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Date : 19990930


Dossier : IMM-77-1999

ENTRE :

     WALKIRIA ALEJANDRA RAMIREZ ALBARADO,

     MARTHA LIGIA ALTAMIRANO,

     WALKIRIA GONZALEZ,

     KASSANDRA MANUELA GONZALEZ,

     demanderesses,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE SHARLOW

[1]      La demanderesse Mme Albarado est citoyenne du Nicaragua. Le 20 novembre 1996, elle a revendiqué le statut de réfugié pour elle-même et ses trois enfants (les autres demanderesses). Une mesure d'interdiction de séjour conditionnelle a été délivrée à ce moment-là, sans être exécutoire. Après audition, la revendication de statut de réfugié a été rejetée. Les demanderesses ont reçu avis de la décision le 28 mai 1998. La mesure d'interdiction de séjour conditionnelle est devenue exécutoire à cette date, en vertu du paragraphe 28(2)de la Loi sur l'immigration. Elle est devenue par définition une " mesure d'interdiction de séjour ".

[2]      Les demanderesses auraient pu obtenir une " attestation de départ " à n'importe quel moment durant la période de 30 jours allant du 28 mai au 27 juin 1998, et quitter le Canada volontairement. Elles auraient alors pu revenir au Canada sans l'autorisation du ministre. L'interdiction de séjour ne se serait pas transformée en mesure d'expulsion en vertu du paragraphe 32.02(1) :

32.02(1) S'il ne lui est pas délivré d'attestation de départ au cours de la période réglementaire applicable1 la mesure d'interdiction de séjour dont est frappé l'intéressé devient une mesure d'expulsion.

[3]      Il se peut que les demanderesses aient eu des motifs sérieux de considérer cette option inacceptable. De toute façon, elles n'ont pas quitté le Canada dans les 30 jours suivant la réception de l'avis que leur revendication de statut de réfugié avait été rejetée. En fait, elles ont quitté le Canada pour les États-Unis le 2 août 1998. Le 17 décembre 1998, les demanderesses sont passées par un poste frontière fermé pour quitter les États-Unis et revenir au Canada. Le jour suivant, elles se sont rendues aux autorités de l'immigration et ont présenté une nouvelle revendication de statut de réfugié, réclamant ce droit en vertu du paragraphe 46.01(5) de la Loi du fait qu'elles avaient été à l'étranger depuis plus de 90 jours.

[4]      Toutefois, un agent principal d'immigration a conclu que les demanderesses étaient des personnes frappées " d'une mesure de renvoi qui n'a pas été exécutée ", ce qui veut dire que le paragraphe 44(1) de la Loi les empêchait de présenter une nouvelle revendication de statut de réfugié. C'est cette décision qui fait l'objet de la demande de contrôle judiciaire

[5]      L'expression " mesure de renvoi " comprend une mesure de renvoi et une mesure d'expulsion. Par conséquent, il ne fait pas de doute que le 18 décembre 1998, les demanderesses étaient des personnes frappées d'une mesure de renvoi. La question est de savoir si elle avait été exécutée avant cette date. Le paragraphe 44(1) exclut leurs revendications de statut de réfugié seulement si la mesure de renvoi n'a pas été exécutée.

[6]      La Couronne s'appuie sur le paragraphe 54(1) pour soutenir qu'aux fins du paragraphe 44(1), la mesure de renvoi doit être considérée n'avoir jamais été exécutée. Le paragraphe 54(1) est rédigé comme suit :

54(1) La mesure de renvoi est réputée n'avoir jamais été exécutée si la personne qui en fait l'objet a été renvoyée ou a quitté le Canada mais n'a pu obtenir la permission de séjourner dans aucun autre pays. Cette personne peut, par dérogation au paragraphe 55(1), revenir au Canada sans l'autorisation du ministre.

[7]      Le paragraphe 54(1) ne s'applique que si la personne n'a pu obtenir la permission de séjourner dans son pays de destination. Le dossier indique que le 18 décembre 1998, Mme Albarado a déclaré à l'agent principal d'immigration qu'elle était entrée illégalement aux États-Unis avec ses enfants. L'agent principal d'immigration a accepté la véracité de cette déclaration et il n'y a aucune preuve à l'effet contraire. J'en déduis donc, comme l'agent principal d'immigration a dû le faire, que les demanderesses n'avaient pas obtenu la permission de séjourner aux États-Unis entre le 2 août et le 17 décembre 1998.

[8]      La Couronne soutient que l'application du paragraphe 54(1) en l'instance a deux conséquences. Premièrement, elle obligeait les autorités d'immigration à permettre aux demanderesses de revenir au Canada bien qu'elles n'aient pas obtenu l'autorisation du ministre. Deuxièmement, la présomption du paragraphe 54(1) faisait qu'on devait traiter la mesure de renvoi du 28 mai 1998 comme une mesure d'expulsion non exécutée. C'est pourquoi le paragraphe 44(1) s'appliquait pour empêcher les demanderesses de présenter une nouvelle revendication de statut de réfugié.

[9]      Les demanderesses soutiennent qu'elles ont droit d'invoquer le paragraphe 32.02(2), qui l'emporterait sur le paragraphe 54(1). Pour bien comprendre le paragraphe 32.02(2), il faut le lire avec le paragraphe 32.02(1) :

32.02(1) S'il ne lui est pas délivré d'attestation de départ au cours de la période réglementaire applicable, la mesure d'interdiction de séjour dont est frappé l'intéressé devient une mesure d'expulsion.

32.02(2) Dans le cas où la mesure d'interdiction de séjour est devenue une mesure d'expulsion après son départ du Canada, l'intéressé est réputé avoir été expulsé.

[10]      L'avocat des demanderesses souligne que le paragraphe 32.02(2) est ambigu, selon la signification qu'on accorde aux termes " at that time " dans la version anglaise.

[11]      Je suis d'accord que les termes " at that time " dans la version anglaise du paragraphe 32.02(2) ont deux significations possibles. Toutefois, comme je l'explique plus loin, même l'interprétation suggérée par l'avocat des demanderesses ne leur est d'aucune utilité.

[12]      Le sens littéral évident des termes " at that time " dans la version anglaise du paragraphe 32.02(2) serait le moment où le paragraphe 32.02(1) présume que la mesure d'interdiction de séjour devient une mesure d'expulsion. La structure grammaticale de la version anglaise du paragraphe 32.02(2) fait ressortir deux conditions préalables à l'application de la règle présumant qu'il s'agit d'une mesure d'expulsion. La première condition est que le paragraphe 32.02(1) ait transformé la mesure d'interdiction de séjour en mesure d'expulsion2. La deuxième condition est que la personne ne soit plus au Canada " at that time ". De quel moment s'agit-il? La réponse est simple : au moment précisé dans la phrase précédente. C'est à ce moment-là que la première condition a été remplie, savoir au moment où la mesure d'interdiction de séjour est présumée s'être transformée en mesure d'expulsion.

[13]      En vertu de cette interprétation, le paragraphe 32.02(2) s'appliquerait à une personne qui quitte le Canada, sans obtenir une attestation de départ, durant la période de 30 jours qui suit la réception de l'avis que sa revendication de réfugié a été rejetée. Une personne qui reste au Canada pendant toute la période des 30 jours ne pourrait jamais satisfaire à la deuxième condition.

[14]      C'est cette interprétation qu'avance la Couronne. Si elle est correcte, le paragraphe 32.02(2) ne s'appliquerait pas aux demanderesses. Ceci voudrait dire que leur départ n'aurait jamais été présumé être une expulsion, ou l'exécution de la mesure d'expulsion les visant. À leur retour, le paragraphe 44(1) s'appliquerait, soit parce que la mesure d'expulsion ne serait pas encore exécutée, ou, en l'absence de la permission de séjourner aux États-Unis, parce que le paragraphe 54(1) ferait qu'on considérerait que la mesure d'expulsion n'a pas été exécutée, nonobstant les circonstances de leur départ.

[15]      L'avocat des demanderesses soutient que l'expression " at that time " dans la version anglaise du paragraphe 32.02(2) se rapporte au moment où le statut de la personne en cause est déterminé, ce qui peut se produire n'importe quand après la période des 30 jours pendant lesquels on peut obtenir un certificat de départ. Il soutient qu'en vertu du paragraphe 32.02(2), une personne visée par une mesure d'expulsion peut en fait l'exécuter unilatéralement en quittant le Canada après la période des 30 jours, sans qu'il soit nécessaire qu'elle obtienne le certificat en question. Il soutient qu'il n'est pas cohérent de considérer que la législation présume qu'un tel départ est l'exécution d'une mesure d'expulsion, d'une part, alors qu'elle présume, d'autre part, qu'il n'est pas l'exécution d'une mesure d'expulsion.

[16]      Je ne vois pas pourquoi j'accepterais l'interprétation présentée par l'avocat des demanderesses plutôt que l'interprétation littérale et évidente présentée par l'avocate de la Couronne. Toutefois, on peut voir que même si l'expression " at that time " dans la version anglaise du paragraphe 32.02(2) a la signification proposée par l'avocat des demanderesses, ceci ne leur serait d'aucune utilité à moins que le paragraphe 32.02(2) soit incompatible avec le paragraphe 54(1) et qu'il l'emporte sur lui.

[17]      Je ne suis pas d'avis que les deux dispositions sont incompatibles. Il vaut la peine de répéter que le paragraphe 54(1) fait qu'un départ du Canada est présumé ne pas être l'exécution d'une mesure de renvoi si la personne est rejetée par le pays de destination. En conséquence, chaque fois que le pays de destination rejette une personne qui a quitté le Canada, le paragraphe 54(1) enlève toute pertinence à la question de savoir si le départ était une exécution de la mesure d'interdiction de séjour. Si on envisage la question de cette façon, il ne peut y avoir de conflit entre les paragraphes 54(1) et 32.02(2) et on n'a pas besoin de savoir lequel l'emporte sur l'autre. Chaque fois que le paragraphe 54(1) s'applique, le paragraphe 32.02(2) devient sans objet.

[18]      Cette conclusion peut être illustrée en présumant que le paragraphe 32.02(2) s'applique comme l'indique l'avocat des demanderesses et que le paragraphe 54(1) s'applique comme le soutient l'avocate de la Couronne. La séquence des événements serait donc comme suit : 1) le 27 juin 1998, la mesure d'interdiction de séjour est devenue une mesure d'expulsion3; 2) le départ des demanderesses le 2 août 1998 est présumé être une expulsion et donc l'exécution de la mesure d'expulsion4; et 3) au retour des demanderesses le 17 décembre 1998, comme elles n'avaient pas obtenu la permission de séjourner aux États-Unis, la mesure d'expulsion était réputée n'avoir jamais été exécutée5. Par conséquent, les règles précisées aux paragraphes 32.02(1), 32.02(2) et 54(1) peuvent s'appliquer successivement. En conséquence, elles font que les demanderesses se trouvaient dans la même situation au 18 décembre 1998, comme si elles n'avaient jamais quitté le Canada.

[19]      Je conclus que l'agent principal d'immigration a eu raison de dire qu'en vertu du paragraphe 44(1), les demanderesses ne peuvent présenter de nouvelles revendications de statut de réfugié. Cette demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[20]      Je vais suspendre la délivrance de l'ordonnance en attendant que les parties me présentent leurs arguments quant à une question à certifier. L'avocat des demanderesses doit faire signifier et déposer ses arguments au plus tard le 8 octobre 1999. Les arguments de l'avocate du défendeur doivent être signifiés et déposés au plus tard le 15 octobre 1999.

     Karen R. Sharlow

                                     Juge

Winnipeg (Manitoba)

Le 30 septembre 1999


Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER RECORD

No DU GREFFE :          IMM-77-99

STYLE OF CAUSE:      WALKIRIA ALEJANDRA RAMIREZ ALBARADO, MARTHA LIGIA ALTAMIRANO, WALKIRIA GONZALEZ, KASSANDRA MANUELA GONZALEZ c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :              Winnipeg (Manitoba)


DATE DE L'AUDIENCE :          Le 27 septembre 1999


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

DE LA COUR PAR :               Madame le juge Sharlow

                        

EN DATE DU :                  30 septembre 1999


ONT COMPARU

M. David Davis      pour les demanderesses

Mme Sharlene Telles-Langdon      pour le défendeur

Ministère de la Justice

301 - 310 Broadway

Winnipeg (Manitoba)

R3C 0S6

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

David H. Davis

800 - 310 Broadway

Winnipeg (Manitoba)

R3C 0S6

     pour les demanderesses

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada      pour le défendeur

__________________

1      Personne ne conteste en l'instance que la " période réglementaire applicable " est la période de 30 jours après que les demanderesses eurent été avisées que leur revendication de statut de réfugié avait été rejetée : alinéa 27(2)a ) du Règlement.

2      C'est à dire que 30 jours se sont écoulés depuis l'avis du rejet de la revendication de réfugié, sans qu'une attestation de départ ait été délivrée.

3      Ceci n'est pas constesté : paragraphe 32.02(1).

4      Paragraphe 32.02(2). En fait, la Loi ne dit pas expressément qu'une expulsion présumée en vertu du paragraphe 32.02(2) est présumée être l'exécution de la mesure d'expulsion, mais j'ai supposé en faveur des demanderesses que ce résultat est implicite.

5      Paragraphe 54(1).

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