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Date : 20021108

Dossiers : T-28-02

T-31-02

Référence neutre : 2002 CFPI 1158

OTTAWA (ONTARIO), LE 8 NOVEMBRE 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU

ENTRE :

                                            PACIFIC NETWORK SERVICES LTD.

                                                                             et

                                            LEADER DIRECT MARKETING LTD.

                                                                                                                                  demanderesses

- et -

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE MARTINEAU


[1]                Le 11 décembre 2001, un fonctionnaire de l'Agence des douanes et du revenu du Canada, dûment autorisé en vertu du paragraphe 220(2.01) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1 (la Loi), à exercer les pouvoirs et fonctions du ministre du Revenu national (le ministre) prévus à l'article 231.2 de la Loi, a, par demande péremptoire, exigé de Pacific Network Services Ltd., une des demanderesses, qu'elle fournisse des renseignements et des documents de la société ayant trait à la nature de l'entreprise, ainsi que les noms et adresses de ses dirigeants et actionnaires et le pourcentage d'actions détenues par chacun des actionnaires.

[2]                Le 17 décembre 2001, Leader Direct Marketing Ltd., l'autre demanderesse, a reçu une demande semblable.

[3]                Dans les deux cas, les demandes péremptoires ont été faites aux fins de l'application de l'article 26 de la Convention entre le Canada et la France tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune (la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu) qui prévoit :

                                                                Article 26

                                                   Échange de renseignements

1.    Les autorités compétentes des États contractants échangent les renseignements nécessaires pour appliquer les dispositions de la présente Convention ou celles de la législation interne des États contractants relative aux impôts visés par la Convention dans la mesure où l'imposition qu'elle prévoit n'est pas contraire à la Convention. L'échange de renseignements n'est pas restreint par l'article 1. Les renseignements reçus par un État contractant sont tenus secrets de la même manière que les renseignements obtenus en application de la législation interne de cet État et ne sont communiqués qu'aux personnes ou autorités (y compris les tribunaux et organes administratifs) concernées par l'établissement ou le recouvrement des impôts visés par la Convention, par les procédures concernant ces impôts, ou par les décisions sur les recours relatifs à ces impôts. Ces personnes ou autorités n'utilisent ces renseignements qu'à ces fins. Elles peuvent faire état de ces renseignement au cours d'audiences publiques de tribunaux ou dans des jugements.

2. Les dispositions du paragraphe 1 ne peuvent en aucun cas être interprétées comme imposant à un État contractant l'obligation :

a) de prendre des mesures administratives dérogeant à sa législation et à sa pratique administrative ou à celles de l'autre État contractant;

b) de fournir des renseignements qui ne pourraient être obtenus sur la base de sa législation ou dans le cadre de sa pratique administrative normale ou de celles de l'autre État contractant;


c) de fournir des renseignements qui révéleraient un secret commercial, industriel, professionnel ou un procédé commercial ou des renseignements dont la communication serait contraire à l'ordre public.

[4]                Le texte actuel de l'article 26 de la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu, reproduit ci-dessus, est tiré de l'article 19 de l'Avenant à la Convention fiscale entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de la République Française signée le 2 mai 1975 et modifié par l'Avenant du 16 janvier 1987 (le deuxième avenant). Le deuxième avenant a été signé le 29 novembre 1995 et mis en vigueur par le décret C.P. 1999-138 en date du 4 février 1999 (SI/99-19, Gazette du Canada 1999. II. 712), lequel ordonnait la publication d'une proclamation donnant avis de l'entrée en vigueur du deuxième avenant le 1er septembre 1998. Plus particulièrement, le décret a été pris en application de l'article 10 de la Loi de mise en oeuvre des conventions conclues entre le Canada et la France, entre le Canada et la Belgique et entre le Canada et Israël, tendant à éviter les doubles impositions en matière d'impôt sur le revenu, S.C. 1974-75-76, ch. 104 (la Loi sur les conventions en matière d'impôt sur le revenu (1976)), qui prévoit qu'un accord complémentaire a force de loi au Canada à l'entrée en vigueur du décret.

[5]                Les demanderesses ont présenté une demande pour obtenir :

[traduction]

(i)             Un jugement déclaratoire selon lequel les demandes péremptoires sont invalides et illégales;

(ii)            Subsidiairement, un certiorari, en application de l'alinéa 18(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, pour l'annulation de la demande péremptoire visant la fourniture des renseignements et la production des documents ou pour l'annulation de cette demande et le renvoi de l'affaire afin qu'une nouvelle demande péremptoire soit faite conformément aux instructions que la Cour estimera utiles de donner;

(iii)           Les dépens;

(iv)           Toute autre réparation que la Cour estimera juste.


[6]                Les demanderesses prétendent que le ministre, ou son représentant autorisé, n'avait pas la qualité, en vertu de l'article 26 de la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu ou de l'article 231.2 de la Loi, pour faire ces demandes péremptoires et, subsidiairement, que la partie des demandes qui exige des demanderesses qu'elles divulguent des renseignements sur leurs actionnaires et leurs dirigeants est invalide puisque le ministre n'a pas obtenu l'autorisation d'un juge conformément au paragraphe 231.2(3) de la Loi.

[7]                Je suis d'avis que les demandes péremptoires sont valides.

FIN NON LIÉE À L'APPLICATION OU À L'EXÉCUTION DE LA LOI DE L'IMPÔT SUR LE REVENU

[8]                Pour commencer, je vais statuer sur le moyen des demanderesses selon lequel les demandes péremptoires sont invalides puisqu'elles ne sont pas liées aux objectifs mentionnés au paragraphe 231.2(1) de la Loi, qui est rédigé comme suit :



231.2(1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et, pour l'application et l'exécution de la présente loi, y compris la perception d'un montant payable par une personne en vertu de la présente loi, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d'une personne, dans le délai raisonnable que précise l'avis:

a) qu'elle fournisse tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenu ou une déclaration supplémentaire;

b) qu'elle produise des documents.

[Non souligné dans l'original.]

231.2 (1) Notwithstanding any other provision of this Act, the Minister may, subject to subsection (2), for any purpose related to the administration or enforcement of this Act, including the collection of any amount payable under this Act by any person, by notice served personally or by registered or certified mail, require that any person provide, within such reasonable time as is stipulated in the notice,

(a) any information or additional information, including a return of income or a supplementary return; or

(b) any document.


[my emphasis]

[9]                Comme on peut le voir, cette disposition autorise le ministre à signifier une demande péremptoire pour toute fin liée à l'application ou à l'exécution de la Loi.

[10]            Les parties sont d'accord que les demandes péremptoires visaient d'autres fins. Plus particulièrement, dans le cas présent, elles ont été faites aux fins de l'application de l'article 26 de la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu.

[11]            En l'espèce, la véritable question n'est pas si les fins énoncées à l'article 26 de la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu sont couvertes par le paragraphe 231.2(1) de la Loi. Il s'agit plutôt de savoir si, pour répondre à une demande de renseignements faite pour l'une des fins mentionnées au paragraphe 1 de l'article 26 de la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu, le ministre est en droit, en vertu de cet article, de prendre des mesures administratives telles que celles prévues au paragraphe 231.2(1) de la Loi lorsqu'il ne détient pas déjà les renseignements demandés.


[12]            À cet égard, s'il y a une « incompatibilité » entre l'article 26 de la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu et la restriction du paragraphe 231.2(1) de la Loi « pour l'application et l'exécution de la Loi [de l'impôt sur le revenu], les « fins » mentionnées au paragraphe 1 de l'article 26 de la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu doivent « s'applique[r] dans la limite des cas d'incompatibilité » , comme le prévoient le paragraphe 2(2) de la Loi sur la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu (1976) et le paragraphe 10(2) de la Loi sur les conventions en matière d'impôt sur le revenu (1976).

POUVOIR DE FAIRE UNE DEMANDE PÉREMPTOIRE EN VERTU DE LA CONVENTION CANADA-FRANCE EN MATIÈRE D'IMPÔT SUR LE REVENU

[13]            Cela nous amène au désaccord principal entre les parties, soit l'interprétation appropriée de l'article 26 de la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu. Comme c'est l'article 26 actuellement en vigueur, reproduit au paragraphe 3, qui a force de loi au Canada, les parties conviennent que la Cour n'a pas besoin d'appliquer ou d'interpréter l'ancien article XXVI de la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu qui se trouve à l'annexe I de laLoi sur les conventions en matière d'impôt sur le revenu (1976).

[14]            M. le juge Iacobucci, qui a rédigé l'arrêt unanime de la Cour suprême du Canada Crown Forest Industries Ltd. c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 802 (l'arrêt Crown Forest), a énoncé à la page 814 la méthode à suivre pour l'interprétation des conventions fiscales :

L'interprétation d'un traité vise d'abord et avant tout à trouver le sens des termes en question. Il convient donc de considérer le langage utilisé ainsi que l'intention des parties. [...].

[15]            La Cour suprême du Canada a aussi cité et approuvé l'énoncé suivant, tiré de la décision Gladden Estate (J.N.) c. La Reine, [1985] 1 C.T.C. 163 (C.F. 1re inst.), aux pages 166 et 167 :


Contrairement à une loi fiscale ordinaire[,] un traité ou une convention en matière d'impôt doit être interprété de façon libérale, de manière à appliquer les véritables intentions des parties. Il faut éviter une interprétation littérale ou légaliste lorsque l'objet fondamental du traité pourrait être rejeté ou contrecarré dans la mesure où le point particulier à l'étude est visé. [Je souligne.]

(arrêt Crown Forest, précité, au para. 43)

[16]            Dans leurs observations, les demanderesses ont fait valoir que, selon le sens clair de l'article 26 de la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu, le ministre n'a pas le pouvoir de faire des demandes péremptoires en vertu de l'article 231.2 de la Loi. Selon les demanderesses, les termes clairs de l'article 26 de la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu obligeraient simplement les États contractants à « échanger » les renseignements qu'ils détiennent déjà. Je reviendrai sur cette prétention après que j'aurai exposé la position des demanderesses au sujet de l'intention des parties contractantes.

[17]            À cet égard, l'avocat des demanderesses a soutenu avec vigueur que, si telle avait été leur intention, les parties à la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu auraient expressément prévu à l'article 26 l'utilisation de mesures administratives, comme la demande péremptoire prévue à l'article 231.2 de la Loi, pour obliger un contribuable à fournir des renseignements ou à produire des documents.

[18]            L'avocat des demanderesses a invoqué, à titre de comparaison, l'article XXVII de la Convention Canada-États-Unis en matière d'impôts (1980)), modifié, qui est rédigé comme suit :

                                                            Article XXVII

                                                  Échange de Renseignements


1. Les autorités compétentes des États contractants échangent les renseignements pertinents à l'application des dispositions de la présente Convention ou à celles de la législation interne des États contractants relatives aux impôts auxquels s'applique la Convention dans la mesure où l'imposition qu'elles prévoient n'est pas contraire à la Convention. L'échange des renseignements n'est pas restreint par l'article I (Personnes visées). Les renseignements reçus par un État contractant sont tenus secrets de la même manière que les renseignements obtenus en application de la législation fiscale de cet État et ne sont communiqués qu'aux personnes ou autorités (y compris les tribunaux et organes administratifs) concernées par l'établissement ou le recouvrement des impôts auxquels la Convention s'applique, par l'administration et la mise à exécution de ces impôts ou par les décisions sur les recours relatifs à ces impôts ou, nonobstant le paragraphe 4, ayant trait aux impôts perçus par une subdivision politique ou une collectivité locale d'un État contractant qui sont de nature analogue aux impôts visés par la Convention en vertu de l'article II (Impôts visés). Ces personnes ou autorités n'utilisent ces renseignements qu'à ces fins. Elles peuvent faire état de ces renseignements au cours d'audiences publiques de tribunaux ou dans des jugements. Les autorités compétentes peuvent communiquer à une commission d'arbitrage établie conformément au paragraphe 6 de l'article XXVI (Procédure amiable) les renseignements nécessaires au déroulement de la procédure d'arbitrage; les membres de la commission d'arbitrage respectent les restrictions décrites dans le présent article en matière de communication de ces renseignements.

2. Si des renseignements sont demandés par un État contractant conformément au présent article, l'autre État contractant s'efforce d'obtenir les renseignements auxquels la demande se réfère, dans les mêmes conditions que s'il s'agissait d'appliquer ses propres règles d'imposition, nonobstant le fait que ces renseignements ne sont pas, à cette date, nécessaires à l'autre État. Lorsqu'une demande spécifique est faite par l'autorité compétente d'un État contractant, l'autorité compétente de l'autre État contractant s'efforce de fournir les renseignements en vertu du présent article dans la forme requise, telle que dépositions de témoins et copies de documents originaux non-annotés (y compris les livres, papiers, relevés, archives, comptes ou écritures), dans la même mesure que ces dépositions et documents peuvent être obtenus à l'égard des propres impôts de cet autre État en vertu de sa législation et de sa pratique administrative.

3. Les dispositions des paragraphes 1 et 2 ne peuvent en aucun cas être interprétées comme imposant à un État contractant l'obligation :

a) De prendre des mesures administratives dérogeant à sa législation et à sa pratique administrative ou à celles de l'autre État contractant;

b) De fournir des renseignements qui ne pourraient être obtenus sur la base de sa législation ou dans le cadre de sa pratique administrative normale ou de celles de l'autre État contractant; ou

c) De fournir des renseignements qui révéleraient un secret commercial, industriel, professionnel ou un procédé commercial ou des renseignements dont la communication serait contraire à l'ordre public.

4. Au sens du présent article, la Convention s'applique, nonobstant les dispositions de l'article II (Impôts visés) :

a) À tous les impôts perçus par un État contractant; et

b) Aux autres impôts auxquels s'applique une disposition quelconque de la Convention mais uniquement dans la mesure où les renseignements sont pertinents à l'application de cette disposition.

[Non souligné dans l'original.]

[19]            L'avocat des demanderesses fait remarquer que l'article 26 de la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu ne contient pas de disposition équivalente à celle du paragraphe 2 de l'article XXVII de laConvention Canada-États-Unis en matière d'impôts (1980).

[20]            La Cour a examiné l'article XXVII de la Convention Canada-États-Unis en matière d'impôts (1980) dans la décision Montreal Aluminium Processing Inc. et al. c. Ministre du Revenu national et al., (1992), 46 F.T.R. 177 (la décision Montreal Aluminium Processing Inc.). Elle a conclu que l'article 231.2 de la Loi, lu à la lumière de l'article XXVII de la Convention Canada-États-Unis en matière d'impôts (1980) et de l'article 3 de la Loi de 1984 sur la Convention Canada-États-Unis en matière d'impôts, S.C. 1984, ch. 20 (qui s'apparente beaucoup à l'article 2 de la Loi sur la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu (1976)), confère au ministre le pouvoir de faire une demande péremptoire pour obtenir des renseignements réclamés par le fisc américain.

[21]            Le juge Joyal, qui siégeait alors à la Cour, a rendu la décision dans cette affaire. Il a fourni les motifs suivants, aux pages 181 et 182 :

Le paragraphe 231.2(1) autorise le ministre à signifier un avis à une personne exigeant qu'elle fournisse des renseignements ou qu'elle produise des documents « pour l'application et l'exécution de la présente loi » . Si notre analyse s'arrêtait à cet élément, les demandeurs pourraient de toute évidence contester à juste titre la validité de l'avis envoyé à Philip Klein le 4 mars 1991. À première vue, l'avis concernait l'application du Internal Revenue Code américain et non de la Loi de l'impôt sur le revenu.


Toutefois, si nous examinons ensuite l'article XXVII de la Convention, le paragraphe 2 dit clairement que si un État contractant (en l'occurrence les É.-U.) demande des renseignements, l'autre État contractant (c.-à-d. le Canada) « s'efforce d'obtenir les renseignements auxquels la demande se réfère, dans les mêmes conditions que s'il s'agissait d'appliquer ses propres règles d'imposition [...] » . Autrement dit, si le Secrétaire au Trésor américain demande des renseignements aux autorités canadiennes, le ministre du Revenu national doit obtenir les renseignements exactement de la même manière que s'il s'agissait de percevoir des impôts en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu. À mon avis, l'article XXVII prévoit nettement que le ministre exercera le pouvoir que lui attribue l'article 231.2 de la Loi de l'impôt sur le revenu d'envoyer un avis en pareil cas.

Toutefois, comme l'a souligné avec raison l'avocat du demandeur, un traité dont le Canada est signataire n'est pas incorporé automatiquement dans le droit interne. Les obligations découlant de traités qui modifient le droit interne doivent être sanctionnées législativement : A.G. Canada v. A.G. Ontario (Labour Conventions), [1937] A.C. 326, aux p. 347 et 348.

En l'espèce, une loi a été promulguée. L'article 3 de la Loi sur la Convention en matière d'impôts dit clairement que la Convention a force de loi au Canada. Par surcroît, il dit aussi que la Convention l'emporte sur toute autre loi interne incompatible. Il s'ensuit, à mon sens, que le ministre a de fait le pouvoir d'envoyer un avis en application de l'art. 231.2 relativement à des renseignements et à des documents demandés par le fisc américain, dans les mêmes conditions que s'il s'agissait de renseignements et de documents demandés en vertu des règles fiscales canadiennes.

Essentiellement, la Convention dispose que le ministre peut obtenir des renseignements qu'il peut par ailleurs demander pour l'application et la mise à exécution des règles fiscales canadiennes et, en outre, les transmettre aux autorités américaines pour l'application et la mise à exécution de la législation fiscale américaine. L'article XXVII de la Convention élargit les fins auxquelles peuvent être utilisés les renseignements et les documents obtenus en vertu de l'art. 231.2 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Puisque l'article XXVII a force de loi au Canada en application de la Loi sur la Convention en matière d'impôts, le ministre a l'autorité expresse d'envoyer un avis en vertu de l'art. 231.2 pour l'application et la mise à exécution de la législation fiscale américaine.


[22]            La Cour d'appel fédérale a accueilli l'appel (92 D.T.C. 6567) interjeté par la contribuable et a infirmé la décision rendue par le juge Joyal, mais pour le seul motif que la demande péremptoire était fausse ou trompeuse quant à la fin qui y était énoncée. Le juge Hugessen, qui a rédigé les motifs de la Cour d'appel, a ajouté qu'il ne « consid[érait] pas qu'il soit nécessaire ou [...] souhaitable [...] [de] commente[r] le point de vue du juge des requêtes sur le droit » . Dans la présente affaire, les demanderesses ont reçu des demandes péremptoires fondées sur le paragraphe 231.2(1) de la Loi, mais qui indiquaient, dans les deux cas, qu'elles étaient faites [traduction] « [aux] fins de l'application de l'article 26 de la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu [...] » . Les demanderesses n'ont donc pas été induites en erreur quant à l'objectif des demandes péremptoires, et le problème décelé par la Cour fédérale dans la décision Montreal Aluminium Processing Inc., précitée, ne se présente pas en l'espèce.

[23]            L'avocat des demanderesses soutient également que c'est la présence des termes explicites du paragraphe 2 de l'article XXVII de la Convention Canada-États-Unis en matière d'impôts (1980) qui a mené le juge Joyal à conclure, dans la décision Montreal Aluminium Processing Inc., précitée, que la Convention Canada-États-Unis en matière d'impôts (1980) permettait au ministre d'obliger un contribuable canadien à fournir des renseignements à des fins autres que l'application de la législation interne du Canada en matière d'impôt.

[24]            Les prétentions des demanderesses doivent être rejetées pour les motifs suivants.


[25]            Premièrement, je suis d'avis qu'on peut inférer des termes sans équivoque utilisés à l'article 26 de la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu que, lorsqu'il reçoit une demande de renseignements de l'autre État, l'État requis a non seulement l'obligation d'échanger les renseignements qu'il détient déjà, mais aussi le devoir d'obtenir des renseignements en prenant les mesures administratives qui s'imposent comme, par exemple, les demandes péremptoires prévues au paragraphe 231.2(1) de la Loi. À cet égard, les seuls motifs susceptibles de justifier un refus d'accéder à la demande de l'autre État sont énumérés au paragraphe 2 de l'article 26 de la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu. Cette interprétation large est conforme aux objectifs de la disposition portant sur l' « Échange de renseignements » , au champ d'application général de la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu et à l'interprétation de la disposition qui a servi de modèle à l'article 26 de la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu. Je dois préciser à ce stade-ci que les demanderesses n'ont présenté ni dans leurs plaidoiries ni dans leurs observations écrites des arguments convaincants à l'appui de leur position selon laquelle le représentant du ministre aurait dû refuser la demande pour l'un des motifs mentionnés au paragraphe 2 de l'article 26 de laConvention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu.


[26]            Deuxièmement, en ce qui concerne l'habile argumentation de l'avocat des demanderesses, je n'estime pas que l'absence d'une disposition équivalente à celle du paragraphe 2 de l'article XXVII de la Convention Canada-États-Unis en matière d'impôts (1980) dans l'article 26 de la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu soit fatale, puisqu'il est clair que l'intention des parties contractantes était que l'article 26 de la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu ait, dans sa formulation actuelle, le même effet que la disposition de la Convention Canada-États-Unis en matière d'impôts (1980). Le ministre doit obtenir les renseignements demandés exactement de la même façon qu'il le ferait à l'égard d'impôts visés par la Loi. Ce n'est cependant pas l'article XXVII de la Convention Canada-États-Unis en matière d'impôts (1980) que je dois interpréter ou appliquer, mais bien l'article 26 de la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu. Comme nous le verrons plus tard, l'article 26 du Modèle de convention fiscale concernant le revenu et la fortune de l'OCDE (le Modèle de convention fiscale de l'OCDE) - Comité des Affaires Fiscales de l'OCDE(Paris : OCDE, 1977, 1996, 2000) - et les commentaires y afférents constituent un meilleur outil que l'article XXVII de la Convention Canada-États-Unis en matière d'impôts pour dégager l'intention des rédacteurs de l'article 26 de la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu.

[27]            Troisièmement, toute prétention implicite des demanderesses selon laquelle les « contribuables » ne seraient pas visés par laConvention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu doit être rejetée sur-le-champ étant donné le double statut juridique de ce traité et les termes explicites utilisés dans la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu. Richardson et Welkoff ont fait le commentaire suivant, dans « The Interpretation of Tax Conventions in Canada » , (1995) 43 R.F.C. 1759, à la page 1762, au sujet du double statut juridique des conventions fiscales bilatérales :

[traduction] Dans la plupart des États contractants, dont le Canada, les conventions fiscales bilatérales ont un double statut juridique. Elles sont à la fois des accords internationaux liant deux États souverains en vertu du droit international et une partie de la législation interne de chacun des États. À ce titre, elles établissent des droits et obligations tant à l'égard des particuliers qui vivent sur le territoire de l'État que de l'État lui-même. En pratique, ce sont les tribunaux internes, qui ne traitent que des rapports entre les contribuables et l'État, qui ont presque toujours interprété ces conventions.

[Non souligné dans l'original.]


[28]            Cela dit, l'article 1 de la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu énonce qu'elle « s'applique aux personnes qui sont des résidents d'un État contractant ou de chacun des deux États » . De plus, le paragraphe 1 de l'article 26 de la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu prévoit que « [l]'échange de renseignements n'est pas restreint par l'article 1 » . Il ressort donc clairement du libellé de l'article 26 que les renseignements généraux sur les résidents et les non-résidents peuvent être échangés aux fins mentionnées au paragraphe 1 de l'article 26 de la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu. La nature des activités de la société et les noms et adresses de ses dirigeants et actionnaires sont sans aucun doute visés par le paragraphe l de l'article 26 de la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu.

[29]            De plus, l'article 26 de la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu vise l'échange de renseignements « nécessaires pour appliquer les dispositions de la [...] Convention » et « la législation interne des États contractants relative aux impôts visés par la Convention dans la mesure où l'imposition qu'elle prévoit n'est pas contraire à la Convention » . Il est difficilement concevable que les autorités compétentes à qui les demandes sont faites puissent, dans tous les cas, détenir tous les renseignements dont l'État requérant a besoin pour appliquer une loi interne particulière. Il est par conséquent nécessaire de déterminer quelle était l'intention des parties contractantes si l'une d'elles ne détient pas les renseignements demandés par l'autre.

[30]            Si l'on tient compte de la portée large du paragraphe 1 et des restrictions prévues au paragraphe 2 de l'article 26 de la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu, on doit inférer que les autorités compétentes à qui la demande est faite pourront prendre toutes les mesures administratives à leur disposition pour obtenir les renseignements qu'elles ne détiennent pas.


[31]            La prétention des demanderesses à ce sujet n'est pas fondée étant donné les dispositions du paragraphe 2 de l'article 26 de la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu qui, clairement, visent non seulement la fourniture de renseignements, mais aussi la cueillette de renseignements. Le paragraphe 2 énonce :

2. Les dispositions du paragraphe 1 ne peuvent en aucun cas être interprétées comme imposant à un État contractant l'obligation :

a) de prendre des mesures administratives dérogeant à sa législation et à sa pratique administrative ou à celles de l'autre État contractant;

b) de fournir des renseignements qui ne pourraient être obtenus sur la base de sa législation ou dans le cadre de sa pratique administrative normale ou de celles de l'autre État contractant;

c) de fournir des renseignements qui révéleraient un secret commercial, industriel, professionnel ou un procédé commercial ou des renseignements dont la communication serait contraire à l'ordre public.

[Non souligné dans l'original.]

[32]            Le paragraphe 2 de l'article 26 de la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu n'aurait pas besoin de renvoyer à la possibilité de « prendre des mesures administratives » ou de fournir des « renseignements qui [...] pourraient être obtenus » si les parties contractantes ne s'engageaient qu'à fournir les renseignements qu'elles possédent déjà. De plus, cette déduction est confirmée par les exemples et les renseignements figurant aux commentaires de 1977, de 1996 et de 2000 sur l'article 26 du Modèle de convention fiscale de l'OCDE, particulièrement aux commentaires portant sur le paragraphe 1 de cet article.


[33]            De par son libellé, l'article 26 de la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu fait obligation au Canada (l'obligation s'exprimant par l'indicatif présent - et par l'expression « shall » en anglais - du verbe utilisé à la première ligne du paragraphe 1) d'échanger tout renseignement nécessaire aux fins de l'application de la Convention ou de la législation interne française en matière d'impôt. Pour obtenir les renseignements, le Canada n'est tenu de prendre que les mesures administratives qu'il utilise dans sa pratique administrative normale pour l'application de sa propre loi en matière d'impôt, et réciproquement pour la France.

[34]            Le paragraphe 2 de l'article 26 de la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu prévoit clairement qu'une partie à la convention prendra, pour répondre à une demande fondée sur cette disposition, les mesures administratives normales dont elle dispose pour l'application de ses propres lois fiscales.

[35]            La prétention des demanderesses selon laquelle on devrait interpréter de façon stricte et littérale l'article 26 de la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu doit être rejetée. Le principe selon lequel les conventions fiscales bilatérales doivent recevoir, en raison de leur objet, une interprétation libérale (et non une interprétation stricte et littérale comme dans le cas des lois fiscales internes) a deux fondements : premièrement, les conventions fiscales sont des accords internationaux entre deux États et non de simples lois internes; deuxièmement, contrairement aux lois internes qui sont rédigées de façon précise et détaillée, les conventions fiscales sont libellées en termes généraux (voir Stephen R. Richardson et James W. Welkoff, « The Interpretation of Tax Conventions in Canada » , loc. cit., page 1779; et Brian J. Arnold et Jacques Sasseville, Special Seminar on Canadian Tax Treaties : Policy and Practice, Association fiscale internationale (Toronto : 2000, page 1:5)).


[36]            L'article 26 du Modèle de convention fiscale de l'OCDE, intitulé « Échange de renseignements » , et les commentaires y afférents constituent, à titre comparatif, un outil utile pour l'interprétation de l'article 26 de la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu. Le Modèle de convention fiscale de l'OCDE sert de modèle aux rédacteurs des conventions fiscales internationales. Le Canada a été l'un des membres fondateurs de l'OCDE et est signataire de son Modèle de convention fiscale, qui est entré en vigueur en 1961. Le Canada se sert du Modèle de convention fiscale de l'OCDE pour élaborer ses propres conventions fiscales (voir Special Seminar on Canadian Tax Treaties : Policy and Practice, Association fiscale internationale, loc.cit., aux pages 1:3-1:4; David A. Ward, « Canada's Tax Treaties » , (1995), 43 R.F.C. 1719, à la page 1726; et Sumner c. La Reine, [2000] 2 C.T.C. 2359, 2000 D.T.C. 1667 (C.C.I.), au paragraphe 37).

[37]            Pour déterminer les objectifs de la Convention Canada-États-Unis en matière d'impôts (1980) et les intentions de ses rédacteurs, la Cour suprême du Canada a, dans l'arrêt Crown Forest, précité, eu recours à des documents extrinsèques et a déclaré, à la page 822 :

[...] pour dégager ces objectifs et intentions, un tribunal peut recourir à des documents extrinsèques qui font partie du contexte juridique (notamment les conventions modèles acceptées et les commentaires officiels portant sur celles-ci) sans qu'il soit nécessaire d'avoir préalablement décelé une ambiguïté.

[38]            Dans l'arrêt Crown Forest, précité, la Cour suprême a, aux pages 827 et 828, expressément autorisé le recours au Modèle de convention fiscale de l'OCDE :


Je passe maintenant à une autre série de documents extrinsèques, à d'autres conventions fiscales internationales et à leurs modèles généraux, pour illustrer et clarifier les intentions des parties à la Convention Canada-États-Unis en matière d'impôts (1980). Suivant les art. 31 et 32 de la Convention de Vienne sur le droit des traités (R.T. Can. 1980 no 37), on peut recourir à ce genre de documents extrinsèques pour interpréter des documents internationaux comme les conventions fiscales; voir également Hunter Douglas Ltd. c. La Reine, 79 D.T.C. 5340 (C.F. 1re inst.), aux pp. 5344 et 5345, et Thiel c. Federal Commissioner of Taxation, 90 A.T.C. 4717 (H.C. Aust.) à la p. 4722.

Le Modèle de convention de double imposition concernant le revenu et la fortune de l'OCDE (1963, adopté de nouveau en 1977) est fort convaincant pour ce qui est de délimiter les paramètres de la Convention Canada-États-Unis en matière d'impôts (1980): Arnold et Edgar, dir., Materials on Canadian Income Tax (9e éd. 1990), à la p. 208. Comme l'a signalé la Cour d'appel, ce modèle, reconnu mondialement comme un document de référence fondamental aux fins de la négociation, de l'application et de l'interprétation de conventions fiscales bilatérales ou multilatérales, a servi de base à la Convention Canada-États-Unis en matière d'impôts (1980). [...]

[Non souligné dans l'original.]

[39]            De plus, la Cour suprême du Canada a refusé, dans l'arrêt Crown Forest, précité, d'inférer que l'absence, dans la Convention Canada-États-Unis en matière d'impôts (1980), d'une disposition présente dans le Modèle de convention fiscale de l'OCDE était révélateur de l'intention des rédacteurs. On aurait pu penser qu'une telle omission indiquerait que les États contractants avaient l'intention de s'écarter du modèle, mais la Cour suprême du Canada a refusé, après avoir examiné les documents extrinsèques qui n'étayaient pas cette thèse, de tirer une telle inférence. Elle a, de plus, non seulement examiné le Modèle de convention fiscale de l'OCDE, mais aussi les commentaire sur le modèle de convention (voir les paragraphes 63, 64, 66, 70 et 75).


[40]            Ce sont des experts du Comité des Affaires Fiscales, nommés par les gouvernements des pays membres, qui se sont entendus sur les commentaires sur le modèle de convention et qui les ont rédigés. Ces commentaires ont pour objet d'expliquer ou d'interpréter les dispositions. Après l'adhésion du Canada à l'OCDE à titre de membre, adhésion qui a pris effet en 1961, les représentants canadiens ont participé activement aux travaux du Comité et de ses nombreux groupes de travail pour la rédaction du Modèle de Convention fiscale de l'OCDE de 1977 et du modèle actuellement utilisé, qui date de 1992. Ils ont non seulement participé à l'élaboration des modèles, mais aussi à l'élaboration des commentaires sur les modèles et des études, publiées ou non, sur les différents modèles.

[41]            Il n'y a pratiquement pas eu de changement entre la version de l'article 26 du Modèle de Convention fiscale de l'OCDE de 1977 et celle de 2000. Le paragraphe 2 de l'article 26 est identique dans les quatre versions - 1977, 1992, 1996 et 2000.

[42]            L'article 26 du Modèle de convention fiscale de l'OCDE (version de 1992) est rédigé comme suit :

Article 26 : Échange de renseignements

1.    Les autorités compétentes des États contractants échangent les renseignements nécessaires pour appliquer les dispositions de la présente Convention ou celles de la législation interne des États contractants relative aux impôts visés par la Convention dans la mesure où l'imposition qu'elle prévoit n'est pas contraire à la Convention. L'échange de renseignements n'est pas restreint par l'article 1. Les renseignements reçus par un État contractant sont tenus secrets de la même manière que les renseignements obtenus en application de la législation interne de cet État et ne sont communiqués qu'aux personnes ou autorités (y compris les tribunaux et organes administratifs) concernées par l'établissement ou le recouvrement des impôts visés par la Convention, par les procédures ou poursuites concernant ces impôts, ou par les décisions sur les recours relatifs à ces impôts. Ces personnes ou autorités n'utilisent ces renseignements qu'à ces fins. Elles peuvent faire état de ces renseignements au cours d'audiences publiques de tribunaux ou dans des jugements.

2.    Les dispositions du paragraphe 1 ne peuvent en aucun cas être interprétées comme imposant à un État contractant l'obligation :

a) de prendre des mesures administratives dérogeant à sa législation et à sa pratique administrative ou à celles de l'autre État contractant;

b) de fournir des renseignements qui ne pourraient être obtenus sur la base de sa législation ou dans le cadre de sa pratique administrative normale ou de celles de l'autre État contractant;

c) de fournir des renseignements qui révéleraient un secret commercial, industriel, professionnel ou un procédé commercial ou des renseignements dont la communication serait contraire à l'ordre public.

[43]            Le libellé actuel de l'article 26 de la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu résulte de l'article 19 du deuxième avenant modifiant la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu, signé le 29 novembre 1995. Le paragraphe 1 de l'article 26 de la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu est, sur tous les points importants, identique à l'article 26 du Modèle de Convention fiscale de l'OCDE. En ce qui concerne le paragraphe 2 de l'article 26 de la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu, il est en tous points identique au paragraphe 2 de l'article 26 du Modèle de Convention fiscale de l'OCDE.

[44]            Richardson et Welkoff ont dit aux pages 1784 et 1785 de leur article, loc.cit. :

[traduction] [...] aux fins d'interprétation, la valeur à accorder au modèle de l'OCDE et aux commentaires y afférents est d'autant plus grande qu'une convention ou disposition particulière d'une convention a adopté le libellé du modèle de l'OCDE. En effet, il devrait être raisonnable de conclure que les parties contractantes avaient l'intention, en adoptant le texte de l'OCDE (le Modèle de convention fiscale), d'adopter aussi son interprétation (les commentaires).

[45]            Les portions pertinentes, en ce qui concerne la présente demande, des commentaires sur l'article 26 du Modèle de convention fiscale de 1977 (commentaires existants au moment de l'adoption de la version actuelle de l'article 26 de la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu), de 1996 et de 2000 sont identiques. Les trois versions énoncent clairement que les États contractants doivent prendre les mesures administratives qui s'imposent, telles que les demandes péremptoires prévues au paragraphe 231.2(1) de la Loi, pour répondre aux demandes de renseignements présentées en vertu de l'article 26 de la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu.

[46]            Les paragraphes 14 à 19 des commentaires de 1977, 1996 et 2000 portent sur le paragraphe 2 de l'article 26 du Modèle de convention. Les paragraphes 14 à 16 sont particulièrement pertinents. Les parties des paragraphes 14 à 16 communes aux trois versions des commentaires sont libellées comme suit :

14. Ce paragraphe contient certaines limitations à la règle principale en faveur de l'État requis. Tout d'abord, le paragraphe précise qu'un État contractant, lorsqu'il communiquera des renseignements à l'autre État contractant, ne sera pas tenu d'aller au-delà des limites prescrites par sa propre législation et par sa pratique administrative. Néanmoins, les types de mesures administratives autorisées en ce qui concerne les impôts de l'État requis doivent être utilisés même s'ils ne le sont qu'en vue de fournir des renseignements à l'autre État contractant. De même, les dispositions internes concernant le secret fiscal ne peuvent être interprétées comme faisant obstacle à l'échange de renseignements visé par le présent article. Les autorités de l'État requérant, comme on l'a mentionné, doivent considérer comme confidentiels les renseignements communiqués en vertu du présent article. [...]

15. En outre, l'État requis n'a pas à prendre des mesures administratives qui ne seraient pas autorisées par la législation ou les pratiques de l'État requérant, ni à communiquer des renseignements qui ne pourraient être obtenus sur la base de la législation ou dans le cadre de la pratique administrative normale de l'État requérant. Il s'ensuit qu'un État contractant ne pourra se prévaloir du système de renseignements de l'autre État contractant si ce système est plus étendu que le sien propre.

16. Doivent être considérés comme pouvant être obtenus suivant la pratique administrative normale les renseignements dont disposent les autorités fiscales ou que celles-ci peuvent obtenir par application de la procédure normale d'établissement de l'impôt, qui peut inclure des recherches spéciales ou un examen particulier de la comptabilité du contribuable ou de tierces personnes, lorsque les autorités fiscales procéderaient à des recherches ou à un examen similaire pour leur propre compte. En d'autres termes, l'État requis doit rassembler les renseignements nécessaires à l'autre État dans les mêmes conditions que s'il s'agissait d'appliquer ses propres règles d'imposition, sous la réserve indiquée au paragraphe 15 ci-dessus.

[Non souligné dans l'original.]


[47]            Cela confirme l'inférence tirée du libellé de l'article 26 de la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu, particulièrement des alinéas 2a) et 2b), selon laquelle l'État requis a non seulement l'obligation d'échanger les renseignements qu'il détient déjà, mais aussi le devoir d'obtenir des renseignements en prenant les mesures administratives qui s'imposent, telles que les demandes péremptoires prévues au paragraphe 231.2(1) de la Loi, pour répondre à la demande de renseignements de l'autre État.

[48]            En résumé, je suis d'avis que les demandes péremptoires sont valides suivant l'article 26 de la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu, l'article 2 de la Loi sur la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu (1976), l'article 10 de la Loi sur les conventions en matière d'impôt sur le revenu (1976) et le paragraphe 231.2(1) de la Loi. Il reste donc à statuer sur la prétention subsidiaire des demanderesses selon laquelle la partie de la demande péremptoire qui exige qu'elles divulguent des renseignements au sujet de leurs actionnaires et de leurs dirigeants est invalide étant donné qu'il n'y a pas eu autorisation d'un juge conformément au paragraphe 231.2(3) de la Loi.

PARTIE DE LA DEMANDE PÉREMPTOIRE VISANT LES ACTIONNAIRES ET LES DIRIGEANTS

[49]            Les demanderesses font valoir que le ministre n'a pas été autorisé par un juge, conformément au paragraphe 231.2(3) de la Loi, à exiger d'elles qu'elles divulguent des renseignements au sujet de personnes non désignées nommément. Par conséquent, les demanderesses concluent que la partie de la demande péremptoire qui exige qu'elles divulguent des renseignements au sujet de leurs actionnaires et de leurs dirigeants est invalide.

[50]            Le paragraphe 231.2(3) de la Loi est rédigé comme suit :



(3) Sur requête ex parte du ministre, un juge peut, aux conditions qu'il estime indiquées, autoriser le ministre à exiger d'un tiers la fourniture de renseignements ou production de documents prévue au paragraphe (1) concernant une personne non désignée nommément ou plus d'une personne non désignée nommément - appelée « groupe » au présent article -, s'il est convaincu, sur dénonciation sous serment, de ce qui suit:

a) cette personne ou ce groupe est identifiable;

b) la fourniture ou la production est exigée pour vérifier si cette personne ou les personnes de ce groupe ont respecté quelque devoir ou obligation prévu par la présente loi;

(3) On ex parte application by the Minister, a judge may, subject to such conditions as the judge considers appropriate, authorize the Minister to impose on a third party a requirement under subsection (1) relating to an unnamed person or more than one unnamed person (in this section referred to as the "group") where the judge is satisfied by information on oath that

(a) the person or group is ascertainable; and

(b) the requirement is made to verify compliance by the person or persons in the group with any duty or obligation under this Act.


[51]            En toute déférence, je ne suis pas d'accord avec la prétention de l'avocat des demanderesses selon laquelle le paragraphe 231.2(3) de la Loi est applicable en l'espèce.

[52]            Premièrement, la demande péremptoire ne visait pas des personnes non désignées nommément, mais les demanderesses. Le ministre aurait été tout à fait en droit de demander le registre des actionnaires et des dirigeants des demanderesses, documents qu'elles possèdent et dont elles ont le contrôle. Je ne vois donc pas comment le paragraphe 231.2(3) de la Loi peut obliger le ministre à obtenir l'autorisation d'un juge alors que les renseignements demandés ont simplement trait à la nature des entreprises et visent les noms et adresses des actionnaires et des dirigeants de ces entreprises.


[53]            Deuxièmement, je remarque que l'autorisation visée au paragraphe 231.2(3) de la Loi s'applique aux demandes péremptoires faites aux fins de l'administration et de l'exécution de la Loi. Ce n'est pas le cas en l'espèce. Les renseignements sur les personnes non désignées nommément ne peuvent clairement pas, en vertu de la Loi, être utilisés par le ministre, et ne seront pas utilisés par lui. Les renseignements seront simplement transmis aux autorités compétentes françaises en réponse à la demande présentée en application de l'article 26 de la Convention Canada-France en matière d'impôt sur le revenu et ce, pour les fins énoncées au paragraphe 1 de l'article 26.

[54]            Troisièmement, la nécessité d'obtenir une autorisation d'un juge en vertu du paragraphe 231.2(3) de la Loi résulte du fait qu'il s'agit d'une cueillette de renseignements et de documents portant sur l'assujettissement à l'impôt à propos de personnes dont l'identité n'est pas révélée. C'est ce qu'a confirmé la Cour suprême du Canada dans l'arrêt James Richardson & Sons Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1984] 1 R.C.S. 614 (l'arrêt James Richardson), et la Cour fédérale dans d'autres décisions (voir T.G. Andison c. Ministre du Revenu national (1995), 90 F.T.R. 74 (C.F. 1re inst.); et Paquette (A.A.) c. Ministre du Revenu national (1992), 55 F.T.R. 152 (C.F. 1re inst.)).

[55]            L'arrêt James Richardson, précité, de la Cour suprême du Canada est le plus souvent cité pour étayer la thèse selon laquelle le ministre ne peut pas avoir recours au paragraphe 231.2(1) de la Loi pour obtenir des renseignements sur des personnes non désignées nommément. Dans cette affaire, aucun contribuable n'était désigné dans la demande péremptoire en cause et le ministre a admis que l'enquête sur l'assujettissement à l'impôt ne visait ni l'appelante ni ses clients. Le juge Wilson, qui siégeait alors à la Cour suprême du Canada, a par conséquent énoncé ce qui suit, au paragraphe 18 :


Par conséquent, même si je partage l'avis du juge Le Dain selon lequel la Cour n'a pas dit, dans l'arrêt Canadian Bank of Commerce, que la fin visée dans cette affaire, savoir l'obtention de renseignements portant sur l'assujettissement à l'impôt d'une personne, était la seule fin pour laquelle une demande pouvait valablement être présentée en vertu du par. 231(3), elle a néanmoins insisté sur une condition essentielle à cette fin particulière, savoir que l'assujettissement à l'impôt de cette personne doit faire l'objet d'une enquête, et c'est cette condition essentielle qui, selon l'appelante, est absente en l'espèce.

[Non souligné dans l'original.]

[56]            Dans la décision Canadian Forest Products Ltd. c. Ministre du Revenu national (1996), 119 F.T.R. 152, la Cour a déclaré, aux paragraphes 8 et 10 :

Le paragraphe 231.2(2) exige que le ministre obtienne une autorisation judiciaire avant d'imposer des exigences quelconques fondées sur le paragraphe 231.2(1) concernant les personnes non désignées nommément. L'intimé prétend que les renseignements demandés concernent les propres opérations des requérants et que les dispositions concernant les personnes non désignées ne sont pas applicables. Toutefois, la demande de renseignements a été faite dans le contexte d'une enquête sur l'assujettissement à l'impôt de cinq autres sociétés, qui ne font pas partie des requérants. Par conséquent, les requérants devraient bénéficier d'une protection plus grande contre la divulgation de renseignements qui pourraient éventuellement leur causer un préjudice.

[...]

En l'espèce, le ministre ne demande pas des renseignements pour vérifier si les requérants se conforment à la Loi de l'impôt sur le revenu. Il demande plutôt des renseignements ayant trait aux déclarations d'impôt de contribuables non identifiés. Comme ces contribuables faisant l'objet d'une enquête ne sont pas désignés nommément, le ministre doit invoquer le paragraphe 231.2(3) avant d'exiger les renseignements qu'il souhaite obtenir aux termes du paragraphe 231.2(1). Ces demandes de contrôle judiciaire ayant trait aux exigences imposées par l'intimé conformément au paragraphe 231.2(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu sont accueillies avec dépens.

[Non souligné dans l'original]

[57]            Les préoccupations exprimées dans l'extrait susmentionné n'existent pas en l'espèce, puisque rien ne prouve que le ministre cherche à obtenir des renseignements ayant trait aux déclarations de revenus ou à l'assujettissement à l'impôt de contribuables canadiens non désignés nommément.

[58]            Pour ces motifs, les demandes présentées par les demanderesses doivent être rejetées.


ORDONNANCE

Les demandes de contrôle judiciaire présentées par les demanderesses Pacific Network Services Ltd. et Leader Direct Marketing Ltd., dans les dossiers de la Cour T-28-02 et T-31-02, sont rejetées et les dépens sont adjugés au défendeur.

« Luc Martineau »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra Douyon-de Azevedo, LL.B.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                    SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIERS :                                      T-28-02, T-31-02

INTITULÉS :                                      Pacific Network Ltd. c. Ministre du Revenu national

Leader Direct Marketing Ltd. c. Ministre du Revenu national

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                            Le 15 octobre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               Monsieur le juge Martineau

DATE DES MOTIFS :                                  Le 8 novembre 2002

COMPARUTIONS :

M. Steve M. Cook

M. Sergio Rodriguez                                          POUR LES DEMANDERESSES

M. Robert Carvalho                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Thorsteinssons

Vancouver (C.-B.)                                            POUR LES DEMANDERESSES

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                    POUR LE DÉFENDEUR


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