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     Date : 19971117

     Dossier : IMM-1215-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 17 NOVEMBRE 1997

EN PRÉSENCE DU JUGE LUTFY

ENTRE :

     JINGQUAN JIANG,

     requérant,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     ORDONNANCE

     VU la demande de contrôle judiciaire entendue le jeudi 30 octobre 1997 à Toronto (Ontario),

     LA COUR STATUE COMME SUIT :

     1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

     2.      La décision de l'agente des visas en date du 18 février 1997 qui a été communiquée au requérant le 26 février 1997 est infirmée et l'affaire est renvoyée pour nouvel examen par un autre agent des visas conformément aux présents motifs.

                             Allan Lutfy

                                     Juge

Traduction certifiée conforme             

                                 François Blais, LL.L.

     Date : 19971117

     Dossier : IMM-1215-97

ENTRE :

     JINGQUAN JIANG,

     requérant,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LUTFY

[I.]      Le requérant conteste la décision par laquelle l'agente des visas a rejeté sa demande de résidence permanente pour deux motifs : a) elle a commis une erreur de droit en ce qui a trait au nombre de points qu'elle lui a attribués pour la connaissance qu'il avait de la langue anglaise comme première langue officielle; b) elle a agi de façon à soulever une crainte raisonnable de partialité lorsqu'elle a rendu sa décision.

[2]      Selon la lettre de convocation qui avait été envoyée au requérant, l'épouse de celui-ci devait également assister à l'entrevue. Le requérant mentionne qu'au cours de la rencontre, son épouse lui a répété plusieurs fois en chinois de rester calme. Dans son affidavit, le requérant déclare que l'agente des visas [TRADUCTION] "s'est adressée de façon brusque à mon épouse en lui disant : "shut up! I am checking his English" ("Taisez-vous!, je veux vérifier sa connaissance de l'anglais"). Pour décrire le comportement de l'agente des visas, le requérant utilise des termes subjectifs comme "de manière sarcastique", "de façon brusque", "attitude hostile" et mentionne même que l'agente [TRADUCTION] "s'est mise en colère".

[3]      Pour sa part, l'agente des visas a présenté sa version de l'incident dans les paragraphes qui suivent de son affidavit :

     [TRADUCTION] Après chaque question que je posais au requérant, son épouse lui parlait tout bas en chinois et il répondait ensuite à la question de façon laborieuse.         
     J'ai demandé à l'épouse du requérant de cesser de donner des conseils à son mari afin que je puisse évaluer la connaissance qu'il avait de l'anglais.         
     Malgré ma demande, l'épouse du requérant a continué à donner des conseils à son mari et j'ai donc décidé que je ne pouvais poursuivre l'entrevue pendant qu'elle était présente dans la pièce. Je lui ai demandé de rester à l'extérieur du bureau pendant que je poursuivais l'entrevue avec le requérant.         
     J'ai fait sortir l'épouse du requérant du bureau et j'ai poursuivi l'entrevue avec le requérant seulement.         

Dans son affidavit, l'agente des visas ne nie nullement avoir utilisé les mots que le requérant lui a attribués. Elle ne nie pas spécifiquement non plus l'attitude qu'elle a adoptée au cours de l'entrevue, d'après la description que le requérant en a donnée. De plus, elle ne confirme pas qu'elle comprenait la langue que l'épouse du requérant parlait et n'explique pas comment elle est arrivée à la conclusion que le requérant recevait des conseils sur la façon de répondre.

[4]      Dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty c. National Energy Board, [1978] 1 R.C.S. 369, p. 394, le juge de Grandpré a énoncé dans ses motifs dissidents le critère à appliquer pour déterminer l'existence d'une crainte raisonnable de partialité :

     ... la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet... [L]e critère consiste à se demander "à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique..."         

Il n'est pas étonnant que ces remarques aient été appliquées en matière d'immigration. Dans l'arrêt Mohammad c. Canada, [1989] 2 C.F. 363 (C.A.F.), le juge Heald a souligné (p. 380) que le critère en est un d'une "... personne bien renseignée qui examinerait la question en profondeur de façon réaliste et pratique..." lorsqu'il a tenté de déterminer si la conduite d'un arbitre en matière d'immigration soulevait une crainte raisonnable de partialité, compte tenu des déclarations que certains ministres avaient formulées à la Chambre des communes. Par ailleurs, dans l'arrêt Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities) , [1992] 1 R.C.S. 623, le juge Cory a conclu que les propos d'un membre de la commission des services publics, qui a dit en termes colorés que les salaires et prestations de retraite des employés des entreprises de services publics étaient élevés, soulevaient une crainte raisonnable de partialité.

[5]      Les principes de justice naturelle et d'équité procédurale s'appliquent à la rencontre que l'agente des visas a tenue avec le requérant. Au cours de ce genre d'entrevue, l'agent(e) des visas est appelé(e) à déterminer si la partie requérante sera en mesure de s'établir avec succès au Canada et il s'agit d'une responsabilité importante. Il(Elle) doit se comporter avec la dignité voulue pour favoriser un échange ouvert et équitable, même dans des circonstances qui doivent parfois être difficiles et éprouvantes. Il convient également de souligner que, pour de nombreux requérants, notamment ceux dont les cultures sont sensiblement différentes de celles de la personne qui représente le Canada, ces entrevues sont stressantes. Dans l'ensemble, lorsqu'une personne interrogée ne se comporte pas bien, l'agent(e) des visas doit demeurer calme pour faire en sorte que la rencontre se déroule bien. L'agent(e) des visas préside l'entrevue. À titre de personne appelée à rendre une décision, l'agent(e) des visas est tenu(e) de fournir, dans la mesure du possible, un environnement calme au cours de l'entrevue pendant laquelle la partie requérante tente de prouver qu'elle respecte les critères de sélection.

[6]      Dans l'arrêt Pillay c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 70 F.T.R. 12 (C.F. 1re inst.), un agent d'immigration a été accusé d'avoir dit au requérant, au cours d'une entrevue visant à déterminer si celui-ci avait fait un mariage de convenance : [TRADUCTION] "Ne me faites pas perdre mon temps, autrement j'appellerai la GRC et des accusations seront portées contre vous". Le juge Denault en est arrivé à la conclusion suivante (p. 18) :

     [TRADUCTION] ... il appert de la preuve qu'une personne bien renseignée, qui étudierait la question en profondeur de façon réaliste et pratique, penserait qu'il est plus probable que non que l'agent d'immigration rendra une décision équitable. ... [L]orsque l'entrevue a eu lieu, certaines données indiquaient que le requérant avait fait un mariage de convenance, mais il a eu la possibilité de répondre aux allégations. Je ne vois aucun élément soulevant une crainte raisonnable de partialité.         

Dans l'arrêt Khakoo c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 103 F.T.R. 284 (C.F. 1re inst.), le juge Gibson a examiné la preuve indiquant que l'agente des visas avait adopté une attitude froide au cours de l'entrevue et avait mentionné que le requérant avait vécu [TRADUCTION] "avec l'argent de notre gouvernement". Concluant que cette attitude ne soulevait pas une crainte raisonnable de partialité, le juge Gibson s'est exprimé comme suit aux pages 290 et 291 :

     L'avocat de l'intimé admet que l'agent des visas s'est montrée insistante lorsqu'elle a interrogé les requérants et qu'elle a pu devenir agacée devant les réponses qu'elle recevait, mais il n'a pas reconnu l'usage de la terminologie reflétée dans les notes précitées. Je ne vois aucun motif me permettant de conclure que les requérants éprouvaient une crainte raisonnable de partialité en raison du ton et du contenu de leur entrevue, le 5 janvier 1995. Si l'agent des visas a réellement employé le vocabulaire qu'on lui reproche, c'est malheureux. Cependant, même si l'on présume que ce fut le cas, je ne suis pas convaincu que cela justifierait une crainte raisonnable de partialité.         

[7]      La preuve présentée en l'espèce indique qu'une conclusion différente doit être tirée. Même si je présume que le comportement du requérant et de son épouse justifiait l'intervention de l'agente des visas et même l'expulsion de l'épouse de la salle de conférence, l'emploi de termes dénotant un manque de contrôle lors de ces mesures ne peut être toléré. Dans une demande de contrôle judiciaire, la Cour ne peut se fonder que sur les affidavits des parties pour déterminer comment certains événements sont survenus. En l'absence d'affidavit dans lequel l'agente des visas aurait nié les propos qui lui sont attribués, je dois présumer qu'elle a effectivement prononcé les mots "shut up". À mon avis, ces mots dépassent la limite de ce qui peut être considéré comme des propos acceptables pour exprimer la désapprobation, surtout lorsqu'ils sont prononcés par une personne en autorité. Une personne bien renseignée qui étudierait la question de façon réaliste et pratique pourrait, dans ces circonstances, craindre avec raison que l'agente ne se soit comportée de façon partiale. Cependant, d'un point de vue plus pratique, l'emploi de termes de cette nature a sans doute nui à l'ambiance qui devait régner lors d'une entrevue au cours de laquelle le requérant était tenu de prouver à l'agente des visas qu'il respectait les critères prescrits pour entrer au Canada. Selon les règles de justice naturelle et d'équité procédurale, le requérant doit avoir une autre occasion de respecter les critères de sélection et, plus précisément, de prouver sa connaissance de l'anglais comme première langue officielle.

[8]      Par ces motifs, la décision visée par la demande de contrôle judiciaire est infirmée et l'affaire est renvoyée pour réexamen par un autre agent des visas. Aucune partie n'a demandé la certification d'une question.

                             Allan Lutfy

                                     Juge

Ottawa (Ontario)

Le 17 novembre 1997

Traduction certifiée conforme             

                                 François Blais, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                  IMM-1215-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :          JINGQUAN JIANG c. MCI
LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE :          30 OCTOBRE 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE LUTFY

EN DATE DU :                  17 NOVEMBRE 1997

ONT COMPARU :

Me NKUNDA I. KABATERAINE          POUR LE REQUÉRANT
Me BRIAN A. FRIMETH              POUR L'INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Me NKUNDA I. KABATERAINE          POUR LE REQUÉRANT

TORONTO (ONTARIO)

Me GEORGE THOMSON              POUR L'INTIMÉ

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

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