or the Board, the owner or party may refer the matter to the Minister, who shall finally decide the matter.Par écrit

(4) Tout renvoi d'une contestation et toute décision y afférente, rendue en vertu du présent article, doivent être formulés par écrit.

L.R. (1985), ch. S-9, art. 307; L.R. (1985), ch. 6 (3e suppl.), art. 33.

In writing

(4) Any reference of a matter in dispute and any decision given in respect thereof made under this section shall be in writing.

R.S., 1985, c. S-9, s. 307; R.S., 1985, c. 6 (3rd Supp.), s. 33.


[74]            La disposition suivante intéresse particulièrement l'immobilisation des navires :


Droit des inspecteurs de monter à bord

310. (1) Un inspecteur de navires à vapeur peut, dans l'exercice de ses fonctions, monter à bord de tout navire, à des heures convenables, inspecter le navire, ses machines ou son équipement et examiner le certificat ou brevet du capitaine, d'un officier de pont ou d'un officier mécanicien; si le navire lui paraît dangereux, ou dans le cas d'un navire à passagers, inapte au transport de passagers, ou si les machines ou l'équipement lui paraissent défectueux au point d'exposer sérieusement au danger les personnes à bord, il doit détenir ce navire.

Right of inspector to board ships

310. (1) A steamship inspector, in the performance of his duties, may go on board any ship at all reasonable times and inspect the ship, or any of the machinery or equipment thereof, or any certificate of a master, mate or engineer, and if he considers the ship unsafe, or, if a passenger ship, unfit to carry passengers, or the machinery or equipment defective in any way so as to expose persons on board to serious danger, he shall detain that ship.

Détention du navire

(2) Un inspecteur de navires à vapeur peut détenir un navire à l'égard duquel l'une des dispositions de la présente loi n'a pas été observée, s'il juge que les circonstances le justifient.

Right of inspector to detain ship

(2) A steamship inspector may detain any ship in respect of which any of the provisions of this Act have not been complied with, if, in his opinion, detention is warranted in the circumstances.


2.          Le Décret sur la sécurité des navires non canadiens, C.R.C., ch. 1452 (1978) (le Décret)

[75]            Il est admis que le Décret était en vigueur au moment de l'immobilisation du navire; cependant, ses références à la partie VIII sont désuètes. Ces références devraient viser la partie V. Étant donné que le Décret a une grande importance pour la défense dans la présente action, il est reproduit ici intégralement.



CHAPITRE 1452LOI SUR LA MARINE MARCHANDE DU CANADA

Décret sur la sécurité des navires non canadiens

DÉCRET ÉTENDANT AUX NAVIRES IMMATRICULÉS AILLEURS QU'AU CANADA L'APPLICATION DE L'ARTICLE 110 ET DE LA PARTIE VIII DE LA LOI SUR LA MARINE MARCHANDE DU CANADA

CHAPTER 1452

CANADA SHIPPING ACT

Non-Canadian Ships Safety Order

ORDER DIRECTING THAT THE APPLICATION OF SECTION 110 AND PART VIII OF THE CANADA SHIPPING ACT BE EXTENDED TO SHIPS REGISTERED ELSEWHERE THAN IN CANADA

Titre abrégé

1. Le présent décret peut être cité sous le titre : Décret sur la sécurité des navires non canadiens.

Short Title

1. This Order may be cited as the Non-Canadian Ships Safety Order.

Interprétation

2. Dans le présent décret,

« Convention de sécurité » désigne la Convention internationale

pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (1960); .Loi. désigne la Loi sur la marine marchande du Canada.

Interpretation

2. In this Order,"Act" means the Canada Shipping Act;

"Safety Convention" means the International Convention for the Safety of Life at Sea, 1960.

Application

3. Le présent décret s'applique à tout navire immatriculé ailleurs qu'au Canada qui

a) fait du cabotage au Canada;

b) effectue principalement d'un lieu situe au Canada tout voyage autre qu'un voyage international qui n'est pas accompli uniquement dans les limites des eaux intérieures; ou

c) est utilise ou exploité en un lieu dans les limites des eaux canadiennes.

Application

3. This Order applies to every ship registered elsewhere than in Canada that

(a) is engaged in the coasting trade of Canada;

(b) is operating principally from a place within Canada on any voyage other than an international voyage not made solely within the limits of inland waters; or

(c) is being used or operated at a place within Canadian waters.

Inspection et délivrance de certificat

4. Sous réserve des articles 5 et 6, la Partie VIII de la Loi et les règlements édictés en exécution de ladite Partie VIII s'appliquent à tout navire décrit à l'article 3.

Inspection and Certification

4. Subject to sections 5 and 6, Part VIII of the Act and the regulations made pursuant thereto apply to every ship described in section 3.

5. Un navire à passagers, transportant plus de 12 passagers et ayant à son bord un certificat valide de sécurité pour navire à passagers délivré selon la Convention de sécurité, est censé avoir observé les dispositions de la Partie VIII de la Loi et des règlements établis en exécution de cette partie quant à la coque, aux machines, à l'équipement de sauvetage et au matériel d'extinction d'incendie, dans la mesure où ces dispositions sont prévues dans la Convention de sécurité.

5. A passenger ship, carrying more than 12 passengers, that has on board a valid Passenger Ship Safety Certificate issued in accordance with the Safety Convention shall be regarded as complying with those provisions of Part VIII of the Act and the regulations thereunder dealing with the hull, machinery, life saving and fire extinguishing equipment to the extent that those provisions are requirements of the Safety Convention.


6. Un navire non à passagers ou un navire à passagers transportant 12 passagers au plus est censé avoir observe les dispositions de la Partie VIII de la Loi et des règlements établis en exécution de cette partie

6. A non-passenger ship or a passenger ship that carries not more than 12 passengers shall be regarded as complying with those provisions of Part VIII of the Act and the regulations thereunder dealing with                    a) quant à la coque et aux machines, si le navire a à son bord

(a) the hull and machinery, if the ship has on board

(i) un certificat valide de sécurité de construction pour navire de charge délivré selon la Convention de sécurité, ou

(i) a valid Cargo Ship Safety Construction Certificate issued under the Safety Convention, or

(ii) un certificat valable délivré par une société de classification reconnue constatant que le navire est cote, et

(ii) a valid certificate issued by a recognized classification society showing that the ship is in class, and

b) quant à l'équipement de sauvetage et au matériel d'extinction d'incendie, si le navire a à son bord un certificat valide de sécurité du matériel d'armement pour navire de charge délivré selon la Convention de sécurité,

(b) life saving and fire extinguishing equipment, if the ship has on board a valid Cargo Ship Safety Equipment Certifi­cate issued under the Safety Convention,

dans la mesure où ces dispositions sont prévues dans la Convention de sécurité ou les règles de la société de classification, selon le cas.

to the extent that those provisions are requirements of the Safety Convention or classification society rules, as the case may be.

Mécaniciens brevetés

7. Les dispositions de l'article 110 de la Loi s'appliquent à tout navire décrit à l'article 3 dans la même mesure que si ce navire était un navire canadien, sauf qu'un navire qui effectue principalement d'un lieu du Canada des voyages internationaux dans les limites des eaux intérieures est censé avoir observé les dispositions de L'article 110 de la Loi s'il a à son bord des mécaniciens brevetés conformément aux lois du pays où il est immatriculé.

Certificated Engineers

7. The provisions of section 110 of the Act apply to every ship described in section 3 to the same extent as if that ship were a Canadian ship, except that a ship operating principally from a place within Canada on international voyages solely within the limits of inland waters shall be deemed to have complied with section 110 of the Act if it carries certificated engineers in accordance with the laws of the country of its registry.


3. La Loi sur le cabotage, 1992, ch. 31, 1992, et ses modifications

[76]            Selon son préambule, la Loi sur le cabotage est une « Loi concernant l'utilisation de navires étrangers et de navires non dédouanés pour le cabotage » , et selon ses dispositions, elle est administrée par l'Office des transports du Canada. Les deux définitions de « cabotage » que l'on trouve à l'article 2 intéressent la présente action :



Loi sur le cabotage

« cabotage » a) Le transport de marchandises par navire, ou par navire et par un autre moyen de transport, entre deux lieux situés au Canada ou au-dessus du plateau continental du Canada, directement ou en passant par un lieu situé à l'extérieur du Canada; toutefois, dans les eaux situées au-dessus du plateau continental du Canada, seul le transport de marchandises lié à la recherche, à l'exploitation ou au transport des ressources minérales ou des autres ressources non biologiques du plateau constitue du cabotage;

...

Coasting Trade Act

"coasting trade" means

(a) the carriage of goods by ship, or by ship and any other mode of transport, from one place in Canada or above the continental shelf of Canada to any other place in Canada or above the continental shelf of Canada, either directly or by way of a place outside Canada, but, with respect to waters above the continental shelf of Canada, includes the carriage of goods only in relation to the exploration, exploitation or transportation of the mineral or non-living natural resources of the continental shelf of Canada,

...

f) toute autre activité maritime de nature commerciale effectuée par navire dans les eaux canadiennes ou les eaux situées au-dessus du plateau continental du Canada, l'activité devant toutefois, dans ce dernier cas, être liée à la recherche, à l'exploitation ou au transport des ressources minérales ou des autres ressources non biologiques du plateau.

(f) the engaging, by ship, in any other marine activity of a commercial nature in Canadian waters and, with respect to waters above the continental shelf of Canada, in such other marine activities of a commercial nature that are in relation to the exploration, exploitation or transportation of the mineral or non-living natural resources of the continental shelf of Canada.


[77]            La disposition suivante explique les conditions auxquelles les navires étrangers peuvent se livrer au cabotage :


Interdiction

3. (1) Sauf en conformité avec une licence, un navire étranger ou un navire non dédouané ne peut, sous réserve des paragraphes (2) à (5), se livrer au cabotage.

Prohibition

3. (1) Subject to subsections (2) to (5), no foreign ship or non-duty paid ship shall, except under and in accordance with a licence, engage in the coasting trade.

Loi sur les bateaux sauveteurs des États-Unis

   (4) Le paragraphe (1) ne s'applique pas aux opérations de sauvetage autorisées par la Loi sur les bateaux sauveteurs des États-Unis.

United States Wreckers Act

   (4) Subsection (1) does not apply in respect of operations permitted by the United States Wreckers Act.


C. Conclusions

1. Sur le plan du droit

[78]            La mesure dans laquelle la partie V de la Loi s'applique à un navire non canadien, comme le Lantau Peak, qui exerce des activités commerciales dans les eaux canadiennes est un point litigieux en l'espèce. Les défendeurs soutiennent que ces navires sont assujettis au mécanisme d'application de la Loi prévu à l'article 310 de la Loi. Les demanderesses soutiennent de leur côté que, si l'on interprète la Loi en tenant compte du Décret et de la Loi sur le cabotage, on constate que le législateur n'avait pas l'intention que cela soit le cas.

[79]            En particulier, les défendeurs soutiennent que l'alinéa 3c) du Décret ne s'applique pas au Lantau Peak étant donné qu'au moment de l'immobilisation, le navire n'était pas « utilisé ou exploité en un lieu dans les limites des eaux canadiennes » ; c'est-à-dire, le navire transportait du charbon et du minerai de fer entre divers pays et qu'en avril 1997, il naviguait entre le Japon et le Canada et n'était pas « utilisé ou exploité en un lieu dans les limites des eaux canadiennes » . Les défendeurs nous invitent à adopter une interprétation selon laquelle, d'après le sens courant des termes utilisés dans l'alinéa 3c), un navire doit avoir un certain lien géographique avec le Canada avant que le Décret lui soit applicable. À l'appui de cet argument, les défendeurs mentionnent la version française de l'alinéa 3c). Il est admis que la traduction anglaise de la version française de l'alinéa 3c) est la suivante :

3. This order applies to every ship registered elsewhere than in Canada that

...

c) is used or operated in a place within the limits of Canadian waters.


Je n'estime pas que la version française renforce l'argument des défendeurs. En outre, comme l'indique l'analyse qui suit, je ne souscris pas à l'interprétation de la disposition proposée par les défendeurs.

[80]            Dans sa réplique orale, M. Swanson a présenté, pour le compte des demanderesses, un argument convaincant au sujet de l'interprétation du Décret et du rapport entre la Loi et le Décret.

[81]            Cet argument est fondé sur trois éléments importants, auxquels je souscris. Premièrement, il convient de lire la Loi et le Décret de façon à en harmoniser le sens et non pas à susciter un conflit. Cet aspect est clairement formulé dans le passage suivant de Driedger on the Construction of Statutes (3rd ed.) à la page 176 :

[traduction] Il existe une présomption selon laquelle les dispositions législatives sont conçues pour s'appliquer de façon harmonieuse, tant sur le plan logique que théologique, et font partie d'un ensemble fonctionnel. Il est présumé que les parties interagissent logiquement de façon à former un cadre rationnel et cohérent; étant donné que le cadre a un objet, on présume également que les parties doivent interagir de façon dynamique, chacune apportant quelque chose à la réalisation du but recherché.

[82]            Deuxièmement, il convient d'interpréter la Loi et le Décret en tenant compte de la Convention SOLAS de façon à harmoniser ces textes et non pas à les opposer. M. Swanson a avancé cet argument en citant Driedger, précité; voici le passage intégral à la page 330 :

[traduction] Le droit international ne lie pas les assemblées législatives canadiennes mais les dispositions législatives sont présumées respecter le droit international et les obligations juridiques internationales du Canada. La présomption s'applique tant aux lois fédérales que provinciales. Cette présomption a été énoncée en termes larges dans l'arrêt Bloxom v. Favre. Toutes les lois doivent être interprétées en fonction de cette présomption et appliquées, pourvu que leurs termes le permettent, de façon compatible avec la courtoisie internationale ou avec les règles établies du droit international. Lord Diplock a écrit ce qui suit dans Solomon v. Customs and Excise Commissioners :


... il existe une présomption simple selon laquelle le législateur n'a pas l'intention d'aller à l'encontre du droit international, qui comprend ici les obligations conventionnelles précises, et si l'un des sens qui peut être raisonnablement attribué au texte législatif en question est compatible avec les obligations conventionnelles et que d'autres ne le sont pas, il y a lieu de préférer le premier sens.

Dans Daniels c. White et la Reine, le juge Pigeon a écrit :

Il s'agit d'un cas où s'applique la règle d'interprétation selon laquelle le législateur n'est pas présumé légiférer en violation d'un traité ou de façon incompatible avec la courtoisie internationale et les règles établies du droit international.

Cette jurisprudence indique clairement que cette présomption comporte deux aspects. Tout d'abord, l'assemblée législative est présumée respecter les obligations qu'assume le Canada en qualité de signataire d'instruments internationaux et, de façon plus générale, en qualité de membre de la communauté internationale. Lorsqu'il s'agit de choisir entre plusieurs interprétations possibles, les tribunaux évitent les interprétations qui amèneraient le Canada à violer une de ses obligations internationales. Deuxièmement, la législature est présumée respecter les valeurs et les principes contenus dans le droit international, coutumier et conventionnel. Ces principes font partie du cadre juridique au sein duquel une loi est adoptée et interprétée. Par conséquent, dans la mesure du possible, il est préférable d'adopter des interprétations qui correspondent à ces valeurs et à ces principes.

En outre, à l'appui de cette citation, M. Swanson a cité la décision majoritaire de la Cour dans l'arrêt Baker c. Canada [1999] 2 R.C.S. 817, dans laquelle la juge L'Heureux-Dubé, parlant d'une question d'immigration, a déclaré ceci au sujet de l'application des conventions internationales aux paragraphes 69 à 71 :


69      Un autre indice de l'importance de tenir compte de l'intérêt des enfants dans une décision d'ordre humanitaire est la ratification par le Canada de la Convention relative aux droits de l'enfant, et la reconnaissance de l'importance des droits des enfants et de l'intérêt supérieur des enfants dans d'autres instruments internationaux ratifiés par le Canada. Les conventions et les traités internationaux ne font pas partie du droit canadien à moins d'être rendus applicables par la loi : Francis c. La Reine, [1956] R.C.S. 618, à la page    621; Capital Cities Communications Inc. c. Conseil de la Radio-Télévision canadienne, [1978] 2 R.C.S. 141, aux pages 172 et 173. Je suis d'accord avec l'intimé et la Cour d'appel que la Convention n'a pas été mise en vigueur par le Parlement. Ses dispositions n'ont donc aucune application directe au Canada.

70      Les valeurs exprimées dans le droit international des droits de la personne peuvent, toutefois, être prises en compte dans l'approche contextuelle de l'interprétation des lois et en matière de contrôle judiciaire. Comme le dit R. Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994), à la page 330 :

[TRADUCTION] [L]a législature est présumée respecter les valeurs et les principes contenus dans le droit international, coutumier et conventionnel. Ces principes font partie du cadre juridique au sein duquel une loi est adoptée et interprétée. Par conséquent, dans la mesure du possible, il est préférable d'adopter des interprétations qui correspondent à ces valeurs et à ces principes. [Je souligne.]

     D'autres pays de common law ont aussi mis en relief le rôle important du droit international des droits de la personne dans l'interprétation du droit interne : voir, par exemple, Tavita v. Minister of Immigration, [1994] 2 N.Z.L.R. 257 (C.A.), à la page 266; Vishaka v. Rajasthan, [1997] 3 L.R.C. 361 (C.S. Inde), à la page 367. Il a également une incidence cruciale sur l'interprétation de l'étendue des droits garantis par la Charte : Slaight Communications, précité; R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697.

71      Les valeurs et les principes de la Convention reconnaissent l'importance d'être attentif aux droits des enfants et à leur intérêt supérieur dans les décisions qui ont une incidence sur leur avenir. En outre, le préambule, rappelant la Déclaration universelle des droits de l'homme, reconnaît que « l'enfance a droit à une aide et à une assistance spéciales » . D'autres instruments internationaux mettent également l'accent sur la grande valeur à accorder à la protection des enfants, à leurs besoins et à leurs intérêts. La Déclaration des droits de l'enfant (1959) de l'Organisation des Nations Unies, dans son préambule, dit que l'enfant « a besoin d'une protection spéciale et de soins spéciaux » . Les principes de la Convention et d'autres instruments internationaux accordent une importance spéciale à la protection des enfants et de l'enfance, et à l'attention particulière que méritent leurs intérêts, besoins et droits. Ils aident à démontrer les valeurs qui sont essentielles pour déterminer si la décision en l'espèce constituait un exercice raisonnable du pouvoir en matière humanitaire.

[83]            Troisièmement, il convient d'interpréter la Loi et le Décret en tenant compte des réalités du commerce maritime international de façon à viser l'harmonie et non pas à susciter des conflits.


[84]            L'argument mit de l'avant par M. Swanson est très vaste et répond parfaitement aux observations formulées par l'avocat des défendeurs au sujet du pouvoir d'ordonner l'immobilisation du navire; c'est pourquoi je le cite ici, avec quelques modifications par souci de clarté, parce que j'estime qu'il fournit la bonne interprétation du rapport qui existe entre la Loi et le Décret (transcription, 21 janvier 2004, pages 59 à 76) :

[traduction]

M. SWANSON : C'est en grande partie ce que fait la Loi sur la marine marchande du Canada mais cela s'applique particulièrement aux navires battant pavillon canadien. Comme je l'ai dit hier, il serait absurde d'interpréter la Loi sur la marine marchande du Canada comme si elle réglementait les navires étrangers sur le plan de la construction, de la sécurité et de l'équipage, parce que cela aurait pour effet d'imposer les normes canadiennes en matière de sécurité, de construction, d'équipage à tous les navires du monde, quel que soit le pavillon qu'ils battent.

Cela serait problématique parce que les navires battant pavillon étranger boycotteraient le Canada et cela voudrait dire que le Canada se retrouverait dans la situation où, à moins d'avoir suffisamment de navires battant pavillon étranger pour importer ou exporter les produits au Canada, nous nous trouverions dans une situation économique désastreuse.

Il faut donc examiner la Loi dans ce contexte. Je sais que mon confrère vous invite à considérer la Loi sur la marine marchande du Canada comme un simple document ou texte législatif traitant de sécurité et de santé publique. Ce n'est pas le cas. Comme les objets l'énoncent clairement en 1998, il est important pour le Canada d'avoir un système de transport économique. Il est important pour le Canada d'être en mesure d'importer et d'exporter des marchandises.

Nous n'aurions pas pu créer un cadre réglementaire obligeant les navires étrangers qui viennent au Canada à respecter les normes canadiennes particulières en matière de sécurité, et ce n'est pas ce que nous avons fait. Cela est reconnu mais le législateur a néanmoins déclaré à un moment donné : Eh bien, nous avons besoin de pouvoir juger de la navigabilité de ces navires étrangers lorsqu'ils se trouvent dans nos eaux. Lorsqu'ils se trouvent dans nos eaux, nous pouvons exercer à leur endroit notre compétence territoriale. Lorsqu'ils se trouvent dans nos eaux, nous avons besoin d'un mécanisme pour veiller à ce qu'ils respectent les normes de sécurité fondamentales.

Eh bien quel est ce mécanisme? Le mécanisme est d'avoir recours à un cadre international -- la Convention SOLAS, la Convention pour la sauvegarde de la vie humaine en mer à laquelle le Canada est partie et on se dit : Très bien, en fin de compte, tous les pays exigent que les navires qui se trouvent dans leurs eaux territoriales respectent la Convention SOLAS. Que faut-il donc rechercher? Premièrement, il faut vérifier si le navire possède des certificats légaux en cours de validité, c'est-à-dire, les certificats prévus par la Convention SOLAS.

L'autre façon de juger de la sécurité ou de l'évaluer est ... les sociétés de classification... Nous savons que ces navires sont surveillés par les sociétés de classification. Nous savons que les États du pavillon respectent les prescriptions des sociétés de classification. Nous savons que ces certificats légaux ne sont généralement pas délivrés si le navire ne respecte pas des normes minimales, comme celles de sa classification.


Et le fait est que, selon la Loi sur le cabotage les navires ne battant pas pavillon canadien ne peuvent exercer cette activité à moins qu'ils ne viennent s'immatriculer ici ou, sur le plan théorique, que leurs propriétaires importent le navire et paient les droits de douane exigés. Et je pense, comme M. Bernard l'a dit, que ces textes législatifs existent dans pratiquement tous les pays du monde et qu'il s'agit de textes législatifs destinés à protéger les propriétaires de navires nationaux pour être sûr que les propriétaires de navires étrangers ne viennent pas faire le travail des nationaux. C'est en fait un texte législatif protectionniste. Mais pratiquement tous les pays du monde ont adopté un texte protectionniste de ce genre.

...

[Selon l'alinéa b) de la définition de « cabotage » qui traite du transport de passagers] la situation est un peu plus compliquée pour ce qui est des passagers, mais pour l'essentiel, c'est la même chose. Les navires étrangers ne peuvent venir dans les eaux canadiennes transporter des passagers entre les ports canadiens. Cela est réservé aux navires battant pavillon canadien, à moins que le propriétaire d'un navire étranger présente une demande aux termes de la Loi sur le cabotage et obtienne une exemption, cela est obligatoire mais il faut payer des droits de douanes lorsqu'on importe un navire et il y a un calcul pour le faire et cela coûte pas mal d'argent. C'est donc une loi qui interdit aux navires étrangers de faire ces choses-là.

En tournant la page, vous trouverez une autre disposition importante qui fait partie de la définition de la Loi sur le cabotage et c'est l'alinéa f); le voici :

Toute autre activité maritime de nature commerciale effectuée par le navire dans les eaux canadiennes... »

Cela vise d'après moi, une plate-forme pétrolière ainsi qu'un hôtel flottant.

« ¼ ou les eaux situées au-dessus du plateau continental du Canada, l'activité devant toutefois, dans ce dernier cas, être liée à la recherche, à l'exploitation ou au transport des ressources minérales ou des autres ressources non biologiques du plateau. »

Le cabotage ne consiste donc pas seulement à transporter des cargaisons ou des personnes mais il englobe également une activité stationnaire et notamment, le fait d'exercer une activité commerciale, de façon stationnaire, dans les eaux canadiennes. C'est là que la plate-forme est visée, c'est un navire étranger, une plate-forme étrangère, elle ne peut venir dans les eaux canadiennes et commencer à forer. Elle ne peut le faire. Il faut obtenir une exemption aux termes de la Loi sur le cabotage, dédouaner le navire et exercer ensuite ces activités.

De la même façon, je pense que cela viserait un hôtel flottant. Il n'y a pas de différence. Un exploitant de navire de passagers étranger ne pourrait amener un navire dans le port de Vancouver, le placer dans le port et dire, « Nous sommes simplement un hôtel flottant » . S'il faisait cela, ce serait du cabotage.


Si vous prenez cette définition large de cabotage et examinez le Décret, il faut alors intégrer cette définition large de cabotage dans l'alinéa 3a) parce qu'elle reprend exactement les mêmes termes, la même formulation. Et je crois que mon confrère admettra que lorsque dans des textes législatifs comparables, le législateur utilise les mêmes termes, et il existe en fait une définition dans un texte législatif comparable, il faut utiliser cette définition et l'appliquer.

Par conséquent « le cabotage » tel qu'il est utilisé ici veut dire le cabotage tel que défini dans la Loi sur le cabotage, ce qui veut dire qu'un navire qui bat un pavillon étranger, et avec l'article 3 [du Décret], cela veut dire un navire étranger qui transporte des chargements entre deux lieux situés au Canada, il fait du cabotage. Un navire de passagers étranger qui transporte des passagers entre deux lieux situés au Canada fait également du cabotage. Un navire étranger qui est stationnaire, comme une plate-forme de forage ou un hôtel flottant, fait du cabotage. De sorte que l'alinéa a) vise toutes ces activités.

Comment expliquer alors que l'alinéa c) ne fasse que reprendre l'alinéa a)? Les défendeurs vous demandent d'interpréter « utilise ou exploite en un lieu dans les limites des eaux canadiennes » comme si cette expression ne faisait que reformuler ce qu'est le cabotage. Eh bien cela est contraire à tous les grands principes d'interprétation législative.

Il existe une autre façon de considérer cette disposition et c'est d'appliquer le principe selon lequel il ne faut pas donner à un texte législatif une interprétation qui entraînerait un résultat absurde. Eh bien, prenez ce que disent les défendeurs ici, ils disent que le navire qui ne bat pas le pavillon canadien et qui vient au Canada, qui paient les droits de douane et demande une exemption aux termes de la Loi sur le cabotage -- il fait encore du cabotage mais il a le droit de le faire maintenant -- vient au Canada, transporte des passagers d'un lieu à un autre situé au Canada ou des cargaisons d'un port canadien à un autre, ce navire, ce qui est assez intéressant, qui se trouve ici fréquemment ou de façon régulière, ce navire n'a qu'à respecter la Convention SOLAS et posséder un certificat de classification en cours de validité [aux termes de l'alinéa 6a)(i) du Décret. Voilà ce que disent les défendeurs. Ce navire, selon ce règlement, doit tout simplement à respecter cette disposition.

[Les défendeurs affirment] toutefois qu'il faut interpréter cette disposition législative de façon à ce que le navire qui fait escale, le navire étranger qui arrive au Canada sur lest dans le port de Vancouver pour prendre un chargement et ensuite le transporter au Japon, ce navire, ce qui est intéressant, est régi alors par toutes les lois canadiennes en matière de sécurité. Ce navire doit respecter toutes les dispositions de la Loi sur la marine marchande du Canada. Voilà ce que suggère son argument.

Cela n'a pas de sens. Cela n'a aucun sens. Le navire étranger qui se trouve ici fréquemment exerce ici au Canada une activité régulière, et il n'aurait qu'à respecter la norme minimale de la Convention SOLAS et de sa classe [selon les alinéas 6a)(i) ou (ii) du Décret] alors que le navire qui fait simplement escale au Canada doit respecter un régime beaucoup plus strict. Cela n'a absolument aucun sens. Il y a plus, et je sais que les titres des textes législatifs n'ont pas une valeur absolue, évidemment et ils ne l'emportent pas sur les termes utilisés dans le texte législatif lui-même, mais il est assez difficile de ne pas tenir compte du titre de ce décret : « Décret étendant aux navires immatriculés ailleurs qu'au Canada l'application de l'article 110 et de la partie 8 de la Loi sur la marine marchande du Canada (qui est devenue nous le savons la partie 5) » .


Mon confrère vous invite à admettre que, lorsque le législateur a adopté ce règlement, il avait l'intention d'appliquer les dispositions de la Loi sur la marine marchande du Canada à tous les navires qui se rendent au Canada, sauf à ceux qui font du cabotage. Cela n'a aucun sens.

Il y a encore une autre façon d'examiner cette question, Votre Honneur, et je dirais que l'interprétation que donne mon confrère à cette disposition est, d'après moi, incompatible avec la Convention SOLAS. Elle est incompatible avec le Mémorandum dans la mesure où c'est un document qui joue un rôle important lorsqu'il s'agit d'interpréter une disposition de ce genre. Il faut examiner, d'après moi, l'expression « utiliser ou exploiter » [à l'alinéa 3c) du Décret] non seulement dans le contexte de la Loi sur la marine marchande du Canada mais également -- et il est incontestable que ce document est un document qui touche le droit international. La « Convention relative à la sécurité » [mentionnée à l'article 2 de l'article de définition du Décret] est en fait définie comme étant la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (1960). Lorsque ce règlement a été adopté, le législateur connaissait l'existence de la Convention SOLAS (1960) et il a légiféré expressément à l'égard de cette Convention.

Il faut donc examiner la Convention SOLAS et se demander « Et bien, comment tout cela s'harmonise-t-il? » Et il faut se demander comment l'interprétation du défendeur s'harmonise avec le cadre juridique international en vigueur. Et bien elle ne s'harmonise pas.

Et j'aimerais vous citer [une disposition de la Convention SOLAS] lorsque j'affirme que l'interprétation proposée entraîne une incohérence -- je suis dans le volume 13, onglet 47, page 29, règle 19A :

« Tout navire est sujet, dans un port d'une autre Partie, au contrôle de fonctionnaires dûment autorisés par ce gouvernement dans la mesure où ce contrôle a pour effet de vérifier que les certificats délivrés en vertu de la règle 12 ou de la règle 13 du présent chapitre sont en cours de validité. »

C'est exactement ce que dit le Décret sur la sécurité des navires non canadiens, si vous acceptez l'interprétation que nous proposons. Cela est complètement contraire à l'interprétation que propose le défendeur.

Pour revenir à Baker, il y a donc deux interprétations possibles de l'expression « utilise ou exploite » [alinéa 3c) du Décret]. J'estime que l'interprétation que propose mon confrère est une interprétation restrictive et étroite qui introduit davantage d'incertitude et d'absurdité que de clarté et d'harmonie. En outre, cette interprétation est manifestement contraire aux obligations, aux obligations conventionnelles internationales que le Canada a acceptées.


Notre interprétation est la suivante, un navire étranger comme le LANTAU PEAK est « utilisé ou exploité » quand il se trouve ici à Vancouver pour embarquer un chargement. C'est la raison pour laquelle le navire se trouve ici, il est venu ici pour être utilisé. Il n'est pas simplement venu au Canada pour effectuer des réparations. De sorte que lorsqu'il arrive au Canada, il est visé par l'alinéa 3c) [du Décret], c'est un navire étranger, il est donc uniquement tenu de respecter l'article 6 [du Décret]. L'article 6 énonce que, si le navire possède des certificats valides, il peut quitter le port. Si le navire est conforme à sa classe, il respecte la partie 5 de la Loi sur la marine marchande du Canada.

C'est pourquoi j'estime que la seule bonne interprétation que l'on peut donner de ce Décret est celle que nous proposons. Celle que mon confrère vous invite à adopter ne ferait que créer davantage de confusion, d'incertitude et de conflits.

[85]            J'estime que les défendeurs n'ont pas vraiment répondu à l'argument fondé sur la nécessiter d'harmoniser les textes législatifs. Il ne suffit pas d'affirmer, comme le font les défendeurs, que l'argument ne peut être fondé sur une analyse juste, étant donné que cela voudrait dire que les nombreuses immobilisations de navires ordonnées apparemment en vertu de l'article 310 n'étaient pas en fait autorisées. Il n'est pas contesté que des navires ont été immobilisés mais il semble que la véritable source du pouvoir de le faire n'a pas été examinée jusqu'ici.

[86]            À part l'article 310, il existe d'après moi de nombreux autres pouvoirs qui permettent d'immobiliser un navire. Lorsque j'ai posé des questions à M. Swanson au cours des observations orales dans le but de préciser la valeur de l'argument visant à écarter l'application de l'article 310, celui-ci a déclaré que le pouvoir d'immobiliser un navire pourrait découler de la Convention SOLAS :

[traduction]

LA COUR : Que pensez-vous de l'argument selon lequel les certificats sont délivrés à un moment donné et que par la suite il arrive quelque chose d'assez grave au navire ou celui-ci représente un danger lorsqu'il arrive au port? Il possède pourtant les certificats.

M. SWANSON : Je n'ai pas grand-chose contre l'idée que dans le cas où le navire ne respecte manifestement pas les certificats, il est alors possible de l'examiner et de prendre des mesures conformément à la Convention SOLAS.


LA COUR : La Convention SOLAS ou la Loi sur la marine marchande du Canada?

M. SWANSON : Eh bien, il ne suffit pas d'appliquer la Loi sur la marine marchande. Cette situation est régie par la Convention SOLAS parce que cela concerne un certificat de sécurité valide pour navire de charge. Cette disposition ne dit pas que la partie 5 s'applique même lorsque le navire possède un certificat valide de sécurité mais il faut se demander si le certificat reflète vraiment l'état du navire. Il faut donc toujours s'en remettre à la Convention SOLAS. Ils ne sont pas amenés à appliquer une norme canadienne particulière. Ce n'est jamais le cas.

Cela n'aurait aucun sens d'affirmer qu'il devrait être possible d'appliquer une norme canadienne particulière.

LA COUR : Par conséquent, dans ce cas, l'article 310 de la Loi sur la marine marchande du Canada ne s'appliquerait pas, d'après vous.

M. SWANSON : Cela est difficile à concilier avec le Décret qui affirme que les navires étrangers qui possèdent un certificat valide ou qui sont classés sont réputés respecter certaines prescriptions. Pour ce qui est de la coque et des machines. Ce n'est pas pour toutes les fins. Le navire est réputé respecter la partie 5 pour ce qui est de la coque et des machines.

Il est difficile de donner à cette extension de la Loi sur la marine marchande du Canada aux navires étrangers un sens encore plus large qui aurait pour effet de rendre applicable l'article 310.

Il y a une autre façon de considérer la situation. Nous ne disons pas que le navire qui arrive en mauvais état et qui est en possession de certificats valides ne peut être inspecté, ne peut être examiné et ne peut faire l'objet de certaines mesures. Ce n'est pas ce qui s'est produit ici. Il est arrivé dans cette affaire que deux inspecteurs sont montés à bord d'un navire. Deux inspecteurs qui avaient décidé de ne tenir aucun compte des règles des sociétés de classification. Ils sont montés à bord et ils pensaient ceci : « Ce que dit la société de classification n'a aucune importance. La société de classification n'influencera aucunement notre décision. » Et c'est là le problème, ils sont partis du mauvais pied dès le départ. Dès le départ, ils ont choisi une voie qu'ils n'auraient jamais dû choisir.


[87]            J'estime que cet argument est convaincant. Comme en l'espèce, si l'immobilisation du navire est fondée sur des dispositions non contraignantes de la Convention SOLAS par le biais de la reconnaissance volontaire d'obligations conventionnelles internationales, pourquoi l'immobilisation elle-même ne peut-elle être fondée sur cette même reconnaissance? Je ne vois aucune raison pour cela, si ce n'est l'argument qu'un propriétaire de navire hypothétique pourrait ne pas être d'accord avec ce motif et soutenir que les inspecteurs n'ont pas le pouvoir légal d'immobiliser le navire. La coopération prévue par le Mémorandum vient toutefois contrer cet argument. Dans un cas de ce genre, et en fait en l'espèce, il est possible de considérer que le Mémorandum est le mécanisme « d'exécution » . Le préambule du Mémorandum énonce expressément que ce document « n'est pas juridiquement contraignant et n'a pas pour but d'imposer d'obligations juridiques aux autorités » ; il a néanmoins prouvé qu'il était un outil d'exécution très efficace.

[88]            Par exemple, le capitaine Koo a pensé qu'il était obligé d'accepter de réparer le navire comme l'exigeaient les défendeurs parce que, s'il avait refusé, le navire aurait été immobilisé dès son arrivée dans un autre port appliquant le Mémorandum, grâce aux mécanismes de communication mis en place par les parties au Mémorandum.

[89]            En outre, les autorités malaisiennes, celles de l'État du pavillon du navire, n'ont pas remis en question le pouvoir du Canada d'immobiliser le navire aux termes du programme de contrôle des navires par l'État du port découlant du Mémorandum.

[90]            Il semble que les autorités ayant accepté le Mémorandum ont bénéficié d'une coopération très active dans la mise en oeuvre des mesures reliées au contrôle des navires par l'État du port. Ainsi, étant donné que les États signataires du Mémorandum ont accepté d'appliquer les normes et les principes formulés dans cette entente, et par conséquent, non pas en vertu d'un contrat exécutoire mais par le souci d'honorer cette entente, l'immobilisation d'un navire est autorisée par le Mémorandum et respectée par l'État du pavillon que bat le navire immobilisé.


2. D'après les preuves

[91]            Comme le soutiennent les demanderesses, le motif de l'immobilisation du navire était la violation des dispositions de la Convention SOLAS. Il est bien établi que toutes les personnes concernées pensaient que la mesure avait été prise à titre de mesure de contrôle des navires par l'État du port. Néanmoins, ces mêmes personnes ont également agi comme si l'immobilisation elle-même était fondée sur l'article 310 de la Loi.

[92]            Il ressort clairement des preuves que l'interprétation qui vient d'être donnée du rapport existant entre la Loi et le Décret n'avait pas été prise en considération. D'après les preuves, je ne vois aucun motif solide de rejeter le témoignage des inspecteurs Warna et Hall selon lesquels ils pensaient qu'ils immobilisaient le navire en vertu de la Loi pour des motifs fondés sur la Convention SOLAS. Le fait d'avoir signé l'ordre de détention sur le formulaire de la « Loi sur la marine marchande du Canada » et d'avoir suivi la procédure d'appel prévue par l'article 310 confirme le témoignage qu'ils ont fourni au procès. En fait, les demanderesses semblent avoir accepté au début de l'affaire que l'immobilisation avait été ordonnée en vertu de ce pouvoir. Je reconnais toutefois qu'il ne serait pas équitable de reprocher ce point aux demanderesses ou à leur avocat, étant donné que leur principal objectif était d'obtenir la libération du navire par tous les moyens possibles, y compris en faisant appel au pouvoir de surveillance du président. Dans la lutte livrée pour obtenir la libération du navire, les subtilités juridiques reliées à l'immobilisation du navire n'étaient pas importantes; il est compréhensible qu'elles aient été principalement intéressées par les conséquences financières de l'immobilisation du navire.


[93]            En fin de compte, je n'accorde aucune force probante à la croyance des défendeurs selon laquelle l'immobilisation a été ordonnée aux termes de l'article 310 de la Loi. Cependant, comme je l'explique plus loin sur la question de la négligence, j'accorde une importance considérable à la conduite qu'ont eue les défendeurs une fois ordonnée l'immobilisation du navire.

3. Résultat

[94]            Voici la question à laquelle la présente section devait apporter une réponse : En vertu de quel pouvoir les inspecteurs Warna et Hall ont-ils immobilisé le navire et en vertu de quel pouvoir ces personnes et leurs superviseurs ont-ils maintenu cette immobilisation? Je conclus qu'en droit l'immobilisation du navire ne pouvait être fondée sur l'article 310 de la Loi. J'estime que ce pouvoir reposait sur le Mémorandum, combiné à la Convention SOLAS.

                       III. La question de la responsabilité :

Une action en responsabilité délictuelle peut-elle être intentée contre les défendeurs

              pour leur conduite de l'immobilisation du navire?

[95]            L'article 3 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État, L.R. 1985, ch. C-50, art. 3; art. 36, 2001, ch. 4, énonce ce qui suit :



3. En matière de responsabilité, l'État est assimilé à une personne pour :

a) dans la province de Québec :

3. The Crown is liable for the damages for which, if it were a person, it would be liable

(a) in the Province of Quebec, in respect of

(i) le dommage causé par la faute de ses préposés,

(ii) le dommage causé par le fait des biens qu'il a sous sa garde ou dont il est propriétaire ou par sa faute à l'un ou l'autre de ces titres;

(i) the damage caused by the fault of a servant of the Crown, or

(ii) the damage resulting from the act of a thing in the custody of or owned by the Crown or by the fault of the Crown as custodian or owner; and

b) dans les autres provinces :

(i) les délits civils commis par ses préposés,

(ii) les manquements aux obligations liées à la propriété, à l'occupation, à la possession ou à la garde de biens.

[mon emphase]

(b) in any other province, in respect of

(i) a tort committed by a servant of the Crown, or

(ii) a breach of duty attaching to the ownership, occupation, possession or control of property.

[Emphasis added]


[96]            Le mémoire conjoint des faits établit que les inspecteurs Warna et Hall sont des préposés :

[traduction]

6. Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le ministre des Transports au moment des faits, était en 1997 l'employeur des défendeurs B.S. Warna et D.A. Hall, qui avaient un bureau situé au 800, rue Burrard, dans la ville de Vancouver, dans la province de la Colombie-Britannique.

7. Les défendeurs B.S. Warna et D.A. Hall étaient, en 1997, employés par le ministère des Transports en qualité d'inspecteurs de navires à vapeur conformément aux dispositions de la partie V de la Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. 1985, ch. S-9 et étaient affectés au port de Vancouver, en Colombie-Britannique.

Il n'est pas contesté que M. Nelson, M. Streeter et M. Day sont des préposés de l'État.

[97]            Dans leur défense contre cette poursuite en responsabilité délictuelle, les défendeurs exposent dans leur déclaration d'ouverture un certain nombre de raisons pour lesquelles la demande des demanderesses n'est pas recevable (observations du procureur général du Canada (OPG), pages 1 et 2) :


[traduction] Si la Cour donnait gain de cause aux demanderesses, les objets de la Loi sur la marine marchande du Canada (la Loi), le régime d'inspection des vraquiers, les Mémorandums d'entente de Paris et de la région Asie-Pacifique (Tokyo) sur le contrôle des navires par l'État du port, la Convention internationale de 1974 pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (Convention SOLAS) et d'autres conventions, qui ont toutes pour objet de protéger la vie humaine et l'environnement, seraient compromis.

Un acte ou une omission de l'État ou de ses préposés ne peut entraîner une responsabilité délictuelle que si (1) il est commis sans pouvoir légal et (2) il constitue un délit civil. Aucune de ces deux conditions n'étant réunie en l'espèce, les demanderesses ne peuvent obtenir gain de cause dans cette action en responsabilité délictuelle. Hogg and Monahan, Liability of the Crown, 3e éd., (2000), pages 136, 138.

Un inspecteur de navires à vapeur (inspecteur) n'assume aucune obligation de diligence reconnue par le droit privé envers les propriétaires de navire. La Loi a pour objet de protéger les intérêts privés et publics contre les propriétaires de navire et non pas de leur accorder un recours de droit privé. Le législateur a prévu un mécanisme d'appel permettant de réviser les décisions de MM. Hall, Warna et Streeter. Lorsqu'il a entendu l'appel de la décision des inspecteurs, M. Bud Streeter, le président du Bureau d'inspection des navires à vapeur, exerçait une fonction quasi judiciaire; les règles de la responsabilité délictuelle ne sont donc pas applicables dans les circonstances. Le législateur n'a pas envisagé que l'on puisse interjeter appel sur le fond de ces décisions devant la Cour. Il existe des considérations d'intérêt public déterminantes qui interdisent d'imposer aux inspecteurs une obligation de diligence reconnue par le droit privé envers les propriétaires de navire.

En adoptant l'article 310 de la Loi, le législateur a ordonné aux inspecteurs d'immobiliser les navires qu'ils estimaient dangereux. Cette décision est de nature subjective et non pas objective. La Cour n'a pas le pouvoir de substituer un critère objectif, à savoir le caractère dangereux du Lantau Peak, au critère subjectif adopté par le législateur. Il existe néanmoins des raisons déterminantes pour conclure objectivement que les décisions prises par MM. Warna et Streeter étaient raisonnables.

[98]            Les défendeurs présentent d'autres arguments au sujet de l'effet de l'article 310 (OPG, pages 150 et 154) :

[traduction] Les tribunaux ne sont pas à même de se prononcer sur le caractère dangereux ou non du « Lantau Peak » et donc sur le bien-fondé de son immobilisation. Ils ne peuvent donc se prononcer sur le caractère acceptable des risques associés à une telle situation. Le législateur a chargé les fonctionnaires de Transports Canada et non pas la Cour de se prononcer subjectivement sur ces questions. La science et la technologie permettent, en théorie au moins, d'évaluer un risque global mais l'acceptabilité du risque constaté est une décision subjective. Dans sa sagesse, le législateur a choisi de confier la décision relative au caractère acceptable des risques associés au voyage du « Lantau Peak » à Shanghai à des inspecteurs, dans un premier temps, et en appel, au président et au ministre. Par conséquent, ces questions ne se prêtent pas à une décision de la Cour et ne peuvent donc lui être soumises.

et


[traduction] Le législateur savait que l'immobilisation d'un navire aux termes de l'article 310 de la Loi aurait inévitablement des répercussions économiques. Les recours que peut exercer un propriétaire de navire sont limités à ceux que prévoit la Loi et au contrôle judiciaire de la décision du ministre. L'article 307 prévoit que le ministre tranche la question en dernier ressort et par conséquent, la Loi ne prévoit aucun recours de droit privé fondé sur la négligence. En l'absence de disposition prévoyant l'indemnisation des navires immobilisés aux termes de l'article 310 de la Loi, les demanderesses doivent assumer leur propre préjudice.

[99]            Les défendeurs présentent ainsi toute une série d'arguments pour faire rejeter la demande en responsabilité présentée par les demanderesses; certains des ces arguments sont fondés sur l'application de l'article 310 de la Loi, tandis que d'autres touchent directement aux règles de la responsabilité délictuelle.

[100]        Étant donné que j'ai jugé dans la section II des présents motifs que l'article 310 n'était pas le pouvoir sur lequel était fondée l'immobilisation du navire, je rejette tous les arguments des défendeurs fondés sur le pouvoir légal de l'article 310. J'estime que les défendeurs ne peuvent invoquer l'argument du « pouvoir légal » à l'égard de l'immobilisation ordonnée aux termes du Mémorandum. Il est bien établi que le Mémorandum n'est qu'une entente non contraignante conclue par les ministères des États signataires. Pour ce motif, je conclus qu'étant donné que le Mémorandum n'a pas force de loi, il ne peut être considéré comme conférant « un pouvoir légal » autorisant l'immobilisation d'un navire. C'est néanmoins le pouvoir en vertu duquel le Lantau Peak a été immobilisé.

[101]        Les arguments matériels concernant la responsabilité délictuelle sont examinés plus loin dans la présente section.


A. Le fondement de la présente action

[102]        Les demanderesses ont clairement précisé qu'elles n'intentaient pas cette action en responsabilité aux termes du Mémorandum ou de la Convention SOLAS. Si ces instruments constituent, pris ensemble, le pouvoir sur lequel est fondée l'immobilisation, le droit d'intenter une poursuite en responsabilité délictuelle n'est pas fondé sur les dispositions de ces instruments. Les demanderesses soutiennent que ce droit découle de la common law maritime.

[103]        Dans l'argumentation en réplique de M. Swanson citée ci-dessus, il est fait remarquer que, dans l'application du Décret sur la sécurité des navires non canadiens, lorsque le certificat du navire ne reflète pas véritablement l'état du navire, les dispositions de la Convention SOLAS autorisent un inspecteur de navires à vapeur à ne pas accepter les certificats et à exiger que soient effectuées certaines réparations. En fait, les règles 19b) et c) de la Convention SOLAS traite de cette question :

b)                         Ces certificats, s'ils sont en cours de validité, doivent être acceptés à moins qu'il n'existe de bonnes raisons de penser que l'état du navire ou de son armement ne correspond pas en substance aux indications de l'un quelconque de ces certificats ou que le navire et son armement ne satisfont pas aux dispositions des paragraphes a) et b) de la règle 11 du présent chapitre.

c)                          Dans les circonstances énoncées au paragraphe b) de la présente règle et dans le cas où un certificat est venu à expiration ou a cessé d'être valable, le fonctionnaire exerçant le contrôle doit prendre les mesures nécessaires pour empêcher le navire d'appareiller jusqu'à ce qu'il puisse prendre la mer ou quitter le port pour se rendre au chantier de réparation approprié, sans danger pour le navire lui-même ou les personnes à bord.

[104]        Étant donné la conclusion selon laquelle le Mémorandum, combiné à la Convention SOLAS, était le pouvoir qui fondait l'immobilisation du navire en l'espèce, le Mémorandum constitue également le pouvoir de prendre la mesure mentionnée dans les règles 19b) et c) de la Convention SOLAS. La norme de diligence qui doit être respectée à l'égard de cette mesure est énoncée dans la règle 19f) de la Convention SOLAS :

19f)                      Dans l'exercice du contrôle en vertu des dispositions de la présente règle il convient d'éviter, dans toute la mesure du possible, de retenir ou de retarder indûment le navire. Tout navire qui a été retenu ou retardé indûment par suite de l'exercice de ce contrôle a droit à réparation pour les pertes ou dommages subis.

[105]        J'estime qu'en acceptant le Mémorandum et en devenant à ce titre une Autorité, le Canada a convenu de respecter cette norme de diligence : le Mémorandum prend toutefois soin de préciser que le Mémorandum « n'est pas un document juridiquement contraignant et n'a pas pour but d'imposer une obligation juridique aux autorités » ; cela veut dire qu'une Autorité ne peut être poursuivie directement aux termes du Mémorandum pour violation d'une entente prévoyant le respect d'une obligation de diligence. En fait, comme cela a été mentionné, les demanderesses ont clairement précisé qu'elles ne tentaient pas de procéder ainsi avec la présente demande. Essentiellement, elles font remarquer que la réserve mentionné dans le Mémorandum n'a pas pour effet de soustraire une Autorité à la responsabilité découlant des mesures prises en vue d'immobiliser un navire aux termes du Mémorandum; l'Autorité en question et ses préposés demeurent responsables en cas de conduite fautive en vertu de la common law maritime.

B. Le critère de la négligence


[106]        Le critère de la négligence a été formulé tout dernièrement par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Succession Odhavji c. Woodhouse, (2003) C.S.C. 69. Le juge Iacobucci confirme au paragraphe 44 que pour que le demandeur dans une action pour négligence puisse obtenir gain de cause, il doit établir trois éléments : le défendeur était tenu à une obligation de diligence envers le demandeur, le défendeur a manqué à cette obligation de diligence et il en est résulté des dommages. Au sujet de l'obligation de diligence, le juge poursuit ainsi :

45      Il existe un principe bien établi selon lequel le défendeur n'est pas responsable de négligence si la loi ne l'assujettit pas dans les circonstances à une obligation de diligence raisonnable. Comme l'a conclu lord Esher dans l'arrêt Le Lievre c. Gould, [1893] 1 Q.B. 491 (C.A.), page 497, [TRADUCTION] « [u]n homme a le droit d'être aussi négligent qu'il lui plaît envers les autres s'il n'a aucune obligation à leur égard. » On pourrait donc dire qu'il s'agit d'une obligation, reconnue en droit, de prendre raisonnablement soin d'éviter toute conduite qui expose autrui à un risque déraisonnable de préjudice.

46     De nos jours, il est bien établi au Canada que l'existence d'une telle obligation doit être déterminée suivant l'analyse en deux étapes élaborée pour la première fois par la Chambre des lords dans l'arrêt Anns c. Merton London Borough Council, [1978] A.C. 728, pages 751 et 752 :

_____[TRADUCTION] En premier lieu, il faut se demander s'il existe, entre l'auteur allégué de la faute et la personne qui a subi le préjudice, un lien suffisamment étroit de proximité ou de voisinage pour que le manque de diligence de la part de l'auteur de la faute puisse raisonnablement être perçu par celui-ci comme étant susceptible de causer un préjudice à l'autre personne -- auquel cas il existe à première vue une obligation de diligence. Si on répond par l'affirmative à la première question, il faut se demander en second lieu s'il existe des motifs de rejeter ou de restreindre la portée de l'obligation, la catégorie de personnes qui en bénéficient ou les dommages qui peuvent découler de l'inexécution de cette obligation.


      Voir par exemple les arrêts Kamloops (Ville de) c. Nielsen, [1984] 2 R.C.S. 2; B.D.C. Ltd. c. Hofstrand Farms Ltd., [1986] 1 R.C.S. 228; Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Norsk Pacific Steamship Co., [1992] 1 R.C.S. 1021; London Drugs Ltd. c. Kuehne & Nagel International Ltd., [1992] 3 R.C.S. 299; Winnipeg Condominium Corporation No. 36 c. Bird Construction Co., [1995] 1 R.C.S. 85; Cooper c. Hobart, [2001] 3 R.C.S. 537, 2001 CSC 79.

47     La première étape de l'analyse consiste donc à savoir s'il existe un rapport suffisamment étroit entre le demandeur et le défendeur pour qu'à première vue ce dernier soit tenu à une obligation de diligence envers le demandeur. Notre Cour et d'autres tribunaux se sont maintes fois penchés sur les circonstances donnant naissance à cette obligation depuis que lord Atkin a énoncé le principe du prochain dans l'arrêt Donoghue c. Stevenson, [1932] A.C. 562 (H.L.), page 580 :

     [TRADUCTION] Le commandement tu aimeras ton prochain devient en droit : tu ne léseras pas ton prochain. À la question de l'avocat : Qui est mon prochain? on donnera une réponse restrictive. Il faut agir avec diligence raisonnable pour éviter des actes ou omissions lorsqu'on peut raisonnablement prévoir qu'ils sont susceptibles de léser son prochain. Qui alors est mon prochain en droit? La réponse semble être : les personnes qui sont de si près et si directement touchées par mon acte que je devrais raisonnablement les avoir à l'esprit comme ainsi touchées lorsque je songe aux actes ou omissions qui sont mis en question.

     Comme l'a fait remarquer avec éloquence le professeur J. G. Fleming, cet extrait qui sert de préambule sacro-saint aux analyses judiciaires sur l'obligation contient pourtant une ambiguïté fatale : The Law of Torts (9e éd. 1998), page 151. Plus précisément, lorsqu'on se réfère aux personnes qui sont de si près et si directement touchées par la conduite en question que le défendeur devrait raisonnablement les avoir à l'esprit, parle-t-on de prévisibilité du préjudice et d'obligation? Ou doit-il y avoir plus que la simple prévisibilité du préjudice?

48      Dans l'arrêt Cooper, précité, la Cour a clairement retenu la dernière approche. Au paragraphe 29 de leurs motifs conjoints, la juge en chef McLachlin et le juge Major ont dit qu'il devait y avoir une prévisibilité raisonnable du préjudice, « plus autre chose » . Au paragraphe 31, ils ont conclu que cette « autre chose » était la proximité : pour que le défendeur soit tenu envers le demandeur à une obligation de diligence, la prévisibilité raisonnable du préjudice doit se doubler de la proximité. Ce n'est que si le préjudice est une conséquence raisonnablement prévisible de la conduite en question et que les parties sont liées entre elles par un degré suffisant de proximité qu'on peut conclure à l'existence d'une obligation de diligence prima facie. Qu'entend-on alors précisément par proximité?


49      La juge en chef McLachlin et le juge Major ont conclu au par. 32 que, dans le contexte du droit en matière de négligence, le terme « proximité » servait à décrire le genre de lien permettant de justifier l'imposition de l'obligation de diligence en tant que protection contre le préjudice prévisible. Comme notre Cour l'a énoncé dans l'arrêt Hercules Managements Ltd. c. Ernst & Young, [1997] 2 R.C.S. 165, par. 24 :

     L'expression « lien étroit » , utilisée par lord Wilberforce dans l'arrêt Anns, précité, visait clairement à laisser entendre que les circonstances entourant le lien existant entre le demandeur et le défendeur sont telles qu'on peut affirmer que le défendeur est tenu de se soucier des intérêts légitimes du demandeur dans la gestion de ses affaires.

50      L'examen consiste donc essentiellement à apprécier la nature de ce lien afin de déterminer s'il est juste et équitable d'imposer une obligation de diligence au défendeur. Les facteurs pertinents à cet égard dépendent des circonstances de l'affaire. Comme la juge McLachlin (maintenant Juge en chef) l'a dit dans l'arrêt Norsk, précité, page 1151, « [l]e lien étroit peut être utilement considéré non pas tellement comme un critère en soi, mais comme une notion large qui peut inclure différentes catégories d'affaires comportant différents facteurs » (cité avec approbation dans les arrêts Hercules Managements, précité, par. 23, et Cooper, précité, par. 35). Parmi les facteurs qui peuvent s'avérer pertinents quant à l'examen, mentionnons les attentes des parties, les déclarations, la confiance, ainsi que la nature des biens en cause et d'autres intérêts en jeu.

51        À la seconde étape du critère de l'arrêt Anns, le juge de première instance doit se demander s'il existe des considérations de politique résiduelles susceptibles d'écarter l'obligation de diligence, d'en réduire la portée ou de limiter la catégorie des personnes à qui elle est due. Dans l'arrêt Cooper, la juge en chef McLachlin et le juge Major ont écrit au par. 37 qu'à cette étape de l'analyse, ces considérations ne portent pas sur le lien existant entre les parties, mais bien sur l'effet que la reconnaissance d'une obligation de diligence aurait sur les autres obligations légales, sur le système juridique et sur la société en général. À ce stade de l'analyse, il s'agit de savoir s'il existe une considération de politique générale au regard de laquelle l'imposition d'une obligation de diligence serait malavisée, et ce même si le préjudice était une conséquence raisonnablement prévisible de la conduite en question et que les parties étaient liées par un degré suffisant de proximité pour que l'imposition d'une obligation ne soit pas injuste.

C. L'application du critère de l'arrêt Anns


[107]        Pour décider si les défendeurs ont une obligation de diligence envers les demanderesses concernant l'immobilisation du Lantau Peak, l'analyse doit porter sur les trois questions exposées par le juge Iacobucci au paragraphe 52 d'Odhavji : les deux premières questions doivent recevoir une réponse positive et la troisième une réponse négative pour que le tribunal puisse conclure à l'existence d'une obligation de diligence.

1.        Le préjudice reproché est-il une conséquence raisonnablement prévisible du manquement allégué?

[108]        Je retiens l'argument des demanderesses selon lequel il est incontestable que les inspecteurs Warna et Hall, le capitaine Nelson et M. Streeter savaient que l'immobilisation du navire entraînerait une perte de revenus et qu'il existait une différence importante, sur le plan des coûts, entre le fait d'effectuer les réparations en Chine et non au Canada. Sur ce point, il est également incontestable que le préjudice reproché en l'espèce, à savoir le coût supplémentaire des réparation, les pertes reliées à la suspension d'affrètement et les dommages connexes, étaient raisonnablement prévisibles si le tribunal conclut que l'immobilisation constituait une faute.

2.        Existe-t-il un lien suffisamment étroit entre les parties, de sorte qu'il ne serait pas injuste ou inéquitable d'imposer une obligation de diligence aux défendeurs?

[109]        Dans l'arrêt Odhavji, des policiers avaient tiré des coups de feu qui avaient entraîné la mort d'une personne et ils n'avaient pas ensuite respecté leur obligation légale de collaborer à l'enquête interne déclenchée au sujet de cet événement et, outre d'autres réclamations, la famille du défunt poursuivait le chef de police en invoquant les souffrances morales découlant de son omission fautive de veiller à ce que les membres du corps policier exercent leurs fonctions comme l'exige la loi. Le juge Iacobucci a examiné cette demande et a déclaré ce qui suit au sujet de la proximité au paragraphe 55 :


55       Nous devons ensuite nous demander s'il existe une proximité suffisante entre les parties pour qu'une obligation de diligence puisse incomber à juste titre au chef. Il se peut que les appelants puissent démontrer qu'il était raisonnablement prévisible que l'inconduite alléguée leur causerait des problèmes psychiatriques, mais la prévisibilité à elle seule ne saurait justifier l'existence d'une obligation prima facie de diligence. Outre la prévisibilité, les appelants doivent démontrer qu'il est juste et équitable d'imposer au chef une obligation de droit privé de veiller à ce que les agents défendeurs collaborent avec l'UES. Un large éventail de facteurs peuvent s'avérer pertinents à cet égard, y compris un lien étroit de causalité, les attentes des parties ainsi que toute obligation présumée ou imposée. Voir par exemple Norsk, précité, page 1153; Martel Building Ltd. c. Canada, [2000] 2 R.C.S. 860, 2000 CSC 60, par. 51-52; Cooper, précité, par. 35.

[110]        Les demandeurs s'inspirent des observations du juge Iacobucci pour formuler leurs arguments portant sur la proximité :

[traduction] À la différence de l'affaire Odhavji, il est incontestable que la condition de proximité est remplie en l'espèce étant donné qu'il existe un lien causal direct entre la faute des défendeurs et le préjudice en question. Plus précisément, il est clair que l'immobilisation injustifiée a empêché toute exploitation du navire et par conséquent, a entraîné les conséquences économiques qui en découle. Formulé différemment, si ce n'était des gestes posés par M. Warna et M. Hall pour délivrer un ordre de détention, les membrures des cales 3 et 9 du navire auraient été réparées comme cela avait été prévu au départ et le navire aurait appareillé pour le Japon avec une pleine cargaison. M. Warna et M. Hall ayant immobilisé le navire, cela n'a pu se produire. Étant donné que Sa Majesté a omis, une fois l'appel interjeté, de l'examiner rapidement ou de finalement infirmer la décision des inspecteurs, d'autres dommages ont été subis, sous la forme d'une augmentation des dépenses relatives au remplacement des membrures à Vancouver.

Nous soutenons par conséquent que la condition de proximité est clairement remplie en l'espèce. C'est une affaire très claire. M. Warna et M. Hall ont effectivement rencontré à plusieurs reprises divers représentants des demanderesses, tout comme l'ont fait M. Nelson et d'autres. M. Warna et M. Hall étaient parfaitement au courant des conséquences qu'auraient leurs actes. De la même façon, M. Streeter savait très bien que chaque jour qui passait sans que soit prise de mesure ou de décision causait des pertes aux demanderesses. Pour parler franchement, il est difficile d'imaginer une affaire où le lien causal serait plus étroit.

...


Pour ce qui est des attentes des parties, il est inutile de préciser que les demanderesses ne s'attendaient pas à ce que leur navire soit immobilisé sans qu'il existe une cause valable pour le faire. M. Streeter lui-même ne s'attendait pas à ce que des navires soient immobilisés en l'absence de cause valable. Il s'attendait également à ce que des inspections suffisantes soient effectuées, ce qui n'a pas été le cas. La Convention SOLAS prévoit même que les navires ne doivent pas être retenus « indûment » . Il est clair qu'il y avait ces attentes et que celles-ci n'ont pas été respectées. (PCA, pages 64 et 65)

De leur côté, les défendeurs présentent l'argument suivant au sujet de la proximité :

[traduction] Contrairement aux observations des demanderesses (pages 63-64), la question du lien de causalité n'a rien à voir avec celle de la proximité.

La Couronne est également proche de tous les citoyens lorsqu'une loi est adoptée dans l'intérêt public par opposition au cas où elle est adoptée dans l'intérêt d'une certaine catégorie de la population. En l'espèce, il incombe aux demanderesses d'établir les circonstances spéciales et particulières qui créent un droit légal découlant de la Loi.

Les inspecteurs prêtent le serment d'exécuter leurs fonctions officielles de façon impartiale et dans l'intérêt public. Ils n'entretiennent aucune relation ou une relation insuffisamment étroite avec les propriétaires, pour que cela justifie de leur imposer une obligation de diligence. D'autres facteurs semblent indiquer que le législateur n'avait pas l'intention de leur imposer une obligation de diligence. Les services d'inspection prévus par la Loi ressemblent aux services similaires que prévoient d'autres lois fédérales et provinciales qui ont pour but de promouvoir la santé et la sécurité de la population, p. ex., transports, aliments et drogues. La Loi n'indique aucunement que le législateur ait eu l'intention d'imposer une obligation de diligence aux fonctionnaires dont les fonctions en matière d'enquête et d'inspection ont pour but de protéger la sécurité de tous les marins et l'environnement marin.

Si le tribunal concluait à une proximité suffisante et à l'existence d'une obligation de diligence envers les propriétaires de navire, cela créerait un risque de conflit avec les autres parties qui sont exposées à des risques plus graves et à un préjudice irréparable. Les propriétaires de navires assument une obligation qu'ils ne peuvent déléguer à autrui, celle de maintenir leurs navires en état de navigabilité. De toutes les parties susceptibles de subir un préjudice, ce sont les propriétaires de navires qui ont le moins besoin de la protection qu'offre la Loi et qui la méritent le moins.

Les demanderesses n'ont pas été amenées à se fier aux inspecteurs. Les parties ne se connaissaient pas avant que le « Lantau Peak » soit immobilisé. L'existence d'une relation de confiance n'a pas été plaidée; les demanderesses n'allèguent pas que des déclarations auraient été faites. Aucun conseil n'a été fourni. Il n'y avait pas de relations contractuelles entre les parties. (OPG, page 93)

J'estime que les arguments des demanderesses sont probants, étant donné qu'ils répondent directement aux critères proposés et exposés dans l'arrêt Odhavji par le juge Iacobucci et qu'ils analysent avec précision les éléments à l'origine de l'immobilisation du navire.

[111]        J'estime que le Mémorandum est l'aspect essentiel qui établit la proximité. L'entente visant à établir un mécanisme de contrôle des navires par l'État du port a créé un lien de causalité étroit entre les inspections et le préjudice susceptible d'en découler. Aux termes du Mémorandum, et en particulier compte tenu de la règle 19f) de la Convention SOLAS, les parties peuvent légitimement s'attendre à ce que les inspections soient effectuées de façon à ne pas causer d'immobilisation indue ou de retard indu. En outre, selon la règle 19b), il faut qu'il existe de « bonnes raisons » de penser que des certificats valides ne représentent pas l'état du navire pour procéder à des inspections détaillées. Ces attentes imposent aux inspecteurs l'obligation de faire preuve de prudence lorsqu'ils effectuent des inspections.

[112]        J'estime qu'il ne serait pas injuste ou inéquitable d'imposer une obligation de diligence aux défendeurs, compte tenu du fait que le Canada a accepté d'être une Autorité aux termes du Mémorandum.

3. Existe-t-il des considérations de politique générale qui écartent ou restreignent la portée de cette obligation?

[113]        Les défendeurs présentent un certain nombre de motifs justifiant de soustraire les inspecteurs d'un navire à vapeur à cette obligation. Les voici :

[traduction] Les considérations de politique générale qui justifient de soustraire à une obligation de diligence les inspecteurs qui exercent leurs fonctions aux termes de l'article 310 comprennent ce qui suit :


a.        La reconnaissance d'une obligation de diligence compromettrait la mise en oeuvre du régime d'inspection des vraquiers, le régime de contrôle des navires par l'État du port et les obligations internationales du Canada en général, en particulier celles que prévoit la Convention internationale de 1974 pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (SOLAS).

b.        Les propriétaires de navires ne font pas partie de la catégorie des personnes que le régime législatif créé visait à protéger. La Loi a pour but de protéger l'intérêt général et les intérêts privés contre les propriétaires de navires négligents. Le législateur n'a pas adopté les dispositions relatives au Bureau d'inspection des navires à vapeur de la Loi pour protéger les intérêts économiques des propriétaires de navires. Il est évident que le législateur avait l'intention de faire de la protection des marins et de l'environnement marin les principaux objectifs de cette Loi.

c.        La reconnaissance d'une obligation de diligence aurait pour effet de créer une responsabilité illimitée envers une catégorie illimitée de propriétaires de navires, une perspective très inquiétante. En fait, le législateur devait savoir que l'immobilisation d'un navire entraînerait nécessairement un préjudice économique pour le propriétaire mais a décidé de ne pas indemniser, comme cela est prévu aux articles 392 et 397 de la Loi, les propriétaires dont les navires sont détenus aux termes de l'article 310 de la Loi. Si les propriétaires de navires, les personnes qui n'ont pas besoin de la protection de la Loi, bénéficient d'une obligation de diligence, il est difficile de soutenir qu'il n'existe pas d'obligation de droit privé envers les marins, les propriétaires de cargaisons, les affréteurs et les propriétaires d'installations de loisirs qui pourraient être endommagées par la pollution par les hydrocarbures. Le législateur n'a pu avoir l'intention d'imposer un risque financier illimité.

d.        La reconnaissance d'une obligation de diligence envers les propriétaires de navires irait à l'encontre des obligations qu'assument les inspecteurs envers le public en général et les objectifs de la Loi.

e.        Il ne serait pas équitable, juste et raisonnable, et en fait cela serait contraire au bon sens et à la raison, de récompenser ou d'indemniser les propriétaires de navires qui ne respectent pas les normes pour leur manque de diligence et la violation d'une obligation qu'ils ne peuvent déléguer à d'autres, à savoir celle de garder leurs navires en bon état de navigabilité. On ne saurait imposer aux inspecteurs l'obligation de protéger les propriétaires de navires contre leur propre imprudence.

f.         La reconnaissance d'une telle obligation aurait pour effet de créer un régime d'assurance financé par les contribuables canadiens qui n'ont pas accepté d'assumer le risque d'indemniser le préjudice de droit privé subi par les propriétaires de navires inférieurs aux normes.

g.        La Loi fournit déjà un recours au propriétaire de navire. Le législateur a voulu que les décisions des inspecteurs et des gardiens de port puissent être révisées, comme cela est prévu par la Loi [article 308] et uniquement de cette façon. Le ministre a le dernier mot sur le maintien de l'immobilisation du navire mais la décision du ministre peut faire l'objet d'une demande de contrôle judiciaire.


h.        Le législateur n'a pas eu l'intention d'exposer les inspecteurs qui exercent des fonctions publiques à des poursuites en responsabilité de droit privé ni à permettre une contestation indirecte du bien-fondé de leur décision au moyen d'une action en responsabilité.

i.        Il ne serait pas équitable, juste ni raisonnable d'imposer une obligation de droit privé en matière de diligence à des inspecteurs chargés par le législateur de l'obligation publique d'inspecter les navires dans le but de promouvoir la sécurité en mer. Cela est particulièrement approprié compte tenu du fait que les inspecteurs sont personnellement chargés de mettre en oeuvre la volonté du législateur.

j.        Les inspecteurs doivent tenir compte de diverses considérations complexes et techniques pour former un avis et prendre des décisions sur des questions au sujet desquelles des personnes raisonnables pourraient avoir des opinions différentes. Il serait préjudiciable à l'administration de la Loi de leur imposer une obligation de diligence envers les propriétaires de navires dans ces circonstances.

k.        Les propriétaires de navires ont l'obligation , obligation qu'ils ne peuvent déléguer à d'autres, de conserver leurs navires en bon état de navigabilité. Il ne serait pas équitable, juste ni raisonnable d'ajouter une obligation de common law à un cadre légal et à des ententes internationales qui ont pour objectif de mettre à l'écart les navires qui sillonnent les mers s'ils ne respectent pas les normes applicables.

l.         Imposer une obligation de diligence dans cette situation favoriserait la multiplication des poursuites au détriment de l'administration, de la mise en oeuvre de la Loi et de la réalisation de ses objectifs. La réalisation des objectifs de la Loi serait compromise par l'affectation de ressources pour se défendre contre les poursuites intentées par des propriétaires de navires étrangers qui sont les seuls responsables de leur propre infortune.

m.       Il existe déjà un mécanisme efficace de surveillance et de contrôle des décisions des inspecteurs ainsi qu'un mécanisme d'appel qui permet de les réviser. L'imposition d'une obligation de diligence n'améliorerait pas la qualité des inspections mais compromettrait la réalisation des objectifs de la Loi.

n.        Étendre la responsabilité délictuelle à la surveillance des inspections effectuées par les inspecteurs et de l'immobilisation des navires, et inévitablement les inspections prévues par les autres lois et règlements en matière de santé et de sécurité, amènerait les tribunaux à réviser des décisions prises dans l'exercice de fonctions réglementaires importantes. Les tribunaux risqueraient d'être amenés à évaluer le bien-fondé des décisions prises par des inspecteurs de la santé et de l'hygiène publiques et les amèneraient ainsi à aborder des domaines décisionnels complexes pour lesquels les tribunaux sont mal préparés. Pourvu que les inspecteurs et les autres fonctionnaires agissent dans le cadre de leurs fonctions et dans un but approprié, leurs décisions ne devraient pas pouvoir être contestées par le biais d'un élargissement des règles de la responsabilité délictuelle.


o.       L'imposition d'une obligation de droit privé en matière de diligence et la menace de poursuites qui en découlerait aurait un effet paralysant; les inspecteurs seraient naturellement enclins à exercer leurs fonctions dans un état d'esprit défensif au détriment de la réalisation des objectifs du législateur en matière de sécurité en mer.

[114]        Comme cela est évident, ces arguments portent principalement sur l'article 310 de la Loi. J'estime que ces arguments ne sont pas probants, non pas seulement parce que j'ai conclu que l'article 310 n'était pas le pouvoir justifiant l'immobilisation du navire, mais parce qu'ils ne tiennent pas compte d'un aspect essentiel sur lequel repose l'immobilisation, à savoir le régime de contrôle des navires par l'État du port mis sur pied par le Mémorandum. Cet aspect est bien traité par les demanderesses, comme suit :

[traduction] La troisième question est celle de savoir s'il existe des considérations de politique générale qui écartent ou restreignent cette obligation. Nous soutenons qu'il n'existe aucune considération de politique générale ayant cet effet. En fait, le droit des inspecteurs de monter à bord des navires et de procéder à des inspections de contrôle par l'État du port découle du Mémorandum en question. Avant ce Mémorandum, les inspecteurs de navires à vapeur ne pouvaient procéder à ces inspections.

Ce n'est qu'une fois le Mémorandum accepté, les inspecteurs de navires à vapeur ont commencé à effectuer le genre d'inspections dont il s'agit ici. Ils l'ont fait en étant parfaitement au courant du fait que la Convention SOLAS obligeait les autorités à indemniser les propriétaires en cas d'immobilisation injustifiée. Compte tenu de ce cadre législatif et international, il est difficile d'imaginer des circonstances qui, sur le plan des considérations de politique générale, justifieraient de soustraire les inspecteurs canadiens et le gouvernement canadien aux réclamations comme celle qui est présentée en l'espèce. Une telle politique irait à l'encontre des obligations internationales du Canada telle qu'elles sont reconnues par la Convention SOLAS, ce qui serait contraire au principe général selon lequel il faut interpréter le droit canadien conformément aux obligations internationales canadiennes, et dans le contexte du droit maritime, les conventions internationales doivent être prises en compte lorsqu'il s'agit de mettre en oeuvre la common law. (Voir Driedger on the Construction of Statutes (3rd ed., Toronto), page 330 et Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437, aux pages 494 et 495).

Formulé différemment, il serait contraire aux obligations juridiques internationales du Canada d'adopter une politique (et non une loi) qui interdirait à un propriétaire de navire d'obtenir réparation en cas d'immobilisation injustifiée, compte tenu de l'obligation que l'on trouve à la règle 19f) du chapitre 1 de la Convention SOLAS. ...

Nous soutenons qu'il n'existe aucune considération de politique générale qui puisse écarter ou restreindre l'obligation qu'avaient les défendeurs envers les demanderesses en l'espèce.


[115]        Je retiens l'argument des demanderesses et conclus qu'il n'existe aucune considération de politique générale susceptible d'écarter ou de limiter l'obligation dont il s'agit ici. Il est clair que les Autorités signataires du Mémorandum ont accepté que la sécurité des navires battant leur pavillon était leur responsabilité conjointe. Elles n'ont certainement toutefois pas accepté que cette responsabilité puisse être exercée de façon fautive. Bien au contraire; il existe une entente explicite selon laquelle lorsque l'État du pavillon commet une faute, il doit s'attendre à en être tenu responsable.

[116]        Pour ce qui est de l'imposition d'une obligation de diligence, il y a une question qui a fait l'objet d'un débat, à savoir celle de savoir si la décision d'immobiliser un navire est une décision de politique ou une décision opérationnelle. Cette question a été soulevée à cause du principe selon lequel la norme de diligence appliquée par les tribunaux pour déterminer s'il y a eu manquement à une obligation de diligence ne s'applique pas à une décision de politique mais à une décision opérationnelle (voir : Just c. Colombie-Britannique, [1989] 2 R.C.S. 1228, aux pages 1239 à 1243). J'estime qu'il est incontestable que l'immobilisation du Lantau Peak constituait une décision opérationnelle, prise à titre de mesure de contrôle des navires par l'État du port en vertu du Mémorandum.

C. Conclusion

[117]        En résultat, j'estime que la réponse à la question est positive; les demanderesses peuvent effectivement poursuivre en responsabilité les défendeurs pour leur conduite à l'égard de l'immobilisation du navire.

                             IV. La question de la preuve :

                            Les inspecteurs Warna et Hall,

                                    et leurs superviseurs,

      ont-ils commis une faute dans l'exercice de leurs fonctions

               pour ce qui est de l'inspection du Lantau Peak?

[118]        Les demanderesses soutiennent que les défendeurs ont commis une faute à l'égard de trois éléments essentiels de l'immobilisation du Lantau Peak : les motifs de l'immobilisation, la durée de l'immobilisation du navire et les conditions de sa libération. La faute des défendeurs s'apprécie en comparant leur comportement avec la norme de diligence qu'ils devaient respecter.

[119]        La Cour suprême du Canada a exposé la norme générale de diligence dans l'arrêt Ryan c. Victoria (Ville), [1999] 1 R.C.S. 201, dans lequel le juge Major déclare ce qui suit aux paragraphes 28 et 29 :


Une conduite est négligente si elle crée un risque de préjudice objectivement déraisonnable. Pour éviter que sa responsabilité ne soit engagée, une personne doit agir de façon aussi diligente que le ferait une personne ordinaire, raisonnable et prudente placée dans la même situation. Le caractère raisonnable d'une conduite dépend des faits de chaque espèce, y compris la probabilité qu'un préjudice connu ou prévisible survienne, la gravité de ce préjudice, et le fardeau ou le coût qu'il faudrait assumer pour le prévenir. En outre, on peut se fonder sur les indices externes de conduite raisonnable tels que l'usage, la pratique dans l'industrie concernée et les normes législatives ou réglementaires.

[Non souligné dans l'original]

[120]        Il faut donc commencer par établir la norme de diligence que devrait exercer une personne ordinaire, raisonnable et prudente placée dans la même situation que les défendeurs au sujet de chacun des éléments suivants : les motifs de l'immobilisation, la durée de l'immobilisation du navire et les conditions dont sa libération était assortie.

[121]        Il n'est pas difficile de découvrir quel est le point de départ à utiliser pour établir la norme de diligence applicable aux circonstances particulières de l'immobilisation du Lantau Peak à titre de mesure de contrôle par l'État du port; la norme de conduite dans ce domaine, pour ce qui est du transport maritime dans la région Asie-Pacifique, est établie par le Mémorandum. C'est-à-dire que si la présente action n'est pas directement fondée sur les dispositions du Mémorandum mais plutôt sur un délit civil reconnu par la common law maritime et si le défaut d'adopter un comportement conforme à celui qui est exposé dans le Mémorandum ne prouve pas nécessairement qu'il y a eu faute, le Mémorandum joue néanmoins un rôle important dans l'établissement de la norme de diligence exigée pour immobiliser un navire aux termes de ses dispositions.


[122]        Comme cela a déjà été mentionné dans la section II au sujet d'une immobilisation ordonnée aux termes du Mémorandum et fondée sur la Convention SOLAS, l'usage qui reflète la norme de diligence dans ce secteur d'activité est exposé en termes généraux par la règle 19f) de la Convention SOLAS :

f)         Dans l'exercice du contrôle en vertu des dispositions de la présente règle il convient d'éviter, dans toute la mesure du possible, de retenir ou de retarder indûment le navire. Tout navire qui a été retenu ou retardé indûment par suite de l'exercice de ce contrôle a droit à réparation pour les pertes ou dommages subis.

[123]        Pour qu'un inspecteur chargé d'appliquer le Mémorandum évite de retenir ou retarder indûment un navire, il faut que cet inspecteur comprenne ce qui constitue une immobilisation ou un retard justifié. Certaines dispositions du Mémorandum qui sont d'ailleurs citées dans la section II ci-dessus et auxquelles nous ferons référence plus loin ici, ainsi que les lignes directrices contenues dans le Asia-Pacific Port State Control Manual, publié par le Tokyo MOU Secretariate ( « le Manuel » ) contiennent des directives sur cette question. Il est admis que les documents qui se trouvent sous l'onglet 219 du volume 6 du dossier de l'instruction est le Mémorandum et les parties pertinentes du Manuel applicables à partir de l'immobilisation du navire jusqu'à sa libération.

A. Les motifs de l'immobilisation

1. La norme de diligence

[124]        L'article 2.2 du Mémorandum énonce que, dans l'application de la Convention SOLAS et des autres conventions maritimes en matière de sécurité, chaque Autorité ayant accepté le Mémorandum « est guidée par les normes exposées dans le chapitre 3 du Manuel » .

[125]        Le chapitre 3 du Manuel, adopté le 23 novembre 1995, est un exposé très détaillé des attentes en matière des activités relatives au contrôle des navires exercé par l'État du port aux termes du Mémorandum. La section 1.1 se lit ainsi :

Le présent document a pour objet de donner des indications de base sur les manières d'effectuer des inspections dans le cadre du contrôle des navires par l'État du port et vise à garantir une uniformité dans l'exécution de ces inspections, la reconnaissance des défectuosités du navire et de son armement ou des lacunes de son équipage et l'application des procédures de contrôle (volume 6, onglet 219, page 1862).

[126]        L'article 1.4 prévoit que, aux termes de la Convention SOLAS et d'autres conventions « les autorités de l'État du port devraient se fonder sur ces dispositions pour déterminer si ces navires présentent des défectuosités qui peuvent les rendre inférieurs aux normes (voir le paragraphe 4.1) et pour veiller à ce que des mesures correctives soient prises » .

[127]        L'article 3.1 du Mémorandum énonce en partie que si, au cours d'une inspection du navire par l'État du port il existe [traduction] « de bonnes raisons de penser... que l'état du navire ou de son armement, ou son équipage ne correspond pas pour l'essentiel aux indications portées sur les certificats... il faut effectuer une inspection plus détaillée de la manière décrite dans le présent Manuel » .

[128]        Pour ce qui est du sens de l'expression « bonnes raisons » utilisée dans l'article 3.1 du Mémorandum, l'article 3.2.1.1 énonce que « les autorités considèrent comme des "bonnes raisons"... des indications faisant apparaître des anomalies graves, compte tenu en particulier du Manuel » . L'article 3.2.2 du Mémorandum fait référence à l'article 2.3 du chapitre 3 du Manuel pour des exemples de « bonnes raisons » de procéder à une inspection détaillée.


[129]        L'article 2.3 du Manuel mentionné dans l'article 3.2.2 du Mémorandum fait partie d'un exposé général des attentes en matière d'inspection. Les voici :

[traduction]

2.2      INSPECTIONS

2.2.1 Conformément aux procédures de contrôle à appliquer en vertu des conventions applicables à la suite, par exemple, de la réception, par un État d'un port de renseignements relatifs à un navire, un fonctionnaire chargé du contrôle des navires de l'État du port peut se rendre au poste d'amarrage du navire et avant de monter à bord, peut, d'après l'apparence de ce navire sur l'eau, se faire une idée de la qualité de son entretien à partir d'éléments tels que l'état de sa peinture, la présence de corrosion ou de piqûres ou de dommages non réparés.

2.2.2 Le fonctionnaire chargé du contrôle des navires par l'État du port devrait vérifier dès que possible l'année de construction et les dimensions du navire afin de déterminer les dispositions des conventions qui lui sont applicables.

2.2.3 Une fois à bord et dès sa prise de contact avec le capitaine ou l'officier responsable du navire, le fonctionnaire chargé du contrôle des navires par l'État du port devrait examiner les certificats et documents pertinents du navire dont la liste figure à l'appendice 4.

2.2.4 Si les certificats sont en cours de validité et si ses impressions générales et les observations visuelles qu'il a faites à bord confirment que la qualité de l'entretien est satisfaisante, le fonctionnaire chargé du contrôle des navires par l'État du port devrait généralement limier son inspection aux défectuosités qui ont été signalées ou observées.

2.2.5 Toutefois, si le fonctionnaire chargé du contrôle des navires par l'État du port a de bonnes raisons de penser, sur la base de ses impressions générales ou des observations faites à bord, que le navire, son armement ou son équipage ne satisfont pas en substance aux prescriptions, il devrait procéder à une inspection plus détaillée, en tenant compte du chapitre 3.

2.3     BONNES RAISONS

Les « bonnes raisons » d'effectuer une inspection détaillée sont notamment :

.1      le fait que le navire n'est pas pourvu de l'armement essentiel requis par les conventions ou n'est pas aménagé de la manière prescrite par ces conventions;

.2      la preuve constatée lors de l'examen des certificats du navire, que un ou plusieurs d'entre eux ne sont pas en cours de validité;

.3      la preuve que les registres, manuels du navire ou autre document requis ne se trouvent pas à bord, qu'ils ne sont pas tenus à jour ou que des indications erronées y sont portées;


.4      la preuve, fondée sur les impressions générales et les observations du fonctionnaire chargé du contrôle des navires par l'État du port, que la coque ou la structure présente des dommages ou défectuosités importants qui compromettent l'intégrité du navire, que ce soit l'intégrité de la structure, l'étanchéité à l'eau ou l'étanchéité aux intempéries;

.5      la preuve, fondée sur les impressions générales ou les observations du fonctionnaire chargé du contrôle des navires par l'État du port, que le matériel de sécurité, l'équipement utilisé aux fins de prévention de la pollution ou le matériel de navigation présente de graves défectuosités;

.6      l'indication ou la preuve que le capitaine ou l'équipage n'est pas au fait des opérations essentielles à bord du point de vue de la sécurité des navires ou de la prévention de la pollution ou que ces opérations n'ont pas été effectuées;

.7      l'indication que les membres de l'équipage ne sont peut-être pas capables de communiquer entre eux ou avec les autres personnes à bord;

.8      l'absence d'un rôle d'appel à jour, d'un plan de lutte contre l'incendie et pour les navires à passagers, d'un plan de lutte contre les avaries;

.9      l'émission de fausses alertes de détresse qui ne sont pas suivies de procédures d'annulation correctes;

.10    la réception d'un rapport ou d'une plainte contenant des renseignements selon lesquels un navire ne répondrait pas aux normes prescrites. [Non souligné dans l'original]

L'article 2.3.4 est particulièrement important. J'estime que cette disposition donne clairement à l'inspecteur une directive qui porte sur deux points : l'existence de « bonnes raisons » de procéder à une inspection détaillée lorsqu'une inspection rapide permet de contester l'existence de graves détériorations ou défectuosités structurelles ou de la coque » et par déduction, si ce n'est pas la conclusion qui s'impose, il n'est alors pas nécessaire de procéder à une inspection détaillée.

[130]        Les dispositions suivantes du chapitre 3 du Manuel sont également importantes :

[traduction]

2.6      DIRECTIVES GÉNÉRALES CONCERNANT LES PROCÉDURES À SUIVRE PAR LES FONCTIONNAIRES CHARGÉS DU CONTRÔLE DES NAVIRES PAR L'ÉTAT DU PORT


2.6.1 Le fonctionnaire chargé du contrôle des navires par l'État du port devrait utiliser sa capacité de jugement dans l'exercice de toutes les tâches qui lui ont été assignées et envisager de consulter des spécialistes lorsqu'il le juge approprié.

2.6.2 Lorsqu'il monte à bord d'un navire, le fonctionnaire chargé du contrôle des navires par l'État du port devrait montrer au capitaine ou au représentant du propriétaire du navire, son document d'identité si on le lui demande. Ce document devrait être accepté comme prouvant que le fonctionnaire est dûment autorisé par l'Administration de l'État du port à effectuer des inspections dans le cadre du contrôle des navires.

2.6.3 Si le fonctionnaire chargé du contrôle des navires par l'État du port a de bonnes raisons de procéder à une inspection plus détaillée, il devrait en informer immédiatement le capitaine et lui faire savoir qu'il peut, s'il le souhaite, prendre contact avec l'Administration, ou le cas échéant, l'organisme reconnu responsable de la délivrance des certificats, et demander à ce qu'ils soient présents à bord.

2.6.4 Lorsqu'une inspection est entreprise sur la base d'un rapport ou d'une plainte, surtout si cette plainte émane d'un membre de l'équipage, la source ne devrait pas être divulguée.

2.6.5 Dans l'exercice du contrôle, il conviendrait d'éviter, dans toute la mesure du possible, de retenir ou de retarder indûment le navire. Il conviendrait de garder à l'esprit que l'objectif principal du contrôle exercé par l'État du port est d'empêcher un navire d'appareiller s'il ne satisfait pas aux normes de sécurité ou s'il présente un risque de dommage excessif pour le milieu marin. Le fonctionnaire chargé du contrôle devrait faire appel à son jugement professionnel pour décider s'il doit retenir le navire jusqu'à ce qu'il ait été remédié aux défectuosités ou l'autoriser à appareiller malgré certaines défectuosités, compte tenu des circonstances particulières du voyage prévu.

2.6.6 Il faudrait tenir compte du fait que tout armement peut subir une défaillance et que des pièces de rechange ou des pièces détachées risquent de ne pas être disponibles immédiatement. Dans ce cas, il ne faudrait pas causer un retard indu si, de l'avis du fonctionnaire chargé du contrôle par l'État du port, il a été pris d'autres dispositions garantissant la sécurité du navire.

2.6.7 Lorsqu'un navire a subi des dommages accidentels et lorsqu'il arrive dans un port pour y être examiné ou réparé, l'État du port peut évaluer les mesures correctives qui sont envisagées. S'il est établi que des mesures correctives adéquates ont été prises pour que le navire puisse appareiller en toute sécurité, il ne faudrait pas ordonner l'immobilisation du navire.


2.6.8 Étant donné que la décision de retenir un navire est lourde de conséquences, il peut être dans l'intérêt du fonctionnaire chargé du contrôle par l'État du port d'agir en collaboration avec les autres parties intéressées. Ce fonctionnaire peut, par exemple, demander aux représentants du propriétaire de formuler des propositions en vue de remédier à la situation. Il peut également coopérer avec les représentants de l'Administration de l'État du pavillon ou l'organisme reconnu chargé de délivrer les certificats pertinents et les consulter pour savoir s'ils acceptent les propositions du propriétaire et s'ils veulent éventuellement imposer des conditions supplémentaires. Sans limiter d'aucune façon les pouvoirs du fonctionnaire chargé du contrôle par l'État du port, la participation d'autres parties pourrait permettre d'améliorer la sécurité du navire, d'éviter tout différend ultérieur sur les circonstances de l'immobilisation et s'avérer utile au cas où des poursuites seraient engagées pour cause de « retard indu » .

2.6.9 Lorsqu'il n'est pas possible de remédier à certaines défectuosités dans le port où l'inspection a été effectuée, le fonctionnaire chargé du contrôle par l'État du port peut autoriser le navire à appareiller pour se rendre dans un autre port dans les conditions qu'il jugera appropriées. Le fonctionnaire chargé du contrôle par l'État du port devrait veiller alors à ce que les autorités compétentes du port d'escale suivant et de l'État du pavillon en soient informées.

2.6.10         Les rapports sur les immobilisations de navires qui sont communiqués à l'État du pavillon devraient être suffisamment détaillés pour que l'on puisse évaluer la gravité des défectuosités qui sont à l'origine de l'immobilisation.

2.6.11         Pour garantir une application systématique des prescriptions relatives au contrôle des navires par l'État du port, le fonctionnaire chargé de ce contrôle devrait avoir sur lui une copie de 2.6 (Directives générales concernant les procédures à suivre par les fonctionnaires chargés du contrôle des navires par l'État du port) pour qu'il puisse s'y référer facilement lorsqu'il effectue une inspection dans le cadre du contrôle des navires par l'État du port.

CHAPITRE 3 - INSPECTIONS DÉTAILLÉES

3.1      GÉNÉRALITÉS

3.1.1 Si le navire n'a pas à bord de certificats en cours de validité ou si le fonctionnaire chargé du contrôle des navires par l'État du port a de bonnes raisons de penser, en se fondant sur son impression générale ou sur les observations faites à bord, que l'état du navire ou de son armement ne correspond pas pour l'essentiel aux indications portées sur les certificats ou que le capitaine ou l'équipage n'est pas au fait des procédures essentielles à bord, il faudrait effectuer une inspection détaillée de la manière décrite dans le présent chapitre.

3.1.2 L'intention n'est pas d'exiger que tout l'équipement et toutes les procédures mentionnées dans le présent chapitre soient vérifiés au cours d'une seule inspection effectuée dans le cadre du contrôle par l'État du port, sauf si l'état du navire ou les connaissances du capitaine ou de l'équipage en matière de procédures essentielles à bord sont tels qu'une inspection détaillée s'impose. De plus, les présentes directives ne sont pas destinées à imposer le programme de délivrance des brevets des gens de mer de l'État du port à un navire autorisé à battre le pavillon d'une autre Partie à la Convention STCW de 1978, ni à imposer aux navires étrangers des procédures de contrôle plus rigoureuses que celles qui sont imposées aux navires de l'État du port.

3.2     BONNES RAISONS


Lorsqu'un fonctionnaire chargé du contrôle des navires par l'État du port procède à l'inspection d'un navire étranger qui est tenu d'avoir un certificat prévu dans une convention et qui se trouve dans un port ou un terminal au large relevant de la juridiction de cet État, il doit se borner à vérifier la présence à bord de certificats en cours de validité et autres et à se faire une idée de l'état général du navire, de son équipement et de son équipage, à moins qu'il n'existe de « bonnes raisons » de penser que l'état du navire ou de son équipement ne correspond pas pour l'essentiel aux indications portées sur les certificats.

3.3      DIRECTIVES CONCERNANT LES PRESCRIPTIONS RELATIVES À LA STRUCTURE ET À L'ÉQUIPEMENT DU NAVIRE

3.3.1 S'il a de bonnes raisons de penser, d'après ses impressions générales ou les observations faites à bord, que le navire pourrait ne pas répondre aux normes requises, le fonctionnaire chargé du contrôle des navires par l'État du port devrait procéder à une inspection détaillée, en tenant compte des éléments qui suivent.

Structure

3.3.2 En fonction notamment du jugement qu'il porte sur l'entretien de la coque et l'état général du pont, sur l'état d'éléments, tels que les panneaux de descente, les rambardes, les revêtements des tuyautages, et sur l'importance des zones de corrosion et des parties piquées, le fonctionnaire chargé du contrôle des navires par l'État du port devrait décider s'il est nécessaire de procéder à un examen aussi complet que possible de la structure du navire, celui-ci étant à flot. La présence d'importantes zones endommagées, rouillées ou piquées sur les tôles et les renforts connexes des ponts et de la coque affectant la tenue à la mer ou l'aptitude à supporter des charges locales peut justifier que l'on retienne le navire. Il peut s'avérer nécessaire de vérifier l'état de la partie immergée du navire. En prenant sa décision, le fonctionnaire chargé du contrôle devrait tenir compte de l'aptitude à tenir la mer et non de l'âge du navire, en prévoyant une tolérance par rapport à l'échantillonnage minimal acceptable pour tenir compte de l'usure normale. Les dommages qui n'affectent pas la tenue à la mer ne constituent pas une raison suffisante pour décider qu'un navire doit être retenu, non plus que les dommages qui ont fait l'objet de réparations temporaires mais efficaces pour que le navire puisse se rendre au port où seront effectuées les réparations définitives. Toutefois pour déterminer l'importance des dommages, le fonctionnaire chargé du contrôle devrait tenir compte de l'emplacement des locaux d'habitation de l'équipage ainsi que des incidences de ces dommages sur leur habitabilité.

3.3.3 Le fonctionnaire chargé du contrôle des navires par l'État du port devrait accorder une attention particulière à l'intégrité de la structure et à la navigabilité des vraquiers et des pétroliers (résolution A.744(18)).

3.3.4 Il devrait se fonder sur le dossier des rapports de visites qui se trouve à bord pour évaluer la sécurité de la structure de ces navires. Ce dossier devrait contenir les rapports des visites de la structure, les rapports d'appréciation de l'état du navire (traduits en anglais et approuvés par l'Administration), les rapports sur les mesures d'épaisseur et le document descriptif.


3.3.5 S'il découle du dossier de rapports de visites qu'il est nécessaire de procéder à une inspection détaillée de la structure du navire ou si aucun rapport ne se trouve à bord, le fonctionnaire chargé du contrôle des navires par l'État du port devrait prêter une attention spéciale, selon le cas, à la structure de la coque, aux circuits de tuyautages situés au droit des citernes ou cales à cargaison, aux chambres des pompes, aux cofferdams, aux tunnels de tuyautages, aux espaces vides situés dans la tranche de la cargaison et aux citernes de ballast.

3.3.6 Dans le cas des vraquiers, le fonctionnaire chargé du contrôle du navire par l'État du port devrait procéder à une inspection des principaux éléments de structure des cales afin de vérifier si des réparations manifestement non autorisées ont été effectuées. [Non souligné dans l'original]

[131]        Les dispositions que je viens de citer appellent trois commentaires importants. Premièrement, le Mémorandum établit certaines normes pour la conduite des inspections du contrôle des navires par l'État du port et il est important que les normes fixées par le Manuel soient suivies par les autorités ayant accepté le Mémorandum.

[132]        Deuxièmement, selon le Mémorandum et le Manuel, lorsque l'inspecteur a constaté que les certificats des navires sont valides et que le navire semble bien entretenu, il n'est pas nécessaire de procéder à une inspection détaillée; cependant, s'il existe de bonnes raisons, comme des preuves indiquant une détérioration de la coque ou des anomalies structurelles graves, il faut procéder à une inspection détaillée.

[133]        Troisièmement, l'article 2.6.5 reprend la substance de l'article 19f) de la Convention SOLAS, soulignant ainsi l'importance de cette disposition qui énonce la norme selon laquelle un navire ne peut être immobilisé que s'il constitue un danger pour lui-même ou pour l'environnement marin.


[134]        Si l'on examine ces trois éléments ensemble, il est clair qu'un inspecteur doit avoir des motifs substantiels pour immobiliser un navire. Premièrement, si après une inspection rapide l'inspecteur craint qu'il n'existe de graves anomalies structurelles ou visant la coque, il y a lieu de procéder à une inspection approfondie. Cela est raisonnable, puisque le navire doit être immobilisé comme représentant un danger s'il s'avère, après une inspection détaillée, que les préoccupations sont fondées. J'estime que pour prendre cette mesure il faut disposer de preuves suffisamment convaincantes.

[135]        C'est-à-dire qu'avant de retarder ou d'immobiliser un navire, il faut posséder suffisamment de preuves montrant que le navire représente un danger et ne devrait pas naviguer. De telles preuves offriraient une défense contre toute allégation selon laquelle l'immobilisation ou le retard était injustifié. Il semble bien que les autorités qui ont accepté le Mémorandum veulent que toute immobilisation soit justifiée, mais qu'elles exigent également qu'il existe des preuves vérifiables montrant que cette mesure est nécessaire. La vérification se base naturellement sur les éléments qui sont acceptés dans le secteur du transport maritime, y compris par les autorités du Mémorandum.


[136]        Au début des années 1990, le ministère des Transports a mis sur pied son propre programme de sécurité sous l'égide du Mémorandum à l'égard des vraquiers appelé le « Régime d'inspection des vraquiers » . Il est important de noter, que, dans une note de service datée du 1er mars 1994 adressée aux inspecteurs chargés du contrôle des navires par l'État du port qui relevaient de lui, M. Nelson leur donnait des instructions précises concernant les inspections effectuées dans le cadre du Régime d'inspection des vraquiers qui établit également, d'après moi, une norme permettant d'évaluer la conduite de l'immobilisation d'un navire. On retrouve ces instructions à la page 3 de l'annexe III du document intitulé « Régime d'inspection des vraquiers : Instructions aux experts maritimes : Nouvelle version 14.02.94 » (volume 5, onglet 172) :

[traduction]

A)      LE NAVIRE DOIT ÊTRE INFORMÉ AVANT SON ARRIVÉE QU'IL SERA INSPECTÉ DANS LE CADRE DU CONTRÔLE DES NAVIRES PAR L'ÉTAT DU PORT ET QUE LE PEAK AVANT ET LES DEUX CITERNES SUPÉRIEURES DU MILIEU DU NAVIRE (P & T) DOIVENT ÊTRE OUVERTES POUR INSPECTION. LES CITERNES DOIVENT ÊTRE VENTILÉES ET ÉCLAIRÉES. LES CALES AVANT ET ARRIÈRE DOIVENT ÉGALEMENT ÊTRE PRÊTES À ÊTRE INSPECTÉES.

B)       EN ARRIVANT AU QUAI OU À L'ANCRE, LE NAVIRE DOIT ÊTRE INSPECTÉ DANS LA SÉQUENCE INDIQUÉE CI-DESSUS, DANS TOUTE LA MESURE DU POSSIBLE, EN ACCORDANT UNE ATTENTION SPÉCIALE À L'ÉTAT DU BORDÉ DE COQUE EXTÉRIEUR À PARTIR DU REMORQUEUR OU DU QUAI.

C)       LES ANOMALIES STRUCTURELLES DOIVENT ÊTRE ÉNUMÉRÉES AVEC LES AUTRES ANOMALIES CONSTATÉES SUR LE FORMULAIRE DE CONTRÔLE DES NAVIRES PAR L'ÉTAT DU PORT. CETTE LISTE NE DEVRAIT PAS COMPRENDRE DE RECOMMANDATIONS CONCERNANT LES RÉPARATIONS À EFFECTUER PARCE QU'IL S'AGIT LÀ D'UNE DÉCISION QUI DOIT ÊTRE PRISE PAR LA SOCIÉTÉ DE CLASSIFICATION ET PAR LES PROPRIÉTAIRES.

[Non souligné dans l'original]

Ainsi, selon la directive soulignée ci-dessus, lorsque l'inspecteur craint, après une inspection rapide, qu'il existe de graves anomalies structurelles ou concernant la coque, les propriétaires et la société de classification doivent être invités à décider des réparations auxquelles il faut procéder pour corriger les anomalies. La directive laisse entendre que cette décision doit être acceptée comme étant la mesure appropriée pour effectuer les réparations nécessaires. Il me semble que, si un inspecteur n'est pas disposé à accepter cette décision, il doit avoir de bons motifs, fondés sur des preuves solides, pour démonter que la décision n'est pas acceptable, faute de quoi, l'immobilisation du navire risque d'être considérée comme étant injustifiée.

[137]        Pour ce qui est de l'historique et du fonctionnement général du contrôle des navires par l'État du port, les défendeurs ont appelé M. Richard Scheferli. M. Scheferli a obtenu le diplôme de l'Académie de la marine marchande des Pays-Bas en 1973; il a navigué sur des navires de charge pendant 10 ans et obtenu en 1982 son certificat de capitaine de navire (capitaine au long cours, voyages illimités); il est entré au ministère des Transports des Pays-Bas en 1984 où il a travaillé sur les politiques et est devenu en 1989 membre du Secrétariat du Mémorandum de Paris.

[138]        La directive de l'annexe III citée ci-dessus invite les inspecteurs, les sociétés de classification et les propriétaires à collaborer. Quant à la nécessité d'harmoniser les relations entre les États du pavillon, les sociétés de classification et les agents des inspections de contrôle de l'État du port, voici ce que M. Scheferli avait à dire au cours de son contre-interrogatoire (transcription, page 1320) :

[traduction]

Q    Pensez-vous qu'il est nécessaire d'harmoniser les droits de l'État du pavillon, représenté par ses propres fonctionnaires et inspecteurs ou par une société de classification et les droits de l'État du port?

R    Oui.

Q    N'est-il pas également très important que le régime de contrôle des navires par l'État du port vise à harmoniser ces rapports et à veiller à ce que ce régime soit administré de façon équitable?

R    Oui.

Q    Et peut-on dire que l'objectif n'est pas que l'État du port remplace l'État du pavillon comme étant l'organisme chargé d'administrer les conventions et de veiller à ce que le navire respecte certaines normes?

R    Eh bien, l'État du port ne peut jamais assumer les responsabilités de l'État du pavillon.

Q    Très bien. Et la société de classification, si elle exerçait ces responsabilités, elle ne devait pas non plus être remplacée par l'État du port.


R    Eh bien, la société de classification agit pour le compte de l'État du pavillon, elle joue donc le rôle de l'État du pavillon et la réponse serait donc la même.

[139]        Pour ce qui est des normes en matière de corrosion applicables par les autorités du contrôle des navires par l'État du port, M. Scheferli a finalement fait une concession à l'endroit des sociétés de classification dans l'échange qui suit (transcription, pages 1335 à 1339) :

[traduction]

Q    Pour ce qui est de l'administration du Mémorandum de Paris par les inspecteurs du contrôle des navires par l'État du port des différents États membres, l'intention était bien qu'ils appliquent des normes reconnues internationalement. Est-ce bien exact?

R    Oui.

Q    Et pour savoir quelles étaient les normes reconnues internationalement, n'est-il pas exact que vous vous fiez aux règles des sociétés de classification et des conventions internationales, peut-être dans l'ordre contraire?

R    Seulement les conventions internationales.

LA COUR :    Excusez-moi, monsieur, je n'ai pas compris votre réponse.

R    Seulement dans les conventions internationales, seulement dans les instruments reconnus comme étant pertinents par le Mémorandum.

M. BERNARD :     

Q    Ce sont les seuls instruments pertinents.

R    Pour le contrôle des navires par l'État du port.

Q    Par conséquent, vous n'encouragez pas les inspecteurs chargé du contrôle des navires par l'État du port à utiliser les règles de la société de classification qui a classifié le navire et vous ne l'exigez pas non plus.

R    En général, non.

Q    En général, non. D'où tirez-vous les normes des conventions pour ce qui est des choses comme la corrosion et l'affaiblissement des membrures structurelles?


R    Lorsque l'on constate qu'un navire est substantiellement corrodé ou ne répond pas aux prescriptions des conventions parce qu'il existe des doutes graves au sujet de la résistance et de choses comme ça, cela peut entraîner l'immobilisation du navire. L'État du pavillon est alors informé de l'immobilisation, et on lui transmet une copie du certificat d'inspection, et si une société de classification agit au nom de l'État du pavillon, elle reçoit également une copie. C'est alors à l'État du pavillon et à la société de classification de s'adresser à l'État du port s'ils estiment qu'ils n'ont pas été traités correctement.

Q    Les conventions internationales ne contiennent aucune référence précise à des diminutions d'épaisseur, est-ce bien exact?

R    C'est exact.

Q    Vous utilisez donc les règles des sociétés de classification pour obtenir ces diminutions précises d'épaisseur pour, par exemple, les problèmes structurels.

R    Le fardeau de la preuve incombe à la société de classification, ce n'est pas le contraire.

Q    Eh bien, c'est ce que vous pensez, monsieur. Tout ce que je vous ai demandé est d'admettre que pour déterminer le niveau d'usure ou de détérioration des membrures structurelles, vous devez vous baser sur les règles des sociétés de classification.

R    Elles jouent un rôle, oui.

Q    Excusez-moi?

LA COUR : Excusez-moi?

R    Elles jouent effectivement un rôle, oui.

M. BERNARD :     

Q    Ce sont les seules normes qui fournissent à l'inspecteur des chiffres précis au sujet de la détérioration structurelle, est-ce bien exact?

R    Il existe de nombreuses sociétés de classification et elles ont toutes leurs propres règles qui sont différentes.

Q    À part les règles des sociétés de classification, à qui les inspecteurs peuvent-ils s'adresser pour obtenir des critères précis en matière de détérioration lorsqu'il s'agit d'un navire de charge?

R    Eh bien, je dirais qu'il existe dans l'industrie, disons, des normes généralement acceptées en matière de détérioration.

Q    Et d'où viennent ces normes généralement acceptées?

R    Eh bien, habituellement, elles nous sont communiquées par l'AISC.

Q    L'AISC est...

R    Dans l'ensemble, c'est l'Association internationale des sociétés de classification.


Q    Oui, et ce sont ses membres qui les lui fournissent, est-ce bien exact?

R    Eh bien, l'AISC publie des lignes directrices qui sont, disons, des lignes directrices unifiées portant sur certains aspects structurels.

Q    Cela n'a pas encore été fait, n'est-ce pas, monsieur?

R    L'Association a publié d'excellentes lignes directrices sur la sécurité structurelle des vraquiers.

Q    Mais elle n'a pas encore publié de chiffres précis.

R    Non.

Q    Non. Ils sont en train d'en préparer, est-ce exact?

R    C'est possible.

Q    Et en 1997, cela n'existait pas. Il fallait s'en remettre aux règles et recommandations des différentes sociétés de classification, notamment en matière d'épaisseur, pour connaître la norme précise à appliquer en matière de détérioration ou d'usure. Est-ce bien exact?

M. CARRUTHERS : Qui? Qui doit faire cela?

M. BERNARD :     

Q    Eh bien, je vais répondre à votre question et dire que les inspecteurs doivent s'en remettre aux règles et recommandations des sociétés de classification sur ce point. N'est-ce pas exact?

R    Je ne pense pas qu'ils soient tenus de le faire. Ils peuvent les prendre en considération, oui.

Q    Il n'existe aucune autre source de normes spécifiques dans ce domaine, n'est-ce pas, monsieur?

R    Je ne le pense pas, non.

[140]        En outre, voici ce que M. Scheferli a déclaré au sujet de la nécessité de procéder à des consultations sur les questions techniques (transcription, pages 1362 et 1363) :

[traduction]


Q    M. Scheferli, lorsqu'il y a un litige entre une société de classification et un inspecteur du contrôle des navires de l'État du port au sujet de la résistance et des calculs sur la résistance ou sur les membrures structurelles d'un navire, ne serait-il pas normal que l'agent du contrôle de l'État du port s'adresse aux architectes navals de son ministère, en supposant qu'il y en ait, et qu'il leur demande des conseils à ce sujet et qu'ils effectuent eux-mêmes ces calculs?

R    Oui, il arrive que nous ayons un calcul de la résistance qui soit fondé sur, sur certaines hypothèses, critères ou données. Je pense donc qu'ils consulteraient des architectes navals pour voir si les données à la base des calculs justifient les prescriptions imposées.

Q    Et dans ces cas, vous pensez que l'architecte naval vérifierait les calculs ou ferait ses propres calculs, et qu'il ne se fierait pas nécessairement à ceux qui lui sont présentés. Est-ce bien cela?

R    Eh bien, je dirais que l'architecte naval de l'État du port n'est pas toujours obligé de faire ses propres calculs. Je crois qu'il peut juger si les calculs fournis sont fiables.

Q    Très bien, et s'il juge que c'est le cas, il n'a pas alors à faire ses propres calculs.

R    Oui.

Q    Oui. Il peut donc les accepter, en d'autres termes.

R    Exact.

Q    Et il serait ensuite normal que l'architecte naval informe l'agent du contrôle des navires par l'État du port qu'il accepte les calculs présentés. Je pense qu'il est bon que ces personnes se parlent, n'est-ce pas le cas, M. Schiferli?

R    Oui.

[141]        Il ressort très clairement de l'analyse qui précède que le contrôle des navires par l'État du port est un processus extrêmement réglementé qui est utilisé dans un environnement complexe où des intérêts puissants sont en présence : les États du pavillon, les propriétaires de navires, les sociétés de classification et les autorités du contrôle des navires par l'État du port. L'équilibre dont parle M. Scheferli est nécessaire si l'on veut que le processus visant à assurer la sécurité de navires fonctionne efficacement. Il est évident qu'il faut faire preuve d'une grande prudence lorsque l'on prend des mesures lourdes de conséquence dans une situation aussi complexe, compte tenu de l'importance des intérêts en jeu. L'arbitraire n'a pas de place dans ce domaine.


[142]        Pour ce qui est des conclusions que l'on peut tirer au sujet du fait qu'il est possible d'affirmer, après une simple inspection visuelle, que certaines membrures de la coque respectent des normes de corrosion, je retiens le témoignage de M. Allan Elander, qui a fait des tests par ultrasons sur les membrures de la coque du navire le lendemain de son immobilisation.

[143]        À l'invitation des demanderesses, M. Elander, le directeur d'Elander Inspection Ltd., s'est rendu à bord du Lantau Peak le 6 avril. M. Elander travaille depuis 1974 dans le domaine des inspections et des essais non destructifs; il est arrivé à Vancouver en 1980; il a travaillé pour une société d'ingénierie qui s'occupait de la délivrance de certificats pour des sociétés de classification; il a préparé des examens pour les techniciens qui travaillaient pour la société; c'est un technicien diplômé « toutes catégories » , il a travaillé pour une autre entreprise pendant six ans dans laquelle il faisait des examens non destructifs et a créé sa propre société en 1996. M. Elander a déclaré qu'il faisait des mesures d'épaisseur et des visites spéciales sur 60 à 100 navires par an et qu'il avait lui-même effectué le test par ultrasons sur le Lantau Peak le 6 avril.

[144]        Comme cela est mentionné dans son rapport daté du 14 avril 1997 (pièce D-12) (le rapport Elander), M. Elander était chargé de mesurer par ultrasons l'épaisseur des membrures transversales de la coque dans la cale 3 dans le but de confirmer les mesures d'épaisseur contenues dans le rapport Shin Toyo. Voici les observations qu'il a inscrites à la page 1 du rapport :

[traduction]


Les membrures transversales présentent une forte corrosion au niveau de la soudure de la partie supérieure à la partie inférieure. La partie supérieure est piquée, mais pas aussi corrodée que les parties médiane et inférieure. La partie supérieure n'a pas été mesurée en raison du bon état général de son âme. Les semelles n'ont pas non plus été vérifiées. Toutes les parties mesurées étaient recouvertes d'une forte épaisseur de métal oxydé qu'il était difficile d'enlever par piquage.

[145]        Au cours du témoignage qu'il a livré pour le compte des défendeurs, il a formulé les observations suivantes en se basant sur sa longue expérience (transcription, pages 2114 à 2117) :

[traduction]

Q    Pourriez-vous décrire à Sa Seigneurie l'appareil que vous avez utilisé?

R    L'appareil utilisé ici était du type Panametric 26DL Plus. C'est un appareil multifonctions, capable de mesurer l'épaisseur de toute pièce d'acier, et même celle de pièces en plastique ou en caoutchouc. Nous l'utilisons parce qu'il offre de nombreuses fonctions et enregistre les mesures d'épaisseur. Il peut aussi être étalonné avec précision . Il ne présente pas de dérive et sa plage ne varie pas. Étant un instrument numérique, il tient très bien son étalonnage; c'est un instrument moderne. Nous l'avions depuis un an seulement au moment où je l'ai utilisé sur ce navire.

Q    Pourriez-vous décrire exactement comment vous utilisez cet appareil lorsque vous prenez une mesure?

R    Il faut au départ frapper avec un pic sur la pièce pour mettre à nu le métal sain. S'il y a un revêtement, ces appareils sont capables de prendre la mesure à travers en fournissant une lecture précise de l'épaisseur d'acier. Pour ce navire particulier, nous -- en fait, je ne devrais pas dire « nous » car j'étais seul à bord. J'ai donc piqué la pièce jusqu'au métal nu et utilisé la machine sur laquelle se branche le câble d'un petit transducteur à ultrasons, un transducteur double qui émet et reçoit les impulsions. Nous appliquons un agent couplant sur le métal pour faciliter le transfert du son entre la sonde et l'acier, puis nous prenons une lecture, une mesure directe obtenue d'après le son. La mesure numérique de l'épaisseur apparaît sur le tube cathodique de l'instrument.

Q    Et vous obtenez ainsi une mesure en millimètres, n'est-ce pas?

R    En millimètres ou en pouces, vous avez le choix.

Q    Et quand vous passez à l'onglet n ° 2, les nombres que vous avez écrits ici de votre propre écriture et ensuite recopiés dans votre ordinateur en revenant au bureau représentent bien des millimètres?

R    C'est bien cela, oui.

Q    Qu'est-ce que vous avez dû détacher du métal?

R    De grosses écailles de calamine, de la rouille et toutes sortes de produits qui interfèrent avec le faisceau sonore. Vous devez atteindre le substrat de métal nu pour prendre la lecture.


Q    D'accord, et pour revenir aux cases de la page 1 de l'onglet n ° 1, vous avez bien une case pour l'état de la surface dans votre formulaire. Est-ce que vous la voyez?

R    Oui, bien sûr.

Q    Pouvez-vous nous décrire ce que vous y avez inscrit?

R    J'ai fait sous la case « other » (autre) une marque ou une croix, c'étaient des surfaces très rouillées et corrodées.

Q    Pourriez-vous nous expliquer cela plus en détails?

R    Sur ce navire particulier, lorsque nous -- enfin lorsque je me suis approché des membrures pour les examiner, il y avait une couche relativement épaisse de rouille sur le -- en fait, plus que de la rouille. L'acier était couvert d'écailles de calamine. J'ai donc dû frapper assez énergiquement avec le marteau pour décoller la couche qui se détachait en feuilles relativement grandes. C'est le genre de corrosion que l'on constate habituellement sur un navire de ce type -- enfin je ne devrais pas dire habituellement, mais c'est quand même cela -- j'ai déjà vu ça avant et c'est relativement facile à enlever. Il suffit de frapper assez fort avec le marteau pour décoller la rouille et la calamine. C'est comme si des feuilles de matériau tombaient quand vous frappez sur l'âme de la membrure.

Q    Pourriez-vous comparer l'épaisseur du dépôt que vous avez dû enlever sur ce navire, celle que vous avez rencontrée sur d'autres navires sur lesquels vous avez travaillé.

R    Non. J'ai visité beaucoup d'autres navires dont l'état n'était peut-être pas similaire mais je dirais quand même que c'était l'un des cas les plus extrêmes qu'il m'ait été donné de voir, mais il n'y a pas de lien entre la quantité de rouille sur l'acier et le degré de corrosion. C'est parfois très difficile à déterminer. Il faut une jauge pour déterminer l'importance de la perte d'épaisseur du métal.

[Non souligné dans l'original]

[146]        Enfin, sur la question de l'obligation de diligence, les défendeurs ont assigné M. Ilan Vertinsky pour qu'il fournisse son avis à titre d'expert sur la question de l'évaluation et de l'acceptabilité des risques. Les demanderesses se sont opposées à la présentation de son témoignage parce qu'il n'était pas pertinents. Je conclus que, par rapport aux questions qu'il y a lieu de trancher dans la présente action, son témoignage n'était pas pertinent.


2. La conduite des inspecteurs Warna et Hall

a. l'immobilisation du navire

[147]        L'imposition d'une norme de 17 p. 100 par l'ordre de détention du 5 avril 1997 est l'aspect le plus important de l'allégation de négligence en l'espèce. Les preuves indiquent que c'est l'inspecteur Warna qui a décidé d'imposer cette norme, étant donné qu'il s'est chargé d'inspecter la coque et les machines, et que M. Hall a accepté cette norme en signant l'ordre de détention. Je conclus par conséquent qu'ils sont tous deux responsables de l'immobilisation du navire.

[148]        Avant de monter à bord du Lantau Peak, l'inspecteur Warna a examiné les documents figurant au dossier et concernant l'immobilisation du navire en 1996. Il savait que le navire était ancien, qu'il avait déjà été immobilisé, qu'il avait déjà connu des problèmes de structure, que le navire arrivait avec des membrures détachées, éléments qu'il a trouvé préoccupants (transcription, page 2915).


[149]        Dès qu'il est monté à bord du navire, l'inspecteur Warna a effectué une inspection rapide des cales 1, 3 et 9 et procédé à une vérification visuelle des membrures détachées des cales 3 et 9. Il craignait que ces membrures ne déclenchent un « effet de domino » qui aurait pour effet de détacher également les membrures adjacentes. De plus, en se fondant sur son inspection visuelle et son expérience, il craignait que la coque ne soit affaiblie à cause de la corrosion. Il a ensuite examiné les certificats de sécurité qui étaient valides. L'inspecteur Warna s'est toutefois fondé sur ses observations pour en arriver à la conclusion préliminaire selon laquelle le navire n'était pas apte à naviguer, en raison d'anomalies structurelles (transcription, page 2956).

[150]        Voici ce qu'il a déclaré au cours de son interrogatoire principal au sujet de sa conclusion selon laquelle le navire n'était pas apte à naviguer, à cette étape du processus de contrôle des navires par l'État du port (transcription, pages 2953 et 2954) :

[traduction] Après avoir fait cela [inspecter les membrures détachées], j'ai alors examiné les autres aspects, dans la mesure où je le pouvais. Parce que, vous le savez, j'inspecte des navires et des vraquiers depuis pas mal de temps et je sais que cela peut sembler très inhabituel, mais il est possible avec le temps de se faire une idée de la solidité de la structure et de savoir si la structure a, vous savez, été affaiblie par la corrosion.

La raison pour laquelle je vous dis cela, Votre Honneur, c'est que nous examinons la partie corrodée, et qu'en plus il n'y a aucun revêtement protecteur. Lorsqu'il y a un revêtement protecteur et que ce revêtement est abîmé, la corrosion est alors très apparente, Votre Honneur, parce que cela ressemble à une marque. Par contre, dans le cas d'une structure qui n'est pas protégée, la corrosion est très uniforme.

Cependant, lorsqu'elle est uniforme sur une certaine surface mais pas sur toutes les membrures de la cale, j'ai essayé d'examiner une partie qui serait relativement moins corrodée, pour ensuite essayer de comparer les parties moins corrodées avec celles qui semblent être plus corrodées. Je suis alors habituellement en mesure de faire un jugement et de dire oui, il y a de la corrosion ou une détérioration de la structure. Et lorsque je porte ce jugement, alors vous le savez, c'est un jugement très raisonnable. J'ai également noté, Votre Honneur, que dans les cales 3 et 9, les membrures qui étaient détachées étaient toutes des membrures adjacentes.

[151]        Il est important de noter que l'inspecteur Warna a reconnu qu'il fallait procéder à une enquête supplémentaire. Le passage suivant tiré de son témoignage principal indique quel était son état d'esprit lorsqu'il a procédé à une inspection rapide. Après avoir fait des commentaires au sujet des membrures détachées, l'inspecteur Warna a poursuivi (transcription, page 2956) :

[traduction]


R    À peu près. Mais la numéro 3, je me souviens très clairement qu'elles étaient toutes adjacentes. Pour la numéro 9, je pense qu'elles étaient également adjacentes. Je crois que cela pourrait être vérifié plus tard, ou comme vous le savez, en consultant certains documents. Mais si ma mémoire ne me trompe pas, c'est ce que j'ai... parce que c'est ce qui m'est resté en mémoire. J'ai examiné le reste de la structure. J'étais convaincu que la corrosion était généralisée et très uniforme.

J'ai trouvé que cela était suffisant à cause du temps que j'y ai passé, comme je l'ai mentionné plus tôt, Votre Honneur, lorsque nous effectuons une inspection, il y a le mandataire du propriétaire qui nous accompagne, il y a presque tout le monde qui le fait parce que le temps que nous effectuons les inspections de contrôle des navires par l'État du port a pour effet de mettre le navire en suspension de location. Naturellement, ils veulent avoir notre décision le plus tôt possible. Le navire va-t-il pouvoir recevoir un chargement, va-t-il être autorisé à le faire? Parce que c'est un peu la course pour savoir qui arrivera le premier à s'amarrer à quai. Le navire qui est amarré le premier est chargé le premier. La règle est très simple.

Il y a donc de la pression lorsque nous prenons une décision, nous avons vu cela, l'échantillon était suffisant pour que je décide -- ou décide que le navire, il y a un problème avec ce navire et celui-ci n'est pas apte à naviguer, en raison d'anomalies structurelles. Dans quelle mesure, jusqu'où, cela nous examinerons ces questions plus tard parce que je n'ai pas tout -- vous savez, je veux dire que je ne pense pas que je devrais passer plus de temps que ce qui est nécessaire pour faire une inspection ponctuelle parce que c'est encore le contribuable qui paie, Votre Honneur.

[152]        Il est donc certain qu'à la suite de ses observations au sujet de la corrosion des membrures de la coque, l'inspecteur Warna pensait qu'il avait de bonnes raisons de croire que le navire ne respectait pas les prescriptions de la Convention SOLAS parce que la coque était gravement détériorée. J'estime que jusqu'à ce moment-là, l'inspecteur Warna avait respecté la norme de diligence exigée.

[153]        D'après le Manuel, compte tenu des conclusions auxquelles il en était arrivé après sa première inspection, l'inspecteur Warna devait ensuite procéder à une inspection détaillée.


[154]        Il est important de noter ici qu'il faut avoir reçu une formation spécialisée et posséder certaines compétences pour pouvoir décider si des membrures de coque ont besoin d'être réparées. D'après les preuves présentées, il est impossible de savoir, en se fondant sur l'observation des membrures corrodées au cours d'une inspection rapide, quelles sont les réparations qui doivent, le cas échéant, être effectuées.

[155]        M. Masanori Akagi, directeur général du bureau de Vancouver de la Société NK, a été appelé par les demanderesses pour témoigner au sujet des règles et des procédures de la Société NK et de la surveillance exercée par cette société sur le Lantau Peak. En 1978, M. Akagi est entré à l'Université d'Osaka, il a étudié l'architecture navale et a obtenu en 1982 un diplôme de baccalauréat en ingénierie. Entre 1982 et 1984, il a obtenu une maîtrise en architecture navale et a immédiatement commencé à travailler pour la Société NK. Pendant les six premières années, M. Akagi a travaillé sur la construction de navire, et en 1990, est devenu un inspecteur de navire à Kobe au Japon; dans ce poste, il a inspecté près de 100 navires pendant une période de 18 mois. Il est ensuite revenu à Tokyo où il a travaillé pour le service des inspections pendant deux ans et est ensuite passé au service des renseignements techniques. Dans ce dernier poste, il a travaillé sur les enquêtes concernant les avaries à la coque causés par des abordages ou des échouages. Après avoir travaillé deux ans de plus comme expert maritime, il a été nommé en 2000 directeur général du bureau de Vancouver de la Société NK.


[156]        Au cours de son témoignage, M. Akagi a été interrogé de façon détaillée sur les critères qu'utilisait la Société NK pour la corrosion de la coque et en particulier, au sujet de la décision d'exiger que l'on procède à des réparations. Je pense qu'il est juste de dire qu'il a répondu à cette question en disant « cela dépend » . Il ressort clairement des passages suivants de son témoignage qu'il faut avoir des compétences en matière d'observation pour prendre ce genre de décision. Voici ce qu'il a déclaré au cours de son contre-interrogatoire (transcription, pages 1124, 1124 et 1125, pages 1127 et 1128) :

[traduction]

Q    Merci. La société a-t-elle pour politique de faire changer ou remplacer toutes les membrures ou sections de membrures dont l'usure est supérieure aux limites acceptables?

R    Le critère sert de guide à l'expert, et habituellement, les membrures structurelles qui ne respectent pas les limites de corrosion doivent être réparées, mais c'est à l'expert concerné d'en décider. Il n'est pas toujours obligatoire de changer la semelle. Il n'est pas toujours nécessaire de la changer mais généralement, habituellement, c'est ce qu'il faut faire.

Q    Très bien. Peut-on affirmer que si le critère -- si la limite générale de la détérioration de l'âme de la membrure est de 7,5, qu'il peut y avoir des cas où une épaisseur de 7,7 ou 7.8 n'est pas appropriée et qu'un inspecteur puisse demander le remplacement d'une membrure qui est même supérieure et non inférieure la limite imposée.

R    C'est exact.

Q    Est-il donc possible d'affirmer que cela dépend de l'état général du navire tel que l'expert l'évalue?

R    Oui, et d'après la nature de la corrosion ou l'importance de la structure, parfois de l'épaisseur initiale, de sorte que l'expert doit tenir compte de tous ces facteurs pour décider s'il y a lieu de remplacer une membrure. On ne peut se baser uniquement sur le critère.

Q    Excusez-moi, je n'ai pas compris cette dernière observation?

R    Pardon?

Q    Je n'ai pas compris votre dernière...

R    On ne peut se baser uniquement sur le critère.

Q    Très bien. Il faut donc faire preuve de jugement pour décider si une membrure doit être réparée selon qu'elle respecte ou non la limite de détérioration.

R    Oui, parfois.

Q    Et cela dépend de la détérioration générale des membrures du navire.

R    Oui.


Q    Permettez-moi de vous montrer la pièce 12 [le rapport Elander]. Pour vous expliquer le contexte, je vous dirais que cette mesure de l'épaisseur a été effectuée le 4 avril, je crois, les 3 ou 4 avril 1997, et que cela a été fait sur le LANTAU PEAK à la demande des propriétaires. Il s'agissait de la cale numéro 3. Vous avez déclaré que la limite est de 7,5 en général.

R    Oui.

...

Q    Si je pouvais vous montrer -- en tant qu'expert ou architecte naval, que diriez-vous au sujet de l'état général des membrures de la cale numéro 3?

R    Elles sont très corrodées. Elles sont vraiment très corrodées.

Q    Et elles devraient être remplacées.

R    Désolé, je ne peux dire oui ou non, parce que je ne les ai pas vues. Je ne les ai pas examinées.

Q    C'est une décision subjective que doit donc prendre l'inspecteur n'est-ce pas?

R    Pardon?

Q    C'est donc une décision subjective que doit prendre l'expert qui a examiné la membrure, les membrures de la cale?

R    Désolé.

Q    C'est donc une décision que l'expert doit prendre, celui qui a examiné le navire et la cale numéro 3.

R    Il n'est pas très facile de comprendre comment la corrosion détériore les membrures d'une cale, et pas seulement les membrures de cale, la structure de la coque. Il arrive souvent que certaines parties soient très corrodées et que d'autres ne le soient pas autant. Je ne sais pas quelles sont les semelles qui ont été mesurées et piquées. Il y a effectivement certains chiffres qui montrent que la membrure était gravement corrodée. Je ne sais toutefois pas comment ont été effectuées les mesures d'épaisseur, à quel endroit, quels points d'échantillon ont été choisis, quels secteurs, c'est donc un état général. Je ne sais pas dans quelle mesure cela représente vraiment l'état de la membrure de la cale. C'est pourquoi je ne peux dire s'il faudrait la réparer ou non. Parce que je ne l'ai pas vue.

[157]        D'après le témoignage de M. Akagi, je conclus que la différence entre une inspection rapide et une inspection détaillée est que la première débouche sur une conclusion préliminaire fondée sur des preuves provisoires et la seconde sur une conclusion définitive fondée sur des preuves concluantes.

[158]        Cependant, pour ce qui est de l'inspection détaillée des membrures de la coque du Lantau Peak, l'inspecteur Warna s'est contenté d'examiner les mesures par ultrasons des membrures de la coque qui figuraient dans le rapport Shin Toyo de 1995. Il ressort des preuves qu'il s'est contenté de constater qu'un certain nombre de membrures de la cale étaient détériorées au-delà de 17 p. 100 et qu'il a décidé qu'il s'agissait là d'une anomalie justifiant l'immobilisation du navire.

[159]        Il est donc manifeste que, lorsqu'il a décidé d'immobiliser le navire, l'inspecteur Warna n'a pas respecté la directive donnée par M. Nelson.

[160]        Il est encore plus important de noter que, selon le Manuel, l'inspecteur Warna devait décider que le navire n'était pas apte à naviguer avant de décider de l'immobiliser. Il paraît évident que, pour en arriver à une conclusion aussi grave en se fondant uniquement sur les mesures figurant dans le rapport Shin Toyo, il devait exister des preuves convaincantes indiquant qu'il était effectivement possible de se fier à ces seules mesures pour en arriver à cette conclusion. Le passage suivant de son interrogatoire montre que l'inspecteur Warna ne disposait pas de preuves de ce genre (transcription, page 3469) :

[traduction]

Q    Par conséquent, lorsque vous avez rempli le formulaire B, vous aviez reçu une copie du rapport Shin-Toyo et vous l'aviez examiné, est-ce bien exact?

R    Oui, monsieur.

Q    Et vous avez noté que selon ce rapport, plusieurs membrures étaient détériorées au-delà de 17 p. 100.

R    Oui, monsieur.


Q    Lorsque vous avez constaté, dans le rapport Shin-Toyo, qu'un bon nombre de ces membrures étaient détériorées à plus de 17 p. 100, vous avez pensé que vous n'aviez pas besoin d'autres éléments pour prendre cette décision, la décision d'exiger le remplacement des membrures détériorées à plus de 17 p. 100.

R    Pour ce qui est des 4, 5, 7 et 8, monsieur?

Q    Oui.

R    C'est exact, monsieur.

Q    Et le 5 avril 1997, vous étiez prêt, pour ce qui est des cales 2, 4, 5, 7 et 8, de fonder votre décision uniquement sur ce que vous aviez vu dans le rapport Shin-Toyo.

R    C'est exact, monsieur.

Et M. Warna a poursuivi (transcription, pages 3475 à 3477) :

[traduction]

Q    Mais avant de poser un jugement, comme expert, à l'égard de la cale numéro 2, par exemple,...

R    Oui, monsieur.

Q    ... vous deviez en fait vous rendre sur place et faire une inspection visuelle avant de poser un jugement professionnel. Est-ce bien exact?

R    Mais étant donné, monsieur, comme je vous l'ai mentionné plus tôt, étant donné que nous avions le rapport Shin-Toyo, je pouvais alors lire les mesures prises dans chacune de ces cales. Je savais que la plupart d'entre elles étaient supérieures à 17 p. 100. En réalité, je ne pense pas que cela aurait fait une différence pour ce qui est de ma décision, ce que j'écris dans les dossiers ici dans les rapports, je ne pense pas que cela aurait fait une grande différence, monsieur.

Q    Le fait est, monsieur, que...

R    Excusez-moi.

Q    ... vous avez simplement examiné les relevés d'épaisseur, vous avez constaté que la détérioration était supérieure à 17 p. 100 et qu'elle était suffisante pour que vous immobilisiez le navire. Vous n'aviez pas à faire quoi que ce soit de plus à ce moment-là, est-ce bien exact?

R    C'est exact, monsieur.

Q    Pour ce qui est d'exercer un jugement indépendant, qui ne serait pas fondé sur les relevés d'épaisseur et sur l'application de votre règle de 17 p. 100, ce n'est pas ce que vous avez fait, vous pensiez que vous n'étiez pas tenu de le faire.

R    C'est exact, monsieur.

[161]        La façon dont l'inspecteur Warna a décidé d'immobiliser le navire en se fondant sur la « règle générale » de 17 p. 100 pour la corrosion est tout à fait contraire à ce qu'il a déclaré au procès au sujet de la raison pour laquelle cette règle avait été établie. Au cours de son interrogatoire principal, l'inspecteur Warna a déclaré ce qui suit au sujet de l'élaboration de la « règle générale » de 17 p. 100 (transcription, pages 2909 à 2913) :

[traduction] Votre honneur, pour ce qui est de cette règle générale de 17 p. 100, à l'époque et même avant, nous avions constaté qu'à part les sociétés de classification, le ministère de Transports Canada n'utilisait aucune norme dans ce domaine. Il n'y avait aucun organisme même l'AISC n'avait aucune norme en matière de corrosion en 1997; pour l'essentiel, les experts devaient faire appel à leur propre jugement pour décider si le navire était apte à naviguer ou non. Nous avons pensé ici, au bureau de Vancouver, que nous devrions peut-être choisir un chiffre qui nous alerterait à une situation. Ce chiffre serait une première alerte qui indiquerait que nous devrions vraiment nous préoccuper de la sécurité du navire.

Nous utilisons ensuite, comme vous le savez, nous utilisons ensuite toutes sortes d'éléments, et nous utilisons ensuite cette règle générale pour émettre l'ordre et les normes de la société de classification pour aller plus loin, pour nous fournir des rapports beaucoup plus détaillés et selon ce que nous avons découvert par la suite après une inspection détaillée, alors nous en arrivons à une participation de l'inspecteur de navires à vapeur, de la société de classification et des propriétaires du navire, pour prendre cette décision de façon rationnelle.

Voilà comment est apparue la règle générale des 17 p. 100. Elle est venue, d'après ce que je me souviens, d'après mon souvenir, à l'époque, Votre Honneur, à cause -- par exemple, il y a certains secteurs où il y a des directives en matière de détérioration, Votre Honneur. Il y a certains secteurs d'un navire où on ne permet qu'une détérioration de 10 p. 100. Il y a certains secteurs, certaines structures où la Lloyds n'autorise qu'une détérioration de 15 p. 100. Il y a certains secteurs où la Lloyds n'autorise que 20 p. 100 de détérioration et il y a certains -- vous voyez.

De la même façon, le bureau Veritas, lui aussi a des secteurs où il n'autorise que 10 p. 100 de détérioration, il y a des secteurs où il autorise 15 p. 100 et d'autres 20 p. 100.

Nous en sommes donc arrivés à un chiffre qui se trouve à peu près au milieu, dès que nous arrivons, dès que -- ce que les sociétés de classification appellent « un secteur suspect » , par exemple, Votre Honneur. Autrement dit, lorsque la détérioration atteint le 75 -- vous savez, le -- lorsqu'elle atteint ou se rapproche d'une diminution de 25 p. 100, elle constitue un signal d'alerte grave pour la société de classification. Cela veut dire que le secteur est suspect, Votre Honneur. Et autrement dit, ils sont obligés d'examiner toutes les inspections pendant la société de classification.


Par contre, le but de ce secteur suspect, Votre Honneur, est de faire savoir aux propriétaires que la détérioration de la structure s'approche de la limite, qu'il est temps d'agir et de la faire réparer avant que la situation n'arrive vraiment à une usure ou une détérioration dangereuse. Parce que plus on se rapproche de la limite, plus le risque de voir la structure s'endommager est grand, Votre Honneur.

Il y a un peu comme deux objectifs. Pour un bon propriétaire consciencieux, c'est un avertissement qui lui permet de planifier sa maintenance, de planifier son budget, de planifier ses dépenses, de planifier les mesures qu'il doit prendre pour remédier au problème, Votre Honneur. Par contre, c'est un signal pour la société de classification qui dit que oui, l'expert de la société de classification devrait examiner avec une attention spéciale ces secteurs chaque fois qu'il a l'occasion de monter à bord du navire.

De sorte que ce chiffre, nous croyions à l'époque, je me souviens, où j'ai parlé à Ron Wilson qui était un architecte naval, Votre Honneur, il était le directeur à l'époque et j'ai travaillé longtemps sous ses ordres. Et il pensait que, vous savez, il n'est pas déraisonnable d'appliquer cette norme comme premier signal d'alerte, qui indique que, dès que les structures sont détériorées à 17 p. 100, et cela s'applique aux semelles sur lesquelles les sociétés de classification n'exigent que 10 p. 100, cela s'applique également à la structure, aux structures pour lesquelles les sociétés de classification appliquent uniquement -- certaines sociétés n'appliquent que 15 p. 100, Votre Honneur. Nous en sommes arrivés à 17 p. 100 parce que nous pensions sincèrement que cela nous donnerait au moins une base pour prendre des décisions. Il paraissait raisonnable -- en appliquant ce chiffre aux propriétaires pour qu'ils ne pensent pas que nous faisons preuve, comment dirais-je, de discrimination ou d'impartialité, sur la façon dont ce chiffre était appliqué. Étant donné que c'est un signal, une première alerte, qui invite les propriétaires à procéder à une inspection détaillée. Et alors lorsque nous avons une bonne image d'ensemble du navire, nous pouvons décider ensuite des mesures à prendre, Votre Honneur. Voilà comment est apparue la règle de 17 p. 100.

Et au moins tout ce que je peux dire, Votre Honneur, est que peut-être, vous savez, parce qu'il n'y avait pas d'autres -- même les sociétés de classification -- l'Association internationale des sociétés de classification, nous en avons beaucoup parlé, Votre Honneur, et vous avez entendu beaucoup de choses à ce sujet. Elles n'avaient même pas de normes, l'OMI n'avait pas de normes, les propriétaires n'avaient pas de normes. Personne n'avait de normes à part les sociétés de classification. Votre Honneur, il y a 28 sociétés de classification et elles utilisent toutes des chiffres différents.

L'expert qui doit être un tiers impartial, qui n'a aucun intérêt par rapport à un navire, quel chiffre devrait-il utiliser, Votre Honneur? C'était un dilemme pour nous et c'est pour cette raison que nous avons choisi cette norme de 17 p. 100, Votre Honneur.


[162]        Ainsi, d'après le témoignage de l'inspecteur Warna que nous venons de citer, cette règle devait uniquement servir de « première alerte » indiquant la nécessité de procéder à une inspection approfondie et ce n'est qu'après avoir procédé à une telle inspection qu'une décision devait être prise au sujet des réparations nécessaires pour répondre aux normes de sécurité. Il est important de noter que selon ce témoignage, l' « alerte » visant à la fois les propriétaires du navire et la société de classification concernée; cela indiquait que la société de classification participerait à la prise de décision concernant les réparations à effectuer. Si cette pratique avait été suivie, elle aurait été conforme avec la directive de M. Nelson prise aux termes de l'annexe III, comme cela est mentionné ci-dessus. Il ressort toutefois clairement du témoignage que l'inspecteur Warna n'a pas utilisé la règle de 17 p. 100 comme une « alerte » ; c'est la norme d'inspection utilisée pour les réparations qui a été appliquée jusqu'à ce que M. Streeter prenne sa décision de second niveau au mois d'août.

[163]        Le témoignage est également contradictoire sur un autre point, ce qui ne fait qu'ajouter à la confusion qui règne au sujet de la norme de 17 p. 100. Contrairement au témoignage de l'inspecteur Warna selon lequel la norme de 17 p. 100 constituait une simple « alerte » , il a également déclaré au cours de l'interrogatoire principal que cette norme avait été imposée à titre de norme définitive en matière de réparation, étant donné qu'il pensait que le navire devait quitter Vancouver avec un chargement important (transcription, pages 2950 et 2951) :

[traduction]

M. CARRUTHERS :     

Q    Très bien, permettez-moi de vous poser cette question. Nous avons entendu des témoignages au sujet de la règle générale de 17 p. 100. Vous avez, comme nous le constaterons dans le rapport -- nous l'avons peut-être déjà vu en partie mais nous allons examiner cela de façon plus approfondie. Cette règle de 17 p. 100, pensiez-vous que le navire, et nous parlons là du mois d'août -- ou du 5 avril. Pensiez-vous que le navire allait quitter Vancouver avec une cargaison lorsque vous avez formulé la règle de 17 p. 100?

R    Absolument, c'est exact. C'est pourquoi -- le jour de l'inspection, nous tenons toujours pour acquis que le navire se trouve ici pour embarquer une cargaison et qu'il doit donc être réparé pour qu'il puisse être chargé et appareiller.

[164]        J'estime que l'inspecteur Warna pensait que la norme de 17 p. 100 était la norme définitive en matière de réparation lorsqu'il a exigé des réparations dans le formulaire B de l'ordre de détention. Ce point est confirmé dans deux passages de son témoignage. Il a reconnu au cours de son contre-interrogatoire au procès que c'était bien là ce qu'il voulait dire (transcription, pages 3395 à 3397) :

[traduction]

M. SWANSON :     

Q    M. Warna, je vous invite à consulter l'onglet 20 du volume 3.

R    Oui, monsieur.

Q    C'est le formulaire B qui a été préparé par vous et M. Hall?

R    C'est exact, monsieur.

Q    Et c'est bien votre écriture que l'on retrouve au milieu de la première page « Fissure détériorée » ?

R    C'est exact, monsieur.

Q    Très bien et il s'agit là des membrures fissurées dont vous connaissiez l'existence avant de monter à bord du navire, est-ce bien cela?

R    C'est exact, monsieur.

Q    Très bien et vous saviez que le propriétaire avait pris des dispositions pour réparer ces membrures à Vancouver.

R    C'est exact, monsieur.

Q    Et c'est la raison pour laquelle vous n'avez pas inscrit 30 à côté de cette note parce qu'il était déjà prévu qu'elles seraient réparées et que cela serait fait.

R    C'est exact, monsieur.

Q    Et si j'ai bien compris votre façon de procéder, monsieur, lorsqu'un propriétaire vous informe qu'un de ses navires arrive au port, qu'il comporte une anomalie et qu'il va faire réparer cette anomalie à Vancouver, habituellement vous n'immobilisez pas le navire, vous vous assurez simplement que le travail a été effectué.

R    C'est exact, monsieur.


Q    Si nous regardons maintenant le bas de la page, on peut lire :

« Toutes les membrures verticales des cales 1, 2, 3, 4, 5, 7, 8 et 9 dont la section présente une perte d'épaisseur supérieure à 17 %, indiquées dans le rapport d'état de la coque, daté des 9 et 11 janvier 1995, doivent être découpées et remplacées. »

R    C'est exact, monsieur.

Q    Très bien, donc -- et vous avez inscrit 30 sur le côté.

R    Oui, monsieur.

Q    Et cela veut dire que le navire est immobilisé jusqu'à ce que les travaux soient effectués.

R    C'est exact, monsieur.

Q    Et la détérioration de 17 p. 100 est la règle générale dont vous nous avez parlé, est-ce bien cela?

R    C'est exact, monsieur.

Q    Vous avez donc exigé le 5 avril que le propriétaire de ce navire effectue tous ces travaux. C'était ce à quoi vous vous attendiez.

R    C'est exact, monsieur.

En fait, l'inspecteur Warna a également confirmé cette position au cours de l'interrogatoire préalable (transcription, pages 3415 et 3416) :

[traduction]

Q    Et vous avez précisé, je présume, au commandant Swa et au capitaine du navire que vous n'étiez pas disposé à libérer le navire immobilisé tant que le critère, la règle de 17 p. 100, ne serait pas rempli, est-ce bien exact?

R    Ce jour-là, ce qui -- ce qui s'est dit exactement, il est très difficile de m'en souvenir mais à la fin de la réunion, nous nous sommes entendus sur ce point, comme cela a été mentionné.

Q    Eh bien, je vais reformuler cela, M. Warna. Vous n'étiez pas disposé à libérer le navire tant que la règle de 17 p. 100 ou tant que toutes les membrures détériorées à plus de 17 p. 100 n'auraient pas été découpées et remplacées, est-ce bien exact?

R    C'était notre -- c'était notre position.


Q    Très bien, pour vous, cette position n'était pas négociable le 8 avril 1997, n'est-ce-pas?

R    Non.

Q    Il fallait effectuer les réparations ou sinon le navire ne bougerait pas, est-ce bien cela?

R    Oui, vous pouvez dire cela.

Q    Très bien, et je pense que vous avez indiqué clairement au capitaine et à M. Swa qu'ils allaient soit respecter ces conditions, autrement dit il fallait découper et remplacer toutes les membrures détériorées à plus de 17 p. 100 sinon le navire demeurerait immobilisé.

R    Les termes exacts de la conversation, une formulation exacte de la conversation pour cette réunion, je -- je ne m'en souviens pas exactement, mais c'était le résumé...

Q    Très bien.

R    ... de tout cela.

[165]        J'estime que les déclarations de l'inspecteur Warna selon lequel la norme de 17 p. 100 ne constituait qu'une « alerte » est tellement incompatible avec le témoignage que je viens de citer que je conclus que ces déclarations avaient pour but d'atténuer l'importance de la norme imposée de façon à éviter que les mesures qu'il a prises pour ordonner l'immobilisation du navire soient critiquées.


[166]        Les preuves concernant ce qui est effectivement arrivé au moment de l'immobilisation du navire permettent de tirer un certain nombre d'autres conclusions concrètes. Tout d'abord, j'estime que l'inspecteur Warna n'a pas respecté la norme qu'exige le Mémorandum en matière d'inspection approfondie. Je pense qu'une lecture rapide du rapport Shin Toyo n'a pu lui permettre de répondre aux préoccupations qu'il semblait entretenir au sujet de l'état du navire. Pour donner un sens aux mesures figurant dans le rapport au sujet de la grave détérioration de la coque, il aurait fallu effectuer une analyse professionnelle et approfondie des données. J'estime que l'inspecteur Warna n'a pas effectué cette analyse et qu'il ne possédait pas les compétences nécessaires pour le faire. L'inspecteur Warna est un inspecteur de navires à vapeur expérimenté qui a de bonnes connaissances en matière d'entretien des machines de navire; l'analyse de ces données est une tâche qui devrait plutôt être confiée à un architecte naval.

[167]        J'estime qu'avant de pouvoir décider d'immobiliser le navire, il aurait fallu procéder à une inspection beaucoup plus approfondie et ne pas se contenter d'examiner le rapport Shin Toyo. Il se peut fort bien qu'après avoir examiné soigneusement les données figurant dans le rapport Shin Toyo, on ait découvert des motifs d'immobiliser le navire. Mais ce n'est pas la procédure qui a été suivie. L'inspecteur Warna a simplement décidé d'immobiliser le navire parce que les mesures relatives à la coque du navire n'étaient pas conformes à sa conception subjective des normes que devait respecter un vraquier comme le Lantau Peak; le problème vient du fait que sa conclusion n'est fondée sur aucune base vérifiable.

[168]        Pour ce qui est de la vérification, il est important de noter que l'inspecteur Warna n'a inspecté que très rapidement les cales 1, 3 et 9 et que le navire a néanmoins été immobilisé pour que soient effectuées des réparations aux membrures des cales 2, 4, 5, 7 et 8. D'après les preuves, aucun représentant des défendeurs n'a jamais vraiment inspecté les membrures des cales 2, 4, 5, 7 ou 8 pendant l'immobilisation du navire.

[169]        Les demanderesses ont soigneusement exposé les preuves qui établissent que l'imposition de la norme de 17 p. 100 était arbitraire, invérifiable, non supervisée, incontrôlée et injustifiable, dans les observations suivantes qui me paraissent convaincantes (CAP, pages 24 à 29) :

[traduction]

35.           M. Warna savait fort bien que les travaux exigés étaient importants. (transcription, page 3480, lignes 24 à 3481, ligne 17). S'il demeurait un doute au sujet des montants en jeu, la lettre du 11 avril 1997 du capitaine Khoo les avait dissipés (volume 3, onglet 30).

36.           M. Warna a appliqué la règle de 17 p. 100 quelle que soit l'utilisation prévue du navire, c'est-à-dire, que le navire navigue sur lest ou avec un plein chargement. (transcription, page 3483, lignes 16 à 18 et la transcription de l'interrogatoire préalable qui lui a été lue dans la transcription, page 3487 à 3489).

37.           M. Warna pensait à l'époque que, lorsque les membrures d'un navire étaient détériorées à plus de 17 p. 100, le navire était automatiquement « inapte à naviguer » . (transcription, page 3483, ligne 1 à page 3485, ligne 4).

38.           M. Warna et M. Hall ont décidé de commencer à appliquer à la fin de 1996 la norme de 17 p. 100 malgré l'absence de documents ou d'instruments susceptibles de justifier une telle règle. Ils n'ont pas demandé l'autorisation d'Ottawa pour appliquer cette norme et M. Warna ne se souvient pas d'avoir demandé l'autorisation de son directeur, M. Nelson. (transcription, page 3502, ligne 21 à p. 3505, ligne 7) M. Nelson affirme, de son côté, qu'il n'a appris l'existence de la règle de 17 p. 100 qu'en avril 1997 et qu'il n'était pas au courant du fait que le bureau de Vancouver utilisait cette règle générale de 17 p. 100 (transcription, page 1976, ligne 20 - page 1977, ligne 17).

39.           Interrogé au sujet de l'application de la norme de 17 p. 100, M. Hall n'a pas été en mesure d'en préciser clairement l'origine. Il était sûr qu'aucun de ses supérieurs du bureau régional ou d'Ottawa ne lui avait donné de directives à ce sujet. Il ne leur a jamais fait savoir que cette norme était appliquée. (transcription, page 2768, ligne 4, page 2769, ligne 18, page 2776, lignes 14 à 21.) En outre, en avril 1997, il ne connaissait pas les critères qu'utilisaient les sociétés de classification pour déterminer ce qui constitue une détérioration acceptable pour la structure d'acier des vraquiers. En fait, M. Hall ne pensait pas que les normes des sociétés de classification concernaient son obligation d'évaluer la détérioration des structures. M. Hall ne dispose d'aucun élément lui permettant de penser que le critère de 17 p. 100 était appliqué ailleurs dans le monde et il a confirmé qu'il avait obligé des propriétaires de navire à remplacer des tôles d'acier détériorées à plus de 17 p. 100 avant l'arrivée du LANTAU PEAK. (transcription, page 2773, ligne 19 - page 2776, ligne 12, page 2786, ligne 9 - page 2789, ligne 19).


40.           La règle de 17 p. 100 n'avait pas été appliquée de façon uniforme auparavant. Par exemple, le navire Blue West a été autorisé à effectuer des réparations fondées sur la règle de 17 p. 100 dans un autre port. (transcription, page 3490, ligne 14 à page 3493, ligne 2, et voir pièces P-23, P-26).

41.           Les preuves établissent clairement que le ministère des Transports du Canada et les sociétés de classification n'avaient pas adopté pour règle d'exiger le remplacement des membrures dont des sections étaient détériorées à plus de 17 p. 100. En outre, la règle de 17 p. 100 n'a pas été appliquée depuis l'immobilisation dont il s'agit ici et n'a jamais été appliquée à l'échelle nationale. (transcription, page 3489, ligne 26 à page 3490, ligne 13).

42.           Pour ce qui est du fait que certains inspecteurs de Vancouver appliquaient une norme de 17 p. 100, M. Streeter a déclaré qu'il n'avait aucune connaissance de l'application de ce critère en 1997. En fait, il n'avait jamais entendu parler de ce chiffre avant d'assister à l'interrogatoire préalable en 2001. Il a confirmé que Transports Canada à Ottawa n'avait pas adopté de norme de 17 p. 100 en matière de détérioration des plaques d'acier en 1997, ni à une autre époque, et que le ministère n'était pas au courant de l'emploi de cette règle à Vancouver. M. Streeter a admis que la règle de 17 p. 100 n'était pas une norme généralement acceptée internationalement pour la détérioration des tôles d'acier et qu'il avait été en fait surpris de constater qu'on ait choisi un chiffre aussi faible que 17 p. 100, lorsqu'il a été interrogé au sujet de la détérioration des structures en acier sur un navire au cours de son interrogatoire. Le témoignage qu'a livré M. Streeter au sujet de la règle générale de 17 p. 100 est important. Voici ce qu'il a déclaré au cours de son interrogatoire préalable :

Page 227, Q. 934 - Non, je ne m'attendais pas à ce que vous le soyez mais j'avais eu l'impression, et je me souviens que vous l'avez dit ce matin -- je suis désolé, j'avais l'impression que vous étiez un peu surpris de constater qu'on ait retenu un chiffre aussi faible que 17 p. 100?

R. Oh je crois que j'ai été surpris de voir un chiffre aussi faible que 17 p. 100. J'étais au courant de l'existence d'une norme de 25 p. 100.

Q. 935 - Oui. Et vous avez déclaré également que vous pensiez que le chiffre de 17 p. 100 avait fait l'objet d'une entente entre M. Warna et le propriétaire du navire?

R. Oui.

P. 229, Q. 948 - Voilà qui m'amène à un point assez intéressant. Ce chiffre de 17 p. 100 figurait dans le rapport d'inspection qui a finalement entraîné l'immobilisation initiale du LANTAU PEAK au début du mois d'avril 1997 et c'est une condition qu'ont imposée M. Warna et M. Hall à la libération du navire : découpage et remplacement des membrures détériorées à plus de 17 p. 100?

R. C'est exact.

Q. 949 - Est-ce que votre bureau, est-ce qu'Ottawa a adopté une norme de 17 p. 100 en matière de corrosion?


R. Non.

Q. 950 - L'aviez-vous fait en 1997?

R. Non.

Q. 951 - Est-ce qu'à votre connaissance un de vos bureaux régionaux l'avait fait?

R. Pas que je sache.

Q. 952 - À votre connaissance, les bureaux maritimes du Québec et de l'Ontario ne l'avaient pas fait non plus?

R. Pas que je sache.

P. 231 Q. 960 - De sorte qu'entre 1996, l'année de votre nomination au poste de directeur et à un certain moment en 2000, au moment où cette norme a été adoptée, d'après ce que vous savez, le gouvernement canadien n'avait pas adopté de critère en matière de corrosion, si vous voulez,...

R. Non, il n'y en avait pas.

Q. 961 - ... pouvant être appliqué?

R. La direction a pris la décision de collaborer avec les sociétés de classification pour interpréter leurs normes de façon uniforme.

Q. 962 - À quel moment avez-vous pris la décision de travailler en collaboration avec les sociétés de classification?

R. 1997, 1998. Je n'en suis pas sûr.

Q. 963 - Avant le LANTAU PEAK ou après?

R. Non, après.

P. 232 Q. 965 - Le - vous reconnaîtrez avec moi qu'il serait assez inhabituel que votre bureau régional de Québec applique une norme de 25 p. 100 en matière de corrosion et que votre bureau régional du Pacifique applique une norme de 17 p. 100?

R. J'admets que cela ne serait pas souhaitable.

Q. 966 - Serait-ce inapproprié?

R. Oui.

P. 234 Q. 975 - Savez-vous s'il y a eu des consultations dans la région du Pacifique au sujet de cette règle de 17 p. 100? Autrement dit, y a-t-il eu des consultations avec des architectes navals, des consultations internes avec des ingénieurs de marine? Êtes-vous au courant de quelque chose de ce genre?

R. Je n'ai aucune connaissance des mesures qui auraient été prises avant de choisir ce chiffre.

P. 237 Q. 979 - Savez-vous si le chiffre des 17 p. 100 pour la détérioration qui a été appliqué en l'espèce, initialement par M. Warna et M. Hall, a jamais été utilisé pour un autre navire avant le LANTAU PEAK?

R. Pas à ma connaissance.


Q. 980 - Vous n'avez pas cherché à savoir...?

R. Non. Je n'ai pas fait de recherche pour voir si la norme de 17 p. 100 -- pour vous dire la vérité, c'est la première fois aujourd'hui que j'entends parler de cette règle générale de 17 p. 100.

P. 239 Q. 983 - Très bien. Je vous invite donc à faire quelque chose pour moi : je vous demande de me confirmer que la norme de 17 p. 100 en matière de détérioration n'est pas une norme qui a déjà été appliquée dans une des régions de notre pays?

M. Carruthers : Vous voulez dire la règle générale ou la norme?

M. Swanson : La directive, la norme, la règle générale.

R. Je peux le faire.

Q. 984 - ... cela m'est égal.

R. Je crois pouvoir affirmer que ce n'est pas le cas mais je vous le confirmerai.

43.           Personne n'avait dit à M. Streeter que l'immobilisation était fondée sur la norme de 17 p. 100 même au moment où il a examiné l'appel et ce n'est que dans la dernière lettre d'appel datée du 18 juillet 1997 qu'il est fait référence à un degré de détérioration de 17 p. 100. Il est intéressant de noter que M. Streeter n'était pas au courant du fait qu'on avait appliqué la norme de 17 p. 100 dans d'autres situations à Vancouver en 1996 et 1997 et il a admis que l'application de ce critère par quelques inspecteurs du bureau de Vancouver était tout à fait contraire aux objectifs que M. Streeter avait fixés pour la division de la sécurité maritime de Transports Canada. Il a également admis que cela était contraire à l'esprit et à l'intention du Mémorandum sur le contrôle des navires par l'État du port. Il a également reconnu qu'il n'avait jamais remis en question l'utilisation de la règle de 17 p. 100 par les inspecteurs (transcription, page 2426, ligne 9 à page 2429 ligne 5, page 2432, lignes 4 à 13).

44.           Comme cela est exposé ci-dessus, M. Nelson a confirmé qu'il n'était pas au courant de la norme de 17 p. 100 avant le mois d'avril 1997. M. Pantyik a déclaré, au cours de son interrogatoire principal, que d'après son expérience d'architecte naval, il n'avait jamais eu connaissance d'une norme aussi basse (transcription, page 2513, lignes 8 à 15). M. Zinged a déclaré qu'il n'avait jamais entendu parler d'une telle norme. À la page 16 du rapport Zinged (pièce Y pour identification) paragraphe 24, il déclare « une limite de 17 p. 100 ¼ est injustifiable » . M. Schiferli [un expert en matière de contrôle des navires par l'État du port convoqué par les défendeurs] a déclaré au cours de son contre-interrogatoire que lui, en tant qu'agent du contrôle des navires par l'État du port n'avait jamais appliqué une norme de 17 p. 100. En fait, il a déclaré n'avoir jamais entendu parler d'une norme de 17 p. 100 (transcription, page 1345, lignes 8 à 25). Aucun des témoins ne connaissait cette norme à l'exception de MM. Warna et Hall. Aucun des témoins de la défense, à part MM. Warna et Hall, n'a suggéré qu'une telle norme était appropriée. Les défendeurs n'ont même pas essayé de présenter des preuves pour appuyer l'affirmation de M. Warna selon laquelle la règle de 17 p. 100 était une règle générale appliquée localement. L'absence de telles preuves est significative.


45.           Il est important de noter que la norme de 17 p. 100 n'est pas appliquée aux navires battant pavillon canadien (voir interrogatoire préalable de Warna Q. 2312 à 2322 et réponse à l'engagement, pièce P-31), ce qui veut dire qu'en l'espèce, les défendeurs ont appliqué à un navire battant pavillon étranger une norme plus exigeante que pour un navire battant pavillon canadien, ce qui constitue une violation du Mémorandum de Tokyo.

[170]        D'après l'analyse ci-dessus, je conclus qu'un inspecteur chargé du contrôle des navires par l'État du port agissant de façon raisonnable et prudente n'aurait pas imposé une norme de 17 p. 100 en matière de détérioration; j'estime que le fait d'avoir imposé une telle norme constitue une violation de l'obligation de diligence qu'assumaient les défendeurs envers les demanderesses et constitue, à ce titre, une faute de la part de l'inspecteur Warna.

[171]        Il y a lieu de faire une remarque au sujet de la vérification des motifs de l'immobilisation du navire. Comme cela a été mentionné ci-dessus, la vérification s'effectue naturellement à partir des preuves qui sont considérées comme acceptables par l'industrie de la marine marchande, y compris par les autorités ayant accepté le Mémorandum. À mon avis, d'après les preuves présentées au procès, la seule base de vérification qui constitue un élément stable des inspections de contrôle des navires par l'État du port est celle que fournissent les normes de la société de classification pour le navire en cause. J'estime qu'il n'est pas raisonnable d'écarter sans raison cette méthode de vérification. C'est exactement ce qui a été fait en l'espèce.

[172]        L'inspecteur Warna a très clairement déclaré qu'il n'acceptait pas les normes de la société de classification pour évaluer la corrosion de la coque; plus particulièrement, en référence au Lantau Peak, il a estimé que les normes de la Société NK étaient inacceptables (transcription, page 3314 à 3317) :


[traduction]

R    Monsieur, avant de vous répondre j'aimerais également, Votre Honneur, vous dire que nous croyons sincèrement que cette détérioration de 7,5 millimètres est beaucoup trop élevée et c'est, et la raison pour laquelle je vous dis cela Votre Honneur, je répondrai à la question de M. Swanson plus tard, Votre Honneur, c'est que, Votre Honneur, que, si toute la question était de libérer le navire pour la simple raison qu'il respectait les règles de la société de classification, et ces règles disaient, Votre Honneur, qu'une détérioration de 38,7 et de 46,4 dans les cales des numéros pairs, vous savez, il y avait deux dimensions, Votre Honneur, 12 millimètres et 14 millimètres, Votre Honneur, une détérioration de 46,4 p. 100 était acceptable parce que le navire respectait toutes les règles de la société de classification et qu'il ne pouvait donc être immobilisé, Votre Honneur. Je demande à Votre Seigneurie, Votre Honneur, d'examiner si ce navire peut être qualifié de navigable avec autant de membrures détériorées au-delà de ces normes, avec ce genre de détérioration, Votre Honneur, et nous inspectons ensuite un navire inscrit à la Lloyds, Votre Honneur, à l'ABS, Votre Honneur, ou au Bureau Veritas où la limite de détérioration n'est que de 20 p. 100 pour la semelle et l'âme. Cela devient un précédent, Votre Honneur. Serions-nous alors en mesure d'immobiliser un navire qui est inscrit à la Lloyds, Votre Honneur, à l'ABS, ou au Bureau Veritas parce qu'il ne respecte pas les limites de sa classification, Votre Honneur, qui est en fait beaucoup plus exigeante que celle de la Société NK, Votre Honneur? Nous ne le pourrions pas. On dirait alors que nous faisons de la discrimination contre les autres sociétés de classification ou contre les autres navires de ces sociétés, Votre Honneur, et alors nous ferions l'objet de poursuites bien plus nombreuses que celles auxquelles nous faisons face aujourd'hui, Votre Honneur.

Parce que selon tous les principes et je le déclare sincèrement devant Dieu, je pense que ce navire, que cette limite de détérioration de 7,5 millimètres était tout à fait inacceptable. Autoriser une détérioration de 46,4 p. 100 ou de 38,7 p. 100, Votre Honneur, est bien supérieur à ce qui, d'après ce que je pense et d'après ce qui se fait dans cette industrie en général, devrait être une limite acceptable pour la sécurité.

Auriez-vous l'amabilité de répéter la question. Je vais répondre à votre question, monsieur.

Q    Je crains de devoir solliciter la sténographe judiciaire.

LA COUR : Voyons si elle peut la retrouver.

M. SWANSON : Je crois en fait me souvenir de la question.

LA COUR : Très bien, voulez-vous procéder ainsi ou...

M. SWANSON : Je vais procéder ainsi.

Q    La question, monsieur, portait sur le fait que vous ne vous êtes pas adressé à la direction pour lui dire, vers la mi-mai, que vous veniez d'apprendre que la norme de la société de classification était différente de ce que vous pensiez et qu'il fallait revoir le rapport Shin-Toyo pour déterminer si les renseignements contenus dans la note d'information étaient exacts. Ce n'est pas ce que vous avez fait, n'est-ce pas?

R    C'est exact, monsieur.


Q    Étant donné ce que vous avez dit au sujet de la norme de 7,5 millimètres utilisée par la Société NKK, je dois donc comprendre, monsieur, que si un navire classé par la Société NK arrive à Vancouver, votre décision serait, parce que vous pensez qu'une norme de 7,5 millimètres est inacceptable, ou qu'une norme de 7,6 ou 7,7 millimètres est inacceptable, d'immobiliser ces navires même s'ils respectent pleinement leur classe. C'est bien ce que vous dites, n'est-ce pas?

R    Non, monsieur. Je vais examiner le navire dans son ensemble et en me fondant sur cette inspection, ce que je trouve, et sur mes 26 ou vingt -- près de 35 ans d'expérience des navires, je serais raisonnablement en mesure de décider si le navire est apte à naviguer ou non. Et si je pense que le navire n'est pas apte à naviguer, Votre Seigneurie, j'immobiliserais le navire. Peu importe sa classe.

[173]        Il est tout à fait clair que les décisions qu'a prises l'inspecteur Warna ont été influencées par des considérations de nature politique; il craignait beaucoup que s'il acceptait la norme de corrosion de la Société NK, les propriétaires de navires construits selon des règles de classification différentes et apparemment plus strictes auraient des motifs de se plaindre, ce qui serait un résultat gênant. Je ne considère pas que cela constitue un motif légitime pour rejeter la norme d'une société de classification, en particulier lorsqu'il s'agit d'une société aussi bien établie et reconnue que la Société NK. Il devrait être possible de motiver l'immobilisation d'un navire qui respecte les normes d'une société de classification, pourvu que les motifs s'appuient sur des preuves solides. Le fait qu'il puisse être difficile de formuler les motifs justifiant l'immobilisation ne saurait constituer une excuse pour ne pas le faire.


[174]        L'inspecteur Warna a déclaré que les limites de la Société NK en matière de détérioration sont [traduction] « supérieures à ce que j'estime, tout comme l'industrie en général le fait, être une limite acceptable pour la sécurité » . Quant à cette opinion de l'inspecteur Warna, j'estime que, pour respecter l'obligation de diligence assumée envers des propriétaires de navire, l'inspecteur Warna ne peut se contenter d'affirmer qu'il possède, grâce à son expérience d'inspecteur de navires à vapeur, les compétences nécessaires pour affirmer qu'un navire qui répond aux normes de sa classe n'est pas apte à naviguer. Il est très possible que l'expérience acquise par l'inspecteur Warna lui permette de dire, après une inspection rapide, qu'un navire qui, d'après ses certificats, respecte les normes de sa classe, mérite de faire l'objet d'une inspection approfondie. Cependant, à l'étape de l'inspection approfondie, il faut bien davantage qu'une impression générale, élément sur lequel déclare s'être basé l'inspecteur Warna, pour avoir des raisons suffisantes pour décider qu'un navire est innavigable. Il faut en effet obtenir des preuves vérifiables indiquant que le respect des normes de la classe ne suffit pas, soit parce que les normes de la classe en question sont inacceptables ou parce que le navire, même s'il est conforme à la classe, n'est pas apte à naviguer. J'estime que, pour prendre ce genre de décision, il faut pouvoir se fonder sur des preuves fournies par un expert en architecture navale.

[175]        Quant à la déclaration de l'inspecteur Warna selon lequel la norme de la Société NK en matière de corrosion ne répond pas à la norme utilisée généralement dans l'industrie en matière de sécurité, aucune preuve n'a été présentée pour étayer cette opinion. Le fait que les sociétés de classification aient adopté des règles différentes en matière de corrosion ne prouve rien. Il semble que la norme en vigueur dans l'industrie est que les règles en matière de corrosion des membrures de la coque varient. Il me semble que si cette norme n'est pas acceptable à une autorité agissant en vertu du Mémorandum, elle devrait alors fixer une norme individuelle pour l'inspection des navires aux termes du Mémorandum dans les ports qui relèvent de sa juridiction. Mais, à l'époque de l'immobilisation du Lantau Peak, il n'existait aucune norme dans ce domaine au Canada.

[176]        En fait, pour contrer l'argument des demanderesses selon lesquelles les normes de la société de classification doivent être prises en considération pour décider d'immobiliser un navire, les avocats des défendeurs ont insisté sur le fait que les inspecteurs ne sont pas liés par ces critères; ils ont affirmé à plusieurs reprises qu'un inspecteur a le droit de décider de façon purement subjective de la norme à utiliser et qu'il est pratiquement impossible de contester cette opinion. J'estime que cet argument est mal fondé; le Mémorandum et le Manuel n'accordent pas une telle latitude aux inspecteurs.

[177]        La façon dont l'inspecteur Warna a agi à l'égard de l'immobilisation du navire montre toutefois qu'il avait l'impression de disposer d'une telle latitude. Comme je l'ai exposé ci-dessous, j'attribue la responsabilité de cette situation à la haute direction du programme de contrôle des navires par l'État du port dont il relevait.


[178]        Au tout début du différend ayant entouré l'immobilisation du navire, il y a peut-être eu un malentendu au sujet de la norme qu'utilisait réellement la Société NK pour la corrosion des membrures de coque. Au cours du différend qu'a entraîné l'immobilisation du navire, les demanderesses ont invité les défendeurs à accepter la norme de la Société NK, comme la norme à appliquer en matière de réparation, et c'est ainsi que la connaissance de cette norme est devenue un sujet d'intérêt au cours du procès. Franchement, je ne pense pas que cette connaissance joue un rôle important dans ce litige, si l'on se place du point de vue des défendeurs. Pendant toute cette période, les défendeurs n'ont manifesté aucun intérêt véritable à l'égard de la norme utilisée par la Société NK en matière de corrosion, que ce soit à titre de critère sur lequel fonder la décision d'immobiliser le navire, pour maintenir cette immobilisation ou pour fixer les conditions finales de sa libération.

b. les rapports présentés au président

[179]        Comme cela était indiqué, toutes les parties concernées par l'immobilisation du navire ont admis que M. Streeter avait, en qualité de président du Bureau d'inspection des navires à vapeur et, par conséquent, étant l'inspecteur de navires à vapeur ayant le plus d'ancienneté, le pouvoir de réviser la décision de l'inspecteur Warna et de prendre lui-même une décision qui s'imposerait à tous. Ce processus a été suivi parce que certains pensaient que l'immobilisation avait été ordonnée aux termes de l'article 310 de la Loi, ce qui n'est pas, d'après moi, le cas, mais je considère que ce processus n'est pas incompatible avec le Mémorandum ou le Manuel. En fait, l'article 2.6.8 du Manuel prévoit un processus décisionnel susceptible de déboucher sur la libération du navire immobilisé; il paraît tout à fait raisonnable qu'un inspecteur ayant plus d'expérience que celui qui a ordonné l'immobilisation du navire puisse modifier la décision initiale :

2.6.8         Étant donné que la décision de retenir un navire est lourde de conséquences, il peut être dans l'intérêt du fonctionnaire chargé du contrôle par l'État du port d'agir en collaboration avec les autres parties intéressées. Ce fonctionnaire peut, par exemple, demander aux représentants du propriétaire de formuler des propositions en vue de remédier à la situation. Il peut également coopérer avec les représentants de l'Administration de l'État du pavillon ou l'organisme reconnu chargé de délivrer les certificats pertinents et les consulter pour savoir s'ils acceptent les propositions du propriétaire et s'ils veulent éventuellement imposer des conditions supplémentaires. Sans limiter d'aucune façon les pouvoirs du fonctionnaire chargé du contrôle par l'État du port, la participation d'autres parties pourrait permettre d'améliorer la sécurité du navire, d'éviter tout différend ultérieur sur les circonstances de l'immobilisation et s'avérer utile au cas où des poursuites seraient engagées pour cause de « retard indu » .


[180]        Au cours de la période qui a suivi la décision d'immobiliser le Lantau Peak et jusqu'à sa libération, il est évident que l'inspecteur Warna était tenu de rapporter avec exactitude les preuves sur lesquelles il avait fondé sa décision. Je constate qu'il a non seulement fait preuve d'inexactitude au sujet des motifs ayant fondé l'immobilisation initiale du navire mais il n'a pas non plus été plus exact lorsqu'il a rapporté les justifications formulées après coup.

[181]        L'inspecteur Warna a préparé une « note d'information » à l'intention de M. Streeter, datée du 24 avril 1997, dont voici les parties qui sont admissibles (volume 3, onglet 44) :

Les fonctionnaires chargés du contrôle des navires par l'État du port se sont rendus à bord du navire battant pavillon malaisien le 5 et le 8 avril 1997 pour effectuer une inspection de contrôle du vraquier.

Le programme d'inspection de contrôle des navires par l'État du port est conduit selon les procédures convenues dans le cadre des Mémorandums d'entente de Paris et de Tokyo sur le contrôle des navires par l'État du port.

Le programme d'inspection des vraquiers a été institué à cause du nombre anormalement élevé de naufrages de certains vraquiers qui ont entraîné des pertes de vies humaines et causé des dommages à l'environnement marin.

Sur le « Lantau Peak » , il a été constaté au moins douze anomalies, dont quatre étaient des déficiences de structure justifiant l'immobilisation du navire, plus une concernant l'équipement de navigation.

Sur la longueur des cales 1 à 9, à l'exception de la cale 6, on a compté environ 230 membrures transversales fortement corrodées. Cette corrosion dépassait la limite de détérioration de 25 % recommandée par la Société de classification NKK. De ce nombre, six membrures étaient détachées ou présentaient des signes de flambage dans la cale n ° 3, et six autres dans la cale n ° 9. La plus forte détérioration enregistrée était de 46,7 %.

Les tôles du pont principal, entre les hiloires de panneau étaient renforcées par des plaques de diverses épaisseurs. Ces renforcements ne sont pas considérés comme des réparations permanentes car ils ne compensent pas adéquatement la perte de solidité que représente une tôle corrodée ou perforée. Les autres anomalies étaient des points de sécurité générale.


Ce navire avait été précédemment inspecté et immobilisé le 25 janvier 1996 à Vancouver, après la découverte de plusieurs défectuosités, dont des membrures détachées et des fractures de fatigue au niveau des hiloires de panneaux.

[182]        Je souscris au contenu de l'analyse des preuves suivante, qui a été préparée par les avocats des demanderesses, au sujet de l'exactitude de la note d'information ci-dessus (CAP, pages 32 à 35) :

[traduction]

56.           La note d'information qui a été préparée à Vancouver par M. Warna, révisée par M. Hall, et envoyée à M. Streeter par M. Nelson le 24 avril 1997 est un document très important (volume 3, onglet 44). Ce document est partial, trompeur et insuffisant sous de nombreux aspects. Il ne fait pas une description exacte des circonstances. Il est trompeur et faux et c'est pourquoi il a complète vicié le processus d'appel. En voici les points saillants :

a)             la note d'information a été préparée initialement le 23 avril ou vers cette date (volume 3, onglet 39) et a été révisée et envoyée à Ottawa le 24 avril (volume 3, onglets 44 et 47). Elle a été préparée par MM. Warna et Hall (transcription, page 3300, lignes 12 à 23), même si M. Hall ne se souvient pas avoir participé à sa préparation;

b)            M. Warna l'a préparée en vue du processus d'appel (transcription, page 3301, ligne 12 à page 3304, ligne 11);

c)             M. Warna savait que cette note avait pour but de fournir à M. Streeter des renseignements pertinents pour qu'il décide si l'immobilisation devait être ordonnée et il a également estimé que son rôle consistait « d'une certaine façon » à défendre sa position (transcription, page 3304, lignes 8 à 21);

d)            M. Warna savait que M. Streeter souhaitait qu'on lui fournisse des faits « exacts et non déformés » et il savait également que M. Streeter s'attendait à ce qu'il vérifie tous les renseignements contenus dans la note d'information (transcription, page 3305, ligne 15 à page 3306, ligne 4);


e)             malgré cela, la note d'information contient un certain nombre d'inexactitudes et d'omissions, notamment celles qui suivent :

(i)            il n'y avait pas 230 membrures détériorées au-delà de ce que permettaient les normes de la Société NK. En fait, par rapport au rapport Shin Toyo qui avait été utilisé, aucune membrure n'était détériorée au-delà des normes acceptées par la Société NK (transcription, page 3323, ligne 18 à page 3324, ligne 18);

(ii)           la note mentionne à tort que la norme de cette Société était une simple norme de 25 p. 100;

(iii)          lorsqu'il a préparé la note d'information, M. Warna avait en sa possession le rapport de la Société NK du 21 avril (volume 3, onglet 36) qui énonce que le navire est conforme aux normes de sa classification mais il n'en a pas tenu compte. M. Warna n'a pas informé M. Streeter que l'architecte de la Société NK de Seattle estimait que le navire était conforme à sa classification (transcription, page 3307, ligne 7 à page 3310, ligne 26) M. Nelson a déclaré qu'il avait vu le rapport d'inspection et qu'il avait compris que M. Takahashi affirmait que le navire était conforme à sa classification. (transcription, page 1981, ligne 14 - page 1983, ligne 10) M. Nelson a déclaré ensuite qu'il pensait qu'il existait une certaine confusion au sujet de la norme de la société de classification mais il n'a rien fait pour préciser ce point (transcription, page 1994, ligne 20 - page 1996, ligne 12). Il est important de noter que cette question n'est pas abordée dans la note d'information;

(iv)          la note d'information ne mentionne pas l'application et l'existence d'une norme de 17 p. 100;

(v)           la note d'information énonce que le navire a été immobilisé pour une défectuosité de navigation mais ne mentionne pas que la défectuosité a été rectifiée (transcription, page 3320, lignes 12 à 24) M. Nelson a reconnu qu'il aurait été utile pour M. Streeter d'avoir éclairci ce point (transcription, page 1990, lignes 7 à 22);


(vi)          la note d'information mentionnait l'existence de quatre anomalies structurelles justifiant une immobilisation du navire mais ne mentionnait pas que celui-ci avait été retenu en se fondant sur seulement trois de ces anomalies (transcription, page 3321, ligne 16 à page 3322, ligne 15);

(vii)         l'auteur de la note d'information savait que le navire avait changé de main en 1996 mais cela n'est pas mentionné dans la note bien que celle-ci fasse référence à l'immobilisation précédente ordonnée en 1996 (transcription, page 3325, ligne 23 - page 3326, ligne 11). M. Warna affirme qu'il ne pensait pas que le changement de propriétaire méritait d'être mentionné, même si le changement de propriétaire est un facteur de ciblage pour l'État du port (transcription, page 3326, lignes 23 à 26 et volume 5, onglet 172, page 1094). M. Nelson a confirmé qu'un changement de propriétaire était un facteur important (transcription, page 1948), mais il ne lui est pas venu à l'esprit de mentionner ce fait dans la note d'information (transcription, page 1986, ligne 6 - page 1988, ligne 26);

(viii)        le dossier de l'immobilisation ordonnée en 1996 ne mentionne aucunement la présence de « membrures détachées » (volume 3, onglet 9) mais la note d'information énonce que le navire a été immobilisé en 1996 notamment en raison de « membrures détachées » (transcription, page 3328, ligne 2 - page 3329, ligne 14);

(ix)           la note d'information ne mentionne aucunement que les cales 2, 4, 5, 6, 7 ou 8 n'ont jamais été inspectées et il est significatif que M. Warna n'ait jamais informé la direction locale ou Ottawa que le navire avait été immobilisé pour des anomalies apparentes dans les cales 2, 4, 5, 7 et 8 que personne n'avait jamais vues (transcription, page 3331, lignes 8 à 24);

(x)            M. Warna n'a pas informé Ottawa que sa décision d'exiger que soient réparées les cales 2, 4, 5, 7 et 8 était principalement fondée sur un rapport de mesure de 1995 (transcription, page 3332, ligne 23 - p. 3334, ligne 19);


(xi)           M. Warna savait fort bien que le navire avait été exploité depuis avril 1995 avec des tôles détériorées à plus de 17 p. 100 (comme l'indiquait le rapport Shin Toyo) mais ne mentionne pas ce fait dans la note d'information (transcription, page 3365, lignes 13 à 19);

(xii)          M. Warna savait qu'il était obligé d'informer l'État du pavillon de la détention fondée sur le Mémorandum de Tokyo et savait que l'État du pavillon avait écrit à M. Hall le 10 avril 1997 pour lui demander que le navire soit autorisé à appareiller pour Shanghai pour y subir des réparations mais cette demande n'est aucunement mentionnée dans la note d'information. Il affirme que cela n'était pas important (transcription, page 3370, ligne 15 - page 3375, ligne 7). M. Nelson était également au courant de l'importance d'aviser l'État du pavillon (transcription, page 1958 - page 1959).

57.           M. Streeter a reçu la note d'information et s'est fondé sur elle pour prendre sa décision (volume 8, onglet 315, sous-onglet 3 - pages 2228 à 2230). M. Streeter a reconnu qu'il était sûr d'avoir reçu le 24 avril 1997 la note d'information envoyée par M. Nelson. Il a déclaré que le but initial de cette note était de fournir des renseignements au bureau du ministre mais il a reconnu que c'était les seuls renseignements transmis par le bureau régional de façon officielle. M. Streeter a reconnu qu'il avait été obligé, au moment où il a reçu la note d'information, de tenir pour acquis qu'elle était exacte mais qu'il avait découvert par la suite que ce n'était pas le cas (transcription, page 2471, ligne 9 - page 2472, ligne 25). M. Streeter a admis qu'une note d'information doit être exacte et avoir été vérifiée (transcription, page 2483, ligne 15 - page 2485, ligne 26, page 2487, lignes 9 à 13). Finalement, au sujet de cette note d'information, M. Streeter reconnaît que la description de l'état des membrures dans les cales 3 et 9 fait ressortir un état beaucoup plus grave que celui qui est consigné dans le rapport d'inspection préparé par M. Warna (transcription, page 2492, ligne 1 - page 2494, ligne 10). M. Streeter reconnaît également que les déclarations faites par M. Nelson dans son courriel du 25 avril sont fausses. M. Streeter a également admis qu'aucun membre de son personnel ne l'a invité à examiner le rapport de M. Takahashi qui confirmait cette erreur.


58.           M. Hall n'a pas préparé la note d'information qui a été envoyée à Ottawa mais il a vu ce document. Il a confirmé qu'il n'avait pas fourni d'autres informations à l'administration centrale de Transports Canada au sujet de cette affaire bien qu'il ait reconnu avoir constaté par la suite que diverses affirmations se trouvant dans cette note étaient fausses. (Transcription, page 2811, lignes 1 à 17). M. Hall a reconnu que la note d'information a entraîné des malentendus mais il n'a rien fait pour informer Ottawa ou l'État du pavillon du fait que cette information était fausse. (Transcription, page 2814, ligne 3 à page 2815, ligne 5).

[183]        Il semble que l'inspecteur Warna ait délibérément préparé la note d'information dans le but de justifier son ordre de détention plutôt que pour transmettre des renseignements exacts. Je ne suis toutefois pas en mesure d'en arriver à cette conclusion en me fondant sur la prépondérance des probabilités. Même si la formulation ne représente pas exactement la vérité, j'estime que la conduite de M. Warna est pour le moins extrêmement négligente et n'est pas celle à laquelle on s'attendrait de la part d'un inspecteur chargé du contrôle des navires par l'État du port qui serait raisonnable et prudent. Je conclus par conséquent que le fait que l'inspecteur Warna ait préparé une note d'information inexacte et que M. Hall n'ait pas corrigé les inexactitudes lorsqu'il les a découvertes constitue une violation de l'obligation qu'ils avaient envers les demanderesses, et que ces violations constituent une conduite fautive.

3. La conduite de M. Nelson


[184]        Le 24 avril, M. Nelson a envoyé à M. Streeter un courriel en y joignant la note d'information de l'inspecteur Warna (volume 3, onglet 47). Il mentionnait dans le courriel qu'il enverrait une lettre avec des pièces jointes émanant de M. Bernard, pour le compte des demanderesses, et formulait des commentaires précis sur les preuves relatives à l'état du navire en mentionnant que le navire était, d'après lui, en mauvais état et qu'il ne fallait pas autoriser le navire à effectuer un voyage sur lest ou avec un chargement, en se fiant aux preuves présentées par les propriétaires. Il a en outre déclaré que [traduction] « si ce navire était libéré sans qu'il soit réparé, le régime de contrôle des navires par l'État du port en général et le programme d'inspection des vraquiers en particulier seraient gravement compromis » . Ce message montre clairement que la décision relevait désormais uniquement de M. Streeter.

[185]        Compte tenu des préoccupations exprimées dans les articles 2.6.5 et 2.6.8 du Manuel au sujet de la gravité d'une immobilisation, je conclus que les dispositions invitant les parties à éviter toute immobilisation et retard injustifié exigent implicitement que soit mis sur pied un mécanisme de contrôle de la qualité des décisions prises. C'est-à-dire que, pour veiller à ce que les propriétaires de navires soient traités équitablement, chaque Autorité doit mettre sur pied un mécanisme de surveillance des décisions prises par les inspecteurs, en particulier dans le cas d'une immobilisation vivement contestée comme l'était celle du Lantau Peak.


[186]        Je souscris à l'argument des demanderesses selon lequel un superviseur occupant le poste de M. Nelson a une obligation de prudence qui consiste à faire ce qui suit : être au courant des critères utilisés par les inspecteurs pour ordonner l'immobilisation d'un navire, poser des questions appropriées et nécessaires aux inspecteurs qui immobilisent un navire de façon à veiller à ce qu'il ait été procédé à une inspection complète et approfondie et à ce que les motifs de l'immobilisation soient fondés, encourager le recours à l'avis d'experts dans le processus décisionnel débouchant sur une immobilisation et exiger que de tels avis soient sollicités lorsque l'immobilisation est vivement contestée; enfin, examiner le contenu des rapports préparés par les inspecteurs pour en vérifier l'exactitude.

[187]        J'estime que les preuves démontrent que M. Nelson a omis de surveiller l'inspecteur Warna comme il devait le faire, compte tenu de la norme que je viens d'exposer. Il semble que M. Nelson ait examiné la note d'information de l'inspecteur Warna mais qu'il n'ait pas procédé à une analyse suffisante des renseignements qu'il possédait qui lui aurait permis de déceler les erreurs qu'elle contenait. C'est ce que démontre le témoignage suivant qui a été fourni en contre-interrogatoire (transcription, 2069-2070) :

[traduction]

Q    Eh bien, je formulerai la chose ainsi; votre ministère a immobilisé le navire, est-ce bien exact?

R    C'est exact.

Q    Et il l'a immobilisé en se fondant sur le rapport Shin-Toyo. Autrement dit, le rapport d'immobilisation exige que les membrures détériorées à plus de 17 p. 100, tel qu'identifié dans le rapport Shin-Toyo, soient enlevées et remplacées. C'est bien ce qui y est dit, n'est-ce pas?

R    C'est exact.

Q    Très bien, vous saviez donc que le navire serait immobilisé tant que les membrures détériorées à plus de 17 p. 100 selon le rapport Shin-Toyo n'auraient pas été réparées, est-ce bien cela?

R    C'était l'intention, oui.

Q    Très bien et vous saviez que les demanderesses avaient interjeté appel de cette décision n'est-ce pas?

R    Oui.

Q    Vous saviez qu'elles contestaient, premièrement, la norme de 17 p. 100 et deuxièmement, le bien-fondé de la décision d'immobiliser le navire, est-ce bien cela?

R    C'est exact.


Q    Très bien, pour répondre à cela, votre ministère prépare une note d'information destinée à M. Streeter, parce que vous saviez que M. Streeter était le décideur, est-ce bien exact?

R    En bout de ligne, oui.

Q    Et vous saviez que M. Streeter s'attendait à ce que votre bureau lui fournisse des renseignements exacts et non pas des manipulations statistiques mais des renseignements exacts, est-ce bien cela?

R    C'est exact.

Q    Très bien, et ce n'est pas ce qu'il a obtenu, n'est-ce pas M. Nelson?

R    Il semble que non.

[188]        La liberté qu'a prise l'inspecteur Warna en immobilisant le Lantau Peak ne semble pas avoir le moindrement préoccupé M. Nelson. J'estime que cela aurait dû le faire. J'accorde une grande importance au fait que M. Nelson ne savait même pas que l'inspecteur Warna avait adopté comme pratique d'imposer sa norme particulière et arbitraire de 17 p. 100 pour la corrosion des membrures, décision qui est au coeur de la présente demande. Je conclus par conséquent que l'omission par M. Nelson d'exercer une surveillance conforme à la norme proposée par les demanderesses constitue une violation de la norme d'obligation de prudence à laquelle on s'attendrait de la part d'un inspecteur chargé du contrôle des navires par l'État du port qui serait raisonnable et prudent. J'estime donc que cela constitue une conduite fautive de la part de M. Nelson.

B. Le délai écoulé entre l'immobilisation et la libération du navire

1. La responsabilité de M. Streeter dans ce retard


[189]        Il est incontestable que les défendeurs avaient une obligation de soin envers les demanderesses et qu'ils étaient tenu d'agir rapidement dans cette affaire. C'est toute la raison d'être de la règle 19f) de la Convention SOLAS qui est expressément reprise dans le Mémorandum sous la forme suivante :

[traduction]

3.12          Dans le cadre du contrôle exercé par l'État du port au titre du Mémorandum, tous les efforts possibles sont déployés afin d'éviter qu'un navire ne soit indûment immobilisé ou retardé. Le Mémorandum n'a pas pour effet de modifier les droits découlant des dispositions des instruments pertinents en matière d'indemnisation dans les cas d'immobilisation ou de retard injustifié.

[190]        Deux semaines après l'immobilisation du navire ordonnée par l'inspecteur Warna, l'affaire était soumise directement à M. Streeter pour qu'il prenne une décision de second niveau. Comme cela a été mentionné plus haut, M. Nelson en faisait état dans son courriel du 24 avril qui transmettait la note d'information de l'inspecteur Warna et ses propres observations sur l'immobilisation du navire.


[191]        Dans une lettre datée du 23 avril 1997, M. Bernard, qui représentait les demanderesses, présentait à M. Nelson des arguments détaillés pour l'inviter à libérer le navire. À son tour, le 24 avril, M. Nelson a transmis, par télécopie, la lettre de M. Bernard à M. Streeter, avec une note d'accompagnement et les documents suivants (volume 8, onglet 4) : la lettre datée du 23 avril envoyée par le capitaine Khoo à l'inspecteur Warna indiquant que, d'après les calculs effectués par la Société NK sur les modules des sections pour évaluer la rigidité des membrures de cales du navire (qui étaient joints) et après avoir effectué quelques réparations à Vancouver, le navire était tout à fait apte à appareiller pour Shanghai pour y effectuer le reste des réparations; le rapport de visite de M. Takahashi, expert de la Société NK à Seattle, daté du 23 avril 1997, qui proposait qu'après la réparation des membrures détachées, le navire appareille pour Shanghai pour y être réparé; et le certificat de navigabilité daté du 15 avril 1997 délivré par M. Koshino, expert de la Société NK qui contenait une déclaration semblable à celle de M. Takahashi.

[192]        La note manuscrite figurant sur la télécopie de M. Nelson se lit ainsi :

[traduction]

Bud,

Comme convenu et conformément à mon courriel, vous trouverez ci-joint « une partie » de la correspondance échangée avec la société de classification, les propriétaires et le Club P & I au sujet du « Lantau Peak » .

[193]        Je conclus qu'avec la lettre de M. Bernard et les documents transmis par M. Nelson, M. Streeter disposait de suffisamment d'éléments pour pouvoir agir rapidement et essayer de s'entendre avec les demanderesses sur la question des réparations et en cas de désaccord, pour prendre sans retard une décision de second niveau. Voici le texte intégral de la lettre de M. Bernard :

[traduction]

Le 23 avril 1997

Transports Canada

Sécurité maritime

800, rue Burrard

Vancouver (C.-B.)

À l'attention de : M. Phil Nelson

Messieurs,

Objet :     LANTAU PEAK

Notre numéro de dossier 022650/332

Nous vous écrivons à la suite des réunions que nous avons eues avec des représentants de Transports Canada dans le but de vous faire connaître officiellement la position des propriétaires au sujet du rapport d'inspection et de l'immobilisation du navire cité en rubrique.


MM. Warna et Hall agissant apparemment en vertu du Mémorandum d'entente sur le contrôle des navires par l'État du port sont venus à bord du navire les 5 et 8 avril. L'inspecteur Warna s'est chargé d'examiner l'état des pièces de structure du navire et a dans ce contexte examiné le rapport sur l'état de la coque daté des 9 et 11 janvier 1995. Nous pensons que l'inspecteur Warna a également examiné la situation concernant certains travaux qui ont été effectués sur le navire lorsqu'il se trouvait à Vancouver en janvier 1996 autour des panneaux du pont principal et qu'il a remarqué que les fissures dans les tôles d'acier qui avaient été notées à l'époque n'étaient pas réapparues.

Le rapport d'inspection exigeait que soient effectués les travaux dans toutes les cales sauf la numéro 6 et en particulier, exigeait ce qui suit :

« Toutes les membrures latérales verticales dont les sections sont détériorées à plus de 17 p. 100 dans les cales nos 1, 2, 3, 4, 5, 7, 8 et 9, tel que mentionné dans le rapport d'état de la coque daté des 9 et 11 janvier 1995, doivent être découpées et remplacées. »

Les propriétaires doutaient de la nécessité d'effectuer tous ces travaux à Vancouver mais ils se sont néanmoins renseignés sur le coût des réparations à Vancouver pour les travaux sur les tôles d'acier mentionnés dans le rapport d'inspection. Ils ont constaté que ces réparations pourraient fort bien s'élever à plus de 4 000 000 $US. Parallèlement, des enquêtes ont été faites à Shanghai et il semble que le coût des mêmes travaux serait d'environ 1,1 million de dollars US. La différence entre ces coûts est bien sûr importante et a des répercussions financières considérables pour les propriétaires du navire.

Compte tenu de ces préoccupations financières mais également du fait que le navire a été exploité en sécurité pendant quelque temps dans son état actuel et que la société de classification était absolument convaincue qu'un voyage trans-Pacifique serait sans danger, nous avons convenu de rencontrer des représentants de la Garde côtière pour parler de la possibilité de réduire sensiblement les conditions imposées. La réunion n'était pas officielle mais au cours de celle-ci, un certificat préparé par la Société de classification NKK, celle qui a enregistré le navire, a été présenté. (Ce document ainsi que le rapport de l'expert NK de Seattle, M. Takahashi, ainsi que des calculs concernant la solidité des membrures ont été officiellement transmis à la Sécurité maritime par les propriétaires, accompagnés d'une lettre des propriétaires, documents qui sont tous joints à la présente lettre).

À la suite des suggestions formulées au cours de la réunion, les propriétaires ont procédé à un nouvel examen de certaines sections de la partie centrale du navire. M. Takahashi est venu de Seattle et est monté à bord du navire le 19 avril pour participer à cet examen. Après avoir procédé à une inspection et examiné ces questions, M. Takahashi, un architecte naval expérimenté, a préparé un rapport dans lequel il résumait ses observations et il recommandait que le navire soit autorisé à appareiller pour Shanghai (Chine) après avoir effectué les réparations aux membrures de cales endommagées, tel que mentionné dans le rapport NK précédent, autorisé par M. Koshino du bureau de Vancouver.

La Société NK a poursuivi son enquête en faisant effectuer des calculs à Vancouver et à Tokyo sur les modules de section des membrures de la cale. Des copies de ces calculs ont été transmis à la Sécurité maritime. La conclusion ou le résultat figure dans les calculs et indique une rigidité correspondant à près de 300 p. 100 de ce qui est exigé.


Une deuxième réunion a été fixée avec la Sécurité maritime le 22 avril. Cette réunion n'était pas non plus officielle mais au cours de la discussion, le personnel de la Sécurité maritime a eu l'occasion d'interroger et de questionner M. Koshino du bureau de Vancouver de la Société NK, un ingénieur, et M. Takahashi du bureau de la Société NK de Seattle, un architecte naval. Quoi qu'il en soit, nous tenons à résumer ci-dessous les avis donnés aux propriétaires par ces experts maritimes très expérimentés de la Société NK. Nous nous basons en particulier sur les observations et les constatations de M. Takahashi, étant donné son expertise en architecture navale. Voici quelles sont les conclusions :

1.              Pour ce qui est de la capacité du navire de résister à un voyage à Shanghai, les données indiquent très clairement que les pièces longitudinales du navire qui assurent la rigidité en cas de stress de compression sont en bon état. Les calculs de la résistance de ces pièces sont généralement effectués sans que l'on tienne compte de la présence des membrures transversales de la cale qui sont visées par la directive de l'inspecteur Warna.

2.              Les semelles latérales de la coque et les membrures de cale ne montrent aucune déformation apparente, à l'exception des membrures des cales nos 3 et 9, qui doivent être réparées.

3.              Il n'y a pas de rayures apparentes le long des soudures entre les semelles ni entre les soudures des membrures de la cale et, de toute façon, les relevés d'épaisseurs des semelles indique qu'elles respectent les limites autorisées.

4.              Les semelles du pont principal à l'extérieur des panneaux de cale sont légèrement corrodées mais respectent les limites autorisées.

Étant donné que les représentants de la Société NK ont effectué une étude et une enquête approfondies de la situation, les propriétaires du navire invitent fermement la Sécurité maritime à lever l'immobilisation du navire pour que celui-ci puisse appareiller pour se rendre dans un chantier naval de Shanghai, dès que les réparations recommandées par le rapport NK du 15 avril 1997 seront terminées. Selon les calculs effectués sur les efforts de flexion, le navire pourrait appareiller avec un chargement ou sur lest. Pour plus de précaution, compte tenu des calculs des modules des sections que vous ont été transmis, les propriétaires sont disposés à ce que le navire fasse un voyage sur lest par la route du Sud.

Nous estimons que la demande que nous transmettons à la Sécurité maritime est à la fois pratique et raisonnable. Nous ne pensons pas que la conclusion selon laquelle il est nécessaire de remplacer les membrures de toutes les cales à l'exception de la cale no 6 est fondée sur une pleine compréhension des stress et des considérations reliées à l'architecture navale qui doivent être prises en considération avant que l'on puisse formuler une conclusion au sujet de la solidité et de la capacité du navire à résister aux éléments naturels.


Aux termes du Mémorandum de contrôle des navires par l'État du port, la mission de la Sécurité maritime dans des situations comme celle qui nous occupe ici est décrite à l'article 3. En particulier, l'article 3.7 énonce :

« Lorsque les anomalies présentent un risque manifeste pour la sécurité, la santé ou l'environnement, l'Autorité, à l'exception du cas visé à la section 3.8, fait en sorte que le risque ait disparu avant que le navire ne soit autorisé à reprendre la mer. À cette fin, des mesures appropriées sont prises pouvant aller jusqu'à l'immobilisation. »

D'après nous, en particulier compte tenu des preuves et des observations convaincantes présentées par les représentants de la société de classification, il est impossible d'affirmer qu'il existe des anomalies qui « présentent un risque manifeste pour la sécurité, la santé ou l'environnement » . Il ne suffit pas de dire qu'il existe une différence d'opinion. Il est essentiel que Transports Canada démontre « clairement » que sa position et les motifs de la décision sont justifiés.

L'article 3.8 prévoit ensuite ce qui suit :

« Lorsque les anomalies, visées à la section 3.7, ne peuvent être rectifiées dans le port d'inspection, l'Autorité peut autoriser le navire à rejoindre un autre port, sous réserve des conditions appropriées que peut imposer l'Autorité pour assurer que le navire puisse appareiller sans présenter de risque pour la sécurité, la santé ou l'environnement. »

L'application de la directive contenue dans le rapport d'inspection aurait des conséquences économiques désastreuses pour les propriétaires du navire. La différence entre le coût des réparations à Vancouver et le coût de ces mêmes réparations à Shanghai est, comme nous l'avons mentionné ci-dessus, très important et il est par conséquent possible d'affirmer que les anomalies « ne peuvent être rectifiées dans le port d'inspection » . Il est de toute évidence nécessaire de tenir compte des conséquences économiques évidentes lorsqu'on formule des conclusions conformément à ces dispositions dans un cas où le navire peut naviguer sans représenter un danger déraisonnable, ce qui est manifestement le cas pour le voyage proposé.

Nous vous transmettons les observations des propriétaires qui demandent que le navire soit autorisé à traverser le Pacifique et nous vous demandons de nous communiquer une réponse détaillée le plus tôt possible.

Veuillez agréer, Messieurs, l'expression de mes respectueuses salutations.

CAMPNEY & MURPHY

Par

P.G. Bernard


Je constate en outre que les défendeurs ont été informés par M. Bernard du fait que l'immobilisation du navire était considérée injustifiée et que le maintien des conditions de l'immobilisation imposée par l'inspecteur Warna aurait de graves conséquences économiques. Il est également important de noter que les demanderesses étaient tout à fait disposées à collaborer en effectuant les réparations recommandées par la Société NK.

[194]        L'ordre de détention de l'inspecteur Warna n'a été révisé par M. Streeter que le 18 juillet. J'estime que, d'après les preuves, il n'existe aucune explication pour ce retard, à part le fait qu'il a tout simplement fallu trois mois pour passer de la décision d'immobiliser le navire à une autre étape du processus décisionnel.

[195]        Le témoignage de M. Streeter au sujet de ce qui s'est passé après qu'il ait reçu la lettre de M. Bernard est intéressant sur deux points : premièrement, d'après son propre témoignage, il est tout à fait évident que M. Streeter avait délégué aux membres de son personnel le pouvoir de prendre la décision de second niveau pour ce qui est du Lantau Peak; et, deuxièmement, M. Streeter critique les décisions qui ont été prises au sujet du navire.

[196]        Au cours de son interrogatoire principal, M. Streeter a fait les déclarations suivantes au sujet de la question de la délégation de contrôle :

Faisant référence à la lettre de M. Bernard (transcription, page 2237) :

[traduction]


R              Non. Je me souviens fort bien d'avoir eu une discussion au sujet de la lettre et je me souviens également très bien de ne pas avoir porté une grande attention à ce document, pour la simple raison que, comme je l'ai dit, j'étais sur une courbe d'apprentissage. Je pensais à l'époque que les spécialistes de la question s'en occuperaient. Je l'ai signée. Je ne sais pas -- je pense que si vous aviez -- si vous examinez le dossier qui a été probablement transmis à M. Day pour qu'il prépare une réponse ou effectue une analyse ou prenne une décision, mais je ne m'en souviens pas vraiment.

En référence au courriel de M. Nelson du 24 avril qui transmettait la note d'information de l'inspecteur Warna : (transcription, page 2244) :

[traduction]

R    Je crains que ma réaction ait simplement consisté à classer le document. C'est une question qui avait été confiée à M. Day et je ne me souviens pas m'être beaucoup occupé de cette affaire à ce moment-là. En fait, je me souviens parfaitement que j'ai reçu un courriel d'une personne qui me disait que si j'intervenais trop brutalement je risquais de chambouler complètement le programme de contrôle des navires par l'État du port. Il faut savoir que j'étais en période d'apprentissage et que j'avais, je crois, la réputation d'intervenir un peu rapidement avant de bien connaître une question, et je ne me suis pas beaucoup occupé de cette question au début.

En bref, je ne pense pas avoir considéré à l'époque que ce document était un appel interjeté devant le président du bureau.

Au sujet de la lettre datée du 25 avril envoyée par M. Day aux autorités malaisiennes au sujet de l'immobilisation du navire et de l'état apparent du navire, lettre dont copie a été envoyée à M. Streeter (transcription, page 2245) :

[traduction]

R    Je ne sais pas très bien, pour être franc avec vous, à quel moment j'ai pu lire cette lettre. J'aurais vu là une question dont s'occupait M. Day et qui concernait l'immobilisation d'un navire. Son travail normal. Je savais à l'époque qu'une immobilisation ordonnée à titre de mesure de contrôle des navires par l'État du port exigeait qu'une notification soit donnée, et que celle-ci était normalement effectuée par le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international à Ottawa mais nous avons également -- il nous était également arrivé parfois, dans le cas où l'État du pavillon ne réagissait pas, de lui écrire directement. Je pense qu'il s'agissait d'une de ces situations.

Je note qu'il est indiqué qu'on m'a envoyé une copie, ce qui veut dire qu'une copie est certainement arrivée à mon bureau, mais franchement je ne me souviens pas de ma réaction à ce sujet. Je ne pense pas avoir fait grand-chose à ce sujet.

[197]        Au sujet du contrôle toujours, M. Streeter a également déclaré ce qui suit au cours de son contre-interrogatoire :


Au sujet du fait que la lettre de M. Bernard était un « appel » (transcription, pages 2334 et 2335) :

[traduction]

R    Je pense qu'à -- je ne sais pas pourquoi je n'ai pas fait le lien à ce moment-là avec un appel. Lorsque nous avons abordé cette question au cours de l'interrogatoire préalable, vous savez cela faisait alors quatre ans et demi ou cinq ans que j'étais président du bureau. Au moment du LANTAU PEAK, je crois que l'encre de mon certificat de nomination était à peine sèche. C'est donc tout simplement un cas où...

Q    C'était votre premier, n'est-ce pas, M. Streeter?

R    C'était la première affaire importante, pour ce qui est du contrôle des navires par l'État du port, oui monsieur.

Q    C'était le premier appel qui était interjeté devant vous en qualité de président du Bureau d'inspection des navires à vapeur, n'est-ce pas?

R    Portant sur l'immobilisation d'un navire dans le cadre du contrôle des navires par l'État du port, oui monsieur.

Q    Oui, et dans ce domaine, vous n'étiez pas très sûr de la façon dont il fallait agir, c'est ce que j'ai compris?

R    Comme je l'ai dit plus tôt, je savais fort bien que j'avais été nommé à ce poste pour introduire des changements. Je savais également que je suis... Je ne voulais pas faire comme l'éléphant dans... Je ne comprenais pas très bien toutes les implications de cette question. De sorte que oui, monsieur, j'étais -- j'étais effectivement assez inquiet, cela est clair.

Q    Aviez-vous quelqu'un à qui vous auriez pu demander des conseils? Votre prédécesseur ou quelqu'un d'autre?

R    Non, monsieur, mon prédécesseur est parti dans des circonstances assez pénibles.

Q    Oui, je m'en souviens.

R    J'aurais pu obtenir des conseils juridiques auprès des avocats du ministère et je sais que je l'ai fait à divers moments, je ne sais pas si c'est ce que j'ai fait au sujet du LANTAU PEAK. Je m'en suis remis, comme je l'ai déjà dit, à des gens comme M. Day pour ce qui est de me fournir des conseils au sujet du contrôle des navires par l'État du port.


En référence à une lettre datée du 11 avril envoyée par le capitaine Khoo à Transports Canada (À l'attention de : M. D.A. Hall et M. B.S. Warna) et à la Garde côtière canadienne, Ottawa (Ontario) (À l'attention de : officier responsable) dans laquelle il demandait la libération du navire (transcription, pages 2336 à 2338) :

[traduction]

R    Je crois que cette lettre m'est sans doute parvenue par l'intermédiaire du bureau de M. Day mais elle venait de Vancouver. Je pense que c'est M. Nelson ou M. Nash qui l'aurait transmise. Mais je pense qu'il faut faire une distinction subtile; il est très possible que la Garde côtière du Canada, qui se trouvait dans un autre ministère et dans un autre bâtiment à l'époque, ait pensé qu'il s'agissait d'un appel parce que c'était la Garde côtière qui ne voulait pas autoriser le navire à appareiller. Je ne me souviens pas si cela est venu -- Je ne me souviens pas si la lettre qui m'a été envoyée, si -- si je l'ai reçue, d'où est-elle venue, mais je pense qu'elle a dû être transmise par notre bureau interne de Vancouver à M. Day et ensuite portée à mon attention, si c'était nécessaire.

Q    M. Streeter, vous avez dû donner des directives à vos bureaux régionaux pour qu'ils vous envoient la correspondance importante à votre bureau dès qu'ils la reçoivent, est-ce bien exact?

R    Les directives que j'ai données à tous mes subordonnés étaient que je ne voulais pas voir toutes les lettres, qu'ils étaient des personnes compétentes, capables de savoir ce qui est important, ce qui peut embarrasser le ministère, le ministre et nous-mêmes et veiller à ce que je sois au courant de ce genre de choses.

Q    Et dans le cas d'un appel d'une décision prise dans la région qui doit être transmis au président du Bureau d'inspection des navires à vapeur, vous vous attendez à ce que le bureau régional vous le fasse parvenir, n'est-ce pas?

R    Eh bien, tout d'abord, si l'appel concerne le comportement des agents du contrôle des navires par l'État du port, les ententes prévoient de le confier à ce qu'on appelle un superviseur régional. Le premier niveau d'appel était donc nécessairement M. Nash. Il peut m'informer de l'affaire à ce moment-là mais il n'est pas obligé de le faire. Il peut m'en informer si les choses s'accélèrent.

Je fais vraiment de mon mieux, je ne suis pas sûr du moment où j'ai vu cette lettre et d'où elle venait, monsieur.

Au sujet de l'immobilisation du navire par l'inspecteur Warna (transcription, 2351-2353) :

Q    Saviez-vous à la fin du mois d'avril 1997, M. Streeter, le genre de visite qu'avait effectué votre inspecteur à Vancouver à bord du LANTAU PEAK les 5 et 8 avril?

R    Non, monsieur, je ne pense pas que je le savais. Je ne sais pas à quel moment j'ai appris -- honnêtement, je ne me souviens pas si j'ai vu les rapports d'inspection du contrôle des navires par l'État du port dès le début ou par la suite, et je n'ai certainement pas demandé si l'inspection avait été faite de près, du pont ou des cales.

Q    Est-ce que -- excusez-moi, terminez.


R    Pas du tout. C'est simplement que -- je ne me souviens pas avoir jamais remis en question le caractère professionnel de la visite effectuée par l'inspecteur du contrôle des navires par l'État du port de Transports Canada, non monsieur.

Q    Est-ce que, vous n'avez peut-être pas mis en doute ce caractère professionnel. Avez-vous mis en doute la méthodologie?

R    Non, monsieur, je ne l'ai pas fait.

Q    Vous n'avez jamais essayé de savoir si l'expert avait effectué son inspection en demeurant sur le pont, près des panneaux, et, ce qu'il avait vu ou s'il était descendu au fond de la cale, n'est-ce pas?

R    Non, monsieur, je n'ai personnellement pas fait cela.

Q    Vous ne savez pas où il est allé, ce qu'il a fait, ce qu'il avait vu?

R    Non, monsieur.

Q    Ni quelles notes il a prises à part le rapport d'inspection?

R    À par les documents qui m'ont été montrés au cours de l'interrogatoire préalable et des documents que vous avez dans mon dossier, c'est tout ce...

Q    Et j'en déduis, M. Streeter, que vous ne vous êtes jamais senti obligé de comparer le genre de visite qui a été effectuée par votre inspecteur aux visites qui ont été effectuées pour le compte de la NKK, du gouvernement de la Malaisie et des propriétaires dans cette affaire?

R    Non, monsieur, je ne me suis jamais senti personnellement obligé de le faire.

Q    Et vous, dans votre poste de directeur général et de président du Bureau d'inspection des navires à vapeur, vous êtes obligé de partir du principe que vos fonctionnaires font les choses correctement, est-ce bien cela?

R    Je pense que la personne qui occupe un poste de ce genre est obligée de tenir pour acquis a) que les gens exercent leurs fonctions comme ils doivent le faire, et b) qu'il existe des mécanismes, comme une surveillance à tous les niveaux, qui permet de vérifier que cela est bien le cas. Évidemment, il doit aussi exister des mécanismes pour les cas où les choses sont pas faites comme il se doit. Mais je ne me suis posé aucune question, aucune question personnelle à l'époque, à l'égard de la qualité de l'inspection.

Au sujet de la préparation de la lettre de décision définitive du 18 juillet 1997 (transcription, page 2664 à 2666) :

[traduction]

Q    Venons-en maintenant à la lettre du 18 juillet.


R    L'onglet suivant, monsieur?

Q    L'onglet suivant, oui. Cette lettre contient votre décision au sujet de l'appel de MCM, n'est-ce pas?

R    Oui, monsieur.

Q    Et qui a écrit cette lettre, M. Streeter?

R    Eh bien, monsieur, je n'en suis pas certain mais je pense que, je pense que cela a dû être M. Day.

Q    Et qu'est-ce qui vous amène à cette conclusion, monsieur?

R    Eh bien, franchement monsieur, je n'écrivais pas les lettres moi-même, donc cette lettre a dû venir du bureau de M. Day. Par contre, je ne sais pas si M. Day l'a personnellement préparée ou si c'est M. Tue-Fee ou...

Q    Était-ce là la première fois que vous aviez à répondre à des propriétaires de navire au sujet d'un appel interjeté devant vous en qualité de président du Bureau de l'inspection des navires à vapeur?

R    Je ne m'en souviens pas. Je ne...

Q    Lorsque je dis « là » , je parle de la lettre du 18 juillet, bien sûr.

R    Eh bien, non, monsieur, je pense que nous avions -- je pense que mon bureau avait envoyé d'autre correspondance au propriétaire. S'agissait-il à ce moment -- je ne me souviens pas si c'était la première fois que je lui répondais directement ou si -- mais ce n'était certainement pas la première fois que je correspondais directement avec lui mais je ne me souviens pas si je lui avais répondu directement avant ou non, monsieur.

Q    Je crois que j'accorde une importance particulière à cette lettre, M. Streeter, parce que je pense que cette lettre constitue la réponse que vous avez fournie à l'appel.

R    Cette lettre était pour moi, monsieur, un peu la fin de la pièce, oui, monsieur. C'était en fait une décision définitive, si vous voulez, monsieur.

Q    Voilà ma décision et nous allons maintenant passer à autre chose, un peu ça non.

R    Oui, monsieur.

Q    Très bien. Et c'était la première fois que vous aviez l'occasion d'écrire ce genre de lettre dans votre poste de président du Bureau d'inspection des navires à vapeur?

R    C'est la première lettre que j'ai été amené à signer, oui, monsieur.

Q    Vous étiez donc obligé d'accepter les pratiques qui vous étaient recommandées par des gens qui travaillaient pour vous, comme Richard Day.


R    Oui, monsieur, c'est exact. À l'époque, je ne connaissais pas suffisamment ces pratiques pour vraiment les modifier, oui, monsieur.

[198]        En outre, M. Streeter a confirmé la déclaration qu'il a faite lors de son interrogatoire préalable selon laquelle, pour les questions touchant le contrôle des navires par l'État du port, [traduction] « M. Day serait en mesure de vous fournir les explications qui manquent » (transcription, page 2608).

[199]        La seule conclusion raisonnable que l'on peut tirer de la déposition que je viens de citer est que M. Day contrôlait le processus décisionnel concernant le Lantau Peak depuis son immobilisation jusqu'à sa libération.

[200]        Au sujet de ce qu'il n'a pas fait pour s'informer des circonstances de l'immobilisation avant de prendre sa décision de second niveau et de sa critique de l'immobilisation, M. Streeter a déclaré (transcription, pages 2574 à 2577) :

[traduction]

Q    Avez-vous connaissance de la nature de l'analyse ou des questions qu'ont posées à Vancouver les supérieurs de l'inspecteur, de votre inspecteur, de l'inspecteur qui est monté à bord du navire?

R    Non, monsieur, j'en ai aucune idée. Je pense l'avoir déjà confirmé.

Q    Et vous ne savez pas ce qu'a fait l'expert à Vancouver.

R    Non, monsieur, je pense que nous avons déjà également confirmé cela.

Q    Vous n'avez aucune idée de ce qu'il a pu voir.

R    Eh bien, monsieur, j'ai...

Q    Ou de ce qu'il a vu, n'est-ce pas?

R    Je peux uniquement me faire une idée de ce qu'il a vu ou regardé en examinant son rapport, monsieur.


Q    Exact et d'après vous, qu'a-t-il examiné selon ce rapport?

R    Eh bien, pour moi -- excusez-moi une seconde, je crois que j'ai fait tomber quelque chose. Je crois que c'était le microphone. Pour moi, le rapport indiquait qu'il avait évalué des membrures de la cale et des joints et j'ai très clairement déclaré ce qui ressortait d'après moi de son rapport, à savoir...

Q    Donc il a examiné...

R    C'était l'état des membrures de la cale et des joints.

Q    Vous pensiez donc au début du mois de mai 1997 que l'inspecteur de Transports Canada qui était monté à bord du LANTAU PEAK avait évalué la résistance des membrures de la cale et des joints.

R    C'était ce que je pensais; je pensais qu'à chaque fois qu'on immobilisait un navire, l'inspecteur qui avait pris cette décision effectuait le travail nécessaire pour veiller à ce que l'immobilisation soit justifiée. S'il fallait procéder à des calculs de résistance, je pense que s'il n'était pas capable de les faire lui-même, il devait alors demander à ses collègues de l'aider sur ce point. Voilà comment je m'attendais à l'époque à ce que les choses se fassent.

Q    C'est ce que vous pensiez qui avait été fait à Vancouver pour le LANTAU PEAK.

R    Je pense avoir déclaré très clairement au cours de l'interrogatoire préalable de ce matin que je pensais effectivement que les personnes chargées d'inspecter les navires disposaient d'un appui technique.

Q    Très bien. Nous allons maintenant passer... Pensiez-vous -- saviez-vous que deux inspecteurs étaient montés à bord du navire à Vancouver?

R    Eh bien, je savais que MM. Hall et Warna avaient été à bord du navire. Je ne savais pas si d'autres personnes étaient montées à bord.

Q    Très bien, d'accord. Pensiez-vous que ces deux inspecteurs s'étaient rendus dans les cales du navire?

R    Je pensais qu'au moins un d'entre eux l'aurait fait. Je ne m'attendais pas à ce que les deux le fassent. Je pensais qu'ils se seraient répartis les inspections en fonction de leur expérience ou des tâches qui leur avaient été confiées.

Q    Et vous dites que vous pensiez que l'un d'entre eux -- vous pensiez que l'un d'entre eux se serait rendu dans chacune des cales du navire.

R    Franchement, c'est ce que je pensais, oui, que les cales avaient été inspectées, monsieur.

Q    Chaque cale.

R    En tout cas, toutes les cales qui étaient à l'origine de l'immobilisation, monsieur.


Q    Je vois.

R    Je m'attendais également à ce qu'un navire qui embarquait certains produits fasse l'objet d'une visite de disponibilité opérationnelle par un gardien de port mais que cela n'aurait pas nécessairement d'effet sur cette opération.

Q    Avez-vous des idées ou des attentes sur la façon de procéder à une inspection? L'inspecteur doit-il se rendre au fond de la cale ou sur le plafond d'un ballast pour la faire?

R    Je pense qu'au départ il n'est pas tenu de le faire. S'il trouve -- vous savez, au départ il ne le ferait peut-être pas. Il pourrait examiner -- techniquement, lorsqu'on procède à une inspection de contrôle des navires par l'État du port, on se limite en fait à une inspection visuelle, à moins d'avoir des motifs raisonnables de penser qu'il y a un problème. Eh bien, cela veut parfois dire qu'il faut jeter dès le départ un coup d'oeil dans les cales de cargaison. Mais lorsqu'on en arrive au point où le navire est immobilisé, je m'attendrais à ce que les inspecteurs fassent un suivi sur leur propre inspection. Voilà à quoi je m'attendais, monsieur.

Q    Par votre inspecteur sur place.

R    Soit par le -- oui, monsieur. Eh bien, par un inspecteur de Transports Canada, monsieur, pour justifier cette immobilisation. Voilà à quoi je m'attendais à l'époque.

[201]        Le passage suivant des arguments des demanderesses fait état d'autres commentaires et critiques formulés par M. Streeter au sujet de l'immobilisation (CAP, page 48) :

[traduction]

84.           Lorsque M. Streeter a été confronté au témoignage qu'il a fourni au cours de l'interrogatoire préalable à la page 2605 de la transcription, il a admis que lorsqu'il est apparu que le navire était classé, il était nécessaire de trouver une bonne justification pour poursuivre son immobilisation.

85.           M. Streeter a déclaré « je m'attendais à ce que nous agissions avec une certaine rapidité, monsieur » (transcription, page 2606, lignes 17 et 18). Il a également déclaré qu'il s'était attendu à ce que les fonctionnaires du ministère à Ottawa réagissent mieux qu'ils ne l'avaient fait (transcription, page 2606, lignes 19 à 25 et 2607, lignes 3 à 18).

86.           M. Streeter a confirmé que, si le navire était conforme aux prescriptions de sa classe, il hésiterait à l'immobiliser (transcription, page 2420, ligne 20 - p. 2421, ligne 7). M. Streeter confirme que le dossier n'indique aucunement que le degré d'importance accordé à l'examen de l'immobilisation a été renforcé lorsque Transports Canada a constaté que le navire était classé.


87.           Enfin, M. Streeter a reconnu que si l'inspecteur avait commis une erreur et que si sa position était déraisonnable, les Conventions prévoyaient un recours contre l'État pour lequel travaillait l'inspecteur (transcription, page 2457, lignes 17 à 23 et page 2559, lignes 3 à 17).

[202]        Au cours du contre-interrogatoire, M. Streeter a tenté de faire assumer aux autorités malaisiennes une certaine responsabilité à l'égard d'un retard de trois semaines, au début du mois de juin, relatif à la demande de décision de second niveau, en disant que son bureau avait attendu une réponse satisfaisante de la part de ces autorités (transcription, page 2595). Voici ce que M. Streeter a déclaré au sujet de cet aspect (transcription, page 2596) :

[traduction] Il n'est pas normal et ce n'était pas la pratique normale à l'époque qu'un organisme d'un pays traite directement avec le propriétaire d'un navire d'un autre pays. Voilà l'essentiel de la question. Il n'est pas non plus normal qu'un organisme d'un pays traite directement avec un agent autorisé, la société NKK en l'espèce, au sujet des mesures d'épaisseur mais pas nécessairement pour tous les autres aspects de cette question. C'est le protocole qu'il faut suivre, même si je sais que cela paraît bien bureaucratique.

[203]        J'écarte cette explication parce qu'elle n'est pas compatible avec les preuves. Depuis les tout débuts, les fonctionnaires de M. Streeter essayaient, avec les propriétaires et avec la Société NK, de trouver une solution à l'immobilisation contestée, qu'avait ordonnée l'inspecteur Warna. J'estime que le fait qu'il ait fallu plus de trois mois pour obtenir une décision définitive est uniquement attribuable aux défendeurs, et ne peut être reproché à aucun des autres intervenants.

[204]        Au sujet de ce retard, M. Streeter a également tenté, au cours de son témoignage, de faire porter aux autorités malaisiennes une certaine responsabilité découlant de leur réaction à un important avis d'expert préparé par Transports Canada.

[205]        M. Flood, un architecte naval à l'emploi de Transports Canada, a examiné, même si c'est presque deux mois plus tard, les calculs de résistance des « modules de section » visant à évaluer la résistance de la coque du navire et qui figuraient dans la lettre du 24 avril de M. Bernard. Voici le contenu de cette évaluation détaillée du 18 juin (volume 8, onglet 26) :

[traduction]

En référence à la correspondance récente concernant la détention du navire ci-dessus à Vancouver.

Les épaisseurs mesurées par la société Shin-Toyo Eng.Pte. Ltd au cours de la dernière visite spéciale effectuée à Singapour du 12 au 21 avril 1995. (Copie des mesures seulement pour les cloisons étanches transversales et les membrures de cales.)

La publication NKK « Normes en matière de mesure des épaisseurs des éléments structuraux de la coque » , datée de 1994.

Les calculs portant sur les modules des sections de membrures de cale effectués par NKK ont été vérifiés; ils sont dans l'ensemble acceptables.

1.             Selon le registre des navires Lloyd's, édition 1993-94, navire construit au Japon en 1978 conformément à la classification NKK (19 ans d'âge).

2.             A subi une visite spéciale et un radoub à Singapour, avril 1995.

3.             Les exigences du programme d'inspection amélioré prévu par la Convention SOLAS de 1974 avec les amendements entrés en vigueur en janvier 1996. (Les sociétés de classification incluent dans leurs règles des obligations en matière d'inspection.)

4.             Le navire aurait subi sa troisième VS en 1995 et aurait dû se conformer aux mesures d'épaisseur détaillées par les règles de classification, prévoyant que toutes les membrures de cales doivent faire l'objet d'une inspection approfondie, à moins que l'état de la cale soit satisfaisant, auquel cas la moitié seulement des membrures des cales de ballast et des cales de cargaison contenant des billes de bois ou du charbon, et un tiers des membrures prises à l'avant, au milieu et à l'arrière des autres cales de cargaison sont sujettes à une inspection approfondie.

4.1           Le rapport de mesure indique que toutes les membrures de bordé des cales 4, 5, 7 et 8 ont été examinées, ce qui conduit à penser que les cales 1, 2, 3, 6 et 9 étaient considérées en bon état. Cependant, d'après les normes de mesure d'épaisseur NKK, une « corrosion substantielle » est définie comme une corrosion telle que l'évaluation de la profondeur indique une détérioration supérieure à 75 % des marges admissibles, mais à l'intérieur des limites acceptées. Lorsque les résultats des mesures d'épaisseur font ressortir des signes de corrosion substantielle, d'autres mesures plus poussées doivent être effectuées sous la conduite de l'expert.


4.2           Au cours de la VS précédente, les mesures reflétaient clairement une corrosion substantielle du navire, mais aucunes mesures complémentaires ne semblent avoir été prises. Selon NKK, en particulier dans le cas des pétroliers et des vraquiers, « une corrosion substantielle supérieure à 75 % de la marge admissible signale une « zone suspecte » qui doit faire l'objet d'inspections et de mesures appropriées au cours des visites ultérieures » .

5.             D'après les normes d'épaisseur de classification mentionnées, les faces des membrures de la cale auraient présenté une détérioration substantielle à un niveau de 75 % de 25 % (la marge admissible), soit 18,75 %, et les âmes, de 75 % de 37,5 % ou de 46,4 % respectivement, soit 28 % et 34,8 %.

5.1           Les calculs sur les membrures de bordé, avec échantillonnage réduit, indiquent que la structure a une résistance d'environ 80 % de la valeur nominale. Il est évident qu'une comparaison des pourcentages n'est pas appropriée dans ce cas et pourrait être inquiétante si elle était prise dans ce seul contexte! Notre principale préoccupation est le fait que le rapport (profondeur/épaisseur de l'âme) est suffisant pour maintenir la stabilité latérale de l'âme, mais nous présumons que des goussets anti-flambage sont prévus à cet effet.

6.             Comme vous le savez, les récents amendements apportés à la Convention SOLAS de 1974 exigent maintenant que les vraquiers soient soumis à un programme de visites amélioré selon la résolution de l'OMI A.744(18) « Directives pour le programme d'inspection amélioré au cours des visites des vraquiers et des pétroliers » . Chaque navire doit détenir à son bord un dossier des rapports de visite contenant un document de planification des visites et un rapport d'évaluation de l'état du navire. Le navire avait-il ces documents à bord?

7.             Avec la corrosion importante relevée sur l'ensemble de la coque, quel était l'état des échantillonnages primaires contribuant à la solidité longitudinale?

8.             Nous notons les commentaires du certificat de navigabilité NKK à l'effet que des mesures supplémentaires ont été prises sur toutes les membrures du côté tribord de la cale de cargaison n ° 3 par Blander Inspection Ltd., le 5 avril 1997, et que ces lectures étaient pratiquement compatibles avec les mesures antérieures. Avons-nous des copies de ce rapport et pourquoi limiter les mesures à cette seule cale?

9.             Concernant la perte d'épaisseur admissible, je joins pour votre information une copie d'une lettre reçue de l'AISC concernant les évaluations individuelles des sociétés de classification.

En résumé, je pense que des dispositions auraient dû être prises pour permettre au navire d'appareiller pour Shanghai, comme le recommandait la Société NK, mais aux conditions suivantes :


1.             Qu'une copie des relevés de mesures exigés par NKK conformément à sa norme d'épaisseur voulant que les 'zones suspectes' soient examinées au cours des visites ultérieures, soit transmise, étudiée et jugée conforme aux limites acceptables de la classification.

2.             Qu'un calcul de résistance longitudinale, portant le tampon -- approuvé par la Classification, soit effectué pour le voyage sur lest proposé, en utilisant les échantillonnages détériorés récemment déterminés.

3.             Que le navire ait à son bord un certificat restreint, à court terme, valable uniquement pour le voyage proposé.

                                                                                                                                      Signé                                     

                                                                                                                               18 juin 97                                 

[Souligné dans l'original]

[206]        Au cours du contre-interrogatoire, M. Bernard a directement demandé à M. Streeter si l'opinion de M. Flood avait été prise en considération. M. Streeter n'a pas fourni de meilleure réponse à ce sujet que l'échange qui est présenté ci-dessous (transcription, pages 2565 à 2567) :

[traduction]

Q    J'ai l'impression, monsieur, que la recommandation de M. Flood n'a pas été prise en considération.

R    Le 18?

Q    Après que ce rapport a été transmis, après qu'il a fait sa recommandation, qui était que le navire devait être -- que le navire soit autorisé -- que des mesures soient prises pour autoriser le navire à appareiller pour Shanghai comme le recommandait la société de classification. C'était sa recommandation.

R    C'est exact.

Q    Et il n'existe aucune réponse à ce rapport dans les documents, exact?

R    Le document que vous examinez est une note à classer; elle fait état essentiellement des mesures qu'a prises M. Flood pour répondre à -- et comme je l'ai dit plus tôt, je ne me souviens pas si c'est moi ou M. Day qui lui avait demandé de répondre à cela. D'après mon souvenir, nous avons pris des mesures rapidement après avoir reçu ce document. D'autres lettres ont été envoyées en Malaisie, et comme je l'ai dit plus tôt, nous pensions que les autorités malaisiennes allaient respecter leurs obligations aux termes de la convention internationale. D'autres lettres ont donc été envoyées en Malaisie pour les informer que -- vous savez, je ne suis pas sûr des dates précises mais je suis sûr que ces lettres figurent dans les documents au dossier.

Q    Mais nous y viendrons...


R    Et nous les avons informés des conditions que nous avions imposées pour la libération du navire. Peu après, nous avons invité M. Khoo à rencontrer des représentants du bureau de Vancouver ce qu'il a fait et nous avons échangé des lettres au début du mois de juillet. Oui, le temps passait mais, vous savez, nous étions en train de communiquer avec les autorités malaisiennes.

Q    Mais il n'y avait pas de...

R    Je ne pense pas que l'on puisse dire que nous n'avons aucunement pris en considération ce rapport. Il serait peut-être plus exact de dire que nous n'avons pas laissé tomber tout ce que nous étions en train de faire pour réagir à ce document.

Q    Il n'existe aucun doute dans votre esprit, au sujet de la conversation que vous avez eue avec M. Flood à l'époque où il a préparé cette note de service, c'est-à-dire le 18 juin...

R    Je ne me souviens pas du moment où cela s'est produit. Je me souviens que je suis revenu d'un conseil au Royaume-Uni et je ne me souviens pas exactement à quel moment cela s'est passé, si c'était le lendemain ou une semaine après. Mais il est très clair que cela a entraîné la lettre du 2 juillet, qui a été préparée le plus rapidement possible, d'après mon souvenir.

[207]        La lettre du 2 juillet à laquelle M. Streeter fait référence répondait à la lettre du 23 juin envoyée par l'Administration centrale du ministère de la Marine de la Malaisie à M. Streeter et se lisait ainsi (pièce P-10) :

[traduction]

Date : 23 juin 1997

Directeur,

Direction de la sécurité maritime

Transports Canada

344, rue Slater

12e étage, Édifice Canada

Ottawa (Ontario), Canada K1A 0N7

             (À l'attention de : M. Bud Streeter)

Monsieur,

N.M. Lantau Peak

Il est fait référence à votre lettre télécopiée datée du 15 mai 1997 concernant le navire mentionné ci-dessus.


2. [sic]     Nous avons examiné votre recommandation et également eu d'autres discussions avec la société de classification « Nippon Kaiji Kyokal » (également appelée la Société NK) au sujet de votre recommandation consistant à remplacer les membrures de cales en fonction d'un critère d'usure de 33 p. 100. La Société NK nous a informés que le chiffre de 33 p. 100 utilisé n'est pas un critère mais un simple exemple de calcul qui permet à la société de classification d'exprimer une opinion sur la résistance structurelle. En fait, les critères réels en matière de corrosion sont précisés dans les règles de classification sous la rubrique « normes en matière de mesures d'épaisseur » NK, éléments que la Société NK vous a clairement transmis dans la lettre qu'elle a envoyée à votre bureau datée du 3 juin 1997, dont nous avons également reçu une copie.

3.              La Société NK est une des six sociétés de classification qui sont reconnues par notre Administration. La Société NK a précisé quels étaient les critères utilisés actuellement en matière de corrosion pour les membrures de cales mais tout en respectant l'opinion de cette Société au sujet de la navigabilité du navire, nous avons estimé qu'il nous incombait également d'effectuer notre propre enquête. C'est la raison pour laquelle nous avons envoyé à Vancouver le 11 juin 1997 notre expert maritime principal, M. Abdul Jamil Murshid, pour qu'il effectue les observations nécessaires à bord du navire. M. Jamil a constaté que, d'une façon générale, l'état des membrures de la cale ne montrait aucun signe d'anomalie évidente ni de déformation si ce n'est une usure générale. Cette constatation a été transmise à notre ministère des Transports et compte tenu des critères de corrosion utilisés par la société de classification, nous sommes convaincus que l'état actuel des membrures de la coque ne poserait aucun danger à la sécurité ou à l'environnement pour le voyage sur lest proposé vers Shanghai.

4.              Vous vous souvenez certainement du fait qu'au cours de la visite de M. Jamil dans vos bureaux d'Ottawa, vous avez demandé que soient effectués d'autres calculs sur les modules de section des membrures de cales dont la perte d'épaisseur de l'âme était de 7,0 mm et de 6,0 mm. La Société NK a effectué les calculs nécessaires qui indiquent que la résistance de la coque correspond à 289 p. 100 et 279 p. 100 de la résistance exigée pour un voyage sur lest; vous trouverez ci-joint une copie des feuilles de calculs que vous pourrez examiner à loisir.

5.              Compte tenu de ce qui précède et dans l'esprit du Mémorandum de Tokyo sur le contrôle des navires par l'État du port, nous sollicitons votre collaboration en vue d'obtenir la libération du navire pour qu'il puisse appareiller pour Shanghai pour effectuer toutes les réparations nécessaires.

Nous espérons recevoir rapidement une réponse favorable.

Merci.

Veuillez recevoir nos sincères salutations,

(HAJI GHSZALI BIN ABU HASSAN)

pour le directeur général,

Ministère de la Marine de la Malaisie péninsulaire

c.c.           Son Excellence l'ambassadeur,


Haute-Commission de la Malaisie

Canada

(À l'attention de : M. Jojie Samuel

deuxième secrétaire)

No de télécopieur : 613 2415214

Secrétaire général

Ministère des Transports de la Malaisie

(À l'attention de : Detin O.C. Phang)

[208]        La lettre du 2 juillet à laquelle M. Streeter faisait référence se lisait ainsi (volume 8, onglet 30) :

[traduction]

Le 2 juillet 1997

Administration centrale du ministère de la Marine

Malaisie péninsulaire

B.P. 12

42007 Port Klang

Selangor, Malaisie

À l'attention de : M. Haji Ghazali Bin Agu Hassan

Monsieur,

Nous avons reçu votre lettre du 23 juin 1997 concernant l'immobilisation du N.M. LANTAU PEAK.

Nous avons examiné avec grand soin vos commentaires et les calculs fournis par la Société NK. Les calculs effectués par la Société NK sont basés sur des hypothèses au sujet de la corrosion apparente et des niveaux d'épaisseur. Par exemple, la corrosion constatée sur la majorité des membrures s'étend aux semelles de la coque, ce qui a entraîné une détérioration des joints des soudures d'angle au point où plusieurs membrures étaient détachées, comme cela s'est produit lorsque le navire est arrivé à Vancouver après un voyage sur lest.

Les mesures prises par la société de classification dans ce cas particulier soulèvent d'après nous d'autres questions, en particulier pour ce qui est des procédures concernant les inspections approfondies qui ne semblent pas avoir été suivies. Ces préoccupations seront étayées et portées à l'attention de l'AISC.

En qualité d'État du port, nous ne voulons pas aborder à cette étape-ci la question de savoir si la société de classification a respecté ses propres règles mais nous préférons plutôt nous concentrer sur la sécurité du navire, sur celle de son équipage et sur nos obligations internationales.


Le Mémorandum de Tokyo, dont la Malaisie et le Canada sont signataires, exige que, lorsque les anomalies constituent un risque manifeste pour la sécurité, la santé et l'environnement, l'État du port fasse en sorte que le risque ait disparu avant que le navire ne soit autorisé à reprendre la mer.

Aucune des parties concernées ne remet en doute le fait que les défectuosités constatées sur le N.M. LANTAU PEAK exigent son immobilisation. Nous exigeons toujours que les réparations essentielles soient effectuées avant d'autoriser le départ de ce navire de Vancouver de façon à ce qu'il puisse appareiller en toute sécurité pour Shanghai en vue d'y effectuer des réparations plus importantes.

Outre les conditions antérieures déjà mentionnées, il faudrait pour libérer le N.M. LANTAU PEAK également obtenir des preuves montrant que la résistance structurelle est suffisante pour le voyage proposé et il y a lieu de mentionner dans ce contexte les discussions que nous avons eues avec M. Abdul Jamid Murshid, au cours desquelles il a reconnu avec nous qu'il y aurait lieu de procéder à des mesures d'épaisseur générales, effectuées par une société indépendante. Il faudrait ensuite céder à des calculs de résistance à l'échelon local en se fondant sur les résultats de ces mesures.

Nous apprécions l'intérêt que vous portez à ce dossier et « dans l'esprit » du Mémorandum de Tokyo sur le contrôle des navires par l'État du port, nous aimerions vous voir appuyer nos actions qui visent à renforcer la sécurité et à dissuader les pratiques maritimes inférieures aux normes.

Veuillez recevoir nos sincères salutations.

Bud Streeter

Directeur général

Sécurité maritime

c.c. : B. Nash -TM


[209]        Il me paraît évident qu'il n'a été tenu aucun compte des recommandations formulées par M. Flood. Il est également évident que le 2 juillet, malgré tous les efforts déployés pour trouver une autre solution, les défendeurs exigeaient toujours le respect des conditions fixées par l'inspecteur Warna le 5 avril. D'après moi, la lettre du 2 juillet fait ressortir une indécision manifeste de la part du personnel du bureau d'Ottawa au sujet de la décision de second niveau qu'il fallait prendre. Toutes les observations concernant la décision de second niveau avaient été présentées; on disposait de l'avis d'un expert interne qui recommandait la libération du navire à certaines conditions; et, compte tenu de la lettre du 23 avril, il est difficile de voir ce que les autorités malaisiennes auraient pu faire d'autre pour résoudre le dilemme que représentait la prise d'une décision de second niveau.

[210]        Sur ce dernier point les autorités malaisiennes ont, dès le départ, pris contact avec les défendeurs pour demander la libération du navire et elles sont demeurées régulièrement en contact avec eux pendant toute cette période. Les autorités malaisiennes ont même été jusqu'à envoyer un représentant à Vancouver et à Ottawa pour qu'il rencontre le personnel du bureau de M. Streeter entre le 10 et le 13 juin. D'après le dossier, il n'est pas possible de leur reprocher le fait que la décision définitive au sujet de la libération du navire n'a été prise que le 18 juillet. Je conclus que la préoccupation qu'a exprimée M. Streeter au sujet de la réaction des autorités malaisiennes n'est pas étayée par les preuves.

[211]        Les preuves indiquent que dès le départ, le processus décisionnel a été influencé par la crainte que le fait de libérer le navire sans que les réparations aient été effectuées à Vancouver compromettrait le régime du contrôle des navires par l'État du port. Le 24 avril, M. Nelson a fourni à M. Streeter l'avis suivant dans un courriel : [traduction] « si ce navire est libéré sans qu'il soit réparé, cela compromettrait gravement le régime du contrôle des navires par l'État du port en général et le Programme d'inspection des vraquiers en particulier » (volume 12, onglet 2B). Dans son témoignage, M. Nelson fait deux déclarations qui précisent cette affirmation; la première est fournie au cours de l'interrogatoire principal (transcription, pages 1899-1900) et la deuxième a été faite au cours du contre-interrogatoire (transcription, pages 2028 à 2032) :

[traduction]

Q    Vous mentionnez ensuite dans le paragraphe suivant :


« Si ce navire est libéré sans qu'il soit réparé, le régime du contrôle des navires par l'État du port en général et le Programme d'inspection des vraquiers en particulier seraient gravement compromis. »

Est-ce là votre opinion?

R    C'est mon opinion.

Q    Et pourriez-vous expliquer à Sa Seigneurie comment vous en êtes arrivé à cette opinion.

R    Eh bien, tout le monde savait dans le port que le navire avait été immobilisé et dans ce cas il est certain -- la crédibilité du programme repose sur le fait que les navires immobilisés doivent demeurer dans le port et que les directives des inspecteurs sont respectées. Si un navire pouvait appareiller en soutenant qu'il est en meilleur état que l'inspecteur le pense, alors le programme perdrait toute crédibilité.

...

Q    Très bien. Vous étiez -- vous saviez que les propriétaires avaient fait appel devant M. Streeter pour obtenir la libération du navire.

R    Oui.

Q    Bien, et vous saviez que M. Streeter était le président devant qui les propriétaires faisaient appel, n'est-ce pas?

R    C'est exact.

Q    Pourtant, si j'ai bien compris votre témoignage, vous étiez en communication pratiquement constante avec M. Streeter ou avec son personnel, est-ce bien exact?

R    Oui.

Q    Et vous transmettiez à M. Streeter et aux membres de son personnel la position qu'avait adoptée Vancouver au sujet de l'immobilisation, est-ce bien cela?

R    C'est exact.

Q    Et vous craignez que le navire ne soit libéré parce que vous pensiez que cela compromettrait le contrôle des navires par l'État du port à Vancouver, exact?

R    Ce n'était pas la seule raison, non.

Q    Eh bien, c'était une raison...

R    C'était une des raisons.

Q    Une des raisons que vous avez communiquées à M. Streeter -- et vous avez eu une conversation avec M. Streeter à ce sujet, n'est-ce pas?


R Oui.

Q    Et une des raisons dont vous avez fait part à M. Streeter était que vous pensiez que le contrôle exercé par l'État du port serait compromis si un propriétaire pouvait contester l'étendue des réparations exigées par un inspecteur, parce que cela entraînerait constamment des contestations, est-ce bien cela?

R    C'était un des aspects, oui.

Q    Bien, et même si vous saviez le 13 mai 1997 qu'une des justifications de l'immobilisation n'existait plus, autrement dit que le problème de classification avait disparu, vous vouliez quand même poursuivre l'immobilisation du navire parce que vous pensiez encore qu'il était important de prolonger cette immobilisation pour le bien de votre système global de contrôle par l'État du port, est-ce bien exact?

R    Je ne dirais pas que le problème de classification avait disparu. Il est vrai que la société de classification nous avait fourni d'autres chiffres. Mais le navire était dans un tel état, l'état général du navire était tel...

Q    Monsieur, vous n'étiez pas à bord...

R    ... que...

Q    Vous n'étiez pas à bord. Je comprends que vous vouliez parler de l'état du navire mais vous n'êtes pas monté à bord, n'est-ce pas?

R    Je n'ai pas été à bord, non.

Q    Très bien, alors vous vous fondez simplement sur des renseignements qui vous ont été transmis par d'autres personnes pour former des commentaires sur l'état du navire?

M. CARRUTHERS : Votre Honneur, cela ressemble au témoignage de M. Zinger. M. Zinger peut faire des commentaires -- il n'a jamais vu le navire, il n'a jamais même été près du navire et pourtant il avait une opinion au sujet de...

LA COUR : C'était une opinion professionnelle. Cet homme est un acteur dans ce processus. La situation est complètement différente.

M. CARRUTHERS : Je ne suis pas d'accord avec vous.

LA COUR : Poursuivez. Posez vos questions.

M. SWANSON : J'ai perdu ma...

LA COUR : Vous en étiez au point où même après le 15 mai, après qu'une des raisons ait disparu, il voulait prolonger l'immobilisation du navire pour préserver la réputation de Transports Canada. Voilà où vous en étiez.

M. SWANSON : C'est une bonne question.

Q    Pouvez-vous répondre à cela, s'il vous plaît.


R    Il ne s'agissait pas de préserver la réputation de Transports Canada, Votre Honneur, il s'agissait de préserver la crédibilité du programme de contrôle des navires par l'État du port, qui est une des raisons pour lesquelles je recommandais que le navire ne soit pas libéré.

Q    Vous craignez que si les propriétaires du LANTAU PEAK réussissaient à obtenir la libération du navire en contestant son immobilisation, vous auriez à faire face plus fréquemment à des contestations des ordres de détention, est-ce bien cela?

R    C'est exact.

Q    Et c'est pourquoi vous disiez à M. Streeter : « Ne laissez pas partir ce navire » .

R    C'est une des raisons pour lesquelles je disais cela, oui.

[212]        Comme cela a déjà été mentionné ci-dessus, l'inspecteur Warna a exprimé essentiellement la même préoccupation générale au sujet de la libération du navire.

[213]        Je peux comprendre comment le souci de préserver la crédibilité du programme de contrôle des navires par l'État du port peut être un aspect de toutes les décisions prises à ce sujet. Je trouve néanmoins inéquitable de laisser cet élément l'emporter sur ce qui serait juste et raisonnable de décider à l'égard d'un navire particulier. Je crains que ce soit ce qui s'est produit en l'espèce et cela me paraît être une des principales causes du retard injustifié.

[214]        J'accepte l'admission qu'a faite M. Streeter au cours de son témoignage au procès selon laquelle il n'était pas justifié de prendre aussi longtemps pour prendre cette décision. En fait, le navire n'a été libéré qu'après trois mois et treize jours d'immobilisation. Dans le passage suivant, cette période semble avoir été plus longue pour M. Bernard et M. Streeter, mais on y retrouve le sens général de cette observation (transcription, page 2678) :

[traduction]


Q    Quoi qu'il en soit, M. Streeter, nous sommes maintenant le 18 juillet 1997?

R    Oui, monsieur.

Q    Quatre mois et treize jours après l'immobilisation du LANTAU PEAK?

R    Je pense que vos calculs sont corrects, monsieur.

Q    Et ce n'est pas un très bon exemple de la réponse rapide qui doit être apportée dans ce genre de situation aux termes du Mémorandum de Tokyo, n'est-ce pas?

R    Monsieur, je crois avoir déjà dit hier que ce n'était pas le cas. Je pense également avoir mentionné que l'organisation avait tiré des leçons de cette affaire.

Q    Merci, M. Streeter, j'ai posé mes questions.

R    J'espère que ces leçons font toujours sentir leur effet, monsieur.

Q    Merci.

R    Merci.

[215]        Même si M. Streeter a délégué le contrôle du processus décisionnel à M. Day, j'estime que le retard qu'ont subi les demanderesses en attendant que les défendeurs prennent une décision à ce sujet est injustifié; j'estime qu'il est bien supérieur à ce qui pourrait être considéré comme étant raisonnable et prudent de la part de fonctionnaires chargés d'administrer le Mémorandum. J'estime qu'étant donné que M. Streeter était le fonctionnaire le plus haut placé dans l'administration du programme de contrôle des navires par l'État du port au Canada aux termes du Mémorandum, il lui appartenait de faire respecter l'obligation de prudence qui a été violée. Par conséquent, je conclus qu'il a commis une faute dans l'exercice de ses fonctions administratives.

2. La responsabilité de M. Day à l'égard du retard

[216]        Les demanderesses soutiennent qu'il y a lieu de tirer une conclusion défavorable du fait que M. Richard Day n'a pas été appelé à témoigner par les défendeurs.

a. les arguments en présence

[217]        Pour ce qui est de M. Day, les demanderesses soutiennent qu'il y a lieu de tirer une déduction défavorable à la défense, dans les termes suivants (CAP, page 84 et 85) :

[traduction]

Le fait que les témoins du bureau d'Ottawa de Transports Canada n'aient pas témoigné est particulièrement significatif. Richard Day était le plus haut fonctionnaire chargé de surveiller le programme du contrôle des navires par l'État du port au Canada. M. Streeter l'a décrit comme étant un des architectes du programme et a mentionné que M. Day avait participé activement à l'élaboration du Mémorandum d'entente de Tokyo. M. Streeter a déclaré que, lorsque M. Day témoignerait, il serait en mesure de fournir un grand nombre de renseignements qui permettraient de préciser un bon nombre de questions. Ces précisions n'ont jamais été apportées et M. Day n'a jamais même été appelé à témoigner. Il se trouvait dans la salle d'audience à un moment donné au cours du procès et aucune explication n'a été présentée pour expliquer son absence et son silence. Il faut donc que la Cour présume que le témoignage de M. Day aurait étayé les allégations des demanderesses pour ce qui est de la négligence du ministère des Transports, en particulier l'absence de réponse dans un délai raisonnable, l'absence de surveillance et de supervision, l'omission de la part du bureau régional et du bureau d'Ottawa de Transports Canada de demander des conseils techniques avant de solliciter M. Flood en juin 1997, l'omission de prendre en considération les preuves apportées par la Société NKK et les représentants des propriétaires et l'étrange incapacité du bureau d'Ottawa de répondre utilement aux diverses demandes présentées par l'État du pavillon ou par les propriétaires au sujet de l'immobilisation du navire.

Les défendeurs répondent de la façon suivante dans leurs arguments écrits (paragraphes 154 et 156) :

[traduction]


Les personnes qui n'ont pas été convoquées par les défendeurs (observations des demanderesses, pages 84 et 85) n'auraient pu ajouter grand-chose pour « préciser les rapports » ou « préciser leur compréhension des obligations qui leur incombaient et du degré d'expertise des différents niveaux » . Si le témoignage des personnes qui n'ont pas été convoquées aurait certes pu combler certaines lacunes et fournir des renseignements intéressants, il n'était pas essentiel pour l'examen des questions ayant entouré l'immobilisation initiale du Lantau Peak ou les conditions de sa libération. Comme Votre Honneur l'a fait remarquer, « les faits ne sont pas vraiment contestés » . La correspondance qu'ont échangé les fonctionnaires du ministère des Transports fournit les explications nécessaires. Il aurait été inexcusable de transformer un procès de deux semaines en un procès qui aurait duré de six à huit semaines dans le seul but de convoquer des témoins non essentiels. La décision de ne pas convoquer certains témoins non essentiels a été prise lorsqu'il a été constaté, dès le début, que la durée du procès avait été gravement sous-estimée.

...

M. Day n'a pas été convoqué comme témoin mais il y a eu des témoignages plus que suffisants au sujet du contrôle des navires par l'État du port, tant sur le plan international par M. Schiferli que national par M. Streeter qui a fait référence au Mémorandum en particulier et aux rapports sur le contrôle des navires par l'État du port préparés par Transports Canada en 1996 et 1997. M. Nelson a également témoigné longuement au sujet du régime d'inspection des vraquiers. Le rôle qu'a joué M. Day à l'égard de la libération du Lantau Peak est bien documenté. M. Streeter a expliqué le rôle qu'avait joué M. Day et il a parlé des commentaires qu'il avait reçus de la part de M. Day et d'autres fonctionnaires à Ottawa et Vancouver. En outre, M. Streeter a expliqué de façon très détaillée la décision qu'il a prise en qualité de président du Bureau des inspecteurs de navires à vapeur et des commentaires qu'il avait reçus des autres fonctionnaires à ce sujet. Il n'était pas nécessaire d'assigner toutes les personnes qui ont fourni les commentaires qui ont amené le président à prendre sa décision et qui, dans ce processus, avait toute latitude pour demander et recevoir autant ou aussi peu d'information qu'il l'estimait nécessaire... Comme les avocats l'ont reconnu, MM. Day et Nash étaient présents dans la salle d'audience et auraient pu être assignés au moyen d'un subpoena.

b. le droit

[218]        Les règles relatives au droit de tirer une déduction défavorable sont formulées dans le traité de Sopinka, Lederman et Bryan, intitulé The Law of Evidence in Canada (2e édition 1999), à la page 297, de la façon suivante :

[traduction] Dans les affaires civiles, il est possible de tirer une déduction défavorable lorsque, en l'absence d'explication, une partie à un litige ne témoigne pas ou omet de fournir une preuve par affidavit dans le cadre d'une demande ou omet de convoquer un témoin qui a connaissance des faits en litige et devrait être disposé à aider cette partie. De la même façon, il est possible de tirer une déduction défavorable à une partie lorsque celle-ci ne convoque pas un témoin important sur lequel elle exerce un contrôle exclusif et ne fournit aucune explication à ce sujet. Une telle omission constitue une admission implicite que le témoignage du témoin absent serait contraire à la partie en cause ou du moins ne la favoriserait pas. [Non souligné dans l'original]

[219]        Les auteurs citent de nombreuses décisions à l'appui de cette proposition, notamment Levesque c. Comeau, [1970] R.C.S. 1010, 16 D.L.R. (3d) 425. Levesque est une affaire de responsabilité délictuelle pour dommages corporels subis à la suite de la faute commise par le conducteur dans un accident d'automobiles. La faute était admise et la seule question en litige était le lien de causalité. La Cour a jugé que les preuves présentées par l'appelante n'avaient pas démontré que la collision était la cause probable des blessures de l'appelante. L'appelante avait cité un expert médical, un médecin qui l'avait examinée plus d'un an après l'accident, après qu'elle ait subi plusieurs examens médicaux. À la page 32, la Cour a fait un commentaire sur le défaut d'appeler à témoigner les autres docteurs qui l'avaient examinée, en déclarant : « Elle seule pouvait présenter à la Cour les preuves concernant ces faits et elle a omis de le faire. J'estime que la règle qu'il convient d'appliquer dans ce genre de circonstances est que la Cour doit présumer que ces preuves auraient eu un effet défavorable sur sa demande. »

[220]        En outre, Wigmore on Evidence (Chadbourn rev. 1979, volume 2), à la page 192 énonce :

[traduction] Le défaut de présenter au tribunal une circonstance, un document ou un témoin, lorsque la partie elle-même ou la partie adverse soutient que cela permettrait d'élucider certains faits, indique et c'est la déduction la plus naturelle, que la partie craint de le faire; elle craint que les circonstances, le document ou le témoin s'ils avaient été présentés au tribunal aurait permis de découvrir des faits défavorables à cette partie. Il n'est toutefois possible de tirer une telle déduction que lorsque certaines conditions sont réunies; il est en outre toujours possible de fournir des explications et de décrire les circonstances qui rendent plus vraisemblable une autre hypothèse que celle de la crainte éprouvée par la partie. Cependant, le fait qu'une telle déduction soit en général appropriée n'est pas mise en doute.

Et plus loin à la page 199, au sujet des circonstances qui permettent de tirer une déduction négative de l'omission par une partie d'appeler un témoin :


[traduction] Il demeure quelques incertitudes au sujet du traitement judiciaire de certaines conditions préliminaires à la déduction. Il est évident que cette déduction ne découle pas du seul fait que la personne n'a pas appelé un témoin mais sur le fait que le témoin n'ait pas été appelé alors qu'il aurait été naturel que la partie le présente au tribunal si les faits que ce témoin connaissaient lui auraient été favorables.

[221]        Wigmore explique ensuite les facteurs dont il convient de prendre en compte pour en arriver à la conclusion qu'il serait naturel que la partie appelle un témoin. Les facteurs pertinents sont résumés comme suit :

a) La partie en question doit être en mesure de produire le témoin :

L'impossibilité de produire le témoin peut être dû au fait que le témoin ne se trouve pas dans le pays, qu'il est malade, qu'il n'est pas habilité à témoigner, ou que la partie ignore où se trouve cette personne ou enfin, d'autres circonstances.

b) Le témoin n'est pas partial ou son témoignage n'est pas moins probant que les autres éléments de preuve :

Il n'est pas approprié de tirer une telle déduction lorsque la personne en question serait, en raison de sa position, probablement partiale envers la partie qui la convoquerait, de sorte que cette dernière ne serait pas en mesure d'obtenir du témoin un témoignage impartial. En outre, une partie peut décider de ne pas appeler un témoin pour des raisons de coûts et de difficultés dans des cas où le témoignage de cette personne porterait sur des faits relativement peu importants ou aurait un effet probant moindre que celui des preuves déjà présentées. Dans de tels cas, il ne serait pas équitable de tirer une telle déduction. Wigmore énonce également :

En d'autres termes, et formulé de façon plus directe, il existe une restriction générale (qui dépend pour son application des faits de chaque affaire) selon laquelle il n'est équitable de tirer une telle déduction de la non-production d'un témoin que si son témoignage établirait de façon convaincante les faits à prouver. Il ne convient toutefois pas d'appliquer cette restriction de façon rigide; on risquait autrement de l'invoquer constamment; mais sur le plan des principes, c'est une bonne règle qui a souvent été reconnue.

c) Les deux parties ne sont pas toutes deux en mesure d'appeler le témoin :

Il est souvent affirmé qu'il n'est pas possible de tirer une telle déduction lorsque la personne en question peut être convoquée par les deux parties, en particulier lorsque la personne se trouve dans la salle d'audience, même s'il n'existe pas de règle voulant que cette restriction s'applique de façon absolue ou stricte. Il serait toutefois logique de penser que le défaut d'appeler un témoin peut entraîner une déduction contre les deux parties, la force de cette déduction dépendra alors des circonstances.


d) La partie visée ne fournit aucune explication vraisemblable de son omission d'appeler le témoin :

La partie visée par la déduction peut fournir une explication en décrivant les circonstances qui montrent pourquoi elle n'a pas appelé le témoin en question. Le droit de fournir des explications ne devrait pas être circonscrit, si ce n'est que le juge doit être convaincu que les circonstances décrites ainsi constitueraient, selon la logique et l'expérience ordinaire, une raison vraisemblable pour ne pas avoir appelé le témoin.

[222]        Wigmore explique également la nature de la déduction qu'il est possible de tirer à la page 217 :

[traduction] La déduction (en supposant que le défaut de convoquer le témoin n'a pas été expliqué) est bien sûr que la teneur du témoignage non fourni serait contraire à la demande de cette partie, ou du moins ne l'appuierait pas. Autrement dit, la déduction ne porte pas sur le fond de l'affaire, comme c'est le cas lorsqu'il y a comportement frauduleux (paragraphe 277, précité), mais touche uniquement les preuves en question.

[223]        Dans R. c. Jolivet [2000] 1 R.C.S. 751, le juge Binnie examine, aux paragraphes 25 à 28, la question de savoir si le jury avait le droit de tirer une déduction défavorable de l'omission du ministère public de faire entendre un témoin. Dans son jugement, il a fait référence aux règles applicables aux affaires civiles dans le passage suivant :

22      L'arrêt Cook, précité, énumère certains moyens permettant de remédier à tout préjudice causé par l'omission du ministère public de faire entendre un témoin, notamment la possibilité pour la défense de commenter cette omission dans son exposé final au jury. Un tel commentaire vise inévitablement à inciter le jury à tirer une inférence défavorable au ministère public. Les questions qui se posent à cette étape sont donc : Quels cas justifient un tel commentaire et en quoi consiste exactement l'inférence défavorable que la défense a le droit de demander au jury de tirer?

23      Au mieux, l'omission du ministère public de faire entendre Bourgade aurait théoriquement pu amener le jury à tirer l'inférence défavorable que le témoignage de Bourgade (si on l'avait fait témoigner) aurait nui à la cause du ministère public. J'estime qu'en l'espèce, rien ne permettait de demander au jury de tirer une inférence aussi forte.


24     Ni la défense ni le ministère public n'ont laissé entendre que Bourgade aurait en fait rendu un témoignage disculpatoire. Le principe de l' « inférence défavorable » découle de la simple logique et de l'expérience et ne vise pas à punir la partie qui exerce son droit de ne pas faire entendre le témoin en lui imposant une « inférence défavorable » que le juge du procès, connaissant l'explication de cette décision, considère entièrement injustifiée.

25     La règle générale en matière civile relativement aux inférences défavorables fondées sur l'omission de faire entendre un témoin remonte au moins à la décision Blatch v. Archer (1774), 1 Cowp. 63, 98 E.R. 969, à la page 65, où lord Mansfield a dit :

    [TRADUCTION] « Il est certes bien établi qu'un témoignage doit être soupesé en fonction de la preuve qu'une partie pouvait produire et que l'autre partie pouvait contredire. »

26      Le principe s'applique en matière criminelle, mais sous réserve du partage des responsabilités entre le ministère public et la défense, comme je l'explique plus loin. Ce principe est assujetti à de nombreuses conditions. La partie visée par l'inférence défavorable peut, par exemple, expliquer de façon satisfaisante l'omission de faire entendre le témoin, comme l'a expliqué l'arrêt R. v. Rooke (1988), 40 C.C.C. (3d) 484 (C.A.C.-B.), à la page 513, en citant Wigmore on Evidence (Chadbourn rev. 1979), volume 2, au § 290 :

     [TRADUCTION] De toute manière, la partie touchée par l'inférence peut évidemment la réfuter en exposant les circonstances expliquant son omission de citer le témoin. Son droit d'explication ne doit pas être limité, sauf que le juge du procès doit être convaincu que les circonstances exposées constitueraient, selon la simple logique et l'expérience, une raison plausible pour l'absence de citation. [En italique dans l'original; je souligne.]

27      La partie en question peut n'avoir aucun accès spécial au témoin éventuel. D'autre part, la [TRADUCTION] « preuve manquante » peut dépendre du « pouvoir particulier » de la partie visée par l'inférence défavorable : Graves v. United States, 150 U.S. 118 (1893), à la page 121. Dans ce dernier cas, il est plus justifié de tirer une inférence défavorable.


28      Il faut également être précis quant à la nature exacte de l' « inférence défavorable » recherchée. Dans J. Sopinka, S. N. Lederman et A. W. Bryant, The Law of Evidence in Canada (2e éd. 1999), à la page 297, § 6.321, on souligne que l'omission de faire entendre un témoignage peut équivaloir, selon le cas, [TRADUCTION] « à l'aveu implicite que la déposition du témoin absent serait défavorable à la cause de la partie ou, du moins, qu'elle ne l'appuierait pas » (je souligne), comme il est mentionné dans l'affaire civile Murray c. Saskatoon, [1952] 2 D.L.R. 499 (C.A. Sask.), à la page 506. Les circonstances dans lesquelles l'avocat du procès décide de ne pas faire entendre un témoin donné peuvent restreindre la nature de l' « inférence défavorable » qui peut en découler. Les plaideurs expérimentés décident souvent de ne pas faire entendre un témoin disponible parce qu'un autre témoin a déjà traité adéquatement de la question, parce qu'un témoin honnête pourrait faire mauvaise impression ou pour d'autres raisons n'ayant rien à voir avec la véracité du témoignage. Dans d'autres ressorts, il est admis que, dans de nombreux cas, on peut inférer au mieux que le témoignage n'aurait pas été à l'avantage de la partie, et non pas nécessairement qu'il aurait été défavorable : United States v. Hines, 470 F.2d 225 (3rd Cir. 1972), à la page 230, certiorari refusé, 410 U.S. 968 (1973); et les décisions australiennes Duke Group Ltd. (in Liquidation) v. Pilmer & Ors, [1998] A.S.O.U. 6529 (QL), et O'Donnell c. Reichard, [1975] V.R. 916 (S.C.), à la page 929.

29      Appliquant ces principes aux faits de la présente affaire, j'estime que, si on accepte l'explication fournie par le substitut du procureur général quant à son volte-face, le ministère public a agi conformément à ses obligations en matière d'éthique et une inférence défavorable selon laquelle Bourgade aurait rendu un témoignage défavorable au ministère public ne serait pas justifiée. Si rien n'avait été dit au jury au sujet de Bourgade, la question ne se serait pas posée. Le problème réside dans le fait que, en dépit de ses réserves, le substitut a annoncé à deux reprises au jury le témoignage de Bourgade et que, par suite de ces annonces, le jury s'attendait peut-être à ce que la preuve du ministère public soit plus forte que ce qu'elle a été. C'est en raison de ces annonces que j'estime qu'un commentaire de la défense aurait été justifié.

30      Les commentaires du substitut du procureur général avaient causé un certain préjudice du fait qu'ils affirmaient l'existence d'un témoignage corroborant. Une inférence défavorable que ce témoignage n'aurait été à son avantage aurait été justifié du fait que le ministère public n'a pas étayé cette affirmation.

[Non souligné dans l'original]

c. l'application de ces règles à la présente action

[224]        J'estime que l'explication qu'ont fournie les défendeurs pour ne pas avoir appelé M. Day à témoigner est si peu compatible avec les éléments de preuve produits au procès par les défendeurs et la conduite du procès lui-même que je ne peux lui accorder aucune force probante.

[225]        Les défendeurs soutiennent qu'ils ont décidé de ne pas appeler M. Day en partie pour ne pas prolonger indûment le procès. Il est difficile de comprendre un tel argument.


[226]        Dans une lettre datée du 10 septembre 2003, soit cinq jours avant le début du procès, M. Swanson a communiqué au greffe de la Cour les noms des témoins qui devaient être convoqués à la fois pour les demanderesses et par les défendeurs. M. Day ne figurait pas sur la liste des défendeurs. Il était prévu que le procès durerait, avec les plaidoiries, dix jours; cette durée a été manifestement sous-estimée puisque le procès a pris presque trois fois plus de temps. Pendant le procès, toutes les parties concernées ont étroitement collaboré pour mettre sur pied un horaire des audiences qui permette de le mener à terme.

[227]        Toutes les personnes concernées ont certes connu quelques difficultés à cause des problèmes de planification que cette sous-estimation de la durée du procès a entraînés et elles ont été amenées à s'efforcer conjointement d'agir rapidement et de façon structurée pour achever le procès; j'estime néanmoins que les contraintes de temps n'étaient pas telles qu'il aurait été raisonnable de s'attendre à ce qu'une des parties écarte des témoignages importants pour épargner du temps.

[228]        Les défendeurs soutiennent que de leur point de vue, M. Day n'était pas un témoin important. Comme je l'ai constaté, M. Day se trouvait au centre du processus décisionnel à Ottawa. La façon dont les décisions ont été prises à Ottawa est au centre du délai mis à libérer le navire. D'après les preuves citées ci-dessus, il est évident que M. Streeter n'était pas en mesure de fournir, et qu'il n'a pas fourni, des raisons convaincantes expliquant le retard mis à prendre une décision de second niveau. Dans son témoignage, M. Schiferli n'a pas abordé cet aspect, et il ne pouvait pas non plus le faire.


[229]        S'il est vrai que la chronologie des événements qui se sont succédé entre l'immobilisation et la libération du navire n'est pas contestée, la question de savoir pourquoi certaines choses ont été faites ou omises l'était certainement. D'après son témoignage cité ci-dessus, il est clair que M. Streeter a confié à M. Day le soin de prendre toutes les décisions relatives à l'immobilisation du Lantau Peak. Il est incontestable que M. Day aurait pu fournir un témoignage essentiel sur la question du retard injustifié et de la négligence, étant donné que c'est lui qui avait été chargé de prendre les décisions dans cette affaire à partir de l'immobilisation du navire jusqu'à sa libération. Je ne peux accepter qu'une partie refuse d'appeler un témoin clé comme celui-ci, quelle que soit la durée du procès, si son témoignage est important pour la défense. J'ai clairement l'impression qu'il n'a pas été appelé parce que l'on craignait qu'il ne soit obligé de fournir un témoignage défavorable aux défendeurs.

[230]        Les défendeurs soutiennent que les demanderesses auraient dû convoquer M. Day. Je ne vois pas pourquoi elles l'auraient fait. Sans le témoignage de M. Day, les demanderesses disposaient de suffisamment de preuves pour établir l'existence d'un délai inexpliqué et soutenir qu'un retard de trois mois et demi était injustifié. Pour ce motif, j'admets avec les demanderesses que s'il existait une explication raisonnable de ce retard, elle aurait été présentée. Je crois qu'il est possible de dire que les demanderesses auraient été très heureuses d'entendre ce que M. Day avait à dire mais elles soutiennent, argument que j'accepte, qu'en ne l'appelant pas, les défendeurs ont estimé qu'il n'était pas dans leur intérêt de le faire.


[231]        La déduction négative que je tire de l'omission de témoigner de M. Day est qu'il n'existe aucune excuse pour ce que j'estime être un retard injustifié, si ce n'est une mauvaise gestion institutionnelle. J'estime que cette mauvaise gestion constitue une violation de l'obligation de prudence que devait assumer à l'égard des demanderesses un fonctionnaire du contrôle des navires par l'État du port qui aurait été raisonnable et prudent et qui contrôlait le processus débouchant sur la décision de second niveau; j'estime que cela constitue une conduite fautive.

3. La transparence des décisions

[232]        Les demanderesses soutiennent également que M. Streeter avait envers les demanderesses une obligation de prudence sur le plan de la transparence des décisions. Il ressort clairement du dossier que la façon dont les décisions ont été prises est loin d'être transparente.

[233]        J'estime que les demanderesses font très bien ressortir ce point dans les observations qui suivent (CFD, pages 42 à 45) :

[traduction]

76.           Il est bien établi que l'appel interjeté devant M. Streeter portait sur l'ordre de détention émis par MM. Warna et Hall. Par contre, il est difficile de savoir quelle est la personne qui a réellement préparé la décision d'appel. Il est important de noter que le volume 3, onglet 137 contient une lettre datée du 17 juillet 1997 sur du papier à en-tête de Vancouver avec un groupe signature à l'intention de M. Streeter. Cette lettre qui diffère finalement de la lettre du 18 juillet 1997 contient néanmoins l'essentiel de la décision qu'a rendue M. Streeter. Certaines parties de la formulation utilisée dans la lettre du 17 juillet 1997 se retrouvent intégralement dans la lettre du 18 juillet 1997 préparée par M. Streeter ce qui veut dire, comme M. Streeter l'a reconnu, qu'il a certainement dû la voir avant de rendre sa décision.

77.           M. Nelson a été interrogé sur le point de savoir s'il avait participé à la préparation de la lettre du 17 juillet 1997. M. Nelson a reconnu qu'il serait inhabituel et bizarre que son bureau prépare la décision à l'intention de M. Streeter, étant donné que l'appel interjeté devant M. Streeter portait sur la décision prise par le bureau de Vancouver (transcription, page 2092, ligne 24 - page 2094, ligne 17). Voilà ce qu'il a déclaré en fait à ce sujet au procès :


[traduction]

Page 2094, ligne 3 :

Q. Très bien. Vous reconnaissez avec moi qu'il serait inhabituel, dans ce contexte, qu'une partie pour laquelle l'appel -- une partie qui a rendu la décision contestée en appel, il serait bizarre que cette partie rédige la décision.

R. Ce serait bizarre, oui.

Q. Bien, autrement dit, vous ne pensez pas que votre bureau ait participé à la rédaction de la lettre concernant la décision de M. Streeter.

R. Nous pourrions transmettre des renseignements mais cela n'irait pas plus loin.

Q. Est-ce que vous auriez rédigé la lettre?

R. Non -- non, je ne le pense pas.

Q. Ce serait inhabituel?

R. Oui.

78.           Au sujet de la lettre du 17 juillet, il ne sait pas comment elle a été préparée à Vancouver, pourquoi elle a été préparée à Vancouver, ni dans quelle mesure le personnel de son bureau a participé à la rédaction du projet de lettre du 17 juillet (transcription, page 2094, ligne 18 - page 2101, ligne 17).

79.           On a demandé à M. Warna le 18 novembre 2003 au cours du procès s'il avait participé à la préparation du projet de décision du 17 juillet qui se trouve au volume 4, onglet 137. Voici ce qu'a déclaré M. Warna ce jour-là :

Page 3291, ligne 6 :

Q. Bien. Passons au volume 8, onglet 36, si vous voulez bien. Y êtes-vous, M. Warna?

R. Oui, monsieur.

Q. C'est la lettre du 18 juillet de M. Streeter?

R. C'est exact, monsieur.

Q. Et cette lettre indique les travaux dont M. Streeter exigeait l'exécution avant que le navire soit autorisé à reprendre la mer, est-ce bien exact?

R. C'est exact, monsieur.

Q. Ce n'était pas votre décision, n'est-ce pas?

R. Ce n'était pas ma décision, monsieur.

Q. Ce n'était pas la décision de votre supérieur, n'est-ce pas?

R. Mon supérieur?

Q. Oui. M. Nelson, ce n'était pas sa décision.

R. Non, monsieur, c'était la décision de M. Bud Streeter. C'est lui qui l'a signée.

Q. Pour que M. Bud Streeter rende cette décision, il fallait qu'un appel ait été interjeté devant lui, n'est-ce pas?


R. Oui, monsieur.

Q. Et vous saviez qu'un appel avait été interjeté devant lui, n'est-ce pas?

R. C'est exact, monsieur.

Q. Et vous n'avez pas participé à la rédaction de cette lettre, n'est-ce pas, la lettre du 18 juillet?

R. Non, monsieur.

Q. Vous n'avez pas préparé de projet de lettre pour M. Streeter, n'est-ce pas?

R. Non, monsieur, pour autant que je me souvienne.

Q. Vous ne vous souvenez pas avoir examiné un projet de lettre préparé par quelqu'un de votre bureau qui devait l'envoyer à M. Streeter?

R. Non, monsieur, je ne m'en souviens pas.

Q. Par conséquent, si nous regardons le volume 4, onglet 137, vous n'avez pas préparé cette lettre?

R. Non, monsieur.

Q. Ce n'est pas votre -- vous n'avez pas préparé cette lettre?

R. Pas que je m'en souvienne, monsieur.

Q. Ce n'est pas votre écriture.

R. Non, monsieur.

80.           Le 25 novembre 2003, après que les défendeurs aient produit la pièce D-35 (les fiches de temps de M. Warna pendant la durée de l'immobilisation du navire) M. Warna a reconnu qu'il avait dû participer à la préparation de la lettre du 17 juillet 1997, étant donné que les fiches de temps indiquaient qu'il avait travaillé toute la journée du 17 juillet 1997 dans le bureau sur le dossier Lantau Peak. Son témoignage à ce sujet commence à la page 3641 de la transcription et se termine à la ligne 2 de la page 3644. Voici ce qu'il a déclaré dans ses dernières réponses :

Page 3643, ligne 17 :

Q. Bien. Vous pensez que vous avez rédigé...

R. D'accord, monsieur, oui.

Q. ... pour autant que vous le sachiez, mais vous n'en êtes pas absolument certain.

R. C'est exact, monsieur.

Q. Mais vous reconnaissez que vous avez travaillé sept heures et demie ce jour-là sur le dossier du LANTAU PEAK...

R. Oui, monsieur.

Q. ... vous avez donc dû participer, d'une façon ou d'une autre, à la rédaction de cette lettre.

R. C'est très probable, monsieur.


81.           Dans les circonstances, il semble pratiquement établi que M. Warna, l'auteur de la décision contestée en appel, a rédigé la décision de M. Streeter ou a participé à la rédaction de la décision de M. Streeter.

[234]        Selon la prépondérance des probabilités, je conclus que l'inspecteur Warna a été amené à préparer un projet de lettre de décision pour M. Streeter qui révisait l'ordre de détention qu'il avait lui-même émis. Si M. Nelson ne lui a pas demandé de le faire, la demande a dû émaner d'Ottawa. M. Streeter n'a pas rédigé la lettre mais il pensait qu'elle avait été rédigé par M. Day. M. Day n'a pas témoigné.

[235]        Je ne pense pas que ce manque de transparence constitue objectivement un risque déraisonnable de préjudice, mais il constitue néanmoins une violation grave de la bonne foi dont auraient dû faire preuve les défendeurs à l'égard des demanderesses.

4. Directives concernant le droit


[236]        Les demanderesses soutiennent également que le président avait également envers elles une obligation de prudence consistant à informer les inspecteurs de l'état du droit et, en particulier, du rapport existant entre la Loi et le Décret, tel que mentionné dans la section II ci-dessus. En outre, les demanderesses soutiennent que, compte tenu de la mise à l'écart des normes de la société de classification, le président avait l'obligation de fixer une autre norme en matière de corrosion des membrures de la coque que les propriétaires de navires comme les inspecteurs auraient pu appliquer. Je ne pense pas que le président était tenu de faire une de ces deux choses mais bien entendu, si l'une ou l'autre avait été faite, cela aurait pu éviter la demande en responsabilité civile découlant de la façon dont a été menée l'immobilisation du navire.

[237]        Le président est certes libre d'organiser et d'administrer son bureau comme il lui semble bon mais il n'est pas surprenant que le fait de ne pas avoir assuré la surveillance des activités de ce bureau ait entraîné le genre de résultats que l'on connaît en l'espèce. Faute de direction et de supervision, comme l'ont montré les preuves, l'inspecteur Warna a eu toute latitude pour exercer ses activités comme lui seul le jugeait bon, sous sa propre direction, même s'il l'a fait de façon négligente. La faute en retombe certainement sur l'inspecteur Warna mais je pense que tous ses supérieurs administratifs avaient une responsabilité égale, voire même supérieure, pour ce qui est des résultats obtenus.

B. Les conditions de la libération du navire

[238]        La lettre contenant la décision de second niveau de M. Streeter est citée dans la section I ci-dessus. Trois éléments importants de cette lettre appellent des commentaires.

[239]        Premièrement, l'imposition de conditions extrêmement sévères pour la « solution » du remorquage ne repose sur aucune base concrète. Dans une lettre du 8 juillet adressée à Transports Canada (volume 1, onglet 73), le capitaine Khoo a écrit :


[traduction] Nous envisageons également la solution consistant à remorquer le navire s'il est toujours exigé que des réparations importantes soient effectuées à Vancouver. Nous avons demandé des devis à des courtiers londoniens de bonne réputation pour obtenir les services de remorqueur(s) appropriés. Veuillez nous communiquer les conditions qui s'appliqueraient au remorquage du navire. Nous avons subi des pertes commerciales considérables ces trois (3) derniers mois, et nous espérons que vous serez en mesure de répondre à la proposition ci-dessus dans les 24 heures.

[240]        Trois jours après, l'inspecteur Halle envoyait une lettre contenant la proposition suivante (volume 1, onglet 74) :

[traduction] La région Pacifique est disposée à recommander au président d'autoriser le navire à être remorqué dans un port pour y subir des réparations, pourvu que les propriétaires acceptent les conditions suivantes

Compte tenu de tous les aspects en jeu, la sécurité des personnes, la navigation, l'environnement et l'application des prescriptions du MÉMORANDUM D'ENTENTE DE TOKYO SUR LE CONTRÔLE DES NAVIRES PAR L'ÉTAT DU PORT, les responsables du navire doivent accepter les conditions suivantes avant que le navire soit autorisé à être remorqué des eaux canadiennes vers le port de réparation :

1.      fournir par écrit au président du Bureau d'inspection des navires à vapeur les raisons pour lesquelles le navire ne peut être réparé à Vancouver, pour examen et acceptation,

2.     application des lignes directrices de l'O.M.I., résolution A.765(18) : Lignes directrices sur la sécurité des navires remorqués et autres objets flottants, comprenant les installations, les structures et les plates-formes en mer,

3.     fournir une copie du contrat de remorquage et de la route choisie pour le voyage vers le chantier de réparation,

4.     approbation de la société de remorquage par la Sécurité maritime,

5.     approbation par l'Association de sauvetage et d'expertise maritimes des ententes relatives au remorquage. Le navire sera inspecté par un inspecteur de la Sécurité maritime du Bureau de Vancouver juste avant le départ,

6.     le navire doit être vidé de son mazout, de son carburant diesel et de ses lubrifiants avant le départ,

7.     aucun membre d'équipage ne doit se trouver à bord pendant le remorquage à l'exception des membres de l'équipage du remorqueur, selon ce qu'exige la sécurité du remorquage,

8.     la position du navire doit être transmise tous les deux jours,

9.     fournir une copie du contrat de réparations à effectuer conclu avec un chantier naval,


10. après l'achèvement des travaux, un fonctionnaire du contrôle des navires par l'État du port doit vérifier le respect de ces conditions,

11. le dépôt d'un cautionnement d'exécution important.

Le cautionnement est fixé à 1 000 000 $CAN.

Il doit être payable au Receveur général du Canada.

Si les réparations sur le navire ne sont pas terminées dans un délai de 150 jours après le remorquage du navire de Vancouver, le montant du cautionnement sera confisqué par la Couronne.

L'achèvement des travaux devrait être certifié par un expert du contrôle des navires par l'État du port de la République populaire de Chine.

Le cautionnement sera annulé lorsque le certificat d'achèvement des travaux sera reçu par la Sécurité maritime de Vancouver.

[241]        M. Hall a participé à la rédaction des conditions dont était assortie la solution du remorquage et a confirmé au cours de son témoignage qu'elles s'expliquaient par un incident très regrettable survenu il y a quelques années (transcription, pages 2744 et 2745) :

[traduction]

R    Eh bien, nous avons eu un navire en particulier qui était appelé le SAN MARCO. Il est arrivé en très mauvais état. Il était en si mauvais état que la Société de classification a supprimé le certificat. Le propriétaire a déclaré : « Je n'ai pas les moyens de le faire réparer ici, je vais le remorquer et l'abandonner. » La sécurité maritime a déclaré « Oui, vous pouvez faire cela. » Le propriétaire a fait venir un remorqueur, il a remorqué le navire jusqu'à la limite des eaux territoriales, il a fait monter à bord un équipage et il est parti avec le navire.

Le navire s'est finalement retrouvé en Afrique du Sud avec des tôles de métal qui tombaient de sa proue, des deux côtés.

Q    De sorte que, est-ce que --- vous avez eu l'idée d'un cautionnement pour essayer de dissuader d'autres propriétaires de faire ce genre de chose dans le cas où ils remorqueraient le navire?

R    Eh bien, à l'époque nous ne pouvions rien faire. Une fois que le navire avait quitté le Canada, le navire pouvait aller n'importe où; en demeurant en Extrême-Orient, personne n'allait vous embêter. Il n'y avait pas, comme c'est le cas maintenant, de refus d'accès à cette époque.

Q    Qu'est-ce qui est finalement arrivé avec cette proposition de remorquage?


R    Les propriétaires ont réparé le navire.

Q    Vous vous souvenez de l'année de l'affaire du SAN MARCO?

R    Oh, ce devrait être en 19... c'est-à-dire laissez-moi réfléchir.

LA COUR :                             19...?

R    J'essaie de me souvenir Votre Honneur, c'était certainement avant 1997, peut-être en 1994 ou 1993.

[242]        J'estime que les conditions dont était assortie la solution du remorquage allaient bien au-delà de ce que l'on pourrait considérer comme étant nécessaire et raisonnable à l'égard du Lantau Peak en particulier.

[243]        L'historique, très positive, du navire comprend les éléments suivants : de nouveaux propriétaires avec un dossier impeccable sont intervenus après l'immobilisation de 1996; depuis cette acquisition, toutes les réparations découlant de visites ont été exécutées, et le navire a été trouvé en bon état par les inspecteurs du contrôle des navires par l'État du port, par la Société NK et par les assureurs; les propriétaires ont accepté de réparer les membrures détachées de leur propre chef; pendant toute la période d'immobilisation du navire, les propriétaires, la Société NK et l'État du pavillon ont suivi de près la situation; des représentants des propriétaires se sont rendus au Canada pour offrir leur aide; un représentant de l'État du pavillon s'est également rendu au Canada pour offrir son aide et l'avocat des demanderesses a participé activement à tous ces événements.


[244]        Le témoignage du capitaine Khoo indique clairement que le processus du contrôle des navires par l'État du port est tellement efficace, aux termes des Mémorandums de Paris et de Tokyo, que le Lantau Peak n'aurait pratiquement pu se soustraire aux obligations que lui imposait le contrôle de l'État du port, même si ses propriétaires avaient voulu le faire. Il n'est pas surprenant que le capitaine Khoo ait rejeté la solution du remorquage; il a estimé que si les propriétaires étaient de toute façon obligés d'effectuer les réparations en Chine, et il n'existait aucune façon d'éviter cette condition, alors il n'y avait aucune raison d'obliger les propriétaires à verser un cautionnement de 1 000 000 $ (transcription, page 537).

[245]        J'estime que le capitaine Khoo a abordé la solution du remorquage avec un raisonnement très solide, et que ce n'est pas ce qu'ont fait M. Hall et M. Streeter. D'après le dossier, je conclus que la crainte qu'avait M. Hall que le navire s'échappe s'il était libéré était tout à fait injustifiée et n'a fait que constituer un obstacle supplémentaire à la prise d'une décision rapide.

[246]        Deuxièmement, j'estime que les conditions imposées par M. Streeter pour les réparations à Vancouver à savoir 33 p. 100 d'usure et ensuite 25 p. 100 d'usure à Shanghai étaient aussi arbitraires et invérifiables que la norme initiale de 17 p. 100 d'usure imposée par l'inspecteur Warna.

[247]        Il me semble que, lorsque M. Streeter a pris cette décision, il était tenu de respecter les mêmes dispositions du Mémorandum et du Manuel que celles qui s'imposaient à l'inspecteur Warna. Le prolongement logique de cet aspect est que M. Streeter aurait dû effectuer le même type d'inspection que l'inspecteur Warna, qui aurait dû comprendre une visite du navire, ou tout le moins, en arriver à une décision fondée sur des renseignements complets et exacts au sujet de l'état du navire. Dans ce cas-ci, ce n'est pas ce qu'a fait l'inspecteur Warna.


[248]        J'estime que l'obligation de diligence qu'avait au départ l'inspecteur Warna existait également lorsque M. Streeter a pris sa décision de second niveau. Je conclus que les conditions dont était assortie la libération du navire étaient déraisonnables et imprudentes, tout comme les conditions imposées initialement et que, par conséquent, l'imposition de ces conditions constituait une violation de l'obligation de diligence. J'estime par conséquent que cela constitue une conduite fautive de la part de M. Streeter.

C. L'importance de la norme de la Société NK en matière de corrosion

[249]        J'ai conclu que les réparations exigées par l'inspecteur Warna dans sa décision d'immobiliser le navire et que la décision de second niveau prise par M. Streeter étaient arbitraires et invérifiables et que, par conséquent, les défendeurs étaient responsables du préjudice subi en raison de l'immobilisation injustifiée. J'ai en outre conclu que les défendeurs ont fait preuve de négligence dans la façon dont ils ont conduit le processus décisionnel; il y a eu un retard injustifié dans la prise de la décision finale concernant les réparations exigées.


[250]        Comme je l'ai mentionné, la seule norme non arbitraire et vérifiable en matière de corrosion des membrures de la coque du navire qui existait au moment de l'immobilisation du navire était celle qu'avait établie la Société NK. Les réticences injustifiées qu'entretenaient les défendeurs à l'égard des normes des sociétés de classification en général et de celles de la Société NK en particulier sont à l'origine d'une bonne partie des difficultés rencontrées dans cette affaire. Les défendeurs ont tenté de soutenir que le fait que les différentes sociétés de classification aient adopté des normes différentes explique dans une certaine mesure qu'ils n'aient pas souhaité fixer eux-mêmes une norme ou accepter la norme NK ou qu'ils aient été incapables de le faire. Je peux comprendre que les défendeurs aient pu estimer qu'une norme fixée par une société de classification ne soit pas acceptable mais pour l'affirmer, il serait nécessaire de fournir une raison convaincante et bien étayée justifiant cette opinion. Il n'est pas acceptable de faire preuve d'arbitraire dans les décisions prises sur un aspect aussi technique et fréquent dans le domaine du transport maritime. Tous les navires doivent respecter des normes de classification et les certificats de sécurité de la Convention sont délivrés en fonction de ces normes. Si l'inspecteur Warna et M. Streeter voulaient intervenir dans le domaine extrêmement technique de l'architecture navale, ils auraient dû le faire en faisant preuve de la même diligence que celle dont font preuve les sociétés de classification, et ils auraient dû vérifier leurs conclusions au sujet de ce qu'ils considéraient comme étant la norme appropriée. Le fait de choisir un chiffre au hasard ne répond pas à ce critère.

[251]        Si l'inspecteur Warna avait simplement décidé le 5 avril 1997 que le navire devait être réparé selon les normes de la Société NK, les demanderesses n'auraient guère pu s'opposer à cette décision. Si l'inspecteur Warna avait imposé les normes de la Société NK, la seule question à débattre aurait été celle de savoir quelles étaient les réparations qu'il fallait faire à Vancouver pour que le navire puisse appareiller pour la Chine pour y effectuer le gros des réparations.


[252]        Les preuves indiquent que les défendeurs avaient envisagé de fixer une certaine norme en matière de corrosion qui s'appliquerait d'une façon générale aux inspections de contrôle des navires par l'État du port. Si cela avait été fait et si les défendeurs avaient pu démontrer que la norme retenue reposait sur une base solide et vérifiable, de la même façon, les demanderesses n'auraient guère pu la contester. Cependant, aucune norme n'a été fixée et les prescriptions de la société de classification n'ont pas non plus été acceptées; par conséquent, j'estime que les défendeurs ne peuvent guère s'opposer à ce que le préjudice soit évalué en fonction de la seule norme de corrosion des membrures de coque qui existait au moment de l'immobilisation du navire, à savoir la norme de la Société NK.

[253]        En fait, les demanderesses ont convenu au cours du procès de ne pas demander de dommages-intérêts pour les réparations effectuées en Chine selon les normes de la Société NK. Cependant, même en tenant pour acquis que la norme permettant de déterminer les réparations à effectuer aurait dû être la norme de la Société NK, il demeure la question de la nature des réparations qui auraient raisonnablement dû être effectuées à Vancouver, compte tenu de l'importante différence de coût existant entre les réparations effectuées au Canada et celles effectuées en Chine. En outre, il convient d'évaluer les coûts qui sont attribuables au retard injustifié. Ces questions sont abordées dans la section qui suit.


                                V. Les dommages-intérêts

A. Le raisonnement à la base des décisions relatives au montant des dommages-intérêts

[254]        Pour les motifs qui suivent, j'estime que, si la faute initiale a été commise le 5 avril 1997 avec l'ordre de détention émis par l'inspecteur Warna, il paraît équitable d'évaluer les dommages-intérêts correspondant à la faute commise à partir du 21 avril 1997 seulement, soit à la date de la première opinion de la Société NK selon laquelle le Lantau Peak était en mesure d'appareiller pour Shanghai pour y effectuer des réparations.

[255]        Il y a un aspect qui appelle des commentaires dès le départ. Les défendeurs ont soutenu que les demanderesses avaient omis de réduire leur préjudice en agissant rapidement. Selon cet argument, les demanderesses auraient pu, après le 5 avril 1997, effectuer les réparations exigées par les conditions dont était assortie l'immobilisation du navire sans essayer de convaincre les défendeurs de changer ces conditions. Je ne peux retenir cet argument.


[256]        Étant donné que la mise en oeuvre de la décision arbitraire fondée sur une norme de 17 p. 100 d'usure qu'avait prise l'inspecteur Warna à la suite d'une inspection de routine de contrôle des navires par l'État du port se serait traduite par des réparations importantes et coûteuses aux membrures de la coque du navire à Vancouver où le coût des réparations était bien supérieur à ce qu'il était en Chine, j'estime qu'il était tout à fait raisonnable que les demanderesses aient espéré, comme elles l'ont fait, que la décision serait changée rapidement après l'appel formé devant M. Streeter. Non seulement la décision n'a-t-elle pas été changée mais la décision de l'inspecteur Warna a été remplacée plusieurs mois plus tard par une autre décision tout aussi arbitraire. On ne peut reprocher aux demanderesses d'avoir fait confiance à un processus décisionnel et à un mécanisme procédural qui a été conduit de façon négligente.

[257]        Je pense que l'évaluation du préjudice découlant de la faute commise en l'espèce est directement reliée à la norme de corrosion des membrures de la coque qui aurait dû être acceptée par l'inspecteur Warna et M. Streeter, à savoir celle de la Société NK, qui exige que les membrures de coque dont le degré d'usure est supérieur à 25 p. 100 pour la semelle et qui ont moins de 7,5 mm d'épaisseur pour l'âme doivent être réparées. Dans leur plaidoirie sur le préjudice, les demanderesses ont fait une concession importante dans la mesure où elles ne demandent pas d'être indemnisées pour les réparations effectuées en Chine sur les membrures de coque qui n'étaient pas conformes à la norme de la Société NK en matière de corrosion. Dans l'analyse qui suit, j'expose ce qui constitue, d'après moi, un motif cohérent d'appliquer cette norme de corrosion et de tenir compte de cette concession pour trancher les diverses questions non réglées touchant les dommages.

[258]        Les avocats des demanderesses et des défendeurs se sont entendus sur les questions reliées aux dommages qui devaient être abordées. Concernant chacune de ces questions, les demanderesses réclament un montant d'argent précis et, à l'égard de chacune de ces questions, à la suite d'une entente, les avocats ont fourni des observations écrites (pièce J37) portant sur les aspects non réglés; ces aspects sont abordés dans l'analyse qui suit.


[259]        Les divers aspects de la demande de dommages-intérêts concernent des dépenses qui ont été effectuées en dollars américains et en dollars canadiens. L'indemnité accordée par le jugement en l'espèce est fondée sur le taux de change de clôture de la Banque du Canada à la date à laquelle ont été présentées les observations orales sur la question des dommages-intérêts, à savoir le 16 février 2004. Le taux était ce jour-là de 1,3157.

B. Questions concernant le préjudice

1. Le coût des réparations

[260]        La première question à trancher concerne le coût de la réparation de chacune des membrures (pièce J37, page 2) :

[traduction] Quel était le coût de la réparation d'une section de membrure (c'est-à-dire gousset supérieur, membrure et gousset inférieur) à Vancouver par rapport à ce qu'il était en Chine? Les demanderesses affirment qu'il est facile de déterminer le coût des réparations en prenant le coût total et en le divisant par le nombre des sections de membrures réparées. À Vancouver, le coût total était de 1 462 200 $CAN pour la réparation de 137 membrures et goussets inférieurs, ce qui donne un coût de 10 672,99 $CAN par section (voir les factures au volume 2, onglet 102). À Shanghai, le coût total réclamé était de 729 485,50 $US pour le remplacement de 671 goussets supérieurs, membrures et goussets inférieurs, ce qui donne un coût par section de 1 087,16 $US (voir le résumé des réclamations concernant la Chine au volume 2, onglet 102).

[261]        Je souscris à l'argument des demanderesses. En suivant ce raisonnement, j'estime que le coût d'une membrure réparée à Vancouver est d'environ 10 672,99 $CAN tandis que le coût de la réparation d'une membrure en Chine est de 1 087,16 $US.


a. à Vancouver

[262]        Le navire a été immobilisé, notamment, pour ajuster le compas, réparer les panneaux d'écoutilles et les membrures endommagées dans la cale numéro 1. Il n'est pas contesté qu'il était nécessaire de réparer à Vancouver ces anomalies, ainsi que les membrures détachées des cales 3 et 9, aux frais des demanderesses. La question des dommages concerne les autres membrures de coque qui étaient visées par les conditions fixées par l'inspecteur Warna et M. Streeter.


[263]        À mon avis, la question de savoir si certaines membrures de coque devaient être réparées à Vancouver avant d'appareiller pour la Chine, le reste des membrures devant être réparées en Chine, aurait dû être tranchée en se fondant sur l'avis d'experts. Il est certain qu'il était possible d'obtenir un tel avis à l'époque. Les défendeurs comptaient des architectes navals parmi leur personnel et cette expertise existait dans le secteur privé, comme l'a prouvé l'avis de M. Zinger contenu dans le rapport C.R. Cushing admis en preuve pour établir ce point précis. Il se peut fort bien que, si un tel avis avait été obtenu par les deux parties en l'espèce, dans le cadre du processus visant à lever l'immobilisation du navire, on aurait obtenu des avis contradictoires. Dans un tel cas, il aurait incombé aux défendeurs de décider quel était l'avis à retenir mais au moins, un tel avis aurait constitué une base logique et factuelle pour la décision. Bien entendu, les défendeurs n'ont pas procédé à une enquête de ce genre, si ce n'est qu'ils ont demandé à leur architecte naval, M. Flood, ce qu'il pensait de l'affaire. M. Flood a recommandé la libération du navire, mais son avis comportait une réserve, à savoir obtenir des renseignements supplémentaires. Comme nous l'avons constaté, son avis n'a pas été mis en oeuvre.

[264]        Deux expertises définitives avaient toutefois été préparées entre le moment de l'immobilisation du navire et sa libération, à savoir celles qui concernaient la navigabilité du navire préparée par la Société NK sous la forme du « rapport d'inspection » de M. K. Takahashi du 21 avril 1997 (volume 1, onglet 44) et du « certificat de navigabilité » de M. T. Koshino du 5 mai 1997 (volume 1, onglet 55); les deux experts approuvaient la libération du navire pour qu'il appareille pour Shanghai en vue d'y être réparé à la condition que les membrures de coque détachées soient réparées à Vancouver. Étant donné que ces rapports d'experts constituaient une base solide pour en arriver à une conclusion logique et factuelle au sujet de la navigabilité du navire et de son aptitude à appareiller pour Shanghai pour y effectuer des réparations, j'estime que ces éléments de preuve auraient dû être acceptés et utilisés.

[265]        C'est pourquoi je conclus qu'à l'exception des réparations non contestées que je viens de mentionner ci-dessus, les défendeurs n'auraient pas dû exiger que des membrures de coque soient réparées à Vancouver.


[266]        Comme cela a déjà été mentionné dans la section IV, il est important de noter qu'un des obstacles qui a empêché les défendeurs d'en arriver à cette conclusion était une considération étrangère selon laquelle le fait d'autoriser le navire à appareiller sans qu'il soit réparé aurait risqué de compromettre la réputation du régime de contrôle des navires par l'État du port. Cette considération n'aurait pas dû empêcher les défendeurs de se fonder sur les avis de la Société NK qui leur avaient été transmis. Ce qui est arrivé en fait en l'espèce c'est qu'une mauvaise décision concernant l'immobilisation du navire a encore été aggravée par une autre mauvaise décision, à savoir celle de ne pas libérer le navire à des conditions fondées sur l'avis d'expert préparé par la Société NK.

[267]        Cependant, conformément à la décision de M. Streeter d'exiger que soient réparées les membrures ayant une usure supérieure ou égale à 33 p. 100 en raison de la corrosion dans les cales 4, 5, 7 et 8, ce travail a été effectué par Key Marine Industries Ltd. de Vancouver entre le 19 juillet et le 13 août 1997. Key Marine a remplacé un total de 116 membrures de la section médiane et 19 goussets inférieurs.

[268]        J'ai conclu que les demanderesses n'auraient pas dû être obligées d'effectuer à Vancouver aucune des réparations contestées mais il demeure toutefois une question à trancher : les demanderesses doivent-elles assumer le coût des réparations de certaines membrures réparées à Vancouver sur l'ordre de M. Streeter pour la raison qu'elles ne respectaient pas un élément de la norme de la Société NK en matière de corrosion qui prévoit une usure maximum de 25 p. 100 pour la semelle et une épaisseur de 7,5 mm pour l'âme?


[269]        Les défendeurs soutiennent qu'étant donné que les demanderesses ont reconnu que les défendeurs n'étaient pas responsables de la réparation des membrures qui ne respectaient les normes de la Société NK, ils ne peuvent être tenus responsables de la réparation de certaines membrures qui a été effectuée à Vancouver.

[270]        Les défendeurs s'appuient sur le témoignage de l'inspecteur Warna pour démontrer que, lorsque la semelle ou l'âme d'une membrure dépasse la limite acceptable, il faut remplacer les deux composantes de la membrure (transcription, pages 3145 à 3147, 3169 et 3170). Au cours des plaidoiries sur les dommages, j'ai conclu que je ne pouvais accorder aucune force probante à ce témoignage. J'estime que l'inspecteur Warna n'a pas les qualifications nécessaires pour donner un tel avis (transcription, pages 4417 et 4419).

[271]        Les défendeurs ont également soutenu que je devrais tenir compte du témoignage de l'inspecteur Warna au sujet de ses observations personnelles concernant l'état des membrures de la coque qui ont été retirées du navire au moment des réparations effectuées à Vancouver. Au moment où ces réparations étaient en cours, le navire se trouvait à l'ancre dans la Baie English, tout près du port. Apparemment, de sa propre initiative et en n'informant aucunement les demanderesses ou leur avocat, l'inspecteur Warna a décidé de se rendre sur le navire et de prendre quelques mesures avec un pied à coulisse. Selon le témoignage de l'inspecteur Warna, près de 45 des 116 membrures réparées avaient des semelles dont l'usure était supérieure à la limite de 25 p. 100 établie par la Société NK (transcription, page 3168). Je ne mets pas en doute la crédibilité de l'inspecteur Warna lorsqu'il s'agit de fournir les preuves concernant les mesures effectuées; je mets par contre en doute la valeur de son témoignage.

[272]        Premièrement, il est impossible de vérifier l'exactitude des mesures prises par l'inspecteur Warna. J'aurais pensé que pour pouvoir utiliser ces mesures en preuve au procès, il aurait fallu donner aux demanderesses la possibilité de charger un représentant d'assister aux mesures, et par conséquent, fournir aux demanderesses la possibilité d'accepter ou de s'opposer aux résultats obtenus. Cela n'a pas été fait.

[273]        Dans une affaire comme celle-ci où les mesures réelles effectuées sur des pièces d'acier d'une certaine taille sont en litige, les preuves démontrent que la norme utilisée dans l'industrie à l'égard de chacune des membrures est de prendre un certain nombre de mesures précises par des techniciens qualifiés au moyen d'un appareil à ultrasons. Comme cela a été fait avec les diverses mesures par ultrasons qui ont été présentées en preuve au procès, les points exacts où ces mesures ont été prises et les mesures incontestables elles-mêmes sont présentées sous la forme d'un rapport que toutes les parties intéressées peuvent examiner. Les résultats des efforts déployés par l'inspecteur Warna n'ont pas été présentés de cette façon.

[274]        En outre, je conclus que si l'on voulait établir qu'une seule mesure d'une membrure du genre qu'a prise l'inspecteur Warna voulait dire que la membrure n'était pas conforme à la norme de la Société NK, il aurait fallu fournir le témoignage d'un expert de la Société NK. Aucun témoignage de ce genre n'a été présenté.

[275]        Par conséquent, je ne peux accorder aucune valeur probante aux mesures prises par l'inspecteur Warna.


[276]        Par ailleurs, pour montrer qu'ils ne sont pas tenus d'assumer le coût de certaines réparations, les défendeurs invoquent les mesures figurant dans le rapport Elander. Le rapport Elander prouve effectivement que certaines membrures ne respectaient les deux aspects de la norme de la Société NK en matière de corrosion. Je conclus néanmoins que cet élément de preuve ne suffit pas à démontrer que la membrure devait être réparée.

[277]        Les preuves montrent que la décision d'exiger la réparation de membrures de la coque doit être prise à la suite d'un processus complexe qui fait appel à une grande expertise. Comme cela a été mentionné dans la section IV, M. Akagi a déclaré que pour savoir si une membrure qui ne respecte pas les normes de la Société NK doit être réparée, il faut s'en remettre à l'avis d'un expert de la Société NK, qui doit prendre en compte l'état général du navire concerné. Je retiens l'argument des demanderesses selon lequel elles n'ont pu se prévaloir de cette expertise à cause de l'immobilisation arbitraire et prolongée du navire ordonnée par les défendeurs. J'estime que ce fait ne devrait pas nuire aux demanderesses. Par conséquent, je n'accorde aucune force probante aux preuves contenues dans le rapport Elander.


[278]        Les défendeurs ont également soulevé une troisième question concernant les réparations effectuées à Vancouver. Les défendeurs soutiennent qu'au moment où l'on procédait à des réparations à Vancouver, le capitaine Khoo a expressément demandé que quatre membrures soient réparées au cours d'une inspection des cales du navire. Le capitaine Khoo a déclaré qu'il ne se souvient pas avoir fait une telle demande et la seule indication qu'il l'ait faite vient des notes prises par l'inspecteur Warna à titre d'aide-mémoire. Au cours des plaidoiries, j'ai déclaré que ces notes n'étaient pas des preuves susceptibles d'établir la véracité de leur contenu. Je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, il n'est pas établi que le capitaine Khoo ait ordonné la réparation des quatre membrures en question (voir transcription, pages 4438 à 4450).

[279]        Je ne peux retenir l'argument des défendeurs selon lequel il convient de prendre en considération la dépréciation pour évaluer le préjudice causé par le remplacement inutile de certaines membrures en raison de la négligence des défendeurs. Il ne s'agit pas ici d'un débat au sujet d'une déduction éventuelle pour dépréciation comme cela peut se produire dans le cas d'un contrat d'assurance; la question en litige ici est le remplacement de membrures de la coque pour la seule raison que les défendeurs ont fait preuve de négligence. Si les demanderesses obtiennent un avantage parce que des membrures anciennes ont été remplacées par des nouvelles, j'estime qu'elles ont le droit de les conserver.

[280]        À la suite de l'analyse ci-dessus, je conclus que la valeur totale des réparations effectuées à Vancouver, soit 1 462 200 $CAN, ne doit faire l'objet d'aucune déduction.


b. en Chine


[281]        Les demanderesses admettent que le coût des réparations exposées en Chine dans le but de rendre les membrures de la coque du navire conformes aux normes de la Société NK sont à leur charge. Je conclus que toutes les autres dépenses reliées aux réparations des membrures de la coque effectuées en Chine sont à la charge des défendeurs.

[282]        Au cours des plaidoiries orales, la question de savoir si le rapport Nantong pouvait tout simplement être utilisé par un expert de la Société NK pour déterminer quelles étaient les membrures qui ne répondaient pas à la norme de la Société NK au moment où le rapport a été préparé, à savoir pendant les réparations effectuées à Shanghai, a été soulevée. Confirmant le témoignage de M. Akagi cité dans la section IV selon laquelle cette décision comprend toujours une composante subjective qui exige de la part de celui qu'il effectue une certaine expertise, M. Bernard a déclaré, au cours des plaidoiries sur les dommages-intérêts, que M. Akagi estime qu'il ne peut exprimer une opinion aujourd'hui sur les membrures de coque qu'il y avait lieu de réparer pour respecter la norme de la Société NK en se fondant uniquement sur le rapport Nantong. Il a précisé qu'avant de pouvoir former une opinion à ce sujet il devrait inspecter le navire, ce qu'il n'a pas fait.

[283]        J'estime néanmoins que, d'après les preuves contenues dans le rapport Nantong, il est possible de procéder à une évaluation équitable. L'argumentation relative aux dommages contient l'affirmation suivante (pièce J37, page 4) :

[traduction]

10. Cette partie de la demande vise un montant de 729 485,50 $US qui comprend 617 346,50 $ de tôles d'acier neuves et 112 139 $ de frais de service accessoires. Les défendeurs déclarent qu'il faut réduire sensiblement cette partie de la demande en se fondant sur les mesures d'épaisseur contenues dans le rapport de la Société NK. Les demanderesses s'y opposent. Les parties s'entendent, néanmoins, sur le fait que le rapport de la Société NK indique ce qui suit :


i) sur les 671 sections (y compris les goussets supérieurs, les membrures et les goussets inférieurs) remplacées en Chine, 77 sections étaient conformes à la classification, étant donné que l'âme avait une épaisseur supérieure à 7,5 mm et que l'usure de la semelle était inférieure à 25 p. 100. En utilisant le coût moyen de la réparation d'une section de 1 087,16 $US, on arrive à un coût de 83 711,32 $US pour la réparation de ces sections;

ii) sur les 671 sections remplacées en Chine, 58 sections étaient conformes à la classification, si l'on prend la moyenne des mesures prises. En utilisant un coût moyen de réparation par section de 1 087,16 $US, on arrive à un coût de 63 055,28 $US pour la réparation de ces sections;

iii) sur les 671 sections remplacées en Chine, 489 sections avaient des âmes d'une épaisseur égale ou supérieure à 7,5 mm mais des semelles détériorées à plus de 25 p. 100;

iv) sur les 671 sections remplacées en Chine, 47 sections avaient une âme dont l'épaisseur moyenne était inférieure à 7,5 mm et une détérioration de la semelle supérieure à 25 p. 100.

[284]        Au cours des plaidoiries, M. Swanson, représentant les demanderesses, a montré qu'il était prêt, en mettant de côté le témoignage de M. Akagi, à utiliser les preuves contenues dans le paragraphe 10 dans le but d'en arriver à un résultat équitable au sujet de cette concession. J'estime qu'étant donné que le principe utilisé pour évaluer la responsabilité des demanderesses à l'égard du coût des réparations effectuées en Chine a un effet direct sur les réclamations relatives aux coûts non reliés aux réparations, il faut se fonder sur les meilleures preuves possible pour formuler ce principe. J'estime que les preuves les plus probantes sont celles qui sont contenues à l'alinéa 10(iv). Sur les 671 sections remplacées en Chine, 47 sections ne respectaient aucun des aspects de la norme utilisée par la Société NK en matière de corrosion. Par conséquent, j'estime que cette partie du coût des réparations effectuées en Chine est à la charge des demanderesses, tout comme la partie correspondante des autres frais; c'est pourquoi le rapport 47/671 est important pour certaines évaluations effectuées ci-après.

[285]        Pour ce qui est du coût des réparations en Chine, je conclus que le coût des réparations de 47 membrures, qui s'élevait à 1 087,16 $US par membrure, pour un total de 51 096,52 $US, doit être déduit du montant total de 729 485,50 $US réclamé à l'égard des réparations effectuées en Chine.

2. Les autres dépenses découlant de l'immobilisation du navire

[286]        Je retiens l'argument des demanderesses selon lesquelles les dépenses exposées par les demanderesses à Vancouver et attribuables à la conduite fautive des défendeurs sont à la charge de ces derniers. Je conclus néanmoins que, par rapport à une évaluation raisonnable de la conduite dont on aurait pu s'attendre de la part des responsables du contrôle des navires par l'État du port, il ne convient pas d'accorder des dommages-intérêts pour toutes les dépenses visées par la demande.

[287]        Lorsque le navire est arrivé à Vancouver, il était prévu que les membrures détachées seraient réparées le plus rapidement possible, étant donné que le navire ne pourrait être affrété pendant les réparations. En fait, le commandant Swa est arrivé par avion à Vancouver de façon à se trouver à quai pour accueillir le navire à son arrivée et pour surveiller les réparations; il s'était déjà entendu avec un chantier naval pour effectuer les réparations. Les demanderesses admettent qu'elles ne peuvent réclamer les frais de port encourus à Vancouver qui correspondent à la période au cours de laquelle les membrures détachées ont été réparées; c'est pourquoi elles ne présentent aucune réclamation correspondant à neuf journées de débours dans le port de Vancouver. Cela me paraît raisonnable.


[288]        Après l'arrivée du navire à Vancouver, il était raisonnable de s'attendre à ce que l'inspection initiale et l'inspection approfondie effectuées par les responsables du contrôle des navires par l'État du port s'étalent sur une certaine période. J'estime que les débours exposés par le navire au cours de cette période ne peuvent être mis à la charge des défendeurs. En se basant sur la première opinion d'expert offerte par la Société NK, selon laquelle le navire était apte à appareiller pour la Chine pour y être réparé, à savoir le « rapport d'inspection » de M. K. Takahashi du 21 avril 1997 (volume 1, onglet 44), je conclus que les dépenses encourues par le navire avant cette date ne sont pas à la charge des défendeurs; par contre, toutes les dépenses postérieures à cette date jusqu'au moment de la libération du navire le 12 août le sont.

[289]        Il me paraît raisonnable de penser que les membrures détachées auraient pu être réparées avant le 21 avril, compte tenu de la planification qui avait été faite à ce sujet. Il est cependant évident qu'avec le bouleversement qu'a entraîné la décision de l'inspecteur Warna, le projet de réparation des membrures détachées a été suspendu. Les demanderesses n'ont commencé la réparation des membrures détachées que le 5 mai, parce qu'il était apparu à cette date qu'elles seraient amenées à effectuer des réparations bien supérieures à celles des membrures détachées, ce qui, on peut le comprendre, a pris un certain temps, notamment pour obtenir des devis des divers chantiers navals au sujet de la réparation des membrures en litige, ainsi que celles des membrures détachées, et pour choisir la façon de procéder.

[290]        Les défendeurs soutiennent que je devrais accorder une force probante au fait que les réparations n'ont pas commencé avant le 5 mai et elles soutiennent, par conséquent, que tous les frais de port encourus jusqu'à cette date devraient être à la charge des demanderesses. Je ne peux retenir cet argument.

[291]        Il ne me paraît pas possible d'isoler la question de la réparation des membrures détachées du contexte factuel de l'immobilisation. Je conclus que le retard mis à s'occuper des membrures détachées découlait directement de la décision déraisonnable qu'avait prise l'inspecteur Warna d'immobiliser le navire. Les demanderesses ne sont en aucun cas responsable de cette faute et ne devraient pas être pénalisées pour la raison que cette faute a bouleversé leurs projets.

[292]        Pour ce qui est de frais encourus pendant le voyage vers la Chine, il me semble que, si les membrures de la coque qui ont été réparées en Chine étaient uniquement celles qui ne correspondaient pas aux normes de la Société NK, alors aucune des dépenses de ce voyage ne devrait être à la charge des défendeurs. Le principe à la base de cette conclusion est qu'à son arrivée à Vancouver, le navire aurait dû être conforme aux normes de la Société NK et que, si les demanderesses souhaitaient que les réparations nécessaires pour le rendre conforme aux normes de la Société NK soient effectuées en Chine, c'étaient à elles d'envoyer le navire dans ce pays pour qu'il y soit réparé.


[293]        Cependant, le navire s'est rendu à Shanghai pour effectuer des réparations selon une norme déraisonnable et, dans le même temps, des membrures qui ne répondaient pas aux critères établis pour l'âme ou la semelle ont également dû y être réparées. Par conséquent, en appliquant le principe utilisé pour établir la responsabilité des demanderesses à l'égard du coût de la réparation des membrures de coque en Chine, je conclus que la responsabilité des demanderesses pour les dépenses encourues pour le voyage en Chine doit être calculée selon le rapport 47/671 de l'ensemble de ces dépenses.

a. les frais de port encourus à Vancouver

[294]        Le navire est demeuré à Vancouver pour un total de 122 jours et le montant réclamé pour les frais de port est de 82 435 $CAN, ce qui donne 675,69 $CAN par jour. Étant donné que j'ai conclu que les demanderesses devaient assumer les frais encourus à Vancouver jusqu'au 21 avril, il convient de déduire du montant réclamé un montant correspondant aux 16 journées qui ont suivi l'arrivée du navire le 5 avril; à 675,69 $CAN par jour, la déduction à effectuer est de 10 811,04 $CAN. Je conclus que le reste de ces frais est à la charge des défendeurs.

b. les dépenses des propriétaires exposées à Vancouver

[295]        J'estime que le bouleversement qu'a entraîné la décision de l'inspecteur Warna justifiait que les propriétaires suivent de près la situation et il est compréhensif que quatre représentants des propriétaires se soient rendu sur les lieux pour examiner la situation. Je ne vois aucune raison de ne pas attribuer de dommages-intérêts pour les frais exposés réellement pour se rendre sur place, ce qui me paraît tout à fait raisonnable.


[296]        Pour le motif expliqué ci-dessus, je conclus que les dépenses des propriétaires sont à la charge des demanderesses jusqu'au 21 avril. Étant donné que les dépenses s'élèvent à 43 948,70 $CAN pour 122 jours, ce qui revient à 360,24 $CAN par jour, il convient de déduire de cette somme un montant correspondant aux 16 journées qui ont suivi l'arrivée du navire le 5 avril; à 360,24 $CAN par jour, la déduction s'élève à 5 763,84 $CAN. Je conclus que le reste de ces frais est à la charge des défendeurs.

c. les frais découlant de la suspension de la location du navire

[297]        Le navire n'a été loué pendant un total de 187,4486 jours et le montant réclamé pour ces frais est de 1 538 120,21 $US, ce qui revient à 8 619,40 $US par jour. Il y a lieu de déduire de cette somme un montant correspondant aux 16 jours qui ont suivi l'arrivée du navire le 5 avril; à 8 619,40 $US par jour, la déduction s'élève à 137 910,40 $US. En outre, étant donné qu'il y avait 47 membrures qui ne répondaient pas aux normes de la société de classification au moment où elles ont été réparées en Chine, j'estime que les demanderesses doivent assumer 47/671 des frais découlant de la suspension de la location après le 21 avril, soit 8 619,40 $US par jour pendant 171,4486 jours, ce qui donne la somme de 103 510,96 $US. Le reste de ces frais est à la charge des défendeurs.

d. les frais de combustible

[298]        Pendant les 187 jours de la suspension de la location du navire en raison de son immobilisation, les frais de combustible comprenaient deux éléments : le diesel-navire utilisé pour faire fonctionner l'équipement du navire, comme les pompes et les générateurs et le mazout consommé par le moteur du navire pendant son voyage vers la Chine. J'estime que les frais de combustible doivent être répartis de la même façon que les frais de suspension de la location.

[299]        Pour ce qui est du coût du diesel-navire, le montant réclamé est de 49 808 $US et il est admis que le montant quotidien est de 279,19 $US. Par conséquent, il y a lieu de déduire de cette somme un montant correspondant aux 16 jours qui ont suivi l'arrivée du navire le 5 avril; à 279,19 $US par jour, la déduction s'élève à 4 467,04 $US. En outre, étant donné que 47 membrures ne correspondaient pas aux normes de la classe au moment des réparations effectuées en Chine, j'estime que les demanderesses sont responsables des 47/671 des frais de mazout de 93 640 $US, soit un montant de 6 558,99 $US. Je conclus que le reste de cette somme est à la charge des défendeurs.

e. les droits relatifs au contrôle des navires par l'État du port


[300]        Un montant de 13 000 $ a été facturé au départ aux demanderesses à titre de droits relatifs au contrôle des navires par l'État du port et perçu par Transports Canada pour l'administration du Mémorandum. Au cours du procès, les parties ont convenu que les demanderesses avaient été surfacturées d'au moins 12 000 $ ; les défendeurs ont donc remboursé cette somme avec des intérêts. Les défendeurs continuent néanmoins de soutenir que les demanderesses devaient verser des droits de 1 000 $ pour la dernière inspection du navire avant sa libération. Les demanderesses ont initialement contesté ce montant pour le motif que l'immobilisation constituait une faute, et qu'elles ne devraient donc pas avoir à verser les droits correspondants à cette immobilisation.

[301]        Habituellement, lorsqu'un navire est immobilisé, il faut qu'un inspecteur de navire à vapeur visite le navire pour vérifier que l'anomalie à l'origine de l'immobilisation a bien été rectifiée. En l'espèce, il y avait trois motifs à l'origine de l'immobilisation du navire : le compas, les panneaux d'écoutille et l'usure des membrures à plus de 17 p. 100 de l'épaisseur originale. Au cours des plaidoiries, M. Swanson, représentant les demanderesses, a reconnu, très franchement que, même si le navire n'avait pas été immobilisé à cause de l'usure de certaines pièces, il aurait sans doute fallu qu'un inspecteur se rende à bord du navire pour inspecter les réparations effectuées sur les panneaux d'écoutille. Pour cette raison, je conclus que les droits de 1 000 $ correspondant à la dernière inspection ont régulièrement été facturés aux demanderesses.

C. Montant total des dommages-intérêts

[302]        En me fondant sur les calculs qui suivent, j'accorde aux demanderesses des dommages-intérêts d'un montant de 4 344 859,47 $CAN.

1. Coût des réparations

a. à Vancouver :


Réclamation :                        1 462 200,00 $CAN

Montant adjugé :                                                           1 462 200,00 $CAN

b. en Chine :

Réclamation :                                                                 729 485,50 $US

Moins déduction :                       51 096,52 $US

Montant adjugé en $US :          678 388,98 $US

Montant adjugé en $CAN :                                            892 556,38 $CAN

2. Autres frais découlant de l'immobilisation du navire

a. frais de port à Vancouver

Réclamation :                             82 435,00 $CAN

Moins déduction :                       10 811,04 $CAN

Montant adjugé :                                                            71 623,96 $CAN

b. frais encourus par les propriétaires à Vancouver

Réclamation :                              43 948,70 $CAN

Moins déduction :                         5 763,84 $CAN

Montant adjugé :                                                38 184,86 $CAN

c. frais reliés à la suspension de la location du navire

Réclamation :                                                     1 538 120,21 $US

Moins déduction :                     241 421,36 $US

Montant adjugé en $US :                                   1 296 698,85 $US

Montant adjugé en $CAN :                                1 706 066,68 $ CAN


d. frais de combustible

Réclamation :                           143 448,00 $US

Moins déduction :                       11 026,03 $US

Montant adjugé en $US :                                   132 421,97 $US

Montant adjugé en $CAN :                                174 227,59 $CAN

Montant total des dommages-intérêts:           4 344 859,47 $CAN

VI. Intérêts avant jugement

[303]        J'estime qu'il y a lieu de calculer les intérêts avant jugement à partir de la date de l'exécution complète de toutes les mesures que les demanderesses devaient prendre à la suite de l'immobilisation du navire le 5 avril 1997. Étant donné que les réparations ont été achevées en Chine le 10 octobre 1997, je conclus que les défendeurs sont tenus de verser des intérêts avant jugement à partir de cette date jusqu'à la date du jugement. Entre le 10 octobre 1997 et le 5 avril 2004, 6,49 années se sont écoulées.


[304]        J'estime que le taux d'intérêts équitable pour l'intérêt avant jugement est le taux que les demanderesses auraient dû verser pour emprunter un montant égal aux dommages-intérêts accordés, c'est le taux préférentiel des banques à charte de la Banque du Canada. Entre le 10 octobre 1997 et le 2 avril 2004, ce taux a été en moyenne de 5,76 p. 100 (voir : résumé des taux B14020 sur le site www.banqueducanada.ca). L'intérêt avant jugement doit donc être calculé sur cette base, au taux de 5,76 p. 100 pour chacune des 6,49 années.

[305]        Par conséquent, sur le montant des dommages-intérêts de 4 344 859,47 $CAN, j'accorde aux demanderesses des intérêts avant jugement d'un montant de 1 624 212,75 $CAN.

VII. Les dépens

[306]        J'adjuge les dépens de l'action aux demanderesses.

                                                                      _ Douglas R. Campbell _             

                                                                                                     Juge                              

Vancouver (Colombie-Britannique)

le 5 avril 2004

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           T-609-99

INTITULÉ :                                          BUDISUKMA PUNCAK SENDIRIAN BERHAD ET AL. c. SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA ET AL.

LIEU DE L'AUDIENCE :                    VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATES DE L'AUDIENCE :               15 AU 26 SEPTEMBRE 2003, 27 AU 31 OCTOBRE 2003; 18 ET 19 NOVEMBRE 2003; 25 NOVEMBRE 2003; 19 AU 31 JANVIER 2004; 16 FÉVRIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :     LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :                         LE 5 AVRIL 2004

COMPARUTIONS :

Peter Bernard                                                                      POUR LES DEMANDERESSES

Peter Swanson

George Carruthers                                                               POUR LES DÉFENDEURS

Glenn Rosenfeld

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bernard & Partners                                                             POUR LES DEMANDERESSES

Vancouver (Colombie-Britannique)

Morris Rosenberg                                                                POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE

          Dosssier :   

ENTRE :

BUDISUKMA PUNCAK SENDIRIAN

BERHAD, MARITIME CONSORTIUM

MANAGEMENT SENDIRIAN BERHARD

demanderesses

                          - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE DU

CHEF DU CANADA, B.S. WARNA

                  et D.A. HALL

                                            défendeurs

                                                                                   

       MOTIFS DU JUGEMENT

                                                                                   

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