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Date: 19980206


Dossier: T-1938-97

Entre :

     GHYSLAIN GAUDET

     Partie demanderesse

     ET

     SA MAJESTÉ LA REINE

     et

     LE SERVICE CORRECTIONNEL CANADA

     Parties défenderesses

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

[1]      Il s'agit d'une requête du demandeur en vertu des règles 401(1)c), 419(1)a) et 1718(3) des Règles de la Cour fédérale (les règles) en vue d'obtenir le rejet de la demande reconventionnelle déposée par les défendeurs (la couronne) dans la présente affaire.

[2]      Suivant le demandeur, la couronne devrait procéder par une action distincte vu l'absence de connexité entre la demande principale et la demande reconventionnelle (la demande).

[3]      Si ce moyen devait réussir, l'ensemble de la demande serait rayé du présent dossier et il n'y aurait pas lieu d'étudier le deuxième motif d'attaque soulevé par le demandeur. Nous débuterons donc notre analyse par ce premier motif.

[4]      À titre de deuxième motif, le demandeur soutient que certains paragraphes de la demande ne relèvent pas de la juridiction rationae materiae de la Cour. À ces paragraphes, la couronne réclame des dommages moraux et exemplaires en plus de réclamer au demandeur des frais qu'elle aurait encourus pour remplacer des employés dont le demandeur serait responsable du départ temporaire.

Contexte

[5]      Le demandeur, qui est détenu dans un établissement correctionnel de la couronne, a logé une action en dommages-intérêts et exemplaires contre cette dernière au motif que de juillet 1995 à août 1997, les employés de l'établissement où il était détenu ont sciemment violé ses droits constitutionnels en lui faisant subir des conditions de détention inhumaines.

[6]      Dans sa demande, la couronne se réfère essentiellement à la même période dans le temps et soutient plutôt que c'est le demandeur qui a fait régner un climat de terreur à l'égard des employés de l'établissement de détention. Dans cet ordre d'idées, elle reproche au demandeur d'être directement responsable du fait que trois de ses employés ont dû quitter leurs fonctions en raison soit de chocs post-traumatiques, soit d'anxiété situationnelle.

[7]      Ces employés ont été indemnisés par la couronne en vertu de la Loi sur l'indemnisation des agents de l'État, L.R. (1985), ch. G-5 (la Loi).

[8]      En vertu du paragraphe 9(3) de la Loi, la couronne se trouve statutairement subrogée dans les droits desdits employés. De par les termes du même paragraphe, elle a intenté la demande où elle réclame, entre autres, des dommages-intérêts et exemplaires.

[9]      Les paragraphes 9(3) et (4) de la Loi se lisent comme suit:

                      9.(3) Dans les cas où l'agent de l'État ou les personnes à sa charge optent pour l'indemnité prévue par la présente loi, Sa Majesté est subrogée dans leurs droits et peut intenter une action contre le tiers à l'égard de qui le recours est ouvert, en leur nom ou en son propre nom; toute somme ainsi recouvrée est versée au Trésor.                 
                      (4) Si la somme ainsi recouvrée dépasse le montant de l'indemnité à laquelle l'agent de l'État ou les personnes à sa charge avaient droit aux termes de la présente loi, il peut leur être versé, sur le Trésor, la fraction de l'excédent que le ministre, avec l'approbation du Conseil du Trésor, estime nécessaire; si, après le versement, l'agent a droit à un supplément d'indemnité au titre du même accident, la somme versée sous le régime du présent paragraphe peut être déduite de ce supplément.                 

Analyse

La radiation de la demande sous le paragraphe 1718(3)

[10]      Suivant le demandeur, il n'existe aucun lien entre la source de la réclamation du demandeur, qui elle est basée sur la Charte canadienne, et celle de la demande, qui elle dépend de la Loi et du Code civil du Québec. À cet égard, on peut être d'accord avec le demandeur. On ajoute que l'exécution des réclamations des parties sont indépendantes l'une de l'autre. Encore ici, cela appert fondé.

[11]      Pour ces motifs, le demandeur soutient que la demande doit être instruite de façon séparée de l'action en chef. Je ne suis pas d'accord.

[12]      En l'espèce, il ne m'apparaît pas que la source du remède recherché ou son exécution soient des motifs valables et évidents pour qu'aux termes du paragraphe 1718(3) des règles je doive ordonner que la demande soit instruite séparément.

[13]      Le paragraphe 1718(3) se lit comme suit:

                      1718.(3) S'il paraît évident que la question qui fait l'objet d'une demande reconventionnelle devrait pour quelque raison être réglée par voie d'action distincte, la Cour peut soit ordonner la radiation de la demande reconventionnelle, soit ordonner qu'elle soit instruite séparément, soit rendre l'ordonnance qui peut être opportune.                 
                 (mon souligné)                 

[14]      En verdu de la jurisprudence sous cette règle, chaque cas est un cas d'espèce qui est laissé à l'appréciation de la Cour (voir Her Majesty The Queen v. Central Tobacco Mfg (1980) Ltd. - Les Manufacturiers Tabac Central (1980) Ltée (C.F. 1ère inst.), [1985] 1 CTC 357, page 358).

[15]      Ce qui m'apparaît évident en l'espèce c'est que l'examen du comportement des parties l'une envers l'autre pendant la période de juillet 1995 à août 1997 pourra servir à départager les torts. Un même tronc commun de preuve pourra donc être administré lors de l'instruction.

[16]      En séparant la demande de l'action du demandeur, on risque fort de créer une duplication dans la preuve à administrer. Ceci doit être évité (Central Tobacco, supra, page 361).

[17]      De plus, une bonne partie de la demande était déjà au dossier lorsque le demandeur a par le passé déposé des procédures répondant à la demande. Il lui est donc maintenant interdit, à mon avis, de faire appel au paragraphe 1718(3) des règles.

[18]      Il n'y a donc pas lieu en l'espèce d'ordonner que la demande soit instruite séparément.

La juridiction rationae materiae de la Cour

[19]      Même s'il admet que la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt La Reine du Chef du Canada c. La Commission de transport de la Communauté urbaine de Montréal (C.A.), [1980] 2 C.F. 151 (l'arrêt C.T.C.U.M.) permet à la couronne d'entreprendre une action en Cour fédérale sur la base de la Loi, le demandeur soutient que les paragraphes de la demande où la couronne réclame des dommages moraux, des dommages exemplaires et les coûts de remplacement des employés absents constituent des réclamations qui ne relèvent pas de la juridiction de la Cour mais bien de celle des tribunaux provinciaux.

[20]      Selon sa procureure, ces dommages ou frais n'ont pas été payés aux employés de la couronne et ils ne sont pas le type de dommages dont la Loi prévoit le paiement. En conséquence, ces dommages ne découlent pas de la Loi et l'assise de la juridiction de la Cour à leur égard est perdue.

[21]      Quant aux dommages moraux et exemplaires, il importe peu d'établir s'ils ont été payés ou s'ils pouvaient être payés aux employés. Il est clair de par les termes du paragraphe 9(3) de la Loi que suite à l'indemnisation, la couronne se trouve subrogée dans les droits d'action des employés ainsi indemnisés sous la Loi. En vertu des arrêts C.T.C.U.M., supra, et La Reine c. P.B. Ready-Mix Concrete & Excavators Ltd. (1956), 5 D.L.R. (2e) 268, cette subrogation vise tous les droits des employés comme si eux-mêmes avaient choisi d'entreprendre une action contre le demandeur au lieu et place de choisir une indemnité sous la Loi.

[22]      Dans le cadre d'une telle action, il m'appert que chaque employé aurait pu réclamer au demandeur des dommages moraux et exemplaires. Conséquemment, ces chefs de dommages découlent de la Loi et la Cour a juridiction à leur égard.

[23]      Il en va autrement, à mon avis, à l'égard du paragraphe 54 de la demande. Ce paragraphe se lit comme suit:

                 54.      Sa Majesté est également en droit de réclamer du demandeur les coûts occasionnés par les conséquences directes de l'absence des trois employés pour une période prolongée (troubles et inconvénients, salaires versés pour le remplacement des employés absents, temps supplémentaire, etc...) évalués à 7 000,00 $;                 
                 (souligné dans le texte)                 

[24]      Selon moi, ce chef de réclamation est réellement propre à la couronne et il ne correspond pas à aucun droit de réclamation qu'auraient pu faire valoir les employés de la couronne. Cette dernière ne peut donc se rattacher à la Loi pour réclamer ce montant de 7 000$. Ledit paragraphe 54 ne se trouve donc pas fondé sur du droit fédéral.

[25]      Tel qu'on le sait, cette exigence est nécessaire pour soutenir l'expression de juridiction que l'on retrouve à l'alinéa 17(5)a) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R. (1985), ch. F-7; alinéa qui se lit:

                      17.(5) La Section de première instance a compétence concurrente, en première instance, dans les actions en réparation intentées:                 
                      a) au civil par la Couronne ou le procureur général du Canada;                 

[26]      C'est donc à bon droit que le demandeur réclame la radiation de ce paragraphe 54. Conséquemment, la couronne devra revoir ses calculs et montants apparaissant au paragraphe 57 de sa demande. Elle sera autorisée à déposer et à signifier une défense et demande reconventionnelle ré-amendée pour tenir compte de la présente décision. Une ordonnance sera émise en conséquence.

[27]      La requête du demandeur sera autrement rejetée, frais à suivre.

Richard Morneau

     protonotaire

MONTRÉAL (QUÉBEC)

le 6 février 1998

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     NOMS DES AVOCATS ET DES PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU DOSSIER DE LA COUR:

INTITULÉ DE LA CAUSE:

T-1938-97

GHYSLAIN GAUDET

     Partie demanderesse

ET

SA MAJESTÉ LA REINE

et

LE SERVICE CORRECTIONNEL CANADA

     Parties défenderesses

LIEU DE L'AUDIENCE:Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE:le 2 février 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

DATE DES MOTIFS DE L'ORDONNANCE:le 6 février 1998

COMPARUTIONS:

Me Sylvie Bourgeois pour la partie demanderesse

Me Éric Lafrenière pour la partie défenderesse

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Sylvie Bourgeois pour la partie demanderesse

Bourgeois et Danis

Lorraine (Québec)

Me George Thomson pour la partie défenderesse

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

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