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     T-1479-96

Ottawa (Ontario), le 28 avril 1997

En présence de monsieur le juge Marc Nadon

ENTRE :

     PREMIÈRE NATION DE WOLF LAKE,

     requérante,

     - et -

     KIMBERLEE YOUNG,

     intimée.

     ORDONNANCE

     La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                 "MARC NADON"
                                 JUGE
Traduction certifiée conforme :     
                                 C. Delon, LL.L.

     T-1479-96

ENTRE :

     PREMIÈRE NATION DE WOLF LAKE,

     requérante,

     - et -

     KIMBERLEE YOUNG,

     intimée.

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

Le juge Nadon

     La Bande indienne de Wolf Lake (la "requérante") demande une ordonnance annulant la décision de Serge Brault, un arbitre nommé sous le régime de la Section XIV, Partie III du Code canadien du travail , L.R.C., ch. L-1, (le "Code"). La requérante demande en outre une ordonnance rejetant la plainte ou annulant la sentence arbitrale. Dans sa sentence provisoire, datée du 14 février 1995, M. Brault a conclu que Mme Young (l""intimée") avait été licenciée injustement de son poste d"agente d"éducation et de développement économique. Dans une décision supplémentaire datée du 22 mai 1996, M. Brault a ordonné à la requérante de verser à Mme Young une somme forfaitaire représentant huit mois de salaire, en plus de lui rembourser des dépenses personnelles s"élevant à 485,84 $ et de l"indemniser de ses frais et dépenses juridiques en lui versant 2 733,64 $, le tout avec intérêt.

     Madame Young a commencé à travailler pour le Conseil de Bande en 1991 en qualité d"agente d"éducation et de développement économique. Ses fonctions sont énumérées à la page 2 de l"ordonnance provisoire :

         [Traduction]                 
         - Servir de lien entre les étudiants et le Conseil de Bande;                 
         - Guider et aider les étudiants de la Bande de Wolf Lake;                 
         - Représenter la Bande de Wolf Lake au Conseil de l"éducation des Premières nations;                 
         - Rédiger les lignes directrices et les politiques concernant les étudiants;                 
         - Tenir un registre de tous les étudiants inscrits;                 
         - Travailler avec le ministère des Affaires indiennes pour obtenir du financement;                 
         - Préparer l"état nominatif;                 
         - Siéger au Conseil d"administration de l"Association de développement des Algonquins;                 
         - Représenter la Bande de Wolf Lake à la Commission locale de gestion autochtone;                 
         - Aider les membres de la Bande à préparer des plans d"affaires;                 
         - Formuler et dactylographier toute sa correspondance et celle du chef;                 
         - Faire tous les arrangements pour les déplacements du chef;                 
         - Répondre au téléphone à de nombreuses occasions lorsque Theresa King était absente ou en vacances;                 
         - Préparer les projets de développement du travail;                 
         - Créer des projets étudiants tel le projet DÉFI.                 

     Au cours de l"été 1993, Mme Young s"est absentée du travail pour prendre un congé de maternité. Au cours de ce congé, elle a demandé au chef St. Denis de lui écrire une lettre attestant son emploi pour le Conseil en vue d"obtenir un prêt hypothécaire. Elle a reçu cette lettre le 22 juin 1993.

     En novembre 1993, Mme Young a envoyé une lettre à la Bande de Wolf Lake pour préciser qu"elle recommencerait à travailler le 3 janvier 1994, à la fin de son congé de maternité. Toutefois, le 13 décembre 1993, le chef St. Denis lui a envoyé une lettre lui annonçant que ses services n"étaient plus requis. Cette lettre indiquait que son poste était éliminé en raison des restrictions budgétaires.

     À la suite de son congédiement, le Conseil a reçu du financement de la Commission locale de gestion autochtone ("CLGA") afin d"embaucher un membre de la Bande et de le former comme agent de liaison en éducation. Voici les fonctions de cet agent :

         [Traduction]

         FONCTIONS :      Servir de lien entre les étudiants et le Conseil de Bande.                 
                 Guider et aider les étudiants de niveau postsecondaire.                 
                 S"informer des programmes d"aide financière aux étudiants de niveaux secondaire et postsecondaire.                 
                 S"informer directement auprès du Ministère de ses politiques, de ses ententes de financement et de ses accords de contribution.                 
                 Se familiariser avec le fonctionnement d"autres organismes en matière d"éducation tel le Conseil de l"éducation des Premières nations.                 
                 Rédiger les lignes directrices et les politiques concernant les étudiants.                 
                 Promouvoir des projets "L"école avant tout", ou y adhérer.                 
                 Tenir des registres de tous les étudiants inscrits dans le système d"éducation.                 

     L"intimée a déposé, contre le Conseil de Bande, une plainte pour congédiement injuste. Monsieur Brault a rendu deux décisions en l"espèce. La première touchait le bien-fondé de la plainte de congédiement injuste. La deuxième fixait le montant des dommages-intérêts que l"employeur devait verser à Mme Young. La présente demande de contrôle judiciaire s"appuie sur des allégations d"irrégularité concernant chacune de ces décisions, respectivement. Pour des raisons qui seront vite évidentes, j"examinerai ces décisions tour à tour.

La sentence provisoire

I.      Compétence de l"arbitre

     L"avocat de la requérante a mis en doute la compétence de l"arbitre dans sa plaidoirie orale. Il a soutenu que l"arbitre n"avait pas compétence pour entendre la plainte parce que l"employeur soutenait que le poste occupé auparavant par Mme Young avait été supprimé. Cet argument découle d"une interprétation de l"alinéa 242(3.1)(a) :

         (3.1) L"arbitre ne peut procéder à l"instruction de la plainte dans l"un ou l"autre des cas suivants :                 
         (a) le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d"un poste;...                 

     Le bon sens commande que l"arbitre ne soit pas tenu d"accepter simplement l"affirmation de l"employeur portant que l"employé a été licencié pour les motifs décrits à l"alinéa 242(3.1)(a). Si c"était effectivement l"effet de cette disposition, le rôle de l"arbitre serait éliminé de fait parce qu"un employeur soumis à l"arbitrage sous le régime de l"article 242 du Code pourrait simplement donner l"explication qui précède et, aucune enquête ne pouvant alors être effectuée, la question serait close. La décision de l"arbitre citée plus loin traite de cette question de compétence. Si je m"en remets au dossier, je conclus que l"arbitre a eu raison de conclure que la prétention de l"employeur selon laquelle le poste avait été supprimé n"était pas bien fondée. En conséquence, l"arbitre avait à juste titre compétence pour entendre et trancher sur le fond la plainte de Mme Young.

     Dans la décision Sedpex Inc. c. Canada, [1989] 2 C.F. 289 (1re inst.), le juge Strayer (nommé depuis à la Cour d"appel) a déclaré, au nom de la Cour, à la page 299 :

         Ce n"est pas non plus parce que l"employeur dit qu"il n"a plus besoin de l"employé concerné que l"on doit considérer automatiquement qu"il a été mis fin à son emploi en raison d"un "manque de travail". Aussi difficile qu"elle puisse être dans certains cas, la question que la Loi veut voir tranchée est, à mon avis, celle de savoir si le motif réel, effectif et principal de la cessation de l"emploi était le "manque de travail".                 

Par conséquent, lorsqu"un employeur prétend qu"un employé a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d"un poste, l"arbitre doit d"abord s"enquérir du bien-fondé de la prétention de l"employeur. Si l"arbitre détermine que l"employé a cessé de travailler en raison de l"un de ces deux motifs valables, l"arbitrage prend fin. Toutefois, si l"arbitre constate que l"explication offerte par l"employeur n"est pas valable, il a compétence pour enquêter pleinement sur les circonstances du congédiement.

     L"essentiel de la décision rendue par l"arbitre le 14 février tient dans les paragraphes suivants tirés des pages 7 et 8 de cette décision :

         [Traduction]         
         La Bande soutient que l"unique raison de la suppression du poste de Mme Young tenait à la nécessité de redresser les finances de la Bande. Sans tenir compte pour l"instant des exigences fixées par l"article 209.1, j"ai examiné la preuve produite par la Bande concernant la suppression du poste de Mme Young. Il s"agissait en partie d"extraits de ses états financiers faisant état d"un déficit accumulé au compte des dépenses publiques de la Bande. Cela dit, aucune preuve convaincante n"a été produite pour établir les circonstances précises de la décision d"abolir le poste de Mme Young en regard de ce déficit. Le seul élément de preuve soumis à cet égard démontre que le poste de concierge a été aboli et fusionné à celui de gestionnaire. Même si la réponse initiale de la Bande à la plainte renvoyait à l"ancienneté de Mme Young, elle n"a produit aucun élément de preuve démontrant que son ancienneté a été prise en compte à quelque moment que ce soit.                 
         En outre, aucun élément n"a été présenté quant à l"impact du poste de Mme Young sur les coûts de dépenses publiques de la Bande, et aucune preuve n"a été produite relativement à l"impact réel de cette décision sur la situation financière de la Bande. La preuve présentée par la Bande même, telle que je la perçois, établit que le poste de Mme Young était financé à l"aide d"un budget non transférable, budget qui n"avait aucun lien avec le compte de dépenses publiques de la Bande. Comment, dans ces circonstances, l"abolition de son poste aurait-elle pu réduire le déficit de la Bande en ce qui a trait à son compte de dépenses publiques?                 
         Enfin, et ce qui est plus important, dans les mois qui ont suivi sa cessation d"emploi, la Bande a créé et affiché un poste identique à celui qu"occupait Mme Young. On a fait valoir que, parce qu"il était financé par le CLGA, ce poste était un nouveau poste. Je conclus que ce n"était pas le cas. C"est ce qui ressort du fait que le CLGAL lui-même a annulé son engagement relativement au supposé nouveau poste lorsqu"il a pris connaissance de la plainte déposée par Mme Young et dont je suis saisi. Tous ces faits laissent entendre que le supposé nouveau poste constituait simplement une tactique visant à remplacer Mme Young par une autre personne et que la situation financière difficile présumée de la Bande n"était pas au départ le motif pour lequel le poste a été aboli.                 
         Dans l"ensemble, la preuve produite devant moi tend à démontrer que le poste de Mme Young a été aboli pour des raisons qui n"ont pas de lien avec la situation financière de la Bande. Il est probable que ses rapports avec un membre du Conseil de Bande qui n"était pas en bons termes avec les autres a joué dans cette décision. Peut-être le fait qu"elle ne soit pas un membre de la Bande a-t-il joué également dans cette décision. Enfin, son absence pour congé de maternité a ouvert la voie à un traitement injuste, en contravention de la Loi. En conséquence, je ne conclus pas que Mme Young a été licenciée en raison d"un manque de travail ou à la suite de la suppression de son poste.                 


     Bien que cette question n"ait pas été soulevée par l"intimée dans la présente instance, je suis d"avis que la demande de contrôle judiciaire de la sentence provisoire est prescrite. Cette conclusion repose sur ma décision portant que, après avoir délivré sa décision quant au fond, l"arbitre était functus officio1 relativement à cette question. La décision rendue le 14 février 1995 constituait donc une décision définitive quant au bien-fondé de la plainte de Mme Young et le délai a commencé à courir à cette date. Toutefois, même si ce n"était pas le cas, je m"abstiendrais de modifier les constatations de l"arbitre, M. Brault. La preuve versée au dossier suffit amplement pour étayer ses conclusions et je ne saurais y déceler une erreur de fait ou de droit qui me permette d"intervenir.

     Par souci de bien vider la question, étant donné que les avocats ont traité du bien-fondé des points soulevés par la requérante relativement à la sentence provisoire dans le cadre de la présente demande, je ferai quelques brèves remarques.

II.      Le fardeau de la preuve

     Dans la décision Sedpex, précitée, le juge Strayer déclare, à la page 300 :

         L"arbitre a conclu avec raison"ce que la requérante ne conteste pas"qu"il incombait à Sedpex, Inc. d"établir que le motif de la mise à pied était le manque de travail. Il entrait certainement dans les possibilités de l"arbitre de conclure que l"intimé ne s"était pas acquitté de ce fardeau de preuve.                 

     À la lecture de la décision de M. Brault, il est clair qu"il n"était pas convaincu par la preuve produite par la Bande de Wolf Lake qu"elle avait licencié Mme Young en raison de difficultés financières. Bien que M. Brault ait examiné d"autres causes possibles, il n"a pas tiré de conclusion définitive quant au motif qui a poussé le Conseil de Bande à congédier Mme Young. Il ressort toutefois clairement de la décision que Mme Young a été remerciée de ses services pour une raison autre que des difficultés financières, et que la Bande n"a pas pu démontrer qu"elle l"avait licenciée pour un motif valable ou de bonne foi.

     En ce qui a trait à la situation financière de la Bande, le dossier révèle un "État combiné des revenus et des dépenses" du fonds de fonctionnement de la Bande pour la période écoulée entre la fin des exercices terminés en mars 1990 et en mars 19922. La requérante fait valoir que la moitié du salaire de l"intimée était prélevé sur le fonds 4210 qui est déficitaire pour l"exercice terminé en 1992. Toutefois, la date des derniers documents financiers remonte à près de deux ans avant le licenciement de l"intimée. Aucun document financier ne concerne le budget sur lequel était prélevée l"autre partie du salaire de l"intimée, budget dont l"arbitre a conclu qu"il n"était pas transférable ni lié au compte de dépenses publiques visé par les documents financiers soumis. De plus, comme l"a affirmé l"arbitre à la page 7 :

         ... aucune preuve convaincante n"a été produite pour établir les circonstances précises de la décision d"abolir le poste de Mme Young en regard de ce déficit. Le seul élément de preuve soumis à cet égard démontre que le poste de concierge a été aboli et fusionné à celui de gestionnaire. Même si la réponse initiale de la Bande à la plainte renvoyait à l"ancienneté de Mme Young, elle n"a produit aucun élément de preuve démontrant que son ancienneté a été prise en compte à quelque moment que ce soit.                 

Ces éléments appuient une conclusion de congédiement injuste, car le fardeau de justifier le licenciement incombe à l"employeur.



III.      Partialité

     Au début de l"audience sur le montant des dommages-intérêts, l"avocat de la requérante, l"employeur, a présenté une requête sollicitant la récusation de l"arbitre en raison d"une crainte raisonnable de partialité. La requérante soutenait qu"une lettre, produite en principal par le chef St. Denis qui représentait la Bande à l"audience sur le fond, était préjudiciable aux prétentions de l"employeur parce qu"elle révélait la position de Travail Canada relativement au bien-fondé de la plainte de Mme Young. La requérante fait valoir que Travail Canada est l"employeur de l"arbitre. En conséquence, son opinion n"aurait pas dû être admise en preuve car elle donne à croire que la décision de l"arbitre ne vient pas de lui, mais a été influencée par l"opinion énoncée dans la lettre. Non seulement l"arbitre a eu raison de refuser de trancher la question parce qu"il était manifestement functus , mais encore l"admission en preuve de la lettre ne créait pas une crainte raisonnable de partialité.

     Une allégation de partialité doit être soulevée dès que c"est possible. Comme l"a déclaré le juge Muldoon dans l"affaire West Region Tribal Council v. Booth (1992), 55 F.T.R. 28, à la page 46 :

         Une nullité ab initio peut être constatée et déclarée à n"importe quel moment par la suite, puisqu"elle n"a jamais eu d"effet, et ce à la lumière de preuves à cet effet. Cependant si une partie allègue le déni de justice naturelle pour cause de préjugé, cette partie devrait, non, elle est tenue d"exprimer immédiatement son allégation, car avec le passage du temps, pareille allégation ne serait peut-être plus objectivement démontrable. Il ne faut pas que l"allégation de préjugé soit tenue secrète, il faut qu"elle soit immédiatement rendue publique, afin de prendre le tribunal administratif "en flagrant délit", si on peut dire, de préjugé et de faute. Ainsi donc, l"attitude qui consiste à attendre de voir si on a gain de cause devant l"arbitre, auquel cas on ne fera aucune allégation de préjugé, et à faire cette allégation afin de se soustraire à une perte confirmée, est abusive et doit être découragée.                 

     Je parle de cette question parce que l"avocate de l"intimée dans la présente instance s"est opposée au fait que l"employeur n"a soulevé la question d"une crainte raisonnable de partialité qu"au moment de l"audience supplémentaire. Toutefois, je dois préciser clairement que la partie qui allègue la partialité a l"obligation de soulever cette question uniquement lorsqu"elle en connaît ou devrait en connaître l"existence. En l"espèce, le chef St. Denis représentait l"employeur à la première audience et c"est lui qui a produit la lettre en cause. Dans les circonstances, je ne suis pas prêt à déclarer que la requérante aurait dû connaître la possibilité de partialité avant d"avoir retenu les services d"un conseiller juridique. L"avocate de l"employeur a soulevé cette question dès l"audience suivante devant l"arbitre. L"avocate de l"intimée aurait préféré avoir un préavis écrit de plus de deux jours des allégations de partialité, mais j"estime qu"elle n"a subi aucun préjudice.

     Une partie n"est pas sans recours à la suite du défaut de reconnaître une possibilité de crainte raisonnable de partialité. Si l"omission de soulever la question n"est pas imputable à un manquement de la personne défavorisée, par exemple, si ce n"est pas une manoeuvre tactique, la question peut être soulevée en appel ou, comme en l"espèce, dans le cadre d"une demande de contrôle judiciaire. La situation en l"espèce est différente de celle dont a été saisi Lord Goddard dans l"affaire R. V. Nailsworth Licensing Justice, ex parte Bird (1953), 1 W.L.R. 1046, dans laquelle il a déclaré, à la page 1048 :

         [Traduction]

         L"avocat n"a pas soulevé son objection à ce moment et il semble clair qu"il ait décidé de laisser l"affaire suivre son cours, estimant qu"il s"agissait d"une occasion inespérée d"obtenir l"annulation de l"ordonnance si le comité décidait d"accueillir la demande. C"est là un motif suffisant pour justifier le rejet de la présente demande.                 
     a)      Functus

     À la fin de la décision provisoire, l"arbitre a voulu se réserver compétence en tenant les propos suivants :

         [Traduction] Je n"ai entendu aucune preuve ni aucun argument présenté par les parties sur la question de la réparation dans l"éventualité où la plainte serait accueillie. En conséquence, je ne rendrai aucune décision sur cette question pour l"instant car il a été convenu avec les parties que, dans cette éventualité, elles tenteraient d"abord de s"entendre sur la réparation qui convient et que je demeurerais saisi de cette question. En conséquence, je conserverai compétence jusqu"au 17 mars 1995. Si les parties ne parviennent pas à s"entendre entre-temps sur la réparation qu"il convient d"accorder à Mme Young pour son congédiement, l"une ou l"autre pourra me donner avis par écrit de leur défaut de s"entendre, et une nouvelle audience sera convoquée pour me permettre d"entendre et de trancher la question.                 

     L"avocat de la requérante soutient que l"arbitre n"était pas functus pour deux raisons. Premièrement, il est expressément réservé compétence à la fin de sa sentence provisoire. Deuxièmement, l"article 18 du Code donne expressément à l"arbitre le pouvoir de réexaminer ses propres décisions.

     Je ne peux interpréter le passage cité plus haut comme signifiant autre chose que l"arbitre s"est réservé compétence pour accorder une réparation en l"espèce. De plus, même si l"arbitre avait voulu se réserver compétence quant au fond de l"affaire, il n"aurait pas pu le faire. Un arbitre ne peut se conférer des pouvoirs à lui-même. Un arbitre ne tire sa compétence et ses pouvoirs que de la loi applicable. Dans l"arrêt Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848, aux pages 861 et 862, le juge Sopinka (en son nom et au nom du juge en chef Dickson et du juge Wilson) a déclaré :

         En règle générale, lorsqu"un tel tribunal a statué définitivement sur une question dont il était saisi conformément à sa loi habilitante, il ne peut revenir sur sa décision simplement parce qu"il a changé d"avis, parce qu"il a commis une erreur dans le cadre de sa compétence, ou parce que les circonstances ont changé. Il ne peut le faire que si la loi le lui permet ou s"il y a eu un lapsus ou une erreur au sens des exceptions énoncées dans l"arrêt Paper Machinery Ltd. v. J. O. Ross Engineering Corp., précité.                 
         Le principe du functus officio s"applique dans cette mesure. Cependant, il se fonde sur un motif de principe qui favorise le caractère définitif des procédures plutôt que sur la règle énoncée relativement aux jugements officiels d"une cour de justice dont la décision peut faire l"objet d"un appel en bonne et due forme. ... Il est possible que des procédures administratives doivent être rouvertes, dans l"intérêt de la justice, afin d"offrir un redressement qu"il aurait par ailleurs été possible d"obtenir par voie d"appel.                 
         Par conséquent, il ne faudrait pas appliquer le principe de façon stricte lorsque la loi habilitante porte à croire qu"une décision peut être rouverte afin de permettre au tribunal d"exercer la fonction que lui confère sa loi habilitante. C"était le cas dans l"affaire Grillas , précitée.                 
         De plus, si le tribunal administratif a omis de trancher une question qui avait été soulevée à bon droit dans les procédures et qu"il a le pouvoir de trancher en vertu de sa loi habilitante, on devrait lui permettre de compléter la tâche que lui confie la loi.                 

     De plus, dans l"affaire Huneault v. Central Mortgage and Housing Corp. (1981), 41 N.R. 214 (C.A.F.), le juge en chef Thurlow a déclaré, à la page 217, au nom de la Cour :

             À notre avis, les première et seconde ordonnances rendues par l"arbitre ont épuisé les pouvoirs qu"il détenait du paragraphe 61.5(9), après quoi il y eut dessaisissement, l"arbitre s"étant acquitté de sa charge. Il avait ordonné la réintégration. Il avait ordonné le paiement d"une indemnité. Il n"avait ordonné rien de ce qui est prévu à l"alinéa 61.5(9)c ), mais il avait tranché définitivement la plainte dont il était saisi. Il n"avait plus aucun pouvoir, que ce soit par la loi ou autrement, pour réexaminer, retirer ou modifier l"une ou l"autre des ordonnances. De plus, le fait qu"il s"est réservé le pouvoir de rendre, le cas échéant, toute autre ordonnance qu"il jugerait appropriée et nécessaire après réception de l"argumentation sur la question du remboursement des prestations d"assurance-chômage ne saurait influer sur notre conclusion.                 

     La Cour d"appel fédérale a traité par la suite de la règle énoncée dans l"affaire Huneault et déclaré, sous la plume du juge MacGuigan :

         Le critère " et le seul critère " est celui de savoir si l"on peut dire que l"arbitre avait tranché de façon définitive la plainte dont il était saisi. (Murphy c. Canada (Arbitre, Code canadien du travail), [1994] 1 C.F. 710, à la page 722).                 

     En l"espèce, l"arbitre avait tranché de façon définitive la question de savoir si Mme Young avait été congédiée injustement. De plus, une décision et les motifs de cette décision avaient été délivrés. Une fois cette décision rendue, la requérante devait présenter une demande de contrôle judiciaire à notre Cour pour qu"il soit déterminé si cette décision devait être annulée en raison d"une crainte raisonnable de partialité.

     À l"appui de la prétention selon laquelle l"article 18 s"applique à un arbitre, l"avocat de la requérante a invoqué la décision rendue par le juge Rouleau dans l"affaire Penelakut Indian Band v. Charlie (1994), 73 F.T.R. 150, dans laquelle il a écrit, à la page 155 :

             La décision Chandler, précitée, semble aussi préconiser la souplesse. Il ne faut pas oublier que l'arbitre est maître de sa procédure, et elle aurait dû rouvrir l'affaire pour bien examiner le bien-fondé de la plainte. L'article 18 du Code prévoit que le Conseil canadien des relations du travail :                 
             peut réexaminer, annuler ou modifier ses décisions ou ordonnances                 

     ...

             et réinstruire une demande avant de rendre une ordonnance à son sujet.                 
         Il ressort clairement de cette disposition que la décision aurait dû être rouverte.                 

          Cette décision me semble toutefois erronée. Qu"il me soit permis de ne pas être d"accord pour dire que l"article 18 s"applique aux instances régies par la Section XIV du Code . Voici ce que prévoit l"article 18 :

         18.      Le Conseil peut réexaminer, annuler ou modifier ses décisions ou ordonnances et réinstruire une demande avant de rendre une ordonnance à son sujet.                 

Le paragraphe 3(1) définit le terme "Conseil" :

         "Conseil" Le Conseil canadien des relations du travail visé à l"article 9.                 

     Il suffit de feuilleter rapidement le Code pour s"apercevoir qu"un arbitre et le Conseil sont deux entités distinctes exerçant des fonctions très différentes. Bien que l"article 18 de la Partie I confère des pouvoirs au Conseil, cette disposition ne confère aucun pouvoir, quel qu"il soit, à un arbitre nommé dans les situations visées par la Partie III du Code . Dans l"arrêt La Bande indienne de Norway House c. Canada (Arbitre, Code canadien du travail), [1994] 3 C.F. 376, le juge Muldoon a déclaré, à la page 422 :

         La force de la clause privative adoptée par le législateur, à laquelle, comme la Cour suprême l'a statué, il est possible de passer outre dans les cas où la décision est "manifestement déraisonnable" peut être appréciée comparativement à l'article 18 figurant dans la Section II (Conseil canadien des relations du travail) de la Partie I du Code . Contrairement à toute disposition de la Section XIV de la Partie III, cet article confère les pouvoirs suivants au Conseil :                 

             [reproduction de l"article 18]

         Cet article ne ressemble absolument pas aux dispositions de la Section XIV de la Partie III.                 


     L"avocat de la requérante a également mentionné l"alinéa 242(2)c ) :

         (2) Pour l"examen du cas dont il est saisi, l"arbitre :                 
             c) est investi des pouvoirs conférés au Conseil canadien des relations du travail par les alinéas 16a), b) et c).                 

L"avocat de la requérante a prétendu devant la Cour que, compte tenu de cette disposition, l"article 18 s"applique implicitement à un arbitre nommé sous le régime de l"article 242. Malheureusement, je ne peux retenir cet argument.

     Les alinéas 16a), b) et c) ont pour effet général de conférer au Conseil le pouvoir de convoquer les témoins et de les contraindre à comparaître, ainsi qu"à produire les documents, le pouvoir de faire prêter serment et celui d"accepter des témoignages. Il faut noter que l"alinéa 242(2)c ) ne confère pas à l"arbitre les pouvoirs attribués au Conseil par les alinéas 16d ) à p). Il ne s"agit pas d"une situation où pour donner effet aux pouvoirs accordés par les alinéas 16a ) à c), il faut appliquer les pouvoirs énoncés à l"article 18. Le législateur a clairement attribué à l"arbitre les pouvoirs énumérés dans les trois premiers paragraphes de l"article 16 et non les autres.

     Bien qu"un arbitre conserve compétence pour trancher une affaire de façon définitive en rendant une ordonnance sous le régime du paragraphe 242(4), il n"est pas de ce fait autorisé à réentendre le fond de l"affaire. La requérante n"a pas contesté sérieusement qu"une décision définitive a été rendue en ce qui a trait au véritable bien-fondé de la demande, si ce n"est en ce qui concerne la partialité. Manifestement, l"arbitre avait tranché la question et, à défaut d"une disposition législative spécifique, il était functus officio .

     L"argument portant que la Partie III du Code prévoit tout ce qui est nécessaire pour trancher une affaire de congédiement injuste peut en outre s"appuyer sur l"arrêt Banca Nazionale del Lavoro of Canada Ltd. v. Lee-Shanok (1988), 22 C.C.E.L. 59, dans lequel le juge Stone a tenu les propos suivants, à la page 78 :

         La Partie III du Code semble avoir été conçue afin de donner à ceux qui ont été congédiés injustement une tribune pour l"instruction de leur plainte et un ensemble de redressements possibles. L"alinéa c ) semble avoir été formulé dans des termes suffisamment généraux pour permettre à un arbitre d"adjuger des frais à un plaignant.                 

Si l"on s"en remet à ce qui précède, l"arbitre était clairement functus et la requérante aurait dû déposer une demande de contrôle judiciaire dans les trente jours suivant la réception de la décision du 14 février 1995.

     b)      Statut de l"arbitre

     Un arbitre nommé sous le régime de l"article 242 du Code n"est pas un employé de Travail Canada. L"arbitre est nommé par le Ministre lorsque celui-ci a reçu un rapport d"un inspecteur indiquant que les tentatives de règlement du litige entre les parties par l"intermédiaire d"un inspecteur ont échoué. Dans l"arrêt Norway House , précité, le juge Muldoon a décrit le rôle de l"arbitre dans les termes suivants, à la page 422 :

         En l'espèce, l'arbitre n'est pas un office professionnel à plein temps, mais une personne spécialement choisie uniquement afin de rendre une seule décision, sans avoir d'expertise ou de collégialité institutionnelle.                 

     Le représentant de la Bande de Wolf Lake, le chef St. Denis, a déposé la lettre en preuve pour tenter d"établir que la situation financière de la Bande était effectivement précaire et pour démontrer que la décision de congédier Mme Young avait été prise de bonne foi. Comme la Bande n"était pas représentée par un avocat, l"arbitre se trouvait dans une situation difficile. Personne n"était disponible pour examiner minutieusement la preuve de l"employeur et, en conséquence, M. Brault était la première personne qui aurait pu aviser le chef St. Denis que l"introduction de la lettre en preuve pouvait avoir à la fois des conséquences positives et des conséquences négatives. Ce type de situation est le résultat de la procédure plus informelle prévue par le Code . Toutefois, le caractère informel de la procédure ne saurait constituer une excuse pour permettre une apparence de partialité de la part de l"arbitre. La question fondamentale demeure la même : une personne raisonnable et sensée bien renseignée sur les questions en litige croirait-elle que l"arbitre n"était pas impartial? (Voir Committee for Justice & Liberty c. Canada (Office national de l"énergie), [1978] 1 R.C.S. 369.)

     Compte tenu qu"il n"existait en fait aucun lien entre Travail Canada et M. Brault, la lettre révélait simplement l"opinion d"un tiers qui n"exerçait aucune influence particulière sur l"arbitre. De plus, cette lettre fait état d"une opinion sans révéler les éléments sur lesquels elle s"appuie.

     Le texte de la sentence provisoire est reproduit à la page 4 de la présente décision. À la lecture de ce texte, il est clair que l"arbitre a interprété la suppression du financement du CLGA relativement au poste d"agent de liaison en matière d"éducation comme une preuve établissant qu"il s"agissait de deux postes semblables. Cette preuve a ensuite été utilisée pour conclure que le poste occupé par Mme Young n"avait pas été supprimé. Elle n"a pas servi à conclure que le congédiement était injuste, comme le prétend la requérante, mais uniquement pour conclure au maintien d"un poste. De plus, l"arbitre fait allusion à la décision du CLGA de supprimer le financement, et non à la position apparemment adoptée par Travail Canada. Bien que la lettre appuie la décision de l"arbitre en ce qui a trait à la similarité entre les deux postes, cela ne suffisait pas en soi pour créer une crainte raisonnable de partialité.

     Dans sa décision supplémentaire, l"arbitre a écrit, à la page 18 :

         [Traduction]                 
         J"ai examiné attentivement les incidents qui constitueraient selon l"avocat une crainte de partialité en l"espèce. Je ne vois pas comment une personne raisonnable pourrait considérer le fait de permettre à une partie de déposer un élément de preuve qu"un avocat peut, une année plus tard, a posteriori , juger nuisible à sa cause, comme un signe de partialité. Le rôle de l"arbitre dans la tenue d"une audience consiste à jouer en quelque sorte [Traduction]"le rôle d"un juge et à ne pas descendre dans l"arène comme un procureur de la poursuite ou de la défense" (Canadian Labour Law , deuxième édition, G.W. Adams, Canada Law Book, paragraphe 4.730). C"est précisément ce qui s"est produit en l"espèce et, à moins d"une preuve concluante établissant qu"une partie n"était pas consciente de ses actes, je ne vois pas comment il pourrait en être autrement.                 

Je souscris à cette évaluation des faits. Le simple fait que la preuve soit défavorable à la cause de l"employeur ne signifie pas qu"elle a créé une crainte raisonnable de partialité. Pour tous ces motifs, la sentence provisoire de l"arbitre Brault ne sera pas annulée.

Sentence supplémentaire

     La requérante soulève deux questions concernant le fond de la sentence supplémentaire. Premièrement, la requérante invoque la partialité du fait que l"avocate de l"intimée a irrégulièrement révélé des faits à l"arbitre dans une lettre datée du 14 mars 1995. Deuxièmement, la requérante soutient que le montant des dommages-intérêts excède de beaucoup celui qui aurait dû être octroyé dans les circonstances et qu"il est fondé sur des facteurs applicables à l"octroi de dommages-intérêts punitifs.

I.      La partialité

     L"allégation de partialité en ce qui a trait à la sentence supplémentaire découle également d"une lettre soumise à l"arbitre, mais émanant cette fois de l"avocate de l"intimée. Les passages pertinents de cette lettre sont les paragraphes six et neuf qui se lisent comme suit :

         Considérant le montant de cette offre, il est clair que les parties en présence n"en viendront pas à une entente et nous n"avons pas l"intention, dans cette affaire, de jouer une partie de "ping-pong".                 
         Ces mesures, je crois, doivent être prises puisque la partie adverse ne semble pas disposée, dans son règlement, à accorder aucun frais pour les déboursés d"honoraires professionnels encourus par Madame Young.                 

     Dans ses observations soumises par écrit, l"avocat n"a pas expressément abordé la question de la possibilité que cette lettre crée une certaine partialité, si ce n"est qu"elle a été soulevée devant l"arbitre au début de l"audience visant à fixer le montant des dommages-intérêts. Toutefois, devant moi, l"avocat a soutenu que cette lettre constituait une tentative de déposer irrégulièrement un élément de preuve devant l"arbitre, en-dehors de l"audience.

     Le premier paragraphe cité ci-dessus fait allusion de façon générale au montant de l"offre, sans toutefois le divulguer. Cette allusion n"a pas pour effet de présenter un "élément de preuve" à l"arbitre, de quelque façon qui puisse être interprétée comme viciant la procédure. Il est évident que l"employé considérait l"offre comme inacceptable. C"est parce que les deux parties n"ont pas pu s"entendre sur le montant qui convenait qu"une deuxième audience a dû être tenue.

     Quant au deuxième paragraphe, il révèle que l"employeur n"est pas disposé à indemniser la plaignante relativement aux honoraires professionnels qu"elle a déboursés. Bien que cette déclaration n"ait pas été tout à fait régulière, il n"était pas irrégulier qu"elle soit soumise à l"arbitre lors de la deuxième audience. L"employeur a eu l"occasion de s"exprimer sur cette question et de présenter ses propres observations à son égard. Sur ce point, j"adopte le raisonnement retenu par la Cour d"appel fédérale dans l"affaire Banca , précitée. Dans la cause Banca, l"avocat de l"une des parties a déposé devant l"arbitre une lettre révélant qu"une offre ne comprenait pas les frais engagés par le plaignant. Le juge Stone a déclaré, au nom de la Cour, à la page 69 :

             Bien que je ne m"objecte pas autant aux lettres du 21 [mentionnée plus haut] et 22 juillet qu"à celle du 6 octobre, je les considère tout de même comme irrégulières du fait qu"elles constituaient une tentative de mettre des éléments de preuve devant l"arbitre. Cette irrégularité a été atténuée dans une certaine mesure du fait que la requérante a eu l"occasion de faire valoir une objection et, en cas de besoin, de réfuter les allégations à l"audience même.                 

Toutefois, la Cour a refusé de déclarer que le contenu des lettres des 21 et 22 juillet engendrait une crainte raisonnable de partialité. Elle a cependant conclu, à la page 70, que la lettre du 6 octobre créait une crainte raisonnable de partialité parce que :

         Elle mettait sérieusement en doute la véracité même de la déclaration de la requérante voulant que l"ancien poste de l"intimé ait été supprimé. Elle affirmait des faits qui n"avaient tout simplement pas été convenablement plaidés devant l"arbitre, qui n"avait pas encore décidé d"accorder la réintégration demandée.                 

     J"établis ici une distinction. Les affirmations contenues dans une lettre présentée à l"arbitre, bien qu"irrégulières, ne créent pas nécessairement une crainte de partialité dans les circonstances de l"espèce. Les questions à trancher ont été soumises régulièrement à l"arbitre lors de la deuxième audience et toutes les parties ont eu l"occasion de s"exprimer à leur égard et de produire une preuve devant l"arbitre. Toutefois, si des éléments de preuve avaient été remis à l"arbitre après l"audience, une fois les plaidoiries closes, comme c"est le cas de la lettre du 6 octobre à laquelle le juge Stone fait allusion, le fait de soumettre cette preuve serait manifestement irrégulier et pourrait créer une crainte raisonnable de partialité, car l"autre partie n"aurait pas la possibilité d"y répondre. De plus, la nature même des allégations en cause dans la lettre du 6 octobre mettait en doute l"honnêteté de la requérante dans la procédure, ainsi que celle de son avocat.

     La situation dont je suis saisi se distingue du fait que Me Paré, l"avocate de l"intimée, a mentionné que le montant des dommages-intérêts était insuffisant et ne couvrait pas les frais juridiques. La question de savoir si une sentence devrait effectivement couvrir pareilles dépenses a été débattue devant l"arbitre à l"audience et l"arbitre pouvait trancher cette question dans un sens ou dans l"autre. Malgré qu"il y ait eu transgression, celle-ci ne suffisait pas à créer une crainte raisonnable de partialité.

II.      Le montant des dommages-intérêts

     La requérante conteste en outre le montant des dommages-intérêts accordés à Mme Young. Plus particulièrement, l"avocat déclare au paragraphe 39 de son mémoire que l"octroi de huit mois de salaire était fondé sur des [Traduction ] "facteurs applicables à l"octroi de dommages-intérêts punitifs et non à la détermination de ce que constitue un préavis raisonnable". En me fondant sur les observations que m"ont soumises par écrit les avocats des deux parties et sur la plaidoirie orale de l"avocat de la requérante, j"ai indiqué à l"audience que je ne croyais pas que les dommages-intérêts accordés en l"espèce pouvaient être maintenus. Toutefois, j"ai précisé que si je changeais d"avis sur cette question, je donnerais à l"avocat de la requérante l"occasion de répondre. Dans les circonstances, l"avocat de la requérante n"a pas présenté de plaidoirie orale complète devant moi au cours de l"audience.

     Dans ses observations présentées oralement et par écrit, l"avocat de la requérante déclare que les dommages-intérêts doivent être fixés en fonction du préavis qui doit être donné par l"employeur en vertu de la common law. Toutefois, la recherche révèle que le fait d"appliquer la common law ou l"article 235 du Code pour limiter l"octroi de dommages-intérêts constitue une erreur. J"ai communiqué les fruits de cette recherche à l"avocat de la requérante dans un mémoire et je lui ai demandé de me présenter ses observations par écrit. Lorsque j"ai reçu ces observations de l"avocat, j"ai constaté qu"il se sentait lésé de ne pas avoir été entendu oralement et j"ai donc ordonné la tenue d"une audience relativement à la question du montant des dommages-intérêts accordés par l"arbitre au moyen d"un appel conférence. Les avocats des deux parties ont participé à cette audience.

     Les grandes lignes des commentaires que j"ai reçus de l"avocat de la requérante, par écrit et oralement, sont exprimées au paragraphe 9 de ses observations écrites déposées le 8 avril 1997 :

         [Traduction]                 
         Le Code permet que le montant des dommages-intérêts soit fixé en fonction des dommages effectivement causés au plaignant par son congédiement, mais, à moins que la réintégration soit accordée, l"indemnité sera nécessairement inférieure au total du salaire perdu. Les tribunaux ont déjà conclu que l"indemnité versée pour congédiement injuste peut être évaluée comme correspondant au salaire perdu pendant une période de préavis raisonnable. C"est maintenant une pratique acceptée qui est bien adaptée à la situation précise. Par exemple, si l"employé trouve un meilleur emploi après un congédiement injuste, il doit être indemnisé pour les dommages résultant du congédiement, mais la loi n"a pas pour objet de lui faire réaliser un gain inattendu.                 

Cette proposition générale est juste, selon moi. Le Code n"exige pas que l"arbitre accorde à une plaignante son plein salaire à titre d"indemnité. La plaignante doit limiter ses pertes et l"arbitre doit tenir compte de facteurs pouvant avoir une incidence sur le montant des dommages-intérêts qu"il convient d"accorder. Toutefois, ces principes n"excluent pas l"octroi du plein salaire (moins les déductions) entre la date du congédiement injustifié et la date de la sentence arbitrale, si cela est nécessaire pour dédommager la plaignante.

     Le commentaire peut-être le plus marquant que je puisse faire concernant l"argument de l"avocat de la requérante est le suivant : si je retenais cette prétention, il n"existerait plus de différence entre l"indemnisation accordée à une personne congédiée légitimement pour des motifs administratifs et une personne congédiée injustement. Ce n"est manifestement pas là le résultat visé par le Code . L"employé congédié injustement est victime d"un acte fautif. Il a droit à davantage qu"à un préavis qui établit un équilibre entre ses intérêts et ceux de son employeur. L"employé a le droit d"être indemnisé pour avoir été traité de façon incorrecte.


     a)      La perte de rémunération

     La Section XIV de la Partie III du Code est intitulée "Congédiement injuste" et prévoit une réparation en cas de congédiement injuste. Le paragraphe 242(4) de la Partie III dispose :

         (4)      S"il décide que le congédiement était injuste, l"arbitre peut, par ordonnance, enjoindre à l"employeur :                 
         a)      de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu"il aurait normalement gagné s"il n"avait pas été congédié;                 
         b)      de réintégrer le plaignant dans son emploi;                 
         c)      de prendre toute autre mesure qu"il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.                 

Ce sont les seules dispositions prévoyant une réparation dans la Section XIV du Code.

     Toutefois, la Section XI de la Partie III intitulée "Indemnité de départ" prévoit notamment :

         235.(1)      L"employeur qui licencie un employé qui travaille pour lui sans interruption depuis au moins douze mois est tenu, sauf en cas de congédiement justifié, de verser à celui-ci le plus élevé des montants suivants :                 
         a)      deux jours de salaire, au taux régulier et pour le nombre d"heures de travail normal, pour chaque année de service;                 
         b)      cinq jours de salaire, au taux régulier et pour le nombre d"heures de travail normal.                 

     Il peut être mis fin à l"emploi de l"employé de trois façons, chacune donnant lieu à une réparation différente en vertu du Code : l"employé peut être congédié pour un motif valable; pour des motifs administratifs; ou sans motif valable. Un employé congédié pour un motif valable n"a droit à aucune des réparations prévues aux articles 242 et 235. Si la cessation d"emploi résulte d"un manque de travail ou de la suppression d"un poste, l"employé a le droit de recevoir une indemnité de départ, mais n"a pas droit à l"indemnisation prévue à l"article 242. Enfin, l"employé congédié sans motif valable a le droit d"être indemnisé pleinement pour les actes injustes commis par son employeur.

     L"application du paragraphe 242(4) du Code est claire; cette disposition est conçue pour indemniser pleinement un employé qui a été congédié injustement. Cette réparation ne se limite pas à l"indemnité de départ à laquelle l"employé a droit. Elle n"est pas calculée en fonction du préavis qui aurait dû être donné à l"employé. Dans l"arrêt Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1985] 1 C.F. 253, conf. [1989] 1 R.C.S. 1038, le juge Mahoney a déclaré, à la page 260 :

         Le paragraphe 61.5(9) [maintenant 242(4)] a pour but de confier à l"arbitre le pouvoir de faire en sorte, dans la mesure du possible, que l"employé lésé n"ait pas à subir de préjudice en matière d"emploi par suite de son congédiement injustifié.                 

Bien que cette disposition fixe un maximum au montant des dommages-intérêts qui peuvent être accordés, ce montant n"est pas lié au montant de l"indemnité de départ accordée à l"employé. Le fait de limiter le montant des dommages-intérêts pour congédiement injuste au montant de l"indemnité de départ ou en fonction de la common law constitue manifestement une erreur. À l"appui de cette proposition, on peut invoquer l"arrêt B.C.C.I. c. Boisvert, [1986] 2 C.F. 431 (C.A.F.), dans lequel le juge Marceau a déclaré, à la page 439 :

             Il est banal de rappeler que l"introduction, en 1978, du recours de l"article 61.5 du Code a constitué une étape tout à fait majeure dans la transformation qu"a connue le droit du travail applicable aux entreprises fédérales depuis l"époque où il se présentait encore comme un droit d"inspiration purement libérale fondé sur le dogme de l"autonomie de la volonté. Sans doute le droit de l"employeur de mettre fin à l"engagement de son employé était déjà loin d"être sans condition (préavis, indemnité de départ) et la jurisprudence de droit commun n"hésitait plus à faire usage de la théorie de l"abus des droits pour sanctionner l"exercice intempestif par lui du droit de licencier. Mais une fois le recours de l"article 61.5 en place, il n"était certes plus possible de présenter comme auparavant le droit de résiliation comme étant de l"essence même du contrat de travail à durée indéterminée; il n"était plus question non plus de parler à ce sujet de liberté des conventions car les dispositions nouvelles étaient dites d"ordre public et, par conséquent, non affectées par les termes des contrats d"engagement.         

     Plus récemment, dans l"arrêt Alberta Wheat Pool c. Konevsky, [1990] J.C.F. no 877, le juge en chef Iacobucci de la Cour d"appel fédérale tel était alors son titre, a été encore plus direct en déclarant, à la page 2 :

         En outre, nous partageons l"opinion que l"alinéa 61.5(9)a ) du Code du travail du Canada... ne peut pas être interprété de façon à limiter l"indemnité d"un arbitre à la capacité d"accorder à un employé le montant qui pourrait être réclamé en application de la common law (voir Auto Haulaway Inc. c. Reid, no du greffe A-1044-88, l9 octobre 1989, par M. le juge Pratte).                 

     L"arbitre qui accorde des dommages-intérêts pour congédiement injuste peut en fixer le montant. Ces dommages-intérêts visent à indemniser l"employé des dommages que lui a effectivement causés son congédiement. Bien qu"il puisse exercer un certain pouvoir discrétionnaire en fixant le montant des dommages-intérêts, l"arbitre commet une erreur lorsqu"il en limite le montant au montant de l"indemnité de départ à laquelle l"employé aurait droit en vertu de l"article 235 de la common law, si son congédiement avait été justifié.

     Dans sa sentence supplémentaire, l"arbitre a examiné six décisions pour fixer le montant des dommages-intérêts qu"il devait accorder. Dans Hill v. Desolation Sound Tribal Council, et al. (18 juillet 1988), l"arbitre Greyell a accordé six mois à une conseillère qui comptait neuf années de service3. L"arbitre Greyell n"a pas fait allusion à l"article 242 en fixant le montant de la réparation accordée à Mme Hill. Il a écrit, à la page 23 :

         [Traduction]                 
             J"ai tenu compte de l"âge de la plaignante, des circonstances et des responsabilités rattachées à son poste, de la durée de ses fonctions, et j"ai conclu qu"en common law, cet employeur aurait dû donner à Mme Hill un préavis de six mois de la cessation de son emploi.                 

     Dans l"affaire Wuttunee v. Red Pheasant Band (5 février 1992), l"arbitre Agnew a cité l"alinéa 242(4)a ) et l"article 235, avant de décider que le plaignant avait droit à un "préavis" de deux mois après avoir travaillé pendant treize mois.

     Dans l"affaire Horne v. In-Shuck-Ch Services Society (27 juillet 1995), l"arbitre Dorsey n"a cité aucune source et n"a fourni aucun motif justifiant les dommages-intérêts accordés, mais a octroyé au plaignant treize semaines de salaire, en plus d"un préavis de deux semaines, pour une durée d"emploi d"environ quatre ans auprès de cet employeur.

     Dans l"affaire Potts v. Alexis Indian Band (15 mars 1995), l"arbitre Wakeling a fixé le montant des dommages-intérêts uniquement à partir des articles 230 et 235, malgré qu"il ait cité textuellement l"article 242. À la page 6, il a déclaré :

         [Traduction]                 
             Dans Knopp v. Westcan Bulk Transport Ltd., 13-14 (22 février 1994), j"ai statué qu"un employeur avait congédié injustement un employé s"il n"avait pas de motif valable de le congédier et s"il ne lui avait pas donné le préavis et l"indemnité fixés par les paragraphes 230(1) et 235(1) du Code canadien du travail ou la common law applicable, lorsque celle-ci prévoit un traitement plus favorable à l"employé.                 
             La Bande indienne Alexis n"a pas prétendu avoir de motif valable de congédier Mme Potts. La Bande ne s"est pas non plus conformée aux paragraphes 230(1) et 235(1) du Code canadien du travail et à la common law.                 

     * * *

         Le paragraphe 230(1) oblige la Bande à lui verser deux semaines de salaire au taux régulier pour le nombre d"heures de travail normal, et le paragraphe 235(1) l"oblige à lui verser cinq jours de salaire, au taux régulier et pour le nombre d"heures de travail normal. Cette somme s"élève à 1 123,16 $...                 

Il est clair que le premier paragraphe comporte une erreur de droit. Le fait de donner un préavis à un employé ne transforme pas un congédiement injuste en congédiement justifié.

     Dans l"affaire Ketselas Band Council v. Bennett (16 mars 1995), l"arbitre Catherine Bruce a accordé huit mois de salaire moins deux semaines d"indemnité de départ déjà versée au plaignant. L"arbitre Bruce a déclaré, à la page 8 :

         [Traduction]                 
         Concernant la réparation qui convient, le paragraphe 242(4) du Code canadien du travail confère à l"arbitre la compétence pour octroyer une indemnité pour perte de salaire, la réintégration, et toute autre réparation qu"il juge équitable... En conséquence, la décision de l"employeur de congédier le plaignant a entraîné une perte de salaire et une perte de congé d"études payé.                 

     Enfin, dans l"affaire Ennis v. Kingsclear Indian Band (29 novembre 1994), l"arbitre Brian Bruce, après avoir cité l"article 242 et l"affaire Slaight Communications , précitée, a accordé huit mois de salaire (c"est-à-dire, jusqu"à la fin de la durée du contrat de travail entre les parties) pour une période d"emploi de 26 mois.

     L"avocat de la requérante a laissé entendre que l"arbitre a accordé des dommages-intérêts punitifs en l"espèce, ce qui n"est manifestement pas permis. À l"appui de cette prétention, l"avocat invoque les propos tenus par l"arbitre à la page 27 de la sentence supplémentaire :

         [Traduction]                 
         Mme Young a été congédiée au moment même où elle serait retournée au travail à la suite de son congé de maternité. Elle avait reçu l"assurance formelle qu"elle pourrait réintégrer son poste et n"a jamais été avertie de son licenciement imminent. En outre, la Bande a essayé sans succès de la remplacer en prétendant créer un nouveau poste qu"elle a tenté d"attribuer à une autre personne.                 

Je ne puis être d"accord avec l"avocat pour dire que, sans autres éléments à l"appui, ces propos doivent être interprétés comme signifiant que les dommages-intérêts accordés étaient de nature punitive. Immédiatement avant ce passage, l"arbitre a examiné beaucoup d"autres décisions et précisé la situation factuelle en cause dans chacune. À mon avis, ce passage résume simplement les faits de la présente affaire. Les dommages-intérêts accordés ne sont pas déraisonnables et peuvent se justifier de façon objective. L"arbitre n"a pas indemnisé Mme Young pour la totalité de la période au cours de laquelle elle a été privée de son emploi entre la date du congédiement et la date de la sentence arbitrale, bien que le Code le permette. En conséquence, je ne suis pas en mesure d"affirmer que le montant des dommages-intérêts accordé a été calculé selon les principes applicables aux dommages-intérêts punitifs.

     En l"espèce, l"arbitre a ordonné à l"intimée de verser huit mois de salaire à titre d"indemnité. Bien que l"arbitre n"ait pas indiqué clairement comment il a calculé ce montant, je ne vois pas sur quel fondement je pourrais m"appuyer pour modifier sa sentence.

     b)      Dépenses personnelles

     En ce qui a trait aux "dépenses personnelles" accordées à Mme Young, la requérante affirme que ces montants n"ont pas été établis par l"intimée. L"arbitre a toutefois déclaré, à la page 28 :

         [Traduction]                 
         Ces dépenses totalisant 485,84 $ ont été établies en preuve. Elles couvrent les frais directement engagés dans la préparation de sa plainte et je ne vois pas pourquoi je refuserais de les lui accorder en vertu de l"alinéa 242(4)c ).                 

La preuve ne me donne aucun motif de douter que ces sommes et les raisons pour lesquelles elles ont été versées ont été établies. L"avocat de la requérante soutient que ces sommes n"ont pas été établies en preuve, mais n"a pas expliqué à notre Cour la raison pour laquelle l"arbitre a conclu qu"elles l"avaient été. On trouve une liste manuscrite des dépenses dans la preuve, mais aucune transcription de la procédure. Comme aucun élément du dossier ne révèle que cette décision a été prise de façon abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte de la preuve, je ne suis pas en mesure de la modifier.

     c)      Frais juridiques

     En ce qui a trait au montant accordé pour les frais juridiques, la décision comprend les paragraphes qui suivent, à la page 28 :

         [Traduction]                 
         Cette question a été examinée en profondeur dans de nombreuses décisions, principalement dans l"arrêt Banca Nazionale Del Lavoro of Canada Ltd. v. Lee-Shanok (1988), 22 C.C.E.L. 59 (C.A.F.), où la Cour d"appel fédérale a exprimé certaines réserves quant à l"octroi de dépens autres que les dépens entre parties. Cette question a également été examinée dans Côté v. Dicom Corporation, février 1987 (Sabouring), décision déposée par l"avocat de l"employeur.                 
         La plaignante est dans une situation financière difficile et il ne fait aucun doute qu"il est équitable en vertu de l"alinéa 242(4)c ) de [lui accorder] une indemnité raisonnable pour ses frais juridiques.                 
         La cause a duré deux jours et, bien que l"ensemble des frais qu"elle réclame puissent ne pas paraître déraisonnables en eux-mêmes, j"accorderais un montant forfaitaire de 2 500 $ pour les frais juridiques de la plaignante. Ce montant doit couvrir la préparation effectuée par son avocat et sa présence à l"audience.                 
         De plus, des dépenses s"élevant à 433,64 $ ont été facturées à la plaignante par son avocat et elle a le droit d"en être remboursée. Cela porte à 2 733,64 $ le montant des frais juridiques auxquels elle a droit.                 

Pour l"essentiel, cette sentence semble signifier que, compte tenu de la situation financière difficile de l"intimée, il serait équitable de lui adjuger des dépens pour remédier au préjudice que lui a causé son ancien employeur. L"arbitre a cité l"arrêt Banca , précité, à l"appui de cette décision. L"extrait pertinent de la décision du juge Stone se trouve à la page 77 :

         Je n"ai aucune difficulté de voir dans le large pouvoir de "faire toute autre chose qu"il juge équitable d"ordonner afin de contrebalancer les effets du congédiement ou d"y remédier" celui d"accorder des frais. Cependant, je vois difficilement comment une indemnité visant le recouvrement de frais juridiques pourrait avoir pour effet de rendre le plaignant entier. Les frais juridiques engagés réduiraient effectivement l"indemnité visant la perte de salaire, alors que leur recouvrement semblerait remédier à un effet du congédiement, ou tout au moins le contrebalancer. La prétention de la requérante ne me persuade pas que l"alinéa c ) ne permet pas d"accorder des frais parce que la seule indemnité pécuniaire que le parlement a envisagée est celle de l"alinéa a ).                 

L"arbitre a décidé de ne pas rembourser à l"intimée le montant total des frais figurant sur les factures que lui a soumises son avocat. Il est clair, selon l"arrêt Banca , que M. Brault pouvait adjuger les dépens. Manifestement, l"arbitre était convaincu qu"il était nécessaire de rembourser Mme Young des frais qu"elle a dû engager pour obtenir une décision favorable. Selon le dossier qui m"a été soumis, toutes ces dépenses ont été engagées dans le but d"obtenir réparation pour les actes injustes commis par l"employeur.

     d)      Intérêt

     En ce qui a trait à l"intérêt, l"arbitre a écrit, à la page 29 :

         [Traduction]                 
         Les montants dûs pour perte de salaire (15 320 $) porteront intérêt conformément à la jurisprudence examinée dans les affaires Côté v. Dicom Corporation et Banca Nazionale Del Lavoro of Canada Ltd. v. Lee-Shanok. Je fixe le taux d"intérêt annuel à 3 p. cent, ce qui me semble raisonnable dans les circonstances actuelles, le taux courant accordé par les banques se situant aux alentours de 4 p. cent. De plus, l"intérêt sur ce montant sera calculé à partir du 3 janvier 1994, date à laquelle la plaignante serait retournée au travail.                 
         En ce qui a trait aux autres montants dus (2 733,64 $ + 485,84 $ = 3 217,48 $), ils porteront également intérêt au même taux annuel de 3 p. cent, mais commençant à courir à la date de la dernière audience, soit le 14 juin 1995.                 

     D"après moi, cela signifie que le salaire dû porte intérêt à compter de la date à laquelle il devait être payé, en conformité avec les principes énoncés dans l"arrêt Banca , précité, à la page 75 :

         Par contre, j"estime que l"arbitre a outrepassé son pouvoir en accordant des intérêts sur le montant forfaitaire de l"indemnité, plutôt que sur la base d"une série de paiements que l"intimé aurait touchés s"il n"avait pas été congédié. À mon avis, si cette décision était confirmée, l"intimé recevrait quelque chose de plus que ce qui est "équitable", qui ferait plus que "contrebalancer" un effet de son congédiement injuste ou y "remédier". L"intimé s"enrichirait au-delà de ce que la loi permet. La décision devrait être annulée pour ce motif également.                 

     Il est juste que l"intérêt sur les dépenses et frais juridiques commencent à courir à la date du prononcé de la décision quant au fond.

     Me Paré, dans sa plaidoirie écrite, a demandé que les dépens de la procédure soient adjugés en faveur de l"intimée. La Règle 1618 ne prévoit l"adjudication des dépens que pour des "raisons spéciales". Comme les parties n"ont pas fait valoir de raisons spéciales, je n"adjugerai pas les dépens.

     Par ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                     "MARC NADON"

                         JUGE

Ottawa (Ontario)

28 avril 1997

Traduction certifiée conforme :     

                                 C. Delon, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :          T-1479-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Première Nation de Wolf Lake

                     c. Kimberlee Young

LIEU DE L"AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)

DATE DE L"AUDIENCE :          Le 26 février 1997

MOTIFS DE L"ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE NADON

DATE :                  Le 28 avril 1997

ONT COMPARU :

Patrick Nadjiwan                      POUR LA REQUÉRANTE

Aucune comparution                      POUR L"INTIMÉE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Nahwegahbow, Nadjiwan

Ottawa (Ontario)                      POUR LA REQUÉRANTE

Gagné, Trudel

Rouyn-Noranda (Québec)                  POUR L"INTIMÉE

__________________

1      En ce qui a trait à ma décision portant que l"arbitre était functus officio , voir l"explication donnée plus loin.

2      Au paragraphe 8 de ses observations écrites, l"avocat de la requérante a déclaré qu"elle avait déposé les éléments de preuve pour la période terminée en 1993. Toutefois, cette preuve ne figure pas dans le dossier qui m"a été soumis.

3      Monsieur Brault a calculé le montant des dommages-intérêts comme correspondant à quatre mois et demi pour dix années de service.

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