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Date : 20040310

Dossier : IMM-1616-03

Référence : 2004 CF 358

Ottawa (Ontario), le 10 mars 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY                          

ENTRE :

                                                              ZSOLT HARSANYI

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                M. Zsolt Harsanyi, qui vient de la Hongrie, est entré au Canada en avril 2000. Il a présenté une demande d'asile fondée sur les mauvais traitements qu'il aurait subis en Hongrie du fait qu'il était homosexuel. Il a fait état de nombreux incidents de menaces et de violence.


[2]                Un tribunal de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande de M. Harsanyi parce qu'il n'était pas convaincu que le traitement accordé aux homosexuels en Hongrie constituait de la persécution plutôt que de la simple discrimination. M. Harsanyi soutient que la Commission a commis des erreurs graves dans son analyse de la situation des homosexuels en Hongrie. Il me demande d'ordonner une nouvelle audience.

[3]                J'estime que la Commission a commis une erreur dans son appréciation de la preuve. Je vais donc faire droit à la présente demande de contrôle judiciaire.

I. Question en litige

La Commission a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la preuve relative au traitement des homosexuels en Hongrie?

[4]                La Commission a examiné un nombre considérable d'éléments de preuve quant à la situation générale des gais et lesbiennes en Hongrie. Elle a souligné que les mariages homosexuels sont légaux depuis 1996, que les conjoints de fait de même sexe ont droit aux prestations sociales et de retraite et que les groupes de revendication exercent librement et efficacement leurs activités. Les activités et festivals de la collectivité homosexuelle semblent être en plein essor.

[5]                Par ailleurs, la Commission a noté certains cas de différences de traitement des gais et lesbiennes dans les domaines de l'emploi, des lois sur l'adoption et de l'âge requis pour consentir à des relations sexuelles. Comme nous l'avons mentionné précédemment, elle a conclu que ces différences de traitement constituaient de la discrimination plutôt que de la persécution.


[6]                Quant aux actes de violence commis contre les homosexuels, la Commission a souligné que les principaux rapports sur les droits de la personne en Hongrie ne font pas état de ce problème. Elle a affirmé que « si la violence contre les gais était un problème significatif, elle serait mentionnée dans ces rapports » . Elle a conclu que « la violence contre les gais ne constitue pas un problème significatif ou étendu en Hongrie » . En conséquence, elle a conclu que les incidents dont avait été victime M. Harsanyi étaient des incidents isolés et qu'aucun fondement objectif n'étayait sa crainte de persécution.

[7]                Le défendeur prétend que la Commission a examiné toute la preuve documentaire pertinente, y compris un rapport de la Hatter Society for Gays and Lesbians in Hungary et de la Labrisz Lesbian Association. Ce rapport (ci-après le rapport Hatter) montre « l[a] fréquence [...] très élevée » des crimes motivés par la haine homophobe en Hongrie. De plus, il indique que même la police harcèle les personnes soupçonnées d'être homosexuelles. Pourtant, après avoir cité ce rapport, la Commission a quand même conclu que la violence contre les homosexuels n'était pas répandue. Le défendeur soutient que la Commission pouvait tirer la conclusion qu'elle a tirée eu égard à la preuve, et que rien ne permet de modifier sa décision.


[8]                Cependant, M. Harsanyi souligne que la Commission n'a tenu aucun compte d'éléments de preuve convaincants suivant lesquels la violence homophobe constitue un problème sérieux en Hongrie. À titre d'exemple, une étude indique que 12 p. cent des hommes homosexuels ont rapporté des incidents d'agressions violentes. Le rapport Hatter lui-même fait état de nombreux incidents de violence faite aux homosexuels. Rien n'est venu contredire ces rapports, sinon le silence de certaines études générales sur la situation des droits de la personne en Hongrie. La Commission n'a pas indiqué pourquoi elle n'avait pas jugé fiable la preuve documentaire favorable à la demande de M. Harsanyi.

[9]                À mon avis, la Commission avait au moins l'obligation de faire référence aux éléments de preuve documentaire qui appuyaient la demande de M. Harsanyi et d'expliquer pourquoi elle n'en avait pas tenu compte. Comme l'a expliqué le juge Evans dans Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1425, « plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée "sans tenir compte des éléments dont il [disposait]" » . (Citant Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). La preuve documentaire soumise par M. Harsanyi appuyait sa demande et méritait une certaine considération de la part de la Commission.


[10]            Ayant conclu que la crainte de persécution de M. Harsanyi n'avait aucun fondement, la Commission n'a pas traité directement de la question de savoir si les personnes victimes de violence homophobe en Hongrie pouvaient se prévaloir de la protection de l'État. On peut conclure toutefois que, vu que la Commission a décrit la Hongrie comme un pays assez tolérant, elle estimait qu'on pouvait vraisemblablement se prévaloir de la protection de l'État dans ce pays.

[11]            Cependant, compte tenu de ma conclusion suivant laquelle un autre tribunal doit revoir la preuve documentaire, je n'ai pas besoin de m'étendre davantage sur la question de la protection de l'État. Il appartiendra à un autre tribunal de traiter de cette question et d'analyser la preuve pertinente.

II. Dispositif

[12]            Une audience complète n'est pas nécessaire puisque les questions sur lesquelles il faut statuer à nouveau peuvent être tranchées sur le vu de la preuve existante. En conséquence, je vais ordonner le renvoi des questions relatives à la crainte de préjudice de M. Harsanyi et à la possibilité de se prévaloir de la protection de l'État à un tribunal différemment constitué de la Commission pour que celui-ci statue à nouveau sur celles-ci en se fondant sur le dossier existant.


                                                                   JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie. Les questions relatives à la crainte de préjudice de M. Harsanyi et à la possibilité de se prévaloir de la protection de l'État sont renvoyées à un tribunal différemment constitué de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour qu'il statue à nouveau sur celles-ci en se fondant sur le dossier existant.

2.          Aucune question de portée générale n'est formulée.

« James W. O'Reilly »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-1616-03

INTITULÉ :                                                    ZSOLT HARSANYI

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 2 MARS 2004

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                           LE JUGE O'REILLY

DATE DES MOTIFS :                                   LE 10 MARS 2004

COMPARUTIONS :

Daniel Kingwell                                                 POUR LE DEMANDEUR

Alison Engel                                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MAMANN & ASSOCIATES              POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

MORRIS ROSENBERG                                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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