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Date : 19990510


Dossier : T-795-99

ENTRE :

     LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE,

     demanderesse,

     et

     CANADA 3000 AIRLINES LIMITED,

     défenderesse,

     et

     BALBIR SINGH NIJJAR,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE SHARLOW

[1]      Le Tribunal canadien des droits de la personne est saisi d'une plainte présentée par M. Balbir Singh Nijjar contre Canada 3000 Airlines Limited. La Commission canadienne des droits de la personne est partie à ces procédures, où elle présente la plainte. M. Nijjar est aussi partie aux procédures devant le Tribunal, mais il n'est pas représenté par un avocat.

[2]      Lors d'une conférence préparatoire à l'instruction tenue le 23 novembre 1998, l'audition de l'affaire devant le Tribunal a été fixée pour les semaines des 16 avril, 26 avril (sauf le 30 avril), 3 mai et 10 mai 1999.

[3]      Le 28 avril 1999, une question a été soulevée dans le cadre du contre-interrogatoire du Dr Spellman, un témoin pour Canada 3000. L'avocat de la Commission a voulu présenter un document donné au Dr Spellman. L'avocat de Canada 3000 s'y est objecté, au motif que ce document ne lui avait pas été communiqué au préalable.

[4]      Après que chaque partie eut fait valoir son point de vue, le Tribunal a ajourné pour étudier la question. À la reprise de l'audience le lendemain matin 9 avril, le Tribunal a déclaré que la Commission ne pouvait utiliser le document en question dans son contre-interrogatoire du Dr Spellman.

[5]      Aucune allégation ne porte que le Tribunal aurait commis une erreur de procédure en traitant de l'objection présentée par Canada 3000 à l'utilisation du document en question, non plus que dans la façon dont il a traité les arguments des avocats relatifs à cette question.

[6]      L'avocat de la Commission a alors annoncé son intention de demander immédiatement le contrôle judiciaire de cette décision, et il a sollicité un ajournement pour ce faire. Il a déclaré qu'il ferait la demande dans les meilleurs délais. Il a aussi indiqué qu'un des motifs qu'il invoquerait serait la partialité ou la crainte raisonnable de partialité. J'en déduis qu'il voulait dire qu'il s'alignerait sur l'argumentation qu'on trouve dans la décision du juge McGillis dans Bell Canada c. L'Association canadienne des employés de téléphone, dossier no T-1257-97, le 19 décembre 1997.

[7]      L'avocat de Canada 3000 s'est opposé à l'ajournement. Le Tribunal a accordé l'ajournement jusqu'au lundi 10 mai 1999, délai qui leur semblait suffisant pour que la Commission obtienne l'audition de sa demande de contrôle judiciaire, savoir au plus tard le vendredi 7 mai 1999. La Commission disposait donc du reste de la journée du jeudi 29 avril, ainsi que de cinq jours ouvrables avant ledit vendredi.

[8]      L'avocat de la Commission n'a présenté sa demande de contrôle judiciaire que le mercredi 5 mai, au motif que jusqu'alors il n'avait pas de directives définitives de son client quant aux motifs qu'il devait plaider. La demande de contrôle judiciaire qui a été déposée ne fait aucune mention de partialité. Elle s'appuie plutôt sur certaines erreurs dans la décision refusant à la Commission le droit de se fonder sur le document dont il est question ci-dessus. La Commission a demandé une ordonnance de suspension d'instance devant le Tribunal, qui devait être entendue le lundi 10 mai.

[9]      Je suis informé que le Tribunal a continué ses travaux le 10 mai 1999, suite à une entente entre les parties, mais qu'il s'est limité à entendre le témoignage de deux personnes autres que le Dr Spellman. Le Tribunal a l'intention de reprendre l'affaire demain, 11 mai, et d'entendre la fin du témoignage de ces deux personnes, pour ensuite terminer le contre-interrogatoire du Dr Spellman. Si c'est le cas, il ne restera plus qu'à entendre les plaidoiries. Le Tribunal a ajourné afin que les avocats puissent comparaître en cette Cour à 14 h le 10 mai, pour l'audition de la requête de suspension d'instance.

[10]      La Commission a aussi demandé une autre ordonnance de suspension d'instance devant le Tribunal, demande qui doit être entendue le mercredi 12 mai. On me demande ici de suspendre l'instance d'ici là, décision qui aurait pour conséquence d'interrompre le contre-interrogatoire du Dr Spellman et de remettre les plaidoiries finales jusqu'après l'audition de la requête prévue pour mercredi prochain.

[11]      L'avocat de Canada 3000 a soulevé une objection préliminaire au fait que j'entende cette demande. Il a soutenu que cette audition représentait un dédoublement par rapport à la procédure prévue pour mercredi, et qu'en l'instance je devrais refuser d'entendre cette demande ou alors entendre tout simplement celle qui est prévue pour mercredi. C'est un argument très sérieux. J'ai toutefois décidé d'entendre la demande pour cette brève suspension de l'instance, malgré qu'il y ait un certain dédoublement, puisqu'on pourra ainsi savoir comment le Tribunal doit procéder demain.

[12]      Les parties ont convenu de l'application du critère en trois étapes pour l'obtention d'une suspension des procédures, bien qu'il n'y ait pas eu entente totale sur la norme à appliquer à la première étape.

[13]      À mon avis, on peut décrire de façon adéquate la première étape en utilisant les mots : " question sérieuse à juger ". Je partage l'avis de l'avocat de la Commission qu'on peut atteindre ce critère assez facilement. Je conclus toutefois qu'en l'instance on n'y arrive même pas.

[14]      Dans mon examen de la question à soulever à l'occasion du contrôle judiciaire, je me laisse guider par les mots suivants du juge d'appel Létourneau dans Re Szczecka c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 116 D.L.R. (4th) 333 (C.F.A.), à la p. 335 :

             Voilà pourquoi il ne doit pas, sauf circonstances spéciales, y avoir d'appel ou de révision judiciaire immédiate d'un jugement interlocutoire. De même, il ne doit pas y avoir ouverture au contrôle judiciaire, particulièrement un contrôle immédiat, lorsqu'il existe, aux termes des procédures, un autre recours approprié. Plusieurs décisions de justice sanctionnent ces deux principes, précisément pour éviter une fragmentation des procédures ainsi que les retards et les frais inutiles qui en résultent, qui portent atteinte administration efficace de la justice et qui finissent par la discréditer.             

[15]      Des circonstances spéciales peuvent exister si le contrôle judiciaire de la décision mise en cause règle définitivement un droit fondamental d'une partie (Canada c. Succession Schnurer, [1997] 2 C.F. 545 (C.F.A.)), ou si l'on demande le contrôle judiciaire d'une question qui porte sur la légitimité même du Tribunal (Cannon c. Canada, [1998] 2 C.F. 104 (C.F. 1re inst.), qui renvoie aux affaires citées à la p. 116). À mon avis, de telles circonstances spéciales n'existent pas ici. Cette affaire me semble être un désaccord assez clair sur une question de procédure qui est de la compétence du Tribunal.

[16]      L'avocat de la Commission soutient que si le Tribunal a commis une erreur en rendant sa décision, le déni d'équité procédurale en résultant fera que sa décision sera nulle. Il s'appuie en ceci sur Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623.

[17]      Je ne vois pas que cette affaire indique qu'une erreur du Tribunal dans une décision interlocutoire au sujet d'un contre-interrogatoire sur un document qui n'avait pas été présenté à l'avance ferait que la suite des procédures serait une nullité.

[18]      Si le Tribunal a commis une erreur en n'autorisant pas la Commission à utiliser le document en cause lors du contre-interrogatoire du Dr Spellman, cette erreur pourrait avoir, ou pas, un effet sur le résultat. Si la Commission a gain de cause devant le Tribunal malgré l'erreur, elle n'aura pas de motif de demander le contrôle judiciaire. Si elle n'a pas gain de cause et qu'elle demande le contrôle judiciaire de la décision finale, la Cour pourra à ce moment-là examiner l'impact de l'erreur. Je suis d'avis que c'est l'interprétation qu'il faut donner à la déclaration suivante du juge McLachlin dans R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577, à la p. 641, dans le contexte assimilable d'une affaire criminelle :

             ... je partage l'opinion qu'il faut décourager les appels de décisions rendues à l'enquête préliminaire. Bien que la loi doive au besoin offrir une réparation, cette réparation devrait en général être accordée dans le contexte de la procédure habituelle, savoir le procès. Cette restriction évitera qu'il y ait une pléthore d'appels interlocutoires avec les retards qu'ils entraînent nécessairement. Les tribunaux chargés de l'examen pourront ainsi avoir un meilleur aperçu de la question, en ce qu'ils disposeront d'un tableau plus complet de la preuve et de l'affaire.             

[19]      Quant à la deuxième étape du critère pour l'obtention d'une suspension des procédures, je ne vois pas quel serait le préjudice irréparable si la suspension n'est pas accordée. Si on laisse le Tribunal terminer son travail, sa décision peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire. La Commission et M. Nijjar ont des recours en cas de toute erreur qui aurait pu être commise par le Tribunal dans son traitement du document en cause.

[20]      Sur cette question, l'avocat de la Commission a souligné le fait que si la suspension n'est pas accordée, il devra plaider à deux endroits différents au même moment mercredi, savoir ici à Toronto devant le Tribunal et à Ottawa pour son autre demande de suspension des procédures. Son dilemme ne m'émeut guère. Après avoir examiné toute la documentation relative à la présente audition, je conclus que s'il avait procédé de façon raisonnablement diligente l'audition aurait pu avoir lieu la semaine dernière. L'avocat de Canada 3000 était prêt à se présenter la semaine dernière. L'avocat de la Commission se justifie principalement par le temps qu'il lui a fallu pour obtenir les instructions de la Commission quant aux motifs qu'il pouvait présenter à l'appui de sa demande. Je crois que ceci veut probablement dire qu'au départ il considérait qu'il était fondé de plaider la partialité, ainsi que d'autres motifs, mais qu'il n'a pas été autorisé à plaider la partialité. Je ne vois pas pourquoi dans un contexte où il fallait agir vite il n'a pas tout simplement déposé une demande alléguant tous les motifs possibles, pour ensuite en retirer certains si c'était là le voeu de son client. De toute façon, le Tribunal a convenu d'un ajournement pour accommoder l'audition présente et il se peut fort bien qu'il fasse de même pour celle de mercredi.

[21]      Finalement, il est clair que la prépondérance des inconvénients dicte le refus d'une suspension des procédures. Les procédures devant le Tribunal sont déjà prévues depuis plusieurs mois et elles arrivent à leur fin.

[22]      Pour ces motifs, la demande de la Commission pour une suspension des procédures est rejetée. L'avocat de Canada 3000 devra fournir des arguments écrits quant aux dépens d'ici le 26 mai 1999, arguments auxquels l'avocat de la Commission pourra répondre au plus tard le 2 juin 1999. Toute réaction additionnelle devra m'être soumise au plus tard le 7 juin 1999.

     Karen R. Sharlow

     J.C.F.C.

Toronto (Ontario)

Le 10 mai 1999

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Nom des avocats inscrits au dossier

No DU GREFFE :                      T-795-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                  LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

     demanderesse

                             et

                             CANADA 3000 AIRLINES LIMITED

     défenderesse

                             et
                             BALBIR SINGH NIJJAR

     défendeur

DATE DE L'AUDIENCE :                  LE LUNDI 10 MAI 1999

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MADAME LE JUGE SHARLOW

EN DATE DU :                      LUNDI 10 MAI 1999

ONT COMPARU :                      M. Rene Duval

                                 pour la demanderesse

                             M. Peter M. Jacobson

                                 pour la défenderesse, Canada 3000 Airlines Limited
                             M. Balbir Singh Nijjar
                                 pour le défendeur, agissant en son nom

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :          Morris Rosenberg

                             Sous-procureur général du Canada

            

                                 pour la demanderesse

                             Paterson, MacDougall
                             Avocats
                             1 est, rue Queen
                             Pièce 2100
                             Toronto (Ontario)
                             M5C 2W5
                                 pour la défenderesse, Canada 3000 Airlines Limited
                             Balbir Singh Nijjar
                             1, chemin Jefferson
                             Brampton (Ontario)
                             L6S 2G3
                                 pour le défendeur, agissant en son nom

                             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                 Date : 19990510

                        

         Dossier : T-795-99

                             Entre :

                             LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

     demanderesse

                             et

                             CANADA 3000 AIRLINES LIMITED

     défenderesse

                             et
                             BALBIR SINGH NIJJAR

     défendeur

                            

            

                                                                                 MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                            


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