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Date : 20000110


Dossier : IMM-3809-98


OTTAWA (ONTARIO), le 10 janvier 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O"KEEFE


ENTRE :

JIAO MIN ZHENG


demanderesse


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION


défendeur



ORDONNANCE

     Après avoir entendu les observations des avocats et lu les documents que les parties ont déposés;

LA COUR ORDONNE QUE la demande de contrôle judiciaire soit accueillie, la décision de l"agent des visas soit annulée, et l"affaire soit renvoyée à un autre agent des visas pour qu"il l"examine à son tour.

" John A. O"Keefe "

                                             J.C.F.C.




Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.





Date : 20000110


Dossier : IMM-3809-98


ENTRE :


JIAO MIN ZHENG


demanderesse


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION


défendeur



MOTIFS DE L"ORDONNANCE


LE JUGE O"KEEFE


[1]      La demanderesse a présenté une demande de contrôle judiciaire contre la décision, datée du 13 juin 1998, par laquelle un agent des visas, John Choi, a rejeté la demande de résidence permanente au Canada qu"elle avait déposée. La demanderesse avait soumis sa demande de résidence permanente en juin 1995, invoquant la catégorie des immigrants autonomes, plus précisément à titre de biochimiste (CNP 2133-234). Monsieur Choi a déterminé que la demanderesse ne satisfaisait pas aux critères applicables en vue d"immigrer au Canada.

[2]      Il ressort de la demande que la demanderesse a présentée qu"elle a fait un baccalauréat en médecine en 1983. Il ressort des notes que M. Choi, deuxième secrétaire à l"Immigration, a prises à l"audition que la demanderesse a étudié la chimie pendant quatre années et qu"elle a complété un baccalauréat en médecine en 1983.

[3]      Dans sa demande, la demanderesse a dit au paragraphe 9 qu"elle occupait un poste de biochimiste. Ses tâches comprenaient, entre autres, [TRADUCTION] " la conception de projets de recherche en biochimie; la recherche dans des domaines tels la pollution industrielle urbaine et l"inspection et le contrôle de la pollution des eaux potables. Le contrôle de la pollution de l"environnement; l"examen des résultats de contrôle et d"analyse de la pollution de l"environnement urbain; etc. ... ".

[4]      Voici ce qu"il ressort des notes que M. Choi a prises à l"audition de la demande :

a) La demanderesse a dit qu"elle travaillait depuis 1985 au centre de contrôle de l"environnement de Chengdu, où elle analysait les polluants atmosphériques.
b) La demanderesse a dit que, ces temps-ci, elle contrôlait des échantillons d"air et d"eau.
c) Invitée à décrire les normes de sécurité applicables à la qualité de l"air, tels les niveaux de NO2 et de SO2 dans l"air, la demanderesse a dit qu"elle avait oublié ce renseignement.
d) Invitée à décrire les niveaux acceptables de métaux lourds dans l"eau potable, tels les Cu, Fe, Zn et Hg, la demanderesse a dit qu"elle ignorait quels étaient exactement ces niveaux.
e) Invitée à décrire les critères en matière de sécurité applicables à l"eau potable, la demanderesse a répondu que la concentration des bactéries ne devait pas dépasser 100/ml.
f) Monsieur Choi a conclu que la demanderesse [TRADUCTION] " n"avait pas l"expérience professionnelle voulue pour être admissible à titre de biochimiste " et il a déterminé qu"elle ne satisfaisait pas aux critères applicables en vue d"immiger au Canada.

[5]      La demanderesse a reçu soixante-cinq (65) points d"appréciation.

[6]      La demanderesse n"a pas reçu de point d"appréciation (0) au titre de l"expérience.

LA QUESTION LITIGIEUSE

[7]      Monsieur Choi, deuxième secrétaire à l"Immigration, a-t-il commis une erreur lorsqu"il a apprécié la demande de la demanderesse en n"accordant pas de point d"appréciation à cette dernière au titre de l"expérience?

L"ANALYSE

[8]      L"annexe I du Règlement sur l"immigration, DORS/78-172 (le Règlement) prévoit un certain nombre de facteurs dont l"agent des visas doit tenir compte lorsqu"il tranche une demande de résidence permanente au Canada. Voici ces facteurs :

FACTEURS

Maximum de points

Études

16

Études et formation

18

Expérience

8

Facteur professionnel

10

Emploi réservé ou profession désignée

10

facteur démographique

10

Âge

10

Connaissance du français et de l"anglais

15

Personnalité

10

Le paragraphe 9(1) du Règlement prévoit :


9. (1) Subject to subsection (1.01) and section 11, where an immigrant, other than a member of the family class, an assisted relative, or a Convention refugee seeking resettlement makes an application for a visa, a visa officer may issue an immigrant visa to him and his accompanying dependants if

(a) he and his dependants, whether accompanying dependants or not, are not members of any inadmissible class and otherwise meet the requirements of the Act and these Regulations;

(b) where the immigrant and the immigrant's accompanying dependants intend to reside in a place in Canada other than the Province of Quebec, on the basis of the assessment of the immigrant or the spouse of that immigrant in accordance with section 8,

(i) in the case of an immigrant other than an entrepreneur, an investor or a provincial nominee, he is awarded at least 70 units of assessment,

(ii) in the case of an entrepreneur or a provincial nominee, he is awarded at least 25 units of assessment, and

(iii) in the case of an investor other than an investor in a province, the investor has made an investment and is awarded at least 25 units of assessment; and

(iv) [Repealed, SOR/99-146, s. 4]

(c) where the immigrant and the immigrant's accompanying dependants intend to reside in the Province of Quebec,

(i) the Minister of Cultural Communities and Immigration of that Province is of the opinion based on these Regulations or regulations made under An Act respecting the Ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration (R.S.Q., 1977, c. M-23.1), as amended from time to time, that the assisted relative will be able to become successfully established in that Province, and

(ii) in the case of an investor in a province, the investor has made an investment,

(A) where the investor is an investor other than an investor in a province, the investor has made a minimum investment described in paragraph (a), (c) or (d) of the definition "minimum investment" in subsection 2(1), and

(B) where the investor is an investor in a province, the investor has made a minimum investment described in paragraph (b) or (e) of the definition "minimum investment" in subsection 2(1).

9. (1) Sous réserve du paragraphe (1.01) et de l'article 11, lorsqu'un immigrant, autre qu'une personne et appartenant à la catégorie de la famille, qu'un parent aidé ou qu'un réfugié au sens de la Convention cherchant à se réétablir, présente une demande de visa d'immigrant, l'agent des visas peut lui en délivrer un ainsi qu'à toute personne à charge qui l'accompagne si :

a) l'immigrant et les personnes à sa charge, qu'elles l'accompagnent ou non, ne font pas partie d'une catégorie de personnes non admissibles et satisfont aux exigences de la Loi et du présent règlement; et

b) lorsqu'ils entendent résider au Canada ailleurs qu'au Québec, suivant son appréciation de l'immigrant ou du conjoint de celui-ci selon l'article 8 :

(i) dans le cas d'un immigrant, autre qu'un entrepreneur, un investisseur, ou un candidat d'une province, il obtient au moins 70 points d'appréciation,

(ii) dans le cas d'un entrepreneur ou d'un candidat d'une province, il obtient au moins 25 points d'appréciation,

(iii) dans le cas d'un investisseur autre qu'un investisseur d'une province, il a fait un placement et il obtient au moins 25 points d'appréciation;

(iv) [Abrogé, DORS/99-146, art. 4]

c) lorsqu'ils entendent résider au Québec :

(i) d'une part, le ministre des Communautés culturelles et de l'Immigration de cette province est d'avis, d'après les règlements d'application de la Loi sur le ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration (L.R.Q. 1977, ch. M-23.1), compte tenu de leurs modifications successives, que l'immigrant et les personnes à charge qui l'accompagnent pourront réussir leur installation dans cette province,

(ii) d'autre part, dans le cas d'un investisseur d'une province, il a fait un placement.

Le paragraphe 11(1) du Règlement prévoit :

11. (1) Subject to subsections (3) and (5), a visa officer shall not issue an immigrant visa pursuant to subsection 9(1) or 10(1) or (1.1) to an immigrant who is assessed on the basis of factors listed in column I of Schedule I and is not awarded any units of assessment for the factor set out in item 3 thereof unless the immigrant

(a) has arranged employment in Canada and has a written statement from the proposed employer verifying that he is willing to employ an inexperienced person in the position in which the person is to be employed, and the visa officer is satisfied that the person can perform the work required without experience; or

(b) is qualified for and is prepared to engage in employment in a designated occupation.

11. (1) Sous réserve des paragraphes (3) et (5), l'agent des visas ne peut délivrer un visa d'immigrant selon les paragraphes 9(1) ou 10(1) ou (1.1) à l'immigrant qui est apprécié suivant les facteurs énumérés à la colonne I de l'annexe I et qui n'obtient aucun point d'appréciation pour le facteur visé à l'article 3 de cette annexe, à moins que l'immigrant :

a) n'ait un emploi réservé au Canada et ne possède une attestation écrite de l'employeur éventuel confirmant qu'il est disposé à engager une personne inexpérimentée pour occuper ce poste, et que l'agent des visas ne soit convaincu que l'intéressé accomplira le travail voulu sans avoir nécessairement de l'expérience; ou

b) ne possède les compétences voulues pour exercer un emploi dans une profession désignée, et ne soit disposé à le faire.

[9]      Dans sa décision datée du 13 juin 1997, l"agent des visas a accordé le nombre de points d"appréciation suivant à la demanderesse :



FACTEURS

     Points

Âge

10

Facteur professionnel

01

Préparation professionnelle particulière

18

Expérience

0

Emploi réservé

0

Facteur démographique

08

Études

15

Anglais

08

Français

0

Boni

0

Personnalité

05

Total

65

[10]      Il est évident, vu les paragraphes 9(1) et 11(1) du Règlement, qu"un visa d"immigrant n"est délivré à la personne qui en fait la demande que si cette dernière obtient au moins soixante-dix (70) points d"appréciation, dont au moins un point au titre de l"expérience.

[11]      L"agent des visas en l"espèce n"a accordé au total que soixante-cinq (65) points d"appréciation à la demanderesse et il ne lui a pas accordé de points d"appréciation au titre de l"expérience, ce qui la rendait non admissible pour deux raisons.

[12]      La question revient donc à savoir si l"agent des visas a convenablement exercé son pouvoir discrétionnaire. Madame le juge L"Heureux-Dubé a dit, dans l"arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) (1999), 174 DLR (4th) 193, au paragraphe 62 :

[62]      Tous ces facteurs doivent être soupesés afin d"en arriver à la norme d"examen appropriée. Je conclus qu"on devrait faire preuve d"une retenue considérable envers les décisions d"agents d"immigration exerçant les pouvoirs conférés par la loi, compte tenu de la nature factuelle de l"analyse, de son rôle d"exception au sein du régime législatif, du fait que le décideur est le ministre, et de la large discrétion accordée par le libellé de la loi. Toutefois, l"absence de clause privative, la possibilité expressément prévue d"un contrôle judiciaire par la Cour fédérale, Section de première instance, et la Cour d"appel fédérale dans certaines circonstances, ainsi que la nature individuelle plutôt que polycentrique de la décision, tendent aussi à indiquer que la norme applicable ne devrait pas en être une d"aussi grande retenue que celle du caractère "manifestement déraisonnable". Je conclus, après avoir évalué tous ces facteurs, que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable simpliciter .

La décision de l"agent des visas de conclure que la demanderesse n"avait pas l"expérience professionnelle voulue pour être admissible à titre de biochimiste et de ne pas lui accorder de point d"appréciation au titre de l"expérience professionnelle était-elle raisonnable? Le juge Iacobucci a dit, dans l"arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc. , [1997] 1 R.C.S. 748, au paragraphe 56 :

[56] ... Est déraisonnable la décision qui, dans l"ensemble, n"est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s"il existe quelque motif étayant cette conclusion. Le défaut, s"il en est, pourrait découler de la preuve elle-même ou du raisonnement qui a été appliqué pour tirer les conclusions de cette preuve. ...

[13]      J"estime que la décision de l"agent des visas de conclure que la demanderesse n"avait pas l"expérience professionnelle voulue pour être admissible à titre de biochimiste et de ne pas lui accorder de point d"appréciation au titre de l"expérience professionnelle était déraisonnable. Voici les motifs sur lesquels j"ai fondé cette conclusion :

a) La demanderesse travaille en tant que biochimiste depuis 1985; elle analyse les polluants atmosphériques et contrôle la qualité de l"air et de l"eau.
b) La demanderesse a travaillé dans un centre anticancéreux de 1983 à 1985, où elle analysait la composition du sang et faisait subir des tests hépatiques.
c) La demanderesse a étudié la chimie pendant quatre années à l"université (dossier certifié, à la page 5).
d) L"agent des visas lui a posé des questions détaillées, qu"elle devait répondre avec précision, sur les niveaux acceptables de métaux lourds dans l"eau potable et la norme acceptable en matière de qualité de l"air, notamment en ce qui concerne les niveaux acceptables de NO2 et SO2 dans l"air. Comme la demanderesse n"a pu lui donner de réponses précises, l"agent des visas a conclu qu"elle n"avait pas l"expérience professionnelle voulue pour être admissible à titre de biochimiste.

[14]      Il est difficile de concevoir qu"une demanderesse possédant l"expérience professionnelle que l"agent des visas a décrite n"obtiendrait pas de point d"appréciation au titre de l"expérience et ferait l"objet d"une conclusion selon laquelle elle ne possède pas l"expérience professionnelle voulue pour être admissible à titre de biochimiste. Elle aurait certainement dû être admissible à recevoir à tout le moins quelques points d"appréciation. De façon subsidiaire, si la norme de contrôle applicable était celle de la " décision manifestement déraisonnable ", j"aurais conclu que la décision de l"agent des visas était manifestement déraisonnable.

[15]      La demanderesse a soulevé deux autres questions :

     1) [TRADUCTION] " Que l"agent des visas a commis une erreur lorsqu"il a apprécié le neuvième facteur énuméré à l"annexe I, soit la "personnalité", en n"accordant à la demanderesse que cinq (5) des dix (10) points prévus relativement à ce facteur ".
     2) [TRADUCTION] " ... l"agent des visas a commis une erreur lorsqu"il a omis d"apprécier, de façon subsidiaire, l"époux de la demanderesse en tant que demandeur principal ... ".

[16]      La demanderesse soutient que l"agent des visas a commis une erreur lorsqu"il ne lui a accordé que cinq (5) des dix (10) points d"appréciation prévus relativement à la " personnalité ". J"ai examiné les notes que l"agent des visas a prises à l"entrevue ainsi que la lettre de refus, datée du 13 juin 1998, qu"il a envoyée à la demanderesse, et je constate qu"il n"a pas expliqué pourquoi il a décidé d"accorder cinq (5) points à cette dernière au titre de la personnalité. La lettre, datée du 13 juin 1998, qui a été envoyée à la demanderesse dit bien que celle-ci a reçu cinq (5) points d"appréciation au titre de la personnalité, mais elle ne fait pas état de motifs expliquant comment l"agent en est arrivé à ce nombre de points. La question revient donc à savoir si l"omission de fournir des motifs étayant cette conclusion permet à la Cour d"annuler la décision. La Cour d"appel fédérale a dit, dans l"arrêt Williams c. Canada , [1997] 2 C.F. 646 (C.A.), aux pages 674 et 675 :

     J'ai du mal à comprendre pourquoi une décision non motivée est nulle pour la seule raison que son examen par un tribunal siégeant en appel ou exerçant des pouvoirs de contrôle judiciaire peut être difficile. Je reconnais une fois de plus qu'il est très souhaitable que des motifs soient fournis, mais il est tout à fait possible qu'un tribunal, ou un juge du reste, rende une décision légitime sans fournir de motifs. L'expérience démontre que les cours de justice le font quotidiennement. Pourquoi devrait-il en être autrement pour les tribunaux? C'est particulièrement vrai lorsque les tribunaux exercent des pouvoirs en grande partie discrétionnaires, comme le ministre qui, en vertu du paragraphe 70(5), n'est pas tenu d'appliquer des principes juridiques existants à des conclusions de fait précises comme le font les cours de justice ou de nombreux tribunaux.
Je ne sais absolument pas pourquoi les cours de justice peuvent, de droit, rendre une décision non motivée, mais peuvent insister pour que les tribunaux ne puissent, de droit, le faire. Selon l'arrêt Doody et le juge des requêtes en l'espèce, cette affirmation s'explique par le fait que si le décideur ne motive pas sa décision, une cour de justice qui siège en révision ne peut pas savoir si la décision est correcte. Il me semble que cette approche est fondée sur la prémisse selon laquelle les décisions rendues par les tribunaux et les hauts fonctionnaires sont présumées erronées tant que leur bien-fondé n'a pas été établi. Toutefois, la séparation des pouvoirs et les principes ordinaires de retenue judiciaire exigent qu'il incombe à la personne qui conteste une décision discrétionnaire de prouver que cette décision est illégale. Cette preuve peut être facile à faire dans certains cas s'il s'agit d'une décision qui est manifestement absurde, qui est manifestement illégale parce qu'elle se rapporte à des questions qui ne ressortissent pas à la compétence du décideur, ou qui n'est explicable qu'en présumant la mauvaise foi. En l'absence de tels facteurs, c'est à la personne qui demande un contrôle judiciaire qu'il appartient de soumettre des éléments de preuve ou d'invoquer des moyens expliquant pourquoi la décision est illégale. Cela ne diminue nullement l'opportunité pour le décideur de fournir des motifs, mais je ne vois pas comment on peut en faire une obligation légale en l'absence d'une exigence législative.

L"affaire ne s"arrête cependant pas là, comme le dit le juge L"Heureux-Dubé de la Cour suprême du Canada dans l"arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) (1999), 174 DLR (4th) 193, aux pages 219 et 220 :

À mon avis, il est maintenant approprié de reconnaître que, dans certaines circonstances, l"obligation d"équité procédurale requerra une explication écrite de la décision. Les solides arguments démontrant les avantages de motifs écrits indiquent que, dans des cas comme en l"espèce où la décision revêt une grande importance pour l"individu, dans des cas où il existe un droit d"appel prévu par la loi, ou dans d"autres circonstances, une forme quelconque de motifs écrits est requise. Cette exigence est apparue dans la common law ailleurs. Les circonstances de l"espèce, à mon avis, constituent l"une de ces situations où des motifs écrits sont nécessaires. L"importance cruciale d"une décision d"ordre humanitaire pour les personnes visées, comme celles dont il est question dans les arrêts Orlowski , Cunningham et Doody, milite en faveur de l"obligation de donner des motifs. Il serait injuste à l"égard d"une personne visée par une telle décision, si essentielle pour son avenir, de ne pas lui expliquer pourquoi elle a été prise.

La Cour d"appel fédérale a souligné, dans l"arrêt Williams c. Canada , précité, à la page 672, l"importance d"exposer des motifs :

Je confirmerais d'abord, comme l'ont fait de nombreuses cours de justice dans le passé, qu'il est généralement sinon toujours préférable que les cours de justice et les tribunaux motivent leurs décisions. Donner des motifs est avantageux à bien des égards: les motifs permettent aux parties de savoir pourquoi elles ont eu gain de cause ou été déboutées, ce qui est une considération très importante; la rédaction de motifs astreint une cour de justice ou un tribunal à une discipline lorsqu'il faut justifier le résultat; et les motifs aident indéniablement une cour de justice, par la suite, à statuer sur un appel ou à exercer des pouvoirs de contrôle judiciaire.

À mon avis, comme il ressort de l"arrêt Baker , précité, les notes de l"agent des visas ou encore la lettre qu"il a envoyée à la demanderesse dans laquelle il traitait des diverses questions en cause auraient constitué les motifs de décision requis. En l"espèce, la demanderesse a le droit d"interjeter appel devant notre Cour, et la décision de savoir si on doit lui permettre d"entrer au Canada revêt une importance particulière pour elle. Comme je l"ai déjà dit, les notes et la lettre de l"agent des visas en l"espèce ne mentionnent pas ce dont il a tenu compte pour parvenir à un nombre total de cinq (5) points d"appréciation au titre de la personnalité. Si les notes ou la lettre envoyée à la demanderesse avaient mentionné les facteurs dont l"agent a tenu compte pour en arriver à ce total de cinq (5) points, notre Cour n"aurait pu mettre en doute l"opinion de ce dernier, à moins que ses motifs fussent déraisonnables. À moins que l"opinion de l"agent des visas ne soit déraisonnable, rien ne permet à la Cour de substituer son opinion à celle de l"agent des visas.

[17]      Voici quelques exemples de la façon dont d"autres agents des visas ont abordé la question des points d"appréciation qu"il convient d"accorder. Dans la décision Shen c. Le ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration (30 août 1999) IMM-3808-98 (C.F. 1re inst.), aux pages 6 et 7 :

En l"espèce, l"agent des visas a pris les notes suivantes concernant la personnalité du demandeur :
[TRADUCTION] Personnalité du DP [demandeur principal] insatisfaisante vu qu"il n"a pris aucune initiative pour lire les documents du CCI expliquant le processus de délivrance de permis aux ingénieurs au Canada. DP ignorait l"existence de cette exigence; DP croyait qu"il lui serait facile, même à son âge, d"obtenir un emploi d"ingénieur au Canada vu qu"il a plusieurs amis là-bas et qu"il a "une bonne formation et de l"expérience". Invité à expliquer comment il trouverait un emploi convenable, le DP a répondu que ses amis lui trouveraient du travail. DP souhaite immigrer seul, sans son épouse, qui parle l"anglais. Ne pourrait s"établir avec succès.

Dans Bulent Kesici c. Le ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration (16 juin 1999) IMM-3045-98 (C.F. 1re inst.), à la page 7 :

En ce qui concerne l"appréciation de la personnalité du demandeur, l"agente d"immigration a simplement déclaré :
[TRADUCTION]
7.      J"ai accordé cinq points d"appréciation à l"intéressé dans la catégorie personnalité, d"après la motivation, la faculté d"adaptation, l"ingéniosité et l"esprit d"initiative qu"il a manifestés durant l"entrevue et qui ressortaient des documents qui ont été déposés à l"appui de sa demande.

Il s"agit de moyens très simples et faciles d"exposer des motifs étayant une décision d"accorder un certain nombre de points d"appréciation au titre de la " personnalité ".. Or, comme des motifs n"ont pas été exposés en l"espèce, il y a eu violation de l"obligation d"équité procédurale. La décision doit également être annulée pour cette raison.

[18]      La demanderesse a dit que [TRADUCTION] " l"agent des visas a commis une erreur lorsqu"il a omis d"apprécier, de façon subsidiaire, l"époux de la demanderesse en tant que demandeur principal ". J"ai examiné la demande de résidence permanente au Canada de même que les notes que l"agent des visas a prises à l"entrevue, et je constate qu"aucune mention n"y est faite d"une quelconque demande visant à obtenir que l"époux de la demanderesse soit apprécié en tant que demandeur principal. Le paragraphe 8(1) du Règlement prévoit que " l"agent des visas apprécie l'immigrant ou, au choix de ce dernier, son conjoint ". Or, comme un tel choix n"a pas été offert à la demanderesse, ce motif de contrôle doit être rejeté.

[19]      La demanderesse a soulevé une autre question dans le dossier de la demande, à la page 22, soit que [TRADUCTION] " en vertu de l"obligation d"agir équitablement qui lui incombe, l"agent des visas qui a l"impression que la preuve produite par le demandeur fait défaut peut être tenu de donner à ce dernier l"occasion de le détromper en ce qui concerne cette impression cruciale ". Le juge en chef adjoint Richard (tel était alors son titre) a traité de cet argument dans Bara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration), 6 juillet 1998 (C.F. 1re inst.), IMM-3286-97, au paragraphe 15 :

[15]      L'agente n'a pas l'obligation d'exposer au requérant les conclusions éventuelles qu'elle est susceptible de tirer des éléments dont elle dispose, ni même les éléments en apparence contradictoires qui sèment le doute dans son esprit. Si elle entend se fonder sur des éléments de preuve extrinsèques qui ne lui sont pas fournis par le requérant, elle doit bien sûr lui donner l'occasion d'y répondre. [Voir note en bas de page no 2]
Note no 2 : Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration) c. Shah (1995), 170 N.R. 238.

Je souscris à cette conclusion et, en conséquence, je suis d"avis de rejeter cet argument de la demanderesse.

[20]      La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l"agent des visas est annulée, et l"affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour qu"il l"examine à son tour.

[21]      Les deux parties ont mentionné qu"elles n"avaient pas l"intention de soumettre une question à certifier.


" John A. O"Keefe "

                                             J.C.F.C.


Ottawa (Ontario)

Le 10 janvier 2000.










Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



NO DU GREFFE :                  IMM-3809-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :          JIAO MIN ZHENG c. MCI


LIEU DE L"AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L"AUDIENCE :              LE 14 SEPTEMBRE 1999

MOTIFS D"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O"KEEFE

EN DATE DU :                  10 JANVIER 2000



ONT COMPARU :


M. Matthew Moyal                          POUR LA DEMANDERESSE

M. Jeremiah Eastman                          POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


Moyal & Moyal                          POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)


M. Morris Rosenberg                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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