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Date: 19981127


Dossier: T-2140-98

ENTRE


LE GEND. MICHELLE ADRIAANSE, LE CPL RICHARD J. ANDERSON,

LE GEND. W. PAUL BAMBURY, LE GEND. KEVIN A. BRACEWELL,

LE GEND. SHAUN J. BROZER, LE SURINT. VINCENT CASEY,

LE GEND. RICHARD CHAULK, LE GEND. SUSAN R. COWAN,

LE GEND. MICHELLE COUILLARD, L"INSP. WILLIAM A DINGWALL,

LE GEND. JENNIFER D. DOUGLAS, L"INSP. PERRY EDWARDS,

LE GEND. GILLIAN GARNER, LE SURINT. GERRY GREEN,

LE GEND. ROBERT M. HODDER, LE GEND. TOM HOWELL,

LE GEND. STEVEN T. JAMES, LE GEND. LEE JU-HWAN,

LE GEND. MICHAEL LIU, L"INSP. LARRY KILLALY,

LE GEND. PATRICK LOCKERT, LE CPL CHARLES J. MCDONALD,

LE GEND. EVERETT J. MCLACHLAN, LE SGT IAN MACMILLAN,

LE CPL JAMES G. MARSH, LE SURINT. WAYNE MAY,

LE SGT BUD MERCER, L"INSP. EARL MOULTON,

LE SGT D"ÉTAT-MAJOR LLOYDE PLANTE, LE GEND. SEAN T. POWELL,

LE GEND. MITCHELL T. RASCHE, LE GEND. RICHARD G. ROLLINGS,

LE GEND. MICHAEL J. SEMEINS, LE SGT D"ÉTAT-MAJOR FRANK W. SHEDDEN,

L"INSP. ALAN R. SPEEVAK, LE SURINT. TREVOR

THOMPSETT, LE GEND. KARINA L. WATSON,

LE GEND. JOAQUIM E.K. WEISS et

LE CPL CLAUDE WILCOTT,


demandeurs,


et


DAVID MALMO-LEVINE, JAGGI SINGH,

ROB WEST, JONATHAN OPPENHEIM, et

ANNETTE MUTTRAY, ANDREA WESTERGARD-THORPE,

DENNIS PORTER, MARK BROOKS, JAMIE DOUCETTE et

CRAIG JONES et

ISABELA ROMERO-VARELA alias EISABELA VARELA,

MICHAEL THOMS, JODI MORRIS et

STEFFAN RIDDELL, MEGAN HUNTER, DEKE SAMCHOK,

JILLIAN LYNN-LAWSON, ANDREW PIONTKOVSKY,

DAVID BREEN, ANDREAS SIEBERT, PAULETTE MARCHETTI,

GERALD WOOD, STUART SIMPSON, RANDY LOWE, ERIC WYNESS,

BARRY FAIRES, CHRISTINE SINGH, BILL JOHNSON, DENNIS MCIVOR

GREG KAUFMAN, CLAIR VEISSIRE, SCOTT TRUSWELL,

MICHAEL WHEATLEY, MICHAEL BAIN, PAUL BARCLAY, GLENN BARR,

MICHAEL BURNHAM, SUSAN CONNOR, MICHAEL CROTEAU,

SABINA ISELI-OTTO, JOHANN GROEBNER, DAVID OLSEN,

MICHAEL SEARS, DON BEGGS et

L"UNIVERSITÉ DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE, MARTHA PIPER et

LA BRITISH COLUMBIA CIVIL LIBERTIES ASSOCIATION et

LA VILLE DE VANCOUVER et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

LE SERGENT D"ÉTAT-MAJORT HUGH STEWART et LE SGT PETER McLAREN,


défendeurs.


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE NADON

[1]      Par leur requête, les demandeurs, soit 39 agents de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC), sollicitent une ordonnance de cette cour suspendant toute autre procédure de la Commission des plaintes du public contre la GRC (la CPP) relativement à des plaintes déposées contre eux à l"égard des réunions de l"Organisation de coopération économique Asie-Pacifique (l"OCEAP) qui ont eu lieu à Vancouver en novembre 1997 tant que cette cour n"aura pas réglé la demande de contrôle judiciaire qu"ils ont présentée le 16 novembre 1998.

[2]      Pour que leur requête soit accueillie, les demandeurs doivent satisfaire au critère que la Chambre des lords a énoncé dans l"affaire American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd. [1975] A.C. 396, tel qu"il a été adopté par la Cour suprême du Canada dans les affaires RJR - MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311 et Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd. [1987] 1 R.C.S. 110.

[3]      Les demandeurs doivent donc convaincre la Cour que la demande de contrôle judiciaire soulève une question sérieuse, qu"ils subiront un préjudice irréparable si la suspension demandée n"est pas accordée et enfin que la prépondérance des inconvénients les favorise.

[4]      Les demandeurs ont présenté une demande de contrôle judiciaire à l"égard de la décision que la CPP avait prise [TRADUCTION] " de poursuivre l"audience même s"il [était] raisonnable de craindre que le président a[vait] peut-être préjugé des questions avant l"audience, et qu"il [était] donc peut-être partial ". Les demandeurs sollicitent un bref de prohibition en vue d"empêcher la formation de la Commission, désignée conformément à l"Avis de décision de convoquer une audience et de désignation des membres du 20 février 1998, de poursuivre l"audience.

[5]      L"affaire dont la Cour est saisie découle des événements suivants. En novembre 1997, le Canada était l"hôte d"une rencontre de dix-huit dirigeants de gouvernements nationaux à la Conférence de l"OCEAP à Vancouver, en Colombie-Britannique. Entre le 23 et le 27 novembre 1997, les dirigeants se sont réunis sur le campus de l"université de la Colombie-Britannique (l"UCB). La GRC, qui était chargée d"assurer la sécurité à la conférence, a déployé plusieurs centaines d"agents de la GRC et de la police de Vancouver pour assurer la sécurité des membres qui se réunissaient sur le campus de l"UCB. En tentant de maintenir la sécurité, des agents de la GRC sont entrés en contact avec des gens qui protestaient contre la présence de certains dirigeants sur le campus de l"UCB.

[6]      Par suite des événements qui se sont produits sur le campus de l"UCB, des plaintes ont été déposées contre la GRC. Plus précisément, il a été allégué que certaines personnes avaient été arrêtées et détenues sans motif légitime, qu"il avait été mis fin sans motif légitime à des manifestations légitimes et qu"on avait eu recours à une force excessive.

[7]      Le 20 février 1998, le président de la CPP1 a délivré un avis de décision de convoquer une audience, conformément au paragraphe 45.43(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (la Loi). Le mandat y afférent est ainsi libellé :

         [TRADUCTION]         
         i.      les événements qui se sont produits pendant les manifestations qui ont eu lieu lors de la conférence de l"OCEAP, à Vancouver (Colombie-Britannique), du 23 au 27 novembre 1997, sur le campus ou à proximité du campus de l"UCB ainsi que les événements qui se sont par la suite produits à l"UCB et au détachement de Richmond de la GRC, et les événements liés à ces manifestations;         
         ii.      la question de savoir si la conduite des agents de la GRC en cause était appropriée eu égard aux circonstances;         
         iii.      la question de savoir si la conduite des membres de la GRC en cause respectait les libertés fondamentales garanties par l"article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés .         

[8]      Dans l"avis d"audience, M. Gérald Morin était nommé président de la formation. Mme Vina Starr et M. John Wright étaient nommés membres de la formation.

[9]      Les demandeurs sont des membres de la GRC qui étaient en cause lors des événements sur lesquels la formation faisait enquête. Ils ont été désignés par l"avocat de la Commission à titre de " membres faisant l"objet " de l"audience. Un membre faisant l"objet d"une audience est un agent dont la conduite personnelle fera l"objet d"un examen à l"audience. Il a été allégué que les demandeurs étaient en cause lors d"au moins l"un des événements qui ont donné lieu aux plaintes. Il a également été allégué que les demandeurs, individuellement ou collectivement, s"étaient peut-être mal conduits. La formation est autorisée à tirer des conclusions de fait et à faire des recommandations au commissaire de la GRC, et notamment à recommander que des mesures disciplinaires soient prises contre les demandeurs. Des conclusions de fait et des recommandations défavorables peuvent donc fort bien avoir des répercussions sérieuses sur la réputation et la carrière des demandeurs.

[10]      L"audience a commencé le 5 octobre 1998; 120 personnes devaient témoigner. À ce jour, il y a eu 13 journées d"audience au cours desquelles cinq personnes ont témoigné. La dernière personne n"a pas encore fini de témoigner. Le 22 octobre 1998, Me Ivan Whitehall, c.r., avocat du gouvernement du Canada à l"audience, a remis à l"avocat de la Commission une lettre qui était en partie ainsi libellée :

         [TRADUCTION]         
         Au cours des deux derniers jours, on a attiré mon attention sur une déclaration qu"un membre de la GRC avait faite à son supérieur, une déclaration qui donne lieu à une crainte raisonnable de partialité de la part du président de la formation. L"allégation figure dans la déclaration ci-jointe.         

[11]      Le membre de la GRC dont Me Whitehall parle dans sa lettre est le gendarme Russell Black. Le gendarme Black est affecté au détachement de la GRC de Prince Albert (Saskatchewan). Le gendarme Black a fait une déclaration à la GRC le 20 octobre 1998 et a été interrogé par Me Whitehall à Vancouver le 21 octobre 1998. Le 12 novembre 1998, le gendarme Black a signé un affidavit que les demandeurs ont déposé à l"appui de la demande de contrôle judiciaire.

[12]      Dans son affidavit, le gendarme Black déclare essentiellement qu"au printemps 1998, pendant qu"il était au casino Northern Lights, à Prince Albert, il a entendu une conversation entre le président de la formation, Gérald Morin, et un autre homme. Selon le gendarme Black, M. Morin a dit à l"autre homme qu"à son avis, la GRC avait eu recours à une force excessive pendant les réunions de l"OCEAP à Vancouver en novembre 1997. Selon le gendarme Black, M. Morin aurait également dit à l"autre homme qu"il savait quelle serait sa décision eu égard aux circonstances. Enfin, selon le gendarme Black, M. Morin aurait dit qu"il savait [TRADUCTION] " ce que la GRC allait faire afin d"éviter la décision ". Le gendarme Black a cru comprendre que cela voulait dire que M. Morin croyait que la GRC mentirait à l"audience.

[13]      Le 23 octobre 1998, le président de la formation a clairement fait savoir que les allégations du gendarme Black étaient niées. La déclaration de M. Morin est ainsi libellée :

         [TRADUCTION]         
         Bonjour. Cette formation a appris hier, vers 9 h, heure normale du Pacifique, qu"un membre de la GRC avait fait des déclarations non solennelles dans lesquelles il alléguait que le président de cette formation, Gérald Morin, avait préjugé de certaines questions qui devaient être examinées dans le cadre de l"audience.         
              La formation a donc décidé d"ajourner l"audience qui devait avoir lieu hier, afin d"examiner sa position. Les documents renfermant ces allégations, qui n"ont pas été faites sous serment, sont maintenant déposés et seront distribués aux intéressés.         
              Je puis dire que je nie catégoriquement ces allégations. Je n"ai rien fait de mal. Je n"ai pas préjugé de l"affaire. Je ne le ferai pas. Je déciderai uniquement des questions soulevées une fois que toute la preuve aura été présentée. J"ai consulté mes collègues, et je crois être en mesure de continuer à présider l"audience.         
              Plus précisément, conformément au paragraphe 11(2) des Règles de la Commission, les questions découlant de l"allégation seront renvoyées à la Cour fédérale. Dans l"intervalle, la formation, qui reconnaît la gravité de l"allégation, a décidé d"ajourner l"audience jusqu"au 17 novembre 1998.         
              L"audience est maintenant ajournée.         

[14]      Le 16 novembre 1998, les demandeurs ont présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision que la CPP avait prise de poursuivre l"audience malgré les allégations qui avaient été faites, à savoir qu"ils avaient des motifs raisonnables de craindre que le président de la formation avait peut-être préjugé des questions et qu"il était donc peut-être partial.

[15]      Le 24 novembre 1998, les demandeurs ont présenté la requête. Comme je l"ai déjà dit, ils sollicitent une ordonnance suspendant toute procédure future de la CPP en attendant que la demande de contrôle judiciaire soit réglée.

[16]      Dans la décision Whirlpool Corp. et al. v. Camco Inc. et al. (1996), 105 F.T.R. 268, le juge en chef adjoint (tel était alors son titre) a résumé comme suit le critère applicable, aux pages 271 et 272 :

         S'agissant d'une demande d'injonction interlocutoire, les trois critères formulés dans l'arrêt American Cyanamid (adoptés au Canada dans l'arrêt Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores (MTS) Ltd.) devraient s'appliquer. Les facteurs suivants doivent être examinés :         
              -      À la première étape, le requérant doit établir l'existence d'une question sérieuse à juger. Le juge de la requête doit déterminer si le requérant a satisfait à ce critère en se fondant sur le bon sens et un examen extrêmement restreint du fond de l'affaire. Le tribunal saisi de la requête ne devrait aller au-delà d'un examen préliminaire du fond de l'affaire que lorsque le résultat de la requête interlocutoire équivaudra en fait à un règlement final de l'action. Sauf lorsque la réclamation est futile ou vexatoire, le juge de la requête doit en général procéder à l'examen des deuxième et troisième étapes de l'analyse décrite dans l'arrêt Metropolitan Stores.         
              -      À la deuxième étape, le requérant doit convaincre le tribunal qu'il subira un préjudice irréparable en cas de refus du redressement. Le terme "irréparable" a trait à la nature du préjudice subi plutôt qu'à son étendue. C'est un préjudice qui ne peut être quantifié du point de vue monétaire ou un préjudice auquel il ne peut être remédié, en général parce qu'une partie ne peut être dédommagée par l'autre. Des exemples du premier type sont le cas où la décision du tribunal aura pour effet de faire perdre à une partie son entreprise; le cas où une partie peut subir une perte commerciale permanente ou un préjudice irrémédiable à sa réputation commerciale; ou encore le cas où une partie peut subir une perte permanente de ressources naturelles lorsqu'une activité contestée n'est pas interdite. Le fait qu'une partie soit impécunieuse n'entraîne pas automatiquement l'acceptation de la requête de l'autre partie qui ne sera pas en mesure de percevoir ultérieurement des dommages-intérêts, mais ce peut être une considération pertinente. La preuve d'un préjudice irréparable doit être claire et ne doit pas reposer sur des conjectures.         
              -      La troisième étape, celle de la prépondérance des inconvénients, consiste à déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l'on accorde ou refuse une injonction interlocutoire en attendant une décision sur le fond. On l'appelle aussi la règle du plus grand préjudice. Il y a de nombreux facteurs à examiner dans l'appréciation de la prépondérance des inconvénients et du poids relatif à leur accorder, et ils varient d'un cas à l'autre.         
         Dans l'arrêt R.J.R.-MacDonald, les juges Sopinka et Cory, qui ont prononcé les motifs au nom de la Cour, ont fait remarquer que, dans son analyse de la prépondérance des inconvénients dans l'arrêt American Cyanamid, Lord Diplock a déclaré que, toutes choses demeurant égales, " il sera plus prudent d'adopter les mesures propres à maintenir le statu quo ". Ils ont déclaré que cette méthode semble être d'une utilité restreinte dans les litiges de droit privé.         

[17]      Je déterminerai d"abord s"il y a une question sérieuse à trancher. Un point préliminaire a été soulevé, à savoir si la question de la présumée partialité du président ne devait pas être soulevée et débattue devant la formation. Me MacIntosh, pour le compte des demandeurs, m"a référé à la décision que la Cour d"appel fédérale avait rendue dans l"affaire Beno c. Canada (Commission d"enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie / Commission Létourneau), dossier du greffe A-672-96, décision datée du 18 novembre 1996, à l"appui de la prétention selon laquelle les demandeurs pouvaient à bon droit soulever la question de la partialité directement devant cette cour. Monsieur le juge Pratte, au nom de la Cour d"appel, a dit ceci à la page 3 des motifs du jugement.

         Il [le juge des requêtes] a par conséquent décidé qu"il serait statué sur la procédure de contrôle judiciaire seulement à partir de la preuve dont disposait la Commission. Nous doutons de l"exactitude de ces hypothèses et de cette conclusion. Nous sommes portés à penser que la Commission n"avait pas la compétence pour juger de l"inhabileté de son président à siéger et que, lors d"une demande de contrôle judiciaire et de prohibition fondée sur une crainte raisonnable de partialité de la part d"un membre d"un tribunal, le requérant a toujours le droit de présenter, à l"appui de sa demande, tout élément de preuve tendant à établir la partialité alléguée.         

[18]      En l"espèce, la formation a déclaré qu"elle était prête à entendre les arguments relatifs à la présumée partialité du président, mais les demandeurs ont décidé de s"adresser directement à cette cour et ils ont présenté une demande de contrôle judiciaire. Cela étant, ils ont demandé à la formation d"ajourner l"audience jusqu"au 18 janvier 1999 ou jusqu"à toute autre date ultérieure qu"elle pourrait fixer. Le 19 novembre 1998, la formation a refusé d"accorder l"ajournement et a fait savoir que l"audience reprendrait le 25 novembre 1998. Compte tenu des motifs prononcés par Monsieur le juge Pratte dans l"affaire Beno (supra) , je puis uniquement conclure que la demande de contrôle judiciaire a été à juste titre présentée devant cette cour.

[19]      À mon avis, il est certain que la demande de contrôle judiciaire soulève une question sérieuse. Les allégations que le gendarme Black a faites sont fort graves. Elles remettent en question la capacité du président de la formation, eu égard aux circonstances, de continuer à être membre de la formation qui a été désignée pour entendre les plaintes déposées contre les demandeurs. Le fait que M. Morin a nié avoir fait les déclarations qui, selon le gendarme Black, auraient été faites ne rend pas la question à trancher moins sérieuse. Les allégations du gendarme Black seront examinées fort attentivement. De toute évidence, elles seront contestées. Toutefois, cette contestation sera examinée dans le cadre du contrôle judiciaire. À ce stade, compte tenu de la preuve, je puis uniquement conclure que les demandeurs ont satisfait au premier élément du critère.

[20]      J"examinerai maintenant la question du préjudice irréparable. Le 10 septembre 1998, le juge Hugessen a refusé de suspendre l"audience tenue par la CPP pour le motif que les demandeurs qui s"étaient présentés devant lui, (c"est-à-dire certains des plaignants dans les procédures devant la CPP) n"avaient pas démontré qu"ils subiraient un préjudice irréparable si l"ordonnance demandée n"était pas accordée. Le juge Hugessen a ensuite examiné le troisième volet du critère, la prépondérance des inconvénients, et il a fait les remarques suivantes, à la page 4 de ses motifs :

         [TRADUCTION]         
         Ces gens [les demandeurs] sont les seuls qui risquent réellement de subir un préjudice grave par suite d"un rapport défavorable de la Commission. Ils ont de fait fortement intérêt à ce que la Commission s"acquitte de sa tâche. Les événements se sont produits en novembre. Il est important que les accusations, les allégations ou les insinuations au sujet de leur conduite, qui leur sont défavorables et qui peuvent influer sur leur carrière, soient ventilées et examinées et qu"elles soient réglées le plus tôt possible. La suspension de l"audience leur causerait un préjudice.         

[21]      Je suis entièrement d"accord avec le juge Hugessen pour dire que les demandeurs risquent de subir un préjudice grave si la formation présente un rapport défavorable. Le préjudice que les demandeurs risquent de subir serait à mon avis irréparable. Me MacIntosh m"a référé à la décision que la Cour d"appel de la Colombie-Britannique avait rendue dans l"affaire Bennett v. British Columbia (Superintendent of Brokers) , [1993] B.C.J. no 246. Dans cette affaire-là, la Cour d"appel devait déterminer si les procédures engagées devant la Commission des valeurs mobilières de la Colombie-Britannique (la Commission) devaient être suspendues en attendant qu"il soit statué sur l"appel de la décision de la formation portant que les allégations selon lesquelles il existait des motifs raisonnables de craindre qu"un des membres de la formation était partial n"étaient pas fondées. Le juge Lambert, en accordant l"autorisation d"interjeter appel contre la décision de la formation, a conclu que les procédures engagées devant la Commission devaient être suspendues. Dans le cadre de ces procédures, on devait faire une enquête sur des allégations relatives à des opérations d"initié qui avaient été faites à l"égard de trois individus. À la page 5 de ses motifs, le juge Lambert explique la conclusion qu"il a tirée, à savoir qu"eu égard aux circonstances, il fallait accorder une suspension :

         [TRADUCTION]         
         17.      Cette audience très publique a causé un grave préjudice aux demandeurs. Les avocats ont dit que les demandeurs eux-mêmes pourraient être appelés à témoigner devant la Commission. Leur crédibilité pourrait bien être contestée. Tous les demandeurs risquent de subir un préjudice considérable avant même que la Commission rende sa décision. Une décision défavorable causerait un préjudice encore plus grave aux demandeurs ainsi qu"à de nombreuses autres personnes.         
         18.      Le Superintendent of Brokers soutient que l"intérêt public exige que l"audience se poursuive. Je ne suis pas d"accord. À mon avis, l"intérêt public n"exige pas qu"on cause un grave préjudice aux trois demandeurs en menant à terme une audience qui peut en fin de compte s"avérer nulle parce que cette cour aura décidé qu"il est raisonnable de craindre qu"au moins un membre de la formation soit partial dans l"exercice de ses fonctions judiciaires. Étant donné qu"il existe un véritable motif d"appel et puisque l"intérêt de la justice exige que l"appel soit entendu, j"accorderai l"autorisation d"interjeter appel.         
         19.      Il s"agit ensuite de savoir si une suspension d"instance doit être accordée tant qu"une décision ne sera pas rendue en appel. Ici encore, je dois tenir compte de l"intérêt de la justice, et ici encore j"arrive à la même décision. La grave injustice qui serait faite aux trois demandeurs si une formation devait mener l"audience à terme, alors qu"il est possible que cette formation soit en fin de compte rendue inhabile à cause d"une crainte raisonnable de partialité, l"emporte de beaucoup à mon avis sur tout intérêt public qui peut exiger la poursuite de l"audience. J"accorde donc une suspension.         

[22]      À mon avis, les remarques du juge Lambert sont tout à fait pertinentes en l"espèce. Je suis donc convaincu que si la suspension que les demandeurs sollicitent n"est pas accordée, ceux-ci subiront un préjudice irréparable.

[23]      Enfin, les demandeurs doivent démontrer que la prépondérance des inconvénients les favorise. Il faut tenir compte de l"intérêt public lorsqu"on détermine si une suspension doit être accordée, mais cela ne règle pas pour autant l"affaire. Aux pages 4 et 5 des motifs qu"il a prononcés à l"appui de l"ordonnance qu"il a rendue le 10 septembre 1998, le juge Hugessen a dit ceci :

         [TRADUCTION]         
              La question du préjudice subi, au point de vue de l"intérêt public, se pose également. Les événements qui se sont produits au Sommet de l"OCEAP au mois de novembre dernier ont énormément préoccupé le public et cette préoccupation se manifeste encore dans les médias. Il y va de l"intérêt public qu"on mène une enquête publique sur ces événements. De fait, les demandeurs eux-mêmes sont parmi ceux qui sont responsables de la tenue de l"enquête publique, lundi prochain. Tenter maintenant de faire obstacle au processus qu"ils ont eux-mêmes entamé et d"y mettre fin alors que ce processus est sur le point de porter fruit me semble injuste et malhonnête.         

[24]      Ces remarques sont conformes à celles que le juge en chef adjoint (tel était alors son titre) a faites dans l"affaire Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l"énergie et du papier, [1997] A.C.F. 207 où, aux pages 12 et 13, le juge en chef adjoint a dit ceci :

         Pour en arriver à une décision sur la prépondérance des inconvénients, la Cour doit tenir compte de l"intérêt qu"a le public à ce que les plaintes en matière de discrimination soient jugées de façon expéditive. Les dispositions relatives à la parité salariale font partie de la Loi canadienne sur les droits de la personne , une loi publique que la Cour suprême du Canada a qualifiée de loi quasi constitutionnelle. La Commission et les plaignants ont la charge de la preuve devant le tribunal. Bell Canada a le droit d"être représentée par un avocat, de contre-interroger les témoins, de présenter des éléments de preuve et de soumettre des observations pour son propre compte. Toute question de fond peut être soulevée devant le tribunal         
         [...]         
         Je ne crois pas qu"il soit dans l"intérêt du public de retarder l"instance dont le tribunal est saisi. Ainsi que le juge McKeown l"a dit dans la décision Federation of Women Teachers" Association v. Ontario Human Rights Commission, il faut tenir compte du rôle que joue la Commission à titre de représentante de l"intérêt du public lorsqu"il s"agit de décider s"il y a lieu de surseoir à une instance. Si l"on tient compte de la prépondérance des inconvénients, de l"intérêt du public et de l"intérêt des plaignants, aucun sursis ne devrait être accordé.         

[25]      Je souscris entièrement en principe aux avis exprimés par mes collègues les juges Hugessen et le juge en chef adjoint, mais j"estime qu"en l"espèce, la prépondérance des inconvénients favorise les demandeurs. Dans la décision Bennett (supra) , le juge Lambert, à la page 5 de ses motifs, dit qu"à son avis, " l"intérêt public n"exige pas qu"on cause un grave préjudice aux trois demandeurs en menant à terme une audience qui peut en fin de compte s"avérer nulle parce que cette cour aura décidé qu"il est raisonnable de craindre qu"au moins un membre de la formation soit partial dans l"exercice de ses fonctions judiciaires. ". J"estime également que l"intérêt public n"exige pas en l"espèce qu"on cause un préjudice aux demandeurs en menant à terme une audience à laquelle il pourra être mis fin parce que cette cour aura conclu qu"il existe une crainte raisonnable de partialité de la part du président de la formation.

[26]      J"estime également qu"en l"espèce, l"intérêt public exige que la question de la partialité soit réglée le plus tôt possible. À mon avis, l"intérêt public exige également que l"audience ne reprenne pas tant que la question de la partialité n"aura pas été réglée.

[27]      Pour ces motifs, le 26 novembre 1998, j"ai ordonné que toute autre procédure de la CPP, en ce qui concerne les plaintes déposées contre les demandeurs à l"égard des rencontres de l"OCEAP, à Vancouver, en novembre 1997 soit suspendue.

                         (Sign.) " Marc Nadon "

                                     J.C.F.C.

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 27 novembre 1998

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DATE DE L'AUDIENCE :      le 25 novembre 1998

No DU GREFFE :      T-2140-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      le gend. Michelle Adriaanse et autres c. David Malmo-Levine et autres
    
LIEU DE L'AUDIENCE :      Vancouver (Colombie-Britannique)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge NADON en date du 27 novembre 1998

ONT COMPARU :

George MacIntosh      pour les demandeurs
James Williams      pour les sergents d"état-major Hugh Stewart et Peter McLaren, défendeurs
Michael Doherty      pour la BC Civil Liberties Association, défenderesse
Marilyn Sandford      pour Cameron Ward et les autres étudiants, défendeurs
James Taylor      pour l"UCB et et Martha Piper, défenderesses
I.G. Whitehall      pour le procureur général du Canada, défendeur
Josiah Wood      pour la Commission des plaintes du public contre la GRC

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

George MacIntosh      pour les demandeurs

Farris Vaughn Wills & Murphy

James Williams      pour le sergent d"état-major, Hugh Stewart et Peter McLaren, défendeurs

Smart & Williams

Michael Doherty      pour la BC Civil Liberties Association, défenderesse

Avocat

Marilyn Sandford      pour Cameron Ward et les autres étudiants, défendeurs

Gibbons & Ritchie

James Taylor      pour l"UBC et Martha Piper, défenderesses

Taylor Jordan

I.G. Whitehall      pour le procureur général du Canada, défendeur

Sous-procureur général du Canada

Josiah Wood      pour la Commission des plaintes du public contre la GRC

Blake, Cassels & Graydon

__________________

     La CPP a été constituée en vertu de la partie VI de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-9. La CPP est un organisme civil qui fait enquête et entend les plaintes déposées par les membres du public contre des membres de la GRC.

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