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                                                                                                                                 Date : 20040406

                                                                                                                    Dossier : IMM-4181-03

                                                                                                                  Référence : 2004 CF 511

ENTRE :

                                                             MANZI WILLIAMS

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD :

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 29 avril 2003, par laquelle la Commission a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention ou une « personne à protéger » au sens des articles 96 et 97, respectivement, de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).


[2]         Williams Manzi (le demandeur) est un citoyen du Rwanda. Il dit craindre d'être persécuté par les autorités rwandaises du fait de ses opinions politiques qui lui sont imputées et de son appartenance à un groupe social particulier. Il prétend également être une personne à protéger parce que, il risque d'être soumis à la torture, il craint pour sa vie, il risque d'être soumis à des traitements ou peines cruels et inusités au Rwanda.

[3]         En l'espèce, la Commission a conclu que le demandeur craignait avec raison d'être persécuté au Rwanda. Toutefois, la Commission a conclu que le demandeur avait la possibilité d'aller se réfugier en Ouganda. Pour arriver à cette conclusion, la Commission a invoqué, notamment, le fait que la mère du demandeur était née en Ouganda et que, par conséquent, selon la Commission, le demandeur pouvait facilement obtenir la citoyenneté ougandaise.

[4]        En effet, il n'est pas contesté que, au moment de l'audience devant la Commission, le demandeur n'était plus un ressortissant ougandais et que la seule nationalité qu'il possédait à ce moment-là était la nationalité rwandaise. Il n'est également pas contesté que, pour que le demandeur recouvre sa citoyenneté ougandaise, il devrait, comme condition préalable, renoncer à sa citoyenneté rwandaise (voir les paragraphes 15(1) et (4) de la Constitution de l'Ouganda à la page 599 du dossier du tribunal).

[5]         Je crois que, pour les motifs suivants, la Commission a commis une erreur de droit lorsqu'elle a exigé que le demandeur se réclame de la protection d'un pays (Ouganda) qui, à l'époque pertinente, n'était pas le pays de sa nationalité :

1.         L'article 96 de la Loi définit de la manière suivante ce qu'est un réfugié au sens de la Convention :


96. A qualité de réfugié au sens de la Convention - le réfugié - la personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :


96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,


a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;


(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail himself of the protection of each of those countries; or



b) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.


(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.


            Comme on peut le constater à la simple lecture du texte, la disposition renvoie aux « pays dont [la personne] a la nationalité » , et à aucun autre pays, notamment les pays de nationalité potentielle. Si le législateur avait eu l'intention de renvoyer à d'autres pays, il aurait été très simple de le dire.

2.         Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, page 752, la Cour suprême du Canada renvoie également aux « pays dont [le demandeur] a la citoyenneté » lorsqu'elle a expliqué le fondement de la protection internationale des réfugiés :

Comme je l'ai déjà dit, la protection internationale des réfugiés est destinée à servir de mesure « auxiliaire » qui n'entre en jeu qu'en l'absence d'appui national. Lorsqu'il est possible de l'obtenir, la protection de l'État d'origine est la seule solution qui s'offre à un demandeur. Le fait que cette disposition de la Convention n'a pas expressément été incorporée dans la Loi ne l'empêche pas d'être pertinente. L'évaluation du statut de réfugié au sens de la Convention la plus compatible avec cette idée exige l'examen de la possibilité pour le demandeur d'obtenir une protection dans tous les pays dont il a la citoyenneté.

Et à la page 754 :

Comme je l'ai déjà expliqué, le bien-fondé de la crainte que le demandeur a d'être persécuté peut reposer sur la notion d' « incapacité d'assurer la protection » , évaluée à l'égard de chacun des pays dont il a la nationalité. Étant donné que la Commission a omis de tirer une conclusion sur ce point, en ce qui concerne la Grande-Bretagne, sa conclusion finale quant à la crainte de persécution était également erronée. [. . .]

(Non souligné dans l'original.)


[6]         Par conséquent, comme le demandeur n'avait pas la nationalité ougandaise lorsqu'il a comparu devant la Commission et comme il devait, comme condition préalable, renoncer à sa citoyenneté rwandaise afin de recouvrer sa citoyenneté ougandaise, la Commission a commis une erreur lorsqu'elle lui a refusé le statut de réfugié pour le motif qu'il avait la possibilité d'aller se réfugier en Ouganda. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour qu'elle l'examine et statue sur celle-ci conformément aux présents motifs.

[7]         La question suivante est certifiée :

L'expression « pays dont [la personne] a la nationalité » figurant à l'article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés comprend-elle un pays dont le demandeur peut obtenir la citoyenneté si, afin de l'obtenir, il doit d'abord renoncer à la citoyenneté d'un autre pays, ce qu'il n'est pas disposé à faire?

                                                                                                                                   _ Yvon Pinard _             

                                                                                                                                                     Juge                       

OTTAWA (ONTARIO)

Le 6 avril 2004

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-4181-03

INTITULÉ :                                                    MANZI WILLIAMS

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 18 FÉVRIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE PINARD

DATE DES MOTIFS :                                   LE 6 AVRIL 2004

COMPARUTIONS :

William Sloan                                        POUR LE DEMANDEUR

Caroline Cloutier                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William Sloan                                        POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

                                                                                                                                                           

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