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                                                                                                                 Date : 19990625

                                                                                                             Dossier : T-633-92

ENTRE :

          SOCIÉTÉ CANADIENNE DES AUTEURS, COMPOSITEURS ET

                                              ÉDITEURS DE MUSIQUE,

                                                                                                                   demanderesse,

                                                                 - et -

                             LANDMARK CINEMAS OF CANADA LTD.,

                                                                                                                     défenderesse.

                                                        ORDONNANCE

VU la requête des demanderesses en vue d'exiger, dans le cadre d'un interrogatoire préalable, des réponses à des questions décrites plus en détail dans les motifs de la présente ordonnance;

VU les motifs de l'ordonnance;


LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

1.          Il est ordonné au représentant de la défenderesse de répondre aux questions suivantes :

2.          Question 1 :      (à l'exclusion des renseignements concernant les cinémas dont la défenderesse est propriétaire);

Questions 3 à 8.

3.          Il n'est pas ordonné de répondre à la question 2.

4.          La défenderesse doit fournir toutes les réponses et tous les documents qui sont exigés dans les 30 jours suivant la date de la présente ordonnance.

5.          La défenderesse doit produire son représentant pour un interrogatoire préalable supplémentaire sur les réponses et les documents qui sont exigés dans les 30 jours suivant la date de production susmentionnée.

6.          Les requêtes des deux parties doivent toutes être présentées au plus tard 90 jours après la date de la présente ordonnance.


7.          La demande de conférence préparatoire de la demanderesse doit être soumise avant la plus tardive des dates suivantes : 30 jours après la date de la présente ordonnance ou après la décision relative à la dernière requête ainsi présentée, le cas échéant, ou 60 jours après la fin de l'interrogatoire préalable.

8.          Le succès étant partagé, les dépens suivront l'issue de la cause.

                                                                                                            « Roza Aronovitch »

                                                                                                                          Protonotaire

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL. L.


                                                                                                                 Date : 19990625

                                                                                                             Dossier : T-633-92

ENTRE :

          SOCIÉTÉ CANADIENNE DES AUTEURS, COMPOSITEURS ET

                                              ÉDITEURS DE MUSIQUE,

                                                                                                                   demanderesse,

                                                                 - et -

                             LANDMARK CINEMAS OF CANADA LTD.,

                                                                                                                     défenderesse.

                                       MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE ARONOVITCH

[1]         La demanderesse présente une requête en vue d'exiger que le représentant de la défenderesse, M. Brian McIntosh, fournisse des réponses à des questions auxquelles il a refusé de répondre au cours de son interrogatoire préalable.


[2]         La demanderesse, la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique ( « SOCAN » ) est la seule société de perception de droits d'exécution au Canada autorisée en vertu de la Loi sur le droit d'auteur à accorder des licences et à percevoir des droits ou des redevances pour l'exécution publique au Canada d'oeuvres figurant dans son vaste répertoire de musique. Les droits à payer aux termes de licences octroyées par la SOCAN sont fixés par tarif publié dans la Gazette du Canada. Il s'agit en l'espèce du tarif no 6, qui traite de l'octroi de licences à des établissements qui présentent des films.

[3]         Dans sa déclaration, la demanderesse allègue que la défenderesse, Landmark Cinemas of Canada Ltd. ( « Landmark » ), qui exploite des cinémas, y compris des ciné-parcs, a présenté au public des oeuvres de la SOCAN sur des trames sonores de films présentés dans tous les établissements qu'elle exploite, et ce, en violation du droit d'auteur de cette dernière. La SOCAN allègue aussi l'exécution non autorisée d'oeuvres musicales avant et après la présentation de films. Ces violations seraient survenues à compter de 1991 et auraient donné lieu à d'autres violations, Landmark ayant censément exercé et continué à exercer ses activités sans licence de la SOCAN et sans payer de droits d'exécution.


[4]         La défenderesse nie toute violation, nie le droit d'auteur de la demanderesse et déclare qu'elle est autorisée à présenter l'exécution des oeuvres musicales en cause, et ce par les distributeurs et les producteurs, qui sont propriétaires des films, y compris les trames sonores, et qui ont ainsi le pouvoir d'accorder une licence à la défenderesse pour lui permettre de les exécuter. La défenderesse soutient aussi que pour une partie de 1991 au moins, elle détenait une licence que la demanderesse a par la suite indûment annulée.

[5]         Dans sa déclaration modifiée, la demanderesse énumère tous les cinémas exploités par Landmark, et connus d'elle, dont trente-cinq (35) établissements situés dans quatre provinces de l'Ouest et au Yukon. La demanderesse fournit aussi dans cet acte de procédure quelque six (6) pages d'exemples d'oeuvres musicales tirées de son répertoire qui ont été jouées en liaison avec des films présentés par la défenderesse, et indiquant le nom de l'oeuvre musicale, le film en liaison avec lequel l'oeuvre a été jouée, la date d'exécution de l'oeuvre et le cinéma ou les lieux d'exécution des oeuvres censément contrefaites. Tous les cas mentionnés visent l'année 1991. Pour ce qui est de la musique jouée avant et après la présentation de films, la demanderesse ne fournit aucun détail ni aucun cas de violation et déclare plutôt que, contrairement à la défenderesse, elle ne connaît pas les détails concernant ces oeuvres musicales.


[6]         Le représentant de la défenderesse, M. Brian McIntosh, a été interrogé le 7 avril 1994 relativement à la défense de sa cliente, et il a refusé de répondre aux questions suivantes :

[TRADUCTION]

1.              Fournir une liste complète :

a)              de tous les cinémas/ciné-parcs dont Landmark Cinemas of Canada Ltd. est propriétaire ou qu'elle exploite;

b)              indiquant les renseignements suivants pour chaque cinéma/ciné-parc :

i)              dénomination et adresse;

ii)              nombre de sièges/nombre de places pour les automobiles;

c)              pour chaque cinéma/ciné-parc, une indication de tout changement de ces renseignements survenu depuis le 1er janvier 1991.

1.              Indiquer (nom et adresse) les propriétaires de chaque cinéma/ciné-parc exploité par Landmark Cinemas of Canada Ltd.

2.              Pour chaque cinéma/ciné-parc exploité par la défenderesse, fournir les détails de tous les revenus pour chaque année en indiquant séparément les revenus tirés des droits d'admission et les revenus tirés des ventes des concessions.

3.              Pour chaque cinéma/ciné-parc exploité par la défenderesse, fournir :

1.              une liste complète de tous les titres de films présentés;

2.              le nombre de fois que ces films ont été présentés;

3.              les dates des présentations

depuis janvier 1999.

1.              Fournir pour chaque film présenté par Landmark depuis le 1er janvier 1991, le nom, l'adresse et le numéro de téléphone du distributeur (et du contact) qui a fourni le film à Landmark.

2.              À l'égard de chaque film présenté par Landmark depuis le 1er janvier 1991, fournir des copies de toutes les ententes écrites ou de toutes autres lettres d'entente ou autres documents entre Landmark et le distributeur du film.

3.              À l'égard de chaque film présenté par Landmark depuis le 1er janvier 1991, fournir des copies de tous les documents accordant censément tous les droits, ou, précisément, les droits d'exécution musicale à Landmark.

4.              À l'égard de chaque film présenté par Landmark depuis le 1er janvier 1991, s'informer pour savoir si la question des droits d'exécution musicale a jamais été abordée entre les représentants de Landmark et les distributeurs de films lorsqu'ils discutent de l'acquisition de films, et de la question de savoir si un distributeur a jamais déclaré que l'autorisation donnée à Landmark de présenter le film incluait le droit d'exécuter publiquement les oeuvres musicales qu'il contenait, et faire part des résultats de ces demandes de renseignements.


[7]         La défenderesse ne veut pas répondre aux questions pour les motifs qui suivent. Pour ce qui est de la question 1, Landmark prétend que cette question ne concerne pas des faits non admis mais plutôt un « interrogatoire à l'aveuglette » afin d'obtenir des renseignements que la demanderesse ignore en vue de tenter d'établir une autre cause d'action pour présenter une autre plainte. Le deuxième motif d'opposition est que la question est trop large et va bien au delà des lieux et des dates détaillés individuellement dans la déclaration, et qu'elle est donc sans rapport avec ces détails.

[8]         Le même motif d'opposition s'applique aux questions 2 et 4. Plus précisément, pour ce qui est de la question 2, la défenderesse soutient que l'identité des propriétaires des cinémas exploités par Landmark n'est pas pertinente et qu'elle ne peut être contrainte de répondre à cette question.

[9]         S'étant, dans ses observations, opposée à la question 3 parce qu'elle n'était pas pertinente et ayant plus tard choisi de ne pas solliciter d'ordonnance aux termes de la règle 107, la défenderesse a reconnu, lors de l'audition de la requête, que la question était en fait pertinente pour ce qui est de l'année 1991, mais non par après.


[10]       En ce qui concerne les questions 5 à 8, la défenderesse, ayant fourni des réponses sur les points ou les dates décrits en détail dans la déclaration, a refusé de fournir tout autre renseignement, au motif qu'elle ne devrait pas être contrainte de fournir des réponses à des questions qui ne sont pas décrites en détail dans la déclaration, étant donné qu'elles sont de la nature d'un « interrogatoire à l'aveuglette » et visent à donner lieu à une nouvelle cause d'action.

[11]       Le but de l'interrogatoire préalable ainsi que la tendance prédominante à élargir sa portée sont résumés comme suit :

[...] Le but de l'interrogatoire préalable, qu'il soit fait oralement ou par la production de documents, est d'obtenir des admissions en vue de faciliter la preuve des questions en litige entre les parties. On a tendance aujourd'hui à accroître les possibilités de communication franche et complète de la preuve permettant à la partie de prouver ses allégations ou de réfuter celles de son adversaire. La communication peut servir à faire ressortir plus nettement les questions, permettant ainsi d'éviter d'en faire inutilement la preuve au procès et de réduire ainsi les frais de l'instruction. La communication peut également donner des armes très utiles en vue du contre-interrogatoire. [...][1] (non souligné dans l'original)

[12]       La personne qui subit un interrogatoire préalable est tenue de répondre, au mieux de sa connaissance et de sa croyance, à toute question qui se rapporte à un fait allégué et non admis. Le critère étant la pertinence, il est exprimé dans la déclaration suivante concernant la production de documents qui fait maintenant l'objet de la règle 222(2) des Règles de la Cour fédérale (1998) :


[...] il me semble qu'un document se rapporte aux questions en litige non seulement s'il constituait un élément de preuve sur une question, mais aussi, il est raisonnable de le supposer, s'il contient des renseignements qui peuvent - et non qui doivent - permettre directement ou indirectement à la partie qui exige l'affidavit de servir sa propre cause ou de nuire à celle de son adversaire. J'ai employé les mots « directement ou indirectement » parce qu'il me semble qu'on peut dire à juste titre d'un document qu'il contient des renseignements qui peuvent permettre à la partie qui exige l'affidavit de servir sa propre cause ou de nuire à celle de son adversaire, s'il s'agit d'un document susceptible de la lancer dans une enquête qui peut avoir l'une ou l'autre des conséquences suivantes : la question relative à la production d'un nouvel affidavit est de savoir si la partie qui le produit peut [...][2]

[13]       Cela étant dit, il est clairement interdit de se servir de l'interrogatoire préalable comme d'un « interrogatoire à l'aveuglette » . Voici un énoncé classique de l'interdiction qui est tiré de Somers v. Kinsbury (1923) 54 O.L.R. 166, à la page 170 :

[TRADUCTION] [...] la partie qui procède à un interrogatoire n'a pas le droit de poser des questions en vue de découvrir quelque chose dont elle ne sait rien maintenant et qui pourrait lui permettre de fonder une cause qui ne fait pas en réalité l'objet de la poursuite...(non souligné dans l'original)

Manifestement, dans le contexte d'allégations de violation, le préjudice que l'on cherche à éviter est que, si un demandeur, qui ne sait rien des cas de violation, est autorisé à procéder à un interrogatoire illimité, il peut s'en servir pour fonder une cause d'action ou établir une cause qu'il n'aurait pas par ailleurs et dont il ignore par ailleurs l'existence.


[14]       Pour ce qui est des questions en cause, j'estime qu'il n'est pas nécessaire de répondre à la partie de la question 1 concernant les cinémas dont la défenderesse est propriétaire par opposition à ceux qu'elle exploite, à la totalité de la question 2 concernant les propriétaires des cinémas exploités par la défenderesse étant donné que ni l'une ni l'autre ne sont pertinentes ou détaillées. La défenderesse ayant été poursuivie en sa qualité d'exploitant de cinémas seulement n'a qu'à indiquer les cinémas dont elle est propriétaire. Quant aux propriétaires de cinémas, ils ne sont pas parties à cette instance et je ne suis pas convaincu de toute manière que les propriétaires possèdent des connaissances pertinentes qui serviraient la cause de la demanderesse telle qu'elle a été introduite.

[15]       Pour ce qui est des autres questions, soit la majeure partie de la question 1 et les questions 3 à 8, il s'agit essentiellement de savoir si, dans le cadre d'un interrogatoire, une partie est limitée à poser des questions ou à demander des documents qui se rapportent uniquement à la violation détaillée dans la déclaration et, dans le cas d'une violation continue, à l'année à l'égard de laquelle des détails ont été fournis. Je conclus que non, et les parties peuvent exiger des réponses et des documents concernant le même type de violation que celui qui fait l'objet de la poursuite et qui a été décrit en détail[3].


[16]       Ainsi, dans GEO Vann Inc., une déclaration qui décrivait le type de violation était suffisante pour permettre la production de documents concernant un autre cas « du même type » . De même, dans CSI Manufacturing and Distribution Inc., le juge Teitelbaum devait examiner une allégation de contrefaçon dans le contexte de la fabrication et de la vente d'un certain modèle de démarreur à distance d'automobile qui était décrit dans la déclaration. Il a alors été demandé de produire des documents et de répondre à des questions dans le cadre d'un interrogatoire préalable concernant un certain nombre de nouveaux modèles plus récents et plus perfectionnés que la défenderesse avait commencé à fabriquer après l'introduction de l'action. Les questions ont été autorisées au motif que les nouveaux modèles n'étaient « pas sensiblement différents » du modèle décrit en détail dans la déclaration.

[17]       Ainsi, en l'espèce, même si, par exemple, des questions concernant la musique « avant » et « après » , sans autre précision, pourraient bien être interdites, je suis convaincu que les questions en cause, soit la majeure partie de la question 1 et les questions 3 à 8, ne constituent pas un « interrogatoire à l'aveuglette » .


[18]       Il faut donc répondre aux questions 1 à 4 car elles visent à obtenir des renseignements qui se rapportent à la violation en cause, que la défenderesse connaît et qui concernent le même type de violation, ou d'autres cas de la violation que la demanderesse a décrite dans sa déclaration en ce qui a trait à l'année 1991. Il s'ensuit que, si les questions 3 et 5 à 8 sont pertinentes et qu'il faille y répondre en ce qui concerne 1991, il faut aussi y répondre pour la période suivante. En fait, priver la demanderesse des renseignements qu'elle demande dans ces circonstances et dans le contexte d'une violation censément continue lui imposerait un fardeau impossible vu l'ampleur de son inventaire d'oeuvres musicales. Si la demanderesse était contrainte d'introduire une nouvelle instance à l'égard de chaque nouveau cas de violation découvert, cela entraînerait aussi une multitude d'actions et peut-être des litiges interminables[4].

Mesures ultérieures dans le cadre de l'instance

[19]       Conformément aux ordonnances du juge Blais datées du 25 février 1999, modifiées par le juge Lutfy le 11 avril 1999, la Cour ayant entendu les observations des parties à cet égard, les mesures ultérieures à prendre dans le cadre de la présente instance sont énoncées dans l'ordonnance qui sera délivrée conformément aux présents motifs.


[20]       Étant donné que le succès est partagé, les dépens suivront l'issue de la cause.

                                                                                                            « Roza Aronovitch »

                                                                                                                          Protonotaire

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL. L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                  SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N ° DU GREFFE :                                  T-633-92

INTITULÉ DE LA CAUSE :    SOCIÉTÉ CANADIENNE DES AUTEURS,

COMPOSITEURS ET ÉDITEURS DE MUSIQUE c.

LANDMARK CINEMAS OF CANADA LTD.

LIEU DE L'AUDIENCE :                      OTTAWA (ONTARIO)

DATES DE L'AUDIENCE :                  6 ET 27 MAI 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MADAME LE PROTONOTAIRE ROZA ARONOVITCH

EN DATE DU :                                      25 JUIN 1999

ONT COMPARU :                  

JANE E. CLARK                                                             POUR LA DEMANDERESSE

GEORGE H. AKERS                                        POUR LA DÉFENDERESSE

MARK E. LINDSKOOG

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GOWLING, STRATHY & HENDERSON                   POUR LA DEMANDERESSE

OTTAWA (ONTARIO)

NICHOLL AND AKERS                                                POUR LA DÉFENDERESSE

EDMONTON (ALBERTA)



     [1] Reading & Bates Construction Co. c. Baker Energy Resources Corp. (1988), 24 C.P.R. (3d) 66, à la p. 70.

     [2]       Foseco Trading A.G. c. Canadian Ferro Hot Metal Specialties, Ltd. (1991), 36 C.P.R. (3d) 35, aux p. 39 et 40 et GEO Vann Inc. c. N.L. Industries, Inc. (1985), 4 C.P.R. (3d) 19 (C.F. 1re inst.).

     [3]       Affaires GEO Vann Inc., précitée, et CSI Manufacturing and Distribution Inc. et al. c. Astroflex Inc., (1993) 52 C.P.R. (3d) 483 (C.F. 1re inst.).

     [4]       Affaires CIS, précitée, et Congoleum-Nairn Inc. et al. c. Armstrong Cork Canada Ltd. et al. (1974), 19 C.P.R. (2d) 66 (C.F. 1re inst.).

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