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Date : 20041006

Dossier : IMM-6640-03

Référence : 2004 CF 1368

OTTAWA (ONTARIO) LE 6 OCTOBRE 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

                                                            BLESSING OSAGIE

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La Section de la protection des réfugiés a prononcé le désistement de la demande d'asile de Mme Blessing Osagie, par suite d'une série d'erreurs commises par son avocat. La Commission de l'immigration et du statut de réfugié a ensuite rejeté sa requête en réouverture de sa demande d'asile. Mme Osagie sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Commission a refusé de rouvrir sa demande d'asile.


[2]                Mme Osagie était représentée lors de l'instruction de sa demande de contrôle judiciaire par le même avocat que celui qui l'avait représentée devant la Commission. L'avocat a dans un premier temps avancé deux arguments pour expliquer pourquoi la décision de la Commission devait être annulée : il a d'abord affirmé que l'avis au sujet de la date, de l'heure et du lieu de l'audience sur le désistement était insuffisant, ce qui équivalait à un manquement à un principe de justice naturelle et, en second lieu, il a soutenu que la Commission avait commis une erreur en refusant d'examiner la demande présentée par Mme Osagie en vue d'obtenir l'ajournement de l'audience relative au désistement.

[3]                Lors de l'instruction de la présente demande, et en réponse aux questions de la Cour, Mme Osagie a ajouté un troisième argument, en l'occurrence celui que, par suite de l'inadvertance de son avocat, elle avait été victime d'un manquement à un principe de justice naturelle relativement à sa requête en réouverture de sa demande d'asile.

Rappel chronologique des faits

[4]                Mme Osagie est une citoyenne du Nigeria. Elle est arrivée au Canada le 15 mars 2003. Elle a fait une demande d'asile peu de temps après. Elle a engagé Me Kingsley Jesuorobo, un avocat spécialisé en immigration, pour l'aider à présenter sa demande.


[5]                Mme Osagie a reçu son formulaire de renseignements personnels (FRP) de la Commission le 2 avril. La date limite pour remplir le formulaire était donc le 30 avril 2003. Le matin du 30 avril, Mme Osagie a rencontré Me Jesuorobo pour remplir le formulaire. Une fois rempli, le FRP de Mme Osagie a été remis à un employé du cabinet de Me Jesuorobo qui a reçu pour instructions de déposer le formulaire auprès de la Commission le même jour. Selon l'affidavit souscrit par cet employé, le FRP de Mme Osagie n'a été déposé auprès de la Commission que le 2 mai 2003, par suite de l'inadvertance de cet employé. Mme Osagie déclare que Me Jesuorobo n'a pas remarqué l'erreur à ce moment-là.

[6]                Parce qu'elle n'avait pas reçu le FPR de Mme Osagie dans le délai de 28 jours prescrit, la Commission a, le 9 mai 2003, envoyé par courrier ordinaire à Mme Osagie et à Me Jesuorobo un avis de convocation à une audience sur le désistement de la demande d'asile. Cet avis portait que, comme le FPR de Mme Osagie n'avait pas été déposé dans le délai de 28 jours prescrit, une audience sur le désistement aurait lieu le lundi 9 juin 2003. Comme Me Jesuorobo avait, par inadvertance, donné à la Commission l'adresse de son cabinet comme adresse personnelle de Mme Osagie sur le formulaire FRP, les deux avis ont été adressés au cabinet de Me Jesuorobo.


[7]                Dans l'affidavit qu'elle a déposé à l'appui de sa demande de contrôle judiciaire, Mme Osagie affirme, sur la foi de renseignements qu'elle tenait de Me Jesuorobo, qu'aucun des deux avis relatifs à l'audience sur le désistement n'est parvenu au cabinet de l'avocat avant le vendredi 6 juin. Mme Osagie y affirme aussi que la Cour fédérale a fait savoir tard le 6 juin à Me Jesuorobo que l'instruction d'une requête urgente en suspension concernant un autre de ses clients était prévue pour le 9 juin à 9 h, c'est-à-dire au même moment que son audience sur le désistement. Mme Osagie explique que le 9 juin, vers 8 h 20 du matin, soit quarante minutes avant l'ouverture prévue de l'audience sur le désistement, Me Jesuorobo a par conséquent envoyé à la Commission une télécopie demandant le report de l'audience à 12 h 30 le même jour. Me Jesuorobo a également laissé un message téléphonique à un commis aux désistements.

[8]                Sur la fois de renseignements qu'elle a obtenus et qu'elle tient pour véridiques, Mme Osagie déclare également dans son affidavit que Me Jesuorobo s'est rendu aux bureaux de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié vers 12 h 30 le 9 juin pour constater que personne n'avait pris connaissance de son message et que Mme Osagie était réputée s'être désistée de sa demande d'asile.

[9]                Le 4 juillet, Me Jesuorobo a demandé la réouverture de la demande d'asile de Mme Osagie. Cette demande était appuyée d'un affidavit souscrit par Mme Osagie le 3 juillet 2003. Le dossier ne permet pas de penser que Mme Osagie était au courant des faits survenus avant cette date au sujet de sa demande d'asile.

Décision de la Commission


[10]            Le 12 août 2003, la Commission a rejeté la demande que lui avait adressée Mme Osagie en vue d'obtenir la réouverture de sa demande d'asile. La Commission a constaté que deux avis distincts avaient été envoyés à l'adresse figurant sur le FRP de Mme Osagie. La Commission n'était pas convaincue que l'un ou l'autre de ces avis avait été reçu au cabinet de Me Jesuorobo avant le 6 juin. La Commission a également estimé que, même en supposant que Me Jesuorobo n'avait reçu l'avis que le vendredi 6 juin, il avait amplement le temps de prendre d'autres dispositions avant l'audience prévue pour le lundi suivant. Le président a donc déclaré qu'il n'était pas persuadé qu'il y avait eu un manquement à la justice naturelle et la demande de réouverture de l'audience a par conséquent été rejetée.

Critère régissant les requêtes en réouverture de demandes d'asile

[11]            Le critère régissant les requêtes en réouverture des demandes d'asile devenues caduques à la suite d'une audience sur le désistement est énoncé au paragraphe 55(4) des Règles de la Section de la protection des réfugiés :

55 (4) La Section accueille la demande sur preuve du manquement à un principe de justice naturelle.

55 (4) The Division must allow the application if it is established that there was a failure to observe a principle of natural justice.

L'avis de convocation à l'audience sur le désistement était-il suffisant?

[12]            Selon Me Jesuorobo, la Commission n'a pas donné un préavis suffisant pour informer Mme Osagie de la date et de l'heure de l'audience sur le désistement, ce qui équivalait à un manquement aux principes de justice naturelle. Il existe une présomption réfutable selon laquelle un document signifié par la poste ordinaire est reçu dans les sept jours de sa mise à la poste. Aux dires de Me Jesuorobo, cette présomption a été réfutée en l'espèce et la Commission aurait dû accepter que l'avis de convocation à l'audience sur le désistement n'avait été reçu que le 6 juin 2003.


[13]            Je n'accepte pas cet argument. La Commission avait le droit d'apprécier les éléments de preuve dont elle disposait sur ce point. Il semble très curieux qu'il a fallu quatre semaines pour que ces deux avis atteignent leur destination. De plus, le seul élément de preuve dont disposait la Commission sur ce point était le témoignage de Mme Osagie et non celui de Me Jesuorobo ou de toute autre personne de son cabinet qui aurait eu personnellement connaissance de la réception de ces avis. Dans ces conditions, je ne vois aucune raison de modifier la décision de la Commission sur ce point.

La Commission a-t-elle commis une erreur en refusant d'examiner la demande d'ajournement de l'audience sur le désistement?

[14]            Me Jesuorobo explique que la conclusion de la Commission suivant laquelle il avait amplement le temps de prendre d'autres dispositions avant l'audience sur le désistement de Mme Osagie est « ridicule » . Dans son plaidoyer, Me Jesuorobo a expliqué que son cabinet avait reçu l'avis le vendredi 6 juin, mais qu'il n'avait été mis au courant de l'audience que tôt le matin du lundi 9 juin. Son raisonnement pose problème parce que la Cour ne dispose d'aucun élément de preuve qui appuie ses dires.


[15]            Me Jesuorobo affirme en outre que, même si l'on part du principe que son cabinet a été avisé de la tenue de l'audience sur le désistement le 6 juin 2003, comme il y avait un week-end dans l'intervalle, il est ridicule de penser qu'il aurait pu prendre d'autres dispositions avant le lundi matin suivant. Là encore, la Commission avait le droit d'apprécier l'explication avancée pour justifier le défaut de comparaître à l'audience sur le désistement et je ne vois aucune raison de modifier la conclusion de la Commission suivant laquelle l'avocat aurait pu prendre d'autres dispositions. Me Jesuorobo aurait à tout le moins pu faire le nécessaire pour que Mme Osagie se présente en personne à l'audience sur le désistement et pour qu'elle demande un ajournement en raison de l'impossibilité pour son avocat d'être présent.

Mme Osagie a-t-elle été victime d'un manquement à la justice naturelle en raison des erreurs commises par Me Jesuorobo et par son cabinet?

[16]            Bien que la question n'ait pas été soulevée au départ par Me Jesuorobo, lors de l'instruction de la présente affaire je me suis demandé si la conduite de son avocat avait pu constituer un manquement à la justice naturelle envers Mme Osagie relativement à son audience sur le désistement. Les deux parties ont ensuite eu l'occasion de formuler d'autres observations par écrit sur cette question.

[17]            Ayant eu l'occasion d'examiner ces observations supplémentaires, je suis d'avis que la présente demande doit être accueillie. Bien que la loi ne soit pas toujours uniforme dans son application, il ne fait aucun doute que la négligence ou l'incompétence d'un avocat peuvent entraîner une négation du droit d'une partie à une audience impartiale (Shirwa c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 2 C.F. 51, Gulishvili c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1667).


[18]            Notre Cour a d'ailleurs jugé que la négligence de l'avocat peut entraîner un déni de justice naturelle suffisamment grave pour justifier la réouverture d'une demande d'asile qui a fait l'objet d'un désistement (Taher c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. 1327; voir aussi le jugement Masood c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 1480).

[19]            Le défendeur fait valoir qu'en principe, on ne doit pas dissocier les agissements de l'avocat de ceux de son client. L'avocat agit à titre de mandataire de son client et celui-ci doit subir les conséquences de son mauvais choix de procureur (Jouzichin c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1994] A.C.F. no 1886 et Huynh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, (1993), 65 F.T.R. 11).

[20]            Le défendeur invoque aussi l'arrêt Gogol c. Canada, [1999] A.C.F. no 2021, dans lequel la Cour d'appel fédérale dit que, pour pouvoir conclure à un déni de justice naturelle, l'incompétence de l'avocat doit être « extraordinaire » .

[21]            L'affidavit souscrit par Mme Osagie au soutien de la présente demande renferme des éléments d'information dont ne disposait pas la Commission lorsqu'elle s'est prononcée sur la requête en réouverture. Suivant le défendeur, ces éléments d'information ne devraient pas servir à infirmer une décision qui était bien fondée d'après les renseignements qui existaient de son prononcé.

[22]            Je conviens avec le défendeur que les pièces et éléments versés au dossier dans la présente affaire posent problème. Outre les préoccupations soulevées par le défendeur, je suis par ailleurs troublée par le fait qu'une grande partie des éléments de preuve que l'on retrouve dans les affidavits souscrits par Mme Osagie, tant en rapport avec sa requête en réouverture de sa demande d'asile qu'en ce qui a trait à la présente demande de contrôle judiciaire, reposent sur des renseignements que Mme Osagie tient de Me Jesuorobo, de sorte que Me Jesuorobo doit en quelque sorte plaider, du moins indirectement, en citant ses propres dires. Or, comme notre Cour l'a réaffirmé à de nombreuses reprises, cette façon de faire va à l'encontre de l'esprit de l'article 82 des Règles de la Cour fédérale (voir, par exemple, Reading & Bates Constr. Co. c. Baker Energy Resources Corp., (1986), 7 F.T.R. 117 et Anwar c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2004] A.C.F. no 1441).

[23]            Eu égard aux circonstances de l'espèce, il aurait mieux valu que Me Jesuorobo souscrive lui-même un affidavit à l'appui de la présente demande et qu'un autre avocat comparaisse à l'audience, ce qui aurait évité toute possibilité de conflit d'intérêts entre l'avocat et sa cliente.


[24]            Ceci étant dit, Mme Osagie a fourni une preuve directe sur ce qu'elle savait sur la progression de sa demande d'asile. Le témoignage qu'elle a donné au sujet de ce qu'elle savait et à quel moment elle l'a su n'est pas contredit. Mme Osagie a également fourni des renseignements de première main sur ses intentions en ce qui concerne sa demande d'asile. À cet égard, suivant la preuve non contredite dont disposait la Commission lors de l'instruction de la requête en réouverture, Mme Osagie avait rempli son FRP dans le délai prescrit et elle avait été amenée à croire par son avocat que le formulaire serait déposé auprès de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié dans le délai prescrit de 28 jours. Sans faute de la part de Mme Osagie, cette formalité n'a pas été accomplie et elle n'a jamais été informée de ce manquement.

[25]            Par suite d'une autre erreur de son avocat, l'avis de convocation à l'audience sur le désistement n'a pas été envoyé au domicile de Mme Osagie, mais au cabinet de Me Jesuorobo.

[26]            Indépendamment de la date à laquelle l'avis de convocation à l'audience sur le désistement a effectivement été reçu au cabinet de Me Jesuorobo ou du moment où Me Jesuorobo a lui-même été mis au courant de la date prévue de l'audience, il ressortait à l'évidence de la preuve dont disposait la Commission que Mme Osagie n'a jamais été mise au courant qu'une date avait été fixée pour l'audience sur le désistement portant sur sa demande d'asile et, par conséquent, elle n'a jamais eu l'occasion de comparaître et de se faire entendre. Il ressort aussi des éléments dont disposait la Commission que Mme Osagie a toujours eu l'intention de donner suite à sa demande d'asile.


[27]            Dans ces conditions, je suis convaincue que les diverses erreurs commises par Me Jesuorobo et ses employés ont causé un déni de justice naturelle à Mme Osagie en ce qui concerne son audience sur le désistement. Vu le libellé impératif du paragraphe 55(4) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, la requête en réouverture de la demande d'asile de Mme Osagie aurait en conséquence dû être accueillie. La décision que la Commission a rendue au sujet de la requête en réouverture doit donc être annulée.

Certification

[28]            Aucune des parties n'a proposé de question à certifier et aucune ne se pose en l'espèce.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu'il rende une nouvelle décision en conformité avec les présents motifs.

2.          Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

                                                                                                                         _ Anne L. Mactavish _                 

                                                                                                                                                     Juge                                 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               IMM-6640-03

INTITULÉ :                                              BLESSING OSAGIE

                                                                             et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :                      LE 25 AOÛT 2004

LIEU DE L'AUDIENCE :                        TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                              MADAME LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :                             LE 6 OCTOBRE 2004

COMPARUTIONS :

Kingsley Jesuorobo                                     POUR LA DEMANDERESSE

(416) 398-8647

Marcel Larouche                                         POUR LE DÉFENDEUR

(416) 952-7262

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kingsley I. Jesuorobo                                  POUR LA DEMANDERESSE

1280, avenue Finch Ouest

Bureau 318

North York (Ontario)

M3J 3K6

Marcel Larouche                                         POUR LE DÉFENDEUR

MINISTÈRE DE LA JUSTICE

130, rue King Ouest

Bureau 3400, C.P. 36

Toronto (Ontario)

M5X 1K6

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