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Date : 19990716


IMM-5261-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 16 JUILLET 1999.

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE EVANS


E n t r e :

     ZHEN SHAN LIN,

     demandeur,

     - et -


     MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.



     ORDONNANCE


     La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à une autre formation de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.

    

     John M. Evans

    

     J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL.L.




Date : 19990716


IMM-5261-98


E n t r e :

     ZHEN SHAN LIN,

     demandeur,

     - et -


     MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE EVANS

A.      INTRODUCTION

[1]      Zhen Shan Lin, un citoyen de la République populaire de Chine, a revendiqué le statut de réfugié à son arrivée au Canada en 1996 au motif qu'il craignait avec raison d'être persécuté du fait de sa religion.

[2]      Dans son formulaire de renseignements personnels, il a déclaré qu'il était un catholique romain pratiquant et fervent et que la foi catholique était celle dans laquelle il avait été élevé par ses parents et à laquelle ses grands-parents adhéraient. Enfant, il avait assisté aux offices religieux qui, en raison de l'hostilité du gouvernement envers la religion organisée, avaient parfois lieu dans la maison familiale. Son père avait été arrêté en 1955 et avait été mis en prison à cause de ses convictions religieuses.

[3]      Le demandeur a ajouté qu'en 1994, il était devenu membre de l'Église catholique romaine " clandestine " et qu'en 1966, des fonctionnaires du Bureau de la sûreté publique avaient fait une descente au cours d'un office auquel il assistait. Il a réussi à s'enfuir après avoir été battu et arrêté et il s'est caché avant de quitter la Chine pour le Canada.

B.      L'INSTANCE INTRODUITE DEVANT LA COMMISSION

[4]      La Section du statut de réfugié a rejeté sa revendication parce qu'elle ne jugeait pas crédible son témoignage qu'il était un [TRADUCTION] " un catholique romain pratiquant et fervent ", même en tenant compte des différences culturelles et des différences de pratiques religieuses, du niveau de scolarité peu élevé du demandeur et des problèmes d'interprétation qui ont surgi lors de l'audience.

[5]      Premièrement, le demandeur a déclaré dans son témoignage qu'il avait cessé toute pratique religieuse de 1970 à 1994. Or, ce fait n'était pas signalé dans son formulaire de renseignements personnels et la Commission l'a jugé incompatible avec sa déclaration qu'il était un catholique pratiquant et fervent.

[6]      En second lieu, en réponse aux questions que l'avocat et les commissaires lui ont posées, le demandeur a démontré qu'il connaissait peu sa religion. D'ailleurs, il est fort possible que le peu qu'il connaissait provenait des cours de catéchisme qu'il avait suivis depuis son arrivée au Canada. La Commission a conclu que ses maigres connaissances constituaient une autre raison de juger non crédible les éléments de preuve sur lesquels M. Lin faisait reposer sa revendication du statut de réfugié.

C.      QUESTIONS EN LITIGE

[7]      À l'audition de la demande de contrôle judiciaire, l'avocat a semblé concédé qu'il était loisible à la Commission de rejeter la revendication de M. Lin pour des raisons de crédibilité, compte tenu des éléments de preuve dont elle disposait. Il a plutôt fait reposer son argumentation sur le manquement à l'équité procédurale dont la Section du statut de réfugié se serait rendue coupable.

[8]      En particulier, il a fait valoir que le témoignage donné par le demandeur en réponse aux questions visant à déterminer l'étendue de ses connaissances religieuses n'avait pas été communiqué adéquatement par l'interprète et qu'en conséquence, le demandeur avait été privé de la possibilité raisonnable de participer à l'instance en soumettant à la Commission des éléments de preuve cruciaux concernant sa revendication du statut de réfugié.

[9]      M. Lin s'était vu offrir les services d'un interprète qui, selon la transcription, connaissait bien le dialecte fouzhou, que le demandeur parle. Bien que les commissaires ne semblent pas avoir officiellement demandé si le demandeur et l'interprète se comprenaient l'un l'autre, il semble qu'à quelques exceptions près, ceux-ci se comprenaient.

[10]      L'avocat du demandeur a cité trois cas où l'interprète n'avait pas réussi à faire comprendre aux commissaires ce que le demandeur voulait dire, parce qu'elle ne connaissait pas avec certitude le mot chinois correspondant à " communion " ou que son interprétation était inexacte ou incomplète.

[11]      Premièrement, lorsqu'on lui a demandé ce qui s'était passé lors d'un office religieux auquel il avait participé, M. Lin a commencé à réciter une prière dans ce que l'interprète a reconnu être une forme ancienne du dialecte fouzhou, qu'elle ne pouvait cependant pas comprendre, selon ce qu'elle a dit aux commissaires saisis de l'affaire. Une difficulté semblable s'est présentée lorsqu'en réponse à une question posée au sujet de ce qu'il faisait du chapelet qu'il avait emmené avec lui à l'audience, le demandeur a récité une prière. Au lieu de lever l'audience pour voir si un autre interprète qui pouvait comprendre cette partie du témoignage du demandeur était disponible, la Commission s'est contentée de lui poser d'autres questions.

[12]      Deuxièmement lorsqu'on lui a demandé la date de sa Première communion et d'expliquer la nature de ce sacrement, le demandeur a eu du mal à communiquer avec l'interprète. Toutefois, après quelques échanges confus entre les commissaires, l'interprète et le demandeur, M. Lin a fini par donner une réponse suffisamment claire pour que les commissaires puissent en conclure qu'il comprenait ce qu'on lui demandait.

[13]      Troisièmement, il a été affirmé dans un affidavit qu'une personne qui connaissait bien le dialecte que parlait M. Lin avait informé l'auteur de cet affidavit que l'interprète n'avait pas interprété fidèlement ou complètement trois de ses réponses. Toutefois, bien qu'elles ne soient pas négligeables, ces inexactitudes étaient par ailleurs loin d'être fondamentales, et, compte tenu du fait que les renseignements contenus dans cet affidavit sont des renseignements de seconde main, je ne peux leur accorder que peu de force probante indépendante.

[14]      La question à trancher dans la présente demande de contrôle judiciaire est donc celle de savoir si la décision de la Section du statut de réfugié devrait être annulée au motif que les lacunes de l'interprétation sont graves au point d'avoir privé le demandeur de la possibilité raisonnable d'influencer les commissaires par la présentation d'éléments de preuve, un droit qui lui est légalement garanti en raison de l'obligation d'agir avec équité.

D.      ANALYSE

[15]      Il est de jurisprudence constante que le droit à l'équité procédurale comprend le droit aux services d'un interprète qui peut communiquer au tribunal ce qu'une personne qui ne parle pas couramment la langue employée à l'audience désire dire (Xie c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1990), 10 Imm. L.R. (2d) 284 (C.A.F.). Ainsi que le juge Stone l'a déclaré dans l'arrêt Tung c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1991), 124 N.R. 388, à la page 392 (C.A.F.) :

À mon avis, l'appelant avait le droit de relater dans sa langue, par l'entremise de l'interprète, les faits qui justifiaient sa crainte tout comme il aurait pu le faire s'il avait pu s'exprimer en anglais devant la Commission. La justice naturelle exigeait rien moins que cela. Pourtant, il a de toute évidence été incapable de le faire en ce qui a trait à des points essentiels de sa revendication à cause de la piètre qualité de la traduction. Je ne doute pas que cet état de choses a porté préjudice à l'appelant dans les procédures devant les instances inférieures comme il lui en cause un devant cette Cour car nous sommes appelés à examiner d'importants aspects de la décision de la Commission sur le vu d'un dossier qui est évidemment lacunaire.

[16]      En revanche, compte tenu des difficultés d'ordre pratique auxquelles les tribunaux administratifs sont confrontés, la norme exigée par la loi n'est pas celle de la perfection, surtout lorsque la question en litige concerne l'exactitude d'une l'interprétation verbale (Banegas c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.F. 1re inst., IMM-2642-96; 30 juin 1997). Il est important de ne pas perdre de vue la question ultime : les lacunes de l'interprétation sont-elles graves au point d'avoir effectivement privé l'intéressé de la possibilité raisonnable de faire valoir son point de vue devant le tribunal administratif ?

[17]      À mon avis, la lacune d'interprétation la plus grave qui a été invoquée pour conclure à un manquement à l'obligation d'agir avec équité est l'incapacité de l'interprète de faire comprendre à la Commission les mots des prières que M. Lin a déclaré qu'il utilisait dans ses dévotions. L'avocat affirme que cet élément de preuve se rapporte à une question qui était cruciale à la revendication du statut de réfugié de M. Lin et qui, si les commissaires l'avaient comprise, aurait démontré qu'il connaissait sa religion ou aurait incité les commissaires à lui poser d'autres questions, dont les réponses auraient pu les convaincre que M. Lin était un fervent catholique pratiquant qui avait été élevé comme tel en Chine. En outre, il ne s'agit pas d'un exemple d'une simple question d'interprétation de piètre qualité, mais d'une situation où, à la connaissance de la Commission, l'interprète n'a absolument pas réussi à faire comprendre aux commissaires cet élément de preuve bien précis.

[18]      En revanche, comme l'avocat du ministre l'a souligné, la Commission pouvait recourir à bien des moyens pour déterminer l'étendue des connaissances que M. Lin possédait de la foi qu'il professe. D'ailleurs, lorsque la Commission lui a offert la possibilité de démontrer ses connaissances, elle a découvert qu'elles étaient à ce point limitées qu'elles rendaient non crédible sa prétention qu'il avait été persécuté pour avoir pratiqué sa religion.

[19]      Qui plus est, la Section du statut de réfugié avait également fondé sa conclusion de non-crédibilité sur l'omission de M. Lin de mentionner dans son formulaire de renseignements personnels le fait qu'il n'avait pas fréquenté l'église pendant une période de vingt-quatre ans, et sur l'absence de toute explication satisfaisante quant à la question de savoir pourquoi un fervent chrétien de foi catholique aurait manqué à ce point à ses observances. Ainsi, on ne saurait affirmer que le défaut de la Commission de faire interpréter les prières récitées par le demandeur a influencé de façon déterminante sa décision de rejeter sa revendication du statut de réfugié.

[20]      À mon avis, la question clé est celle de savoir si M. Lin a subi un préjudice en raison du fait que la Commission n'a pas essayé de s'assurer la présence à l'audience d'un interprète qui pouvait comprendre et communiquer les paroles des prières que M. Lin voulait que les commissaires entendent pour établir le bien-fondé de sa revendication. Dans l'extrait des motifs de l'arrêt Tung que j'ai cité au paragraphe 15, le juge Stone a conclu à l'existence d'une erreur justifiant un contrôle judiciaire après avoir estimé que la piètre qualité de la traduction avait " porté préjudice à l'appelant ".

[21]      Les tribunaux saisis de demandes de contrôle judiciaire ont souvent été invités à ne pas refuser d'accorder une réparation en raison d'un manquement à l'obligation d'agir avec équité qu'ils estiment négligeable, en ce sens que la décision du tribunal administratif aurait été identique même si la procédure avait été suivie et respectée à la lettre. Cette situation tient au fait qu'il est dangereux de la part d'une cour de justice de spéculer sur ce qui aurait pu arriver si, comme c'est le cas en l'espèce, une personne n'avait pas été effectivement empêchée de présenter un élément de preuve et parce que les valeurs procédurales sous-jacentes à l'obligation d'agir avec équité transcendent ce qui est purement accessoire.

[22]      Le jugement du juge Le Dain dans l'arrêt Cardinal c. Établissement de Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, à la page 661, renferme l'énoncé le plus péremptoire de ce principe en droit administratif canadien. Ainsi, même s'il peut refuser d'accorder une réparation si, en droit, la décision du tribunal administratif ne pouvait être différente, le tribunal saisi de la demande de contrôle judiciaire accordera cette réparation si le résultat final aurait fort probablement été le même. Pour plus de précisions, voir Ruby, "Remedial Discretion : When Should the Court Right the Wrong?" (1997-98), 11 C. J.A L.P. 259, où l'auteur critique les décisions dans lesquelles notre Cour a refusé d'accorder réparation en raison de l'" inévitabilité factuelle " de la décision du tribunal administratif malgré un manquement à l'obligation d'agir avec équité.

[23]      En revanche, les cours de justice ont par ailleurs évité de banaliser l'obligation d'agir avec équité en la réduisant au niveau d'une formalisme. Ce ne sont pas tous les vices de procédure qui équivalent à un manquement à l'obligation d'agir avec équité. Pour que le tribunal judiciaire saisi d'une demande de contrôle judiciaire puisse annuler la décision d'un tribunal administratif pour cause d'iniquité procédurale, les erreurs reprochées doivent avoir privé l'intéressé de ce que toute personne objective considérerait comme une possibilité raisonnable d'influencer le tribunal par la production d'éléments de preuve et la présentation d'observations.

[24]      À mon avis, la Commission a commis une erreur en rejetant la revendication de M. Lin sans d'abord vérifier si elle pouvait obtenir les services d'un interprète en mesure de comprendre les prières qu'il voulait faire entendre à la Commission. Il s'agissait d'éléments de preuve qui étaient pertinents à l'un des deux motifs invoqués par la Commission pour conclure que le demandeur n'était pas digne de foi et qui touchaient à l'essentiel de sa revendication du statut de réfugié.

[25]      Je souscris également à l'observation de l'avocat suivant laquelle, si la Commission avait considéré le moindrement convaincantes les connaissances que M. Lin disait posséder en matière de pratiques religieuses, elle aurait pu considérer avec plus de bienveillance les explications qu'il a données pour justifier les contradictions qui existaient entre, d'une part, sa preuve documentaire et son témoignage et, d'autre part, la longue interruption de sa pratique religieuse en Chine.

[26]      Cette observation sert également à établir une distinction entre la présente espèce et l'affaire Yassine c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1994), 27 Imm. L.R. (2d) 135 (C.A.F.), dans laquelle la Cour a refusé d'accorder une réparation pour manquement à l'obligation d'agir avec équité relativement à un aspect de la revendication du demandeur au motif qu'elle avait tiré une conclusion défavorable au demandeur sur une autre question indépendante et non reliée. Ainsi, même si le demandeur avait obtenu gain de cause sur la question à laquelle se rapportait l'iniquité procédurale, la revendication aurait quand même été rejetée.

[27]      En l'espèce toutefois, comme la Commission n'avait qu'une seule réserve, à savoir la crédibilité de M. Lin, ses vues sur l'un des deux motifs justifiant sa conclusion de non-crédibilité étaient susceptibles d'influencer son opinion sur l'autre. Dans ces conditions, je ne puis conclure qu'il serait futile de renvoyer l'affaire à la Commission pour permettre au demandeur d'être régulièrement entendu.

[28]      Qui plus est, il y a lieu de noter à cette étape-ci que d'autres problèmes d'interprétation ont surgi à l'audience. On ne m'a pas persuadé qu'à eux seuls, ces problèmes équivaudraient à un manquement à l'obligation d'agir avec équité, en partie parce qu'ils semblent découler autant de problèmes de compréhension que de difficultés linguistiques. Ils renforcent toutefois d'autant ma conclusion sur les conséquences de l'omission de la Commission d'entendre les prières du demandeur.

E.      DISPOSITIF

[29]      Par ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à une autre formation de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.

    

OTTAWA (ONTARIO)      John M. Evans

    

Le 16 juillet 1999.      J.C.F.C.


Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :                  IMM-5261-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :          Zhen Shan Lin c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto

DATE DE L'AUDIENCE :          le 9 juillet 1999


MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Evans le 16 juillet 1999



ONT COMPARU :

Me Hart. A. Kaminken                              pour le demandeur

Me Geraldine MacDonald                              pour le défendeur


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :


Mamann & Associates                              pour le demandeur

Me Morris Rosenberg                              pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

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