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Date : 20000407


Dossier : T-854-99



ENTRE :

     WARNACO INC.

     Demanderesse

     - et -


     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Défendeur



     MOTIFS DE L"ORDONNANCE


MONSIEUR LE JUGE HENEGHAN

                

[1]      Il s"agit de l"appel d"une décision du registraire des marques de commerce. L"audience a eu lieu le 15 mars 2000. Une question préliminaire a été soulevée au sujet du statut du registraire des marques de commerce : si l"on tient compte des règles 300 et 303 des Règles de la Cour fédérale (1998) , le registraire est-il le défendeur qui a qualité en l"espèce? Les règles 300d ) et 303 prévoient ce qui suit :



300. This Part applies to...

     (d) appeals under section 56 of the Trade-marks Act...

300. La présente partie s'applique...

     d) aux appels interjetés en vertu de l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce...

303. (1) Subject to subsection (2), an Appellant shall name as a respondent every person

303. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le demandeur désigne à titre de défendeur:

     (a) directly affected by the order sought in the application, other than a tribunal in respect of which the application is brought; or_
     a) toute personne directement touchée par l'ordonnance recherchée, autre que l'office fédéral visé par la demande;
     (b) required to be named as a party under an Act of Parliament pursuant to which the application is brought._
     b) toute autre personne qui doit être désignée à titre de partie aux termes de la loi fédérale ou de ses textes d'application qui prévoient ou autorisent la présentation de la demande

(2) Where in an application for judicial review there are no persons that can be named under subsection (1), the applicant shall name the Attorney General of Canada as a respondent.

(2) Dans une demande de contrôle judiciaire, si aucun défendeur n'est désigné en application du paragraphe (1), le demandeur désigne le procureur général du Canada à ce titre.

(3) On a motion by the Attorney General of Canada, where the Court is satisfied that the Attorney General is unable or unwilling to act as a respondent after having been named under subsection (2), the Court may substitute another person or body, including the tribunal in respect of which the application is made, as a respondent in the place of the Attorney General of Canada.

(3) La Cour peut, sur requête du procureur général du Canada, si elle est convaincue que celui-ci est incapable d'agir à titre de défendeur ou n'est pas disposé à le faire après avoir été ainsi désigné conformément au paragraphe (2), désigner en remplacement une autre personne ou entité, y compris l'office fédéral visé par la demande.


[2]      L"avocat de la demanderesse a donné avis que le registraire avait été nommé défendeur et a soutenu que son rôle était de clarifier les questions en litige; il a renvoyé à la décision de cette Cour dans l"affaire Molson Companies Ltd. c. Moosehead Breweries Ltd. (1989), 24 C.P.R. (3d) 217. Dans cette affaire, qui portait également sur un appel d"une décision du registraire des marques de commerce, le juge MacKay a dit à la page 218 :

L"avocat du procureur général a soutenu que ce dernier ne comparaissait pas pour représenter le registraire des marques de commerce, intimé dans la présente cause, puisqu"il n"y a apparemment aucune question liée à la nécessité de clarifier le dossier ou liée à la compétence du registraire, cas où le registraire est autorisé à agir en qualité de représentant comme tribunal ayant rendu la décision portée en appel : voir les commentaires du juge Estey, qui s"exprimait au nom de la Cour dans Northwestern Uitlities Ltd. c. La ville d"Edmonton, [1979] 1 R.C.S. 684, à la page 709.

        

[3]      De plus, l"avocat de la demanderesse a fait valoir que la règle 303 était applicable uniquement aux demandes de contrôle judiciaire et non pas aux appels prévus par la loi, nonobstant la règle 300d ) qui prévoit que la Partie V des Règles de la Cour fédérale (1998) s"applique à un appel interjeté en vertu de la Loi sur les marques de commerce , L.R.C. (1985), ch. T-13.

[4]      L"avocat du défendeur a reconnu que la Partie V des Règles porte sur les demandes et a soutenu que par l"effet combiné des règles 303(1)a ) et 303(2) le procureur général du Canada devait être désigné comme défendeur, eu égard au fait que la présente instance est un processus accusatoire où une partie doit pouvoir plaider en faveur de la décision du registraire, rôle qu"il ne convient pas de faire assumer par le registraire.

[5]      Je ne suis pas d"accord avec les prétentions de l"avocat de la demanderesse portant que le présent appel interjeté en vertu de l"article 56 de la Loi sur les marques de commerce n"est pas régi par la Partie V des Règles de la Cour fédérale (1998) . Je n"accepte pas l"argument implicite de la demanderesse voulant que la Partie V s"applique uniquement à la manière dont un appel en vertu de la Loi sur les marques de commerce est interjeté à savoir, au moyen d"une demande de contrôle judiciaire plutôt que par dépôt d"un avis d"appel. Le libellé de la règle 300d ) est clair. Rien ne limite la manière suivant laquelle les règles de la Partie V s"appliquent aux appels interjetés en vertu de la Loi sur les marques de commerce et, par conséquent, la règle 303 s"applique au déroulement du présent appel.

[6]      Puisque personne n"est directement touché par la décision du registraire qui fait l"objet de l"appel et que personne ne doit être désigné à titre de partie à l"appel aux termes de la Loi sur les marques de commerce , la règle 303(2) des Règles de la Cour fédérale (1998) doit recevoir application. Cette règle est claire et prévoit que si personne n"est directement touché par la décision en question, et que personne ne doit être désigné à titre de partie aux termes de la Loi en vertu de laquelle l"appel est interjeté, le procureur général du Canada est le défendeur qui a qualité en l"espèce.

[7]      À mon avis, le procureur général du Canada aurait dû être désigné à titre de défendeur dès le début. La règle 303(3) prévoit un mécanisme qui permet au procureur général de faire valoir à la Cour les arguments pour lesquels il ne devrait pas être désigné à titre de défendeur. Dès réception de ces prétentions, la Cour peut désigne en remplacement une autre personne ou entité, y compris le tribunal qui a rendu la décision faisant l"objet de la demande de contrôle judiciaire.

[8]      La raison pour laquelle le registraire des marques de commerce ne devrait pas être partie à l"instance est qu"il faut éviter une situation où le décideur participe à l"examen de sa propre décision.

[9]      La question du droit d"un tribunal dont la décision fait l"objet d"un examen de comparaître comme partie à une audition a été étudiée par la Cour dans Canada (Procureur général) c. Bernard (1993), 69 F.T.R. 239 (1re inst.). Dans cette affaire, Madame le juge McGillis s"est penchée sur une demande de la Commission canadienne des droits de la personne qui voulait obtenir le statut de défendeur dans le cadre de l"examen d"une décision qu"elle avait rendue. Elle a refusé la demande, mais sans préjudice du droit de la Commission de chercher à obtenir le statut d"intervenante.

[10]      L"appel interjeté par la Commission canadienne des droits de la personne devant la Cour d"appel fédérale a été rejeté au motif qu"en l"absence d"une disposition dans la Loi canadienne des droits de la personne , le tribunal qui a rendu la décision faisant l"objet de l"examen n"a aucun droit d"être désigné partie à l"instance subséquente; voir Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Procureur général) , [1994] 2 C.F. 447 (C.A.).

[11]      Considérant les arguments et le texte clair des règles de la Cour fédérale actuellement en vigueur, j"ai ordonné que le procureur général du Canada soit substitué au registraire des marques de commerce comme défendeur dans le présent appel.

[12]      La question préliminaire au sujet du registraire étant résolue, il faut maintenant se pencher sur le fond de la demande.

[13]      Il s"agit d"un appel d"une décision du registraire des marques de commerce interjeté en vertu de l"article 56 de la Loi sur les marques de commerce , lequel article se lit comme suit :


56. (1) An appeal lies to the Federal Court from any decision of the Registrar under this Act within two months from the date on which notice of the decision was dispatched by the Registrar or within such further time as the Court may allow, either before or after the expiration of the two months.

56. (1) Appel de toute décision rendue par le registraire, sous le régime de la présente loi, peut être interjeté à la Cour fédérale dans les deux mois qui suivent la date où le registraire a expédié l'avis de la décision ou dans tel délai supplémentaire accordé par le tribunal, soit avant, soit après l'expiration des deux mois.

[14]      La demanderesse interjette appel de la décision, en date du 16 mars 1999, dans laquelle le registraire a refusé l"enregistrement de " SATIN STRIPES " comme marque de commerce projetée au motif que le nom était descriptif. Dans sa décision, le registraire a jugé que le nom proposé était évocateur du matériel utilisé dans la fabrication des marchandises, à savoir des soutiens-gorge et des culottes. La conclusion du registraire se lit comme suit :

[TRADUCTION] J"ai attentivement examiné les arguments de l"appelante et je considère que le consommateur moyen qui verra cette marque de commerce utilisée en liaison avec des soutiens-gorge et des culottes en conclurait immédiatement, après une première impression, que ces marchandises sont rayées de satin.

                    

[15]      Le seul moyen d"appel apparaissant à l"avis de demande se lit comme suit :

     [TRADUCTION]
     a)      Le registraire a erré en concluant que la marque SATIN STRIPES (la marque) n"est pas enregistrable en application de l"alinéa 12(1)b ) de la Loi sur les marques de commerce au motif que la marque donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des marchandises à l"égard desquelles on projette de l"employer, à savoir des sous-vêtements féminins et plus particulièrement des soutiens-gorge et des culottes .

[16]      Le demandeur a déposé une preuve additionnelle dans le cadre du présent appel tel que l"autorise le paragraphe 56(5) de la Loi sur les marques de commerce . La nouvelle preuve consiste en l"affidavit de Peter A. Reich et les affidavits de Jennifer Leah Stecyk. Bien que la Loi sur les marques de commerce permette l"introduction d"une preuve additionnelle dans le cadre d"un appel interjeté en vertu de l"article 56 et qu"elle autorise la Cour à exercer toute discrétion dont le registraire est investi eu égard à cette preuve, le seul fait qu"une nouvelle preuve est introduite dans le cadre d"un appel ne fait pas de cette instance un nouveau procès.

[17]      Cette question a fait l"objet d"une décision de cette Cour dans Garbo Group Inc. c. Harriet Brown & Co. (1999), 3 C.P.R. (4th) 224 (C.F. 1re inst.). Le juge Evans a examiné la question dans le contexte de la norme de contrôle applicable à une décision du registraire des marques de commerce et a dit à la page 232 :

De fait, même lorsque d'autres éléments de preuve sont admis en appel, il peut néanmoins être approprié d'examiner si la décision du registraire était erronée à la lumière de cette preuve, plutôt que de se demander comment la cour d'appel aurait tranché la question si elle avait été saisie de novo de ce point. Évidemment, plus la preuve additionnelle est importante, plus grande est la latitude dont jouit la cour pour exercer son propre jugement en ce qui touche la conclusion en cause.

[18]      La présente affaire requiert également l"examen de la norme de contrôle appropriée. Dans Garbo , le juge Evans s"est reporté à la conception historique de cette norme à la page 230 de la façon suivante :

Il est généralement admis que la norme de contrôle applicable aux décisions rendues par le registraire est celle de la décision correcte. Toutefois, compte tenu des connaissances spécialisées du registraire et des personnes auxquelles il a délégué ses pouvoirs décisionnels en vertu du paragraphe 63(3), ces décisions ne peuvent être écartées à la légère puisqu'il s'agit de conclusions de fait qui relèvent directement de leur compétence spécialisée, comme la question de savoir si la marque proposée risque vraisemblablement de causer de la confusion. Cependant, lorsque d'importants éléments de preuve qui n'avaient pas été fournis au registraire sont présentés dans le cadre de l'appel, il y a lieu de donner moins de poids aux conclusions qu'il a tirées : voir les décisions Molson Companies Ltd. c. John Labatt Ltd. (1984), 1 C.P.R. (3d) 494 (C.F. 1re inst.); United States Polo Association c. Ralph Lauren Corporation (C.F. 1re inst.; T-1881-93; T-193-95; T-189-96; 8 mars 1999).

[19]      Le juge Evans a ensuite dit que la norme de contrôle doit être reformulée à la lumière des récents développements du droit administratif :

À mon avis, la norme de contrôle applicable aux conclusions tirées par le registraire quant à la confusion doit être reformulée de manière à tenir compte de l'analyse pragmatique et fonctionnelle, élaborée par la récente jurisprudence en matière de droit administratif, afin de déterminer la norme de contrôle appropriée pour trancher la question en litige. Je m'engage dans cet exercice en suivant la voie déjà tracée par le juge Lutfy dans la décision Young Drivers of Canada c. Chan (C.F. 1re inst.; T-636-97; 30 août 1999). Or, il se pourrait bien qu'en bout de ligne le résultat de l'analyse diffère relativement peu de la pratique habituellement suivie par la Cour.

     Ibid. aux pages 230 et 231.

[20]      Dans Les Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2000] J.C.F. n 159, (A-428-98, 3 février 2000), la Cour d"appel fédérale s"est penchée sur la question de la nature d"un appel interjeté en vertu de l"article 56 de la Loi sur les marques de commerce et de la norme de contrôle applicable. Au nom de la majorité, le juge Rothstein a dit :

Du fait qu"il offre l"opportunité de produire une nouvelle preuve, l"appel prévu à l"article 56 n"est pas une disposition d"appel habituelle par laquelle la cour saisie rend sa décision sur la base du dossier de la cour dont la décision fait l"objet de l"appel. Un appel régulier n"est pas interdit si aucune preuve additionnelle n"est produite, mais il n"y a aucune obligation de procéder ainsi. L"appel prévu n"est pas non plus un " procès de novo " au sens strict du terme. Ce terme renvoie habituellement à un procès qui requiert la création d"un tout nouveau dossier, comme s"il n"y avait pas eu de procès en première instance. Ainsi, dans un procès de novo , la cause doit être jugée uniquement sur la base du nouveau dossier et sans égard à la preuve présentée dans les procédures antérieures.

     Ibid. au par. 46.

[21]      La première question qu"il faut considérer dans le présent appel est la norme de contrôle applicable. Dans Les Brasseries Molson c. John Labatt Ltée , précitée, le juge Rothstein s"est prononcé sur la norme qu"il convient d"appliquer dans les appels interjetés en vertu de la Loi sur les marques de commerce et a dit :

... [m]ême s"il y a, dans la Loi sur les marques de commerce , une disposition portant spécifiquement sur la possibilité d"un appel à la Cour fédérale, les connaissances spécialisées du registraire sont reconnues comme devant faire l"objet d"une certaine déférence. Compte tenu de l"expertise du registraire, et en l"absence de preuve supplémentaire devant la Section de première instance, je considère que les décisions du registraire qui relèvent de son champ d"expertise, qu"elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu"elles résultent de l"exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter . Toutefois, lorsqu"une preuve additionnelle est déposée devant la Section de première instance et que cette preuve aurait pu avoir un effet [significatif] sur les conclusions du registraire ou sur l"exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l"exactitude de la décision du registraire.

     Ibid. au par. 50.

[22]      Toutefois, une preuve additionnelle a été déposée par la demanderesse et il est nécessaire d"examiner cette preuve et de se demander si cette preuve aurait pu " avoir un effet significatif " sur la conclusion du registraire et par conséquent sur la norme de contrôle applicable.

[23]      La preuve additionnelle consiste en un affidavit de Peter Reich et deux affidavits de Jennifer Stecyk. L"affidavit de M. Reich a été soumis à titre de preuve d"expert d"un linguiste sur le sens habituel et courant des mots " satin stripes " au Canada. Les affidavits de Jennifer Stecyk contiennent des extraits des dossiers du registraire des marques de commerce qui montrent l"état du registre au sujet de noms similaires à celui proposé par la demanderesse, lesquels noms ont été acceptés pour enregistrement.

[24]      J"estime que la nouvelle preuve déposée par la demanderesse n"est pas telle qu"elle aurait pu avoir un effet significatif sur la conclusion du registraire en ce qui concerne le nom proposé " SATIN STRIPES ".

[25]      Étant donné que la nouvelle preuve n"est pas de nature à " avoir un effet significatif " sur la conclusion du registraire, la norme de contrôle qu"il convient d"appliquer est celle de la décision raisonnable simpliciter .

[26]      Dans la décision Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, la Cour s"est penchée sur la signification de la décision raisonnable simpliciter et a dit à la page 778 :

La norme de la décision raisonnable simpliciter se rapproche également de la norme que notre Cour a déclaré applicable pour le contrôle des conclusions de fait des juges de première instance. Dans Stein c. " Kathy K " (Le navire), [1976] 1 R.C.S. 802, à la p. 806, le juge Ritchie a décrit la norme dans les termes suivants:
. . . il est généralement admis qu'une cour d'appel doit se prononcer sur les conclusions tirées en première instance en
recherchant si elles sont manifestement erronées et non si elles s'accordent avec l'opinion de la Cour d'appel sur la
prépondérance des probabilités. [Je souligne.]
Même d'un point de vue sémantique, le rapport étroit entre le critère de la décision "manifestement erronée" et la norme de la décision raisonnable simpliciter est évident. Il est vrai que bien des choses erronées ne sont pas pour autant déraisonnables; mais quand le mot "manifestement" est accolé au mot "erroné", ce dernier mot prend un sens beaucoup plus proche de celui du mot "déraisonnable". Par conséquent, le critère de la décision manifestement erronée marque un déplacement, du critère de la décision correcte vers un critère exigeant l'application de retenue. Cependant, le critère de la décision manifestement erronée ne va pas aussi loin que la norme du caractère manifestement déraisonnable. Car s'il existe bien des choses qui sont erronées sans être déraisonnables, il y a également bien des choses qui sont manifestement erronées sans pour autant être manifestement déraisonnables. Il s'ensuit donc que le critère de la décision manifestement erronée, tout comme la norme de la décision raisonnable simpliciter , s'inscrit sur le continuum, entre la norme de la décision correcte et celle du caractère manifestement déraisonnable. Parce que le critère de la décision manifestement erronée est bien connu des juges au Canada, il peut leur servir de guide dans l'application de la norme de la décision raisonnable simpliciter.
Soupesant toutes ces considérations, à la lumière des arrêts de notre Cour sur la question, y compris d'arrêts assez récents, je suis d'avis que les décisions du Tribunal sont susceptibles de contrôle suivant la norme de la décision raisonnable. Le caractère approprié et judicieux de cette norme est évident, compte tenu de la complexité de notre économie et du besoin d'instruments de réglementation efficaces, appliqués par ceux qui sont les plus compétents et les mieux renseignés sur l'objet de la réglementation. Il convient toutefois de signaler que la norme que j'ai choisie permet l'intervention des tribunaux judiciaires dans les cas où il est établi que le tribunal administratif a agi de façon déraisonnable.
En définitive, la norme de la décision raisonnable ne fait que dire aux cours chargées de contrôler les décisions des tribunaux administratifs d'accorder un poids considérable aux vues exprimées par ces tribunaux sur les questions à l'égard desquelles ceux-ci possèdent une grande expertise. Même si le respect d'une politique de retenue en faveur de l'expertise peut se traduire par une norme de contrôle particulière, au fond, la question qui se pose est celle du poids qui doit être accordé aux opinions des experts. En d'autres mots, la retenue examinée en fonction de la "norme de la décision raisonnable" et la retenue examinée en fonction du "poids [des opinions]" sont deux facettes d'un même problème. À cet égard, je suis d'accord avec M. Kerans, op. cit. , à la p. 17, qui a décrit ainsi la retenue qui doit être témoignée devant l'expertise:

[TRADUCTION] Dans notre société, les experts ont droit à ce titre précisément parce qu'ils sont capables de tirer des

conclusions éclairées et rationnelles. Si c'est le cas, ils devraient être en mesure d'expliquer à un observateur impartial mais moins bien renseigné qu'eux les raisons justifiant leurs conclusions. S'ils ne sont pas capables de le faire, ce ne sont pas de grands experts. Si une conclusion vaut la peine d'être connue et mérite qu'on s'y fie, elle vaut la peine d'être exposée. L'expertise ne commande la retenue que si l'expert est cohérent. L'expertise perd le droit à la retenue, lorsque les opinions exprimées sont indéfendables. Cela dit, il semble évident que manifestement [les cours d'appels] doivent accorder un poids considérable aux opinions convaincantes exprimées de la manière indiquée.

            

     Ibid. aux pages 778 à 780

[27]      La norme qu"il convient d"appliquer à la décision du registraire est celle de la décision raisonnable simpliciter . Cela signifie que je dois me demander si la décision du registraire est raisonnable sur la base des éléments de preuve qui lui ont été soumis et si ce dernier a appliqué les principes appropriés pour arriver à sa conclusion.

[28]      Le registraire a conclu que le nom proposé " SATIN STRIPES " était descriptif des marchandises, à savoir des soutiens-gorge et des culottes. Il a rejeté l"argument portant que le mot " stripes " était évocateur d"une caractéristique accessoire des marchandises.

[29]      Le registraire a appliqué le critère de la première impression, qui est le critère accepté lorsqu"il s"agit de déterminer si le nom proposé est enregistrable; voir Drackett Co. of Canada Ltd. v. America Home Products Ltd. (1968), 55 C.P.R. 29 (C. Éch.); John Labatt Ltd. c. Carling Breweries Ltd. (1975), 18 C.P.R. (2d) 15 (C.F. 1re inst.) et Molson Companies Ltd. c. Brasseries Carling O"Keefe du Canada Ltée (1981), 55 C.P.R. (2d) 15 (C.F. 1re inst.). Dans cette dernière affaire, le juge Cattanach a dit à la page 20 :

Je conviens que la décision concluant au caractère de description claire d"une marque de commerce est une décision fondée sur la première impression, ce qui ne constitue pas une méthode propre à permettre l"analyse critique des mots composant la marque, mais plutôt à faire ressortir l"impression immédiate produite par cette marque à propos du produit. Il ne faut pas considérer la marque isolément, mais à la lumière du produit dont s"agit.

[30]      Le registraire a aussi examiné les allégations d"erreurs dans le registre des marques de commerce. Sans se prononcer sur l"existence de telles erreurs, il a cité une jurisprudence pertinente et applicable portant que même si le registraire a précédemment fait des erreurs en acceptant l"enregistrement de noms similaires, il n"avait aucune obligation de perpétuer les erreurs passées; voir Sherwin Williams Company of Canada Limited v. The Commissioner of Patents (1937), Ex. C.R. 205 (C. Éch.).

[31]      Eu égard à tous ces éléments, il appert que le registraire a évalué la preuve et les arguments qui lui ont été présentés et est arrivé à une conclusion qui est raisonnable. Par conséquent, le registraire n"a pas erré en concluant que la marque SATIN STIPES (la marque) n"est pas enregistrable en raison de l"alinéa 12(1)b ) de la Loi sur les marques de commerce, c"est-à-dire que la marque donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des marchandises à l"égard desquelles on projette de l'employer, à savoir des sous-vêtements féminins, et plus particulièrement des soutiens-gorge et des culottes.

[32]      Pour ces motifs, l"appel est rejeté avec dépens.

                                            

                     "E. Heneghan"
                                 J.C.F.

Traduction certifiée conforme


________________________

Daniel Dupras, LL.B.

    





Date : 20000407


Dossier : T-854-99


OTTAWA (ONTARIO) LE 7 AVRIL 2000

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE HENEGHAN


ENTRE :

     WARNACO INC.

     Demanderesse

     - et -


     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Défendeur



     ORDONNANCE


     VU la demande de la demanderesse visant à obtenir

a)      une ordonnance infirmant la décision, en date du 16 mars 1999, par laquelle le registraire des marques de commerce a rejeté la demande d"enregistrement de la marque de commerce n 773,252 en vertu de l"alinéa 37(1)b ) de la Loi sur les marques de commerce, et accueillant conséquemment ladite demande;
b)      une ordonnance accordant à la demanderesse les dépens de la demande;
c)      toute autre mesure de redressement que la demanderesse peut demander et que la Cour peut accorder;

     PAR LA PRÉSENTE, LA COUR ORDONNE :

     Pour les motifs joints, l"appel est rejeté avec dépens.                                             





                     "E. Heneghan"

     J.C.F.

Traduction certifiée conforme


________________________

Daniel Dupras, LL.B.




COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


N DU DOSSIER :                  T-854-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :              WARNACO INC. c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L"AUDIENCE :              OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L"AUDIENCE :              15 MARS 2000

MOTIFS DE L"ORDONNANCE :          LE JUGE HENEGHAN

EN DATE DU :                  7 AVRIL 2000


ONT COMPARU :


DIANE E. CORNISH et

DARLENE H. CARREAU

                         POUR LA DEMANDERESSE


CATHARINE MOORE

                         POUR LE DÉFENDEUR



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


OSLER, HOSKIN & HARCOURT

OTTAWA (ONTARIO)

                         POUR LA DEMANDERESSE


MORRIS ROSEMBERG

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                         POUR LE DÉFENDEUR

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