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Date: 20020103

Dossier : T-2682-87

Référence neutre : 2002 CFPI 2

ENTRE :

                                   SINCLAIR STEVENS

                                                                                        demandeur

                                                  - et -

               LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                           défendeur

        ORDONNANCE ET MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HENEGHAN

INTRODUCTION


[1]                M. Sinclair M. Stevens (le demandeur) fait appel d'une ordonnance du protonotaire Lafrenière datée du 8 août 2000. Dans son ordonnance, le protonotaire avait rejeté la requête du demandeur pour autorisation de procéder à l'interrogatoire préalable de Monsieur le juge W. D. Parker, commissaire (le commissaire Parker) et pour d'autres ordonnances discrétionnaires. Par la présente requête, le demandeur voudrait que soit rendue une ordonnance infirmant l'ordonnance du protonotaire, ainsi qu'une ordonnance autorisant l'interrogatoire hors de cour du commissaire Parker, y compris son contre-interrogatoire, et l'utilisation de ce témoignage durant le procès de cette affaire.

LES FAITS

[2]                Le 15 mai 1986, le commissaire Parker, alors juge en chef de la Cour suprême de l'Ontario, Division de la Haute Cour, fut nommé par décret commissaire en vertu de la partie I de la Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), ch. I-11. Il avait pour mandat d'examiner les deux aspects suivants :

            a)         les faits qui avaient suivi des accusations de conflit d'intérêts proférées dans plusieurs journaux et médias électroniques, ainsi qu'à la Chambre des communes, à propos de la conduite, des relations ou des agissements de M. Sinclair M. Stevens;

            b)         M. Sinclair M. Stevens était-il dans une situation réelle ou apparente de conflit d'intérêts au sens du Code régissant la conduite des titulaires de charge publique en ce qui concerne les conflits d'intérêts et l'après-mandat, et au sens de la lettre du 9 septembre 1985 adressée par le premier ministre à M. Sinclair M. Stevens?


[3]                Le rapport du commissaire Parker fut présenté au gouverneur en conseil le 3 décembre 1987. Le 18 décembre 1987, le demandeur introduisait la présente instance, dans laquelle il désignait comme défendeurs le commissaire Parker et le procureur général du Canada. Dans sa déclaration, le demandeur affirme que le rapport de la Commission lui a causé un préjudice et a terni sa réputation. La déclaration mentionne que, dans la conduite de l'enquête, le commissaire Parker a outrepassé sa compétence et commis un excès de pouvoir et qu'il a agi au mépris des principes de justice naturelle. Dans sa demande de redressement, le demandeur prie la Cour d'annuler le rapport du commissaire et de le déclarer nul et sans effet.

[4]                En mars 1997, le commissaire Parker demandait d'être radié en tant que défendeur dans l'action. Le demandeur rétorqua que la présence du commissaire Parker en tant que défendeur était nécessaire pour garantir l'instruction en bonne et due forme de sa réclamation. Le commissaire Parker n'a pas eu gain de cause dans sa requête devant la Section de première instance, mais, en appel, la Cour d'appel fédérale a ordonné la radiation du commissaire Parker comme partie défenderesse.

[5]                Le demandeur avait tenté d'interroger le commissaire Parker par écrit avant qu'il ne soit soustrait comme partie à l'action. Le commissaire Parker refusa de répondre aux questions écrites jusqu'à la décision finale concernant son statut dans l'action. Depuis sa radiation comme partie, le commissaire Parker s'est opposé à toute nouvelle tentative du demandeur de le soumettre à un interrogatoire préalable.


[6]                Le demandeur a également tenté d'obtenir par interrogatoire préalable du représentant du défendeur les renseignements qu'il voulait obtenir du commissaire. Cependant, le déposant du gouvernement n'avait aucune connaissance du fonctionnement interne de la Commission. Le demandeur présenta également une demande conformément à la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), ch. A-1, et ses modifications, mais cette manoeuvre se révéla inefficace en raison des exceptions prévues par cette loi, qui limitaient considérablement l'étendue de la communication.

[7]                Le demandeur a alors déposé une requête visant à l'interrogatoire du commissaire Parker en tant que non-partie conformément à l'article 238 des Règles de la Cour fédérale, 1998, DORS/98-106. Appel est interjeté ici de la décision se rapportant à ladite requête.

DÉCISION DU PROTONOTAIRE

[8]                Par sa requête au protonotaire, le demandeur sollicitait une ordonnance autorisant l'interrogatoire et le contre-interrogatoire hors de cour du commissaire Parker. L'article 238 des Règles énonce quatre facteurs dont la Cour doit tenir compte avant d'autoriser l'interrogatoire d'une personne qui n'est pas une partie. Il s'agit des facteurs suivants :

            a)         la personne peut détenir des renseignements sur une question litigieuse soulevée dans l'action;

            b)         la partie qui demande l'interrogatoire n'a pu obtenir ces renseignements de la personne de façon informelle ou d'une autre source par des moyens raisonnables;

            c)         il serait injuste de ne pas permettre à la partie d'interroger la personne avant l'instruction; et


            d)         l'interrogatoire n'occasionnera pas de retards, d'inconvénients ou de frais déraisonnables à la personne ou aux autres parties.

[9]                Le protonotaire a rejeté la requête du demandeur. Il a conclu que, bien que le demandeur eût rempli les conditions a), c) et d) de la règle 238(3), il ne croyait pas que le demandeur avait épuisé tous les moyens raisonnables pour obtenir d'autres sources les renseignements qu'il cherchait. Plus précisément, les questions portant sur l'étendue du cadre de référence fixé pour l'enquête, ainsi que sur la définition de l'expression « conflit d'intérêts » , auraient dû et auraient pu être adressées au défendeur.

[10]            Cependant, le protonotaire a jugé qu'un aspect de l'interrogatoire souhaité par le demandeur répondait à toutes les conditions de la règle 238(3), à savoir l'aspect concernant le rôle et les activités des avocats de la Commission après l'étape des audiences publiques de l'enquête. Selon le protonotaire, cette information ne pouvait manifestement pas être obtenue d'autres sources par le demandeur. Le protonotaire a également jugé que les réponses aux questions proposées par le demandeur n'étaient pas protégées par le secret professionnel de l'avocat. Puis il s'est demandé si le principe de l'indépendance de la justice et celui du secret des délibérations avaient pour effet de faire du commissaire Parker un témoin non contraignable.


[11]            Le protonotaire s'est référé à l'affaire Glengarry Memorial Hospital c. Ontario (Tribunal de l'équité salariale) (1993), 99 D.L.R. (4th) 682 (C. div. de l'Ont.) au soutien de la proposition selon laquelle, avant que ne puisse être levé le secret des délibérations, il faut établir des raisons valides de croire que les règles de la justice naturelle n'ont pas été observées. Puis il a examiné si les trois faits suivants présentés par le demandeur constituaient des raisons valides de croire que les règles de la justice naturelle n'avaient pas été suivies par le commissaire Parker. Il s'agissait des faits suivants :

            a)         un article était paru dans le Globe and Mail en novembre 1986, qui rapportait que M. Scott, l'un des avocats de la Commission, avait dit qu'il aiderait le commissaire Parker à rédiger son rapport;

            b)         une rencontre avait eu lieu par la suite avec l'avocat comparaissant à l'enquête et avec le commissaire Parker pour l'examen de questions se rapportant au rôle des avocats de la Commission; et

            c)         l'avocat de la Commission avait inscrit plus de 1 700 heures de travail et produit des mémoires de plus de 230 000 $ après la clôture des audiences publiques, entre février 1987 et décembre 1987.


[12]            Le protonotaire a conclu que ces faits ne constituaient pas des raisons valides ou suffisantes répondant au seuil très élevé à atteindre pour que soit levé le secret des délibérations. Selon lui, le demandeur conjecturait sur le rôle qu'avaient pu tenir les avocats de la Commission dans la rédaction du rapport de la Commission, et cette conjecture ne pouvait constituer une raison valide de lever le secret des délibérations. Il s'est finalement exprimé ainsi :

Le demandeur se raccroche de toute évidence à un semblant d'espoir, en cherchant un élément de preuve montrant que l'avocat de la Commission a agi d'une façon irrégulière dans les rapports subséquents qu'il a eus avec le commissaire Parker. À mon avis, il ne s'agit pas ici d'un cas exceptionnel justifiant l'intervention de la Cour. Je confirme donc l'objection du commissaire Parker, à savoir qu'il ne peut pas être contraint à témoigner compte tenu du secret du délibéré.

[2001] 1 C.F. 156, p. 170.

ARGUMENTS DU DEMANDEUR

[13]            Le demandeur se penche d'abord sur la norme de contrôle applicable à l'appel dirigé contre une ordonnance du protonotaire. Il reconnaît que la norme est celle qu'a fixée la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Canada c. Aqua Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425, où les juges de la majorité avaient estimé que les ordonnances discrétionnaires d'un protonotaire ne devraient pas être modifiées à moins qu'elles ne soient manifestement erronées, en ce sens que l'exercice du pouvoir discrétionnaire reposait sur un mauvais principe de droit ou sur une méconnaissance des faits, ou en ce sens que les ordonnances soulevaient des points ayant une influence déterminante sur l'issue du principal. Si tel est le cas, il faut juger l'appel en reprenant l'affaire depuis le début.


[14]            En l'espèce, le demandeur soutient que le protonotaire n'a pas évalué les faits dans leur contexte propre et n'a pas bien apprécié la preuve. Son ordonnance influe sur un aspect essentiel de l'instance, c'est-à-dire l'affirmation selon laquelle il y a eu manquement aux règles de la justice naturelle et à l'article 7 de la Charte des droits et libertés, un manquement qui résultait de la procédure adoptée par la Commission.

[15]            Plus exactement, le demandeur affirme que le protonotaire a ignoré le contexte de la preuve portant sur le rôle des avocats de la Commission, surtout compte tenu du fait que quelque 1 700 heures de temps facturable ont été inscrites par les avocats de la Commission après la clôture des audiences publiques et l'exposé des arguments des avocats, notamment ceux de la Commission. Le demandeur évoque aussi le rôle accusatoire joué par les avocats de la Commission durant l'audience, ainsi que la présentation de nouvelles présumées situations de conflit d'intérêts qui n'entraient pas dans le mandat initial de la Commission d'enquête.

[16]            Le demandeur dit aussi que le protonotaire n'a pas évalué le contexte de la réunion tenue en son cabinet entre le commissaire Parker, l'avocat de la Commission et l'avocat des parties qui s'étaient exprimées devant la Commission, réunion au cours de laquelle fut débattu le rôle de l'avocat de la Commission dans la rédaction du rapport.


[17]            Selon le demandeur, le protonotaire n'a pas mis en perspective le contenu du rapport et l'absence d'une norme applicable aux « conflits d'intérêts » . Finalement, le demandeur fait état de la reconduction de contrats de travail d'avocats subalternes jusqu'au 17 avril 1987, après la clôture des audiences publiques et le dépôt des conclusions, et il dit que le protonotaire a ignoré la preuve relative à ces contrats dans le contexte du manquement allégué aux principes de justice naturelle, manquement résultant du rôle joué par l'avocat de la Commission.

[18]            Selon le demandeur, le protonotaire n'a pas considéré cette preuve dans son contexte, ce qui permettrait d'affirmer qu'il a méconnu la preuve au regard d'un aspect essentiel de la présente affaire, celui qui intéresse le manquement allégué aux principes de justice naturelle, et que son ordonnance devrait faire l'objet d'un contrôle de novo.

[19]            L'argument suivant du demandeur est que le protonotaire a commis une erreur en affirmant que le principe de l'indépendance de la justice et le principe du secret des délibérations avaient pour effet de faire du commissaire Parker un témoin non contraignable. Il soutient que, dans l'arrêt Tremblay c. Québec (Commission des affaires sociales) (1992), 90 D.L.R. (4th) 609, à la page 619, la Cour suprême du Canada a dit que les tribunaux quasi judiciaires ne peuvent s'en rapporter au secret des délibérations comme le font les cours de justice. D'ailleurs, le secret des délibérations peut être levé lorsqu'il existe de bonnes raisons de croire que les règles de la justice naturelle n'ont pas été observées; voir Glengarry, précité.


[20]            Selon le demandeur, les mémoires de l'avocat de la Commission, qui totalisaient 1 700 heures, ainsi que la déclaration de l'avocat de la Commission selon laquelle il aiderait le commissaire Parker à rédiger son rapport, donnent à penser que l'avocat est intervenu dans le processus décisionnel. Il en résulterait une crainte de partialité et un déni de justice naturelle. Sur ce point, le demandeur invoque l'arrêt 2747-3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d'alcool), [1996] 3 R.C.S. 919. Même si le processus décisionnel n'entrave pas effectivement la liberté du décideur, il ne doit pas susciter une apparence de partialité ou d'absence d'indépendance. Lorsqu'il y a apparence ou crainte de partialité, il est essentiel de savoir exactement de quoi il retourne.

[21]            Il soutient aussi que le critère de déclenchement d'une investigation est moins élevé pour les questions de forme que pour les questions de fond. Il s'appuie sur les propos suivants du juge Gonthier dans l'arrêt Tremblay, précité, à la page 618 :

À mon avis, les objections formulées par la Commission doivent être rejetées. Les questions posées par l'intimée ne touchaient pas les motifs au fond ou leur élaboration dans la pensée des décideurs. Ces questions visaient plutôt le processus formel mis sur pied par la Commission pour assurer la cohérence de sa jurisprudence.

[Souligné dans l'original]

[22]            Le demandeur soutient qu'une partie de la preuve qu'il cherche à obtenir du commissaire Parker ne porte pas sur des questions de fond, mais intéresse le processus de consultation entre l'avocat de la Commission et le commissaire. Par conséquent, le principe du secret des délibérations n'est pas applicable aux renseignements de pure forme qu'il veut obtenir du commissaire Parker. Le secret des délibérations devrait être levé pour le reste des renseignements recherchés, parce qu'il y a de bonnes raisons de penser que la Commission d'enquête a manqué aux règles de la justice naturelle durant ses travaux.


[23]            Le troisième argument du demandeur est que le protonotaire a commis une erreur en affirmant qu'il n'était pas nécessaire de prononcer sur sa requête visant à faire interroger hors de cour le commissaire Parker, conformément à l'article 271 des Règles.

[24]            En l'espèce, le commissaire Parker est d'un âge avancé et il passe une partie de son temps en dehors de l'Ontario. Il vaudra mieux, compte tenu de son emploi du temps, faire procéder à son interrogatoire hors de cour. Ne serait-ce d'ailleurs que par égard pour la charge qu'il occupait, il sied qu'il soit interrogé hors de cour.

[25]            L'argument final du demandeur est que le protonotaire a commis une erreur en ne voyant pas qu'il y avait lieu ici d'ordonner le contre-interrogatoire du commissaire Parker. Le demandeur prétend avoir montré qu'une ordonnance autorisant l'interrogatoire hors de cour du commissaire irait de soi et, selon lui, le seul point à décider est de savoir s'il devrait avoir la possibilité de contre-interroger le commissaire.

[26]            Une partie qui appelle une partie adverse à témoigner a le droit de la contre-interroger, tandis que la partie en faveur de qui dépose le témoin ne peut lui soumettre que des questions non tendancieuses; voir Whiten c. Pilot Insurance Co. (1996), 27 O.R. (3d) 479 (Div. Gen.). Le même raisonnement devrait être applicable ici.


[27]            Le commissaire Parker a montré qu'il est hostile à la position de M. Stevens. Depuis qu'il n'est plus partie à l'instance, il affiche une attitude défavorable en refusant de coopérer avec le demandeur, ainsi que l'attestent son refus de répondre à des questions écrites et son opposition à cette requête. Dans ces conditions, l'intérêt de la justice et l'intégrité de la procédure contradictoire seront mieux servis si l'on donne au demandeur la possibilité de contre-interroger le commissaire.

ARGUMENTS DU DÉFENDEUR

[28]            Le défendeur invoque trois moyens. D'abord, il soutient que le demandeur ne réunit pas les conditions prévues pour être autorisé à faire subir un interrogatoire préalable à une personne qui n'est pas une partie et à interroger un témoin avant le procès, selon ce que prévoient respectivement les articles 238 et 271 des Règles. Le défendeur dit que les questions se rapportant à la présumée concertation entre le commissaire et tous les avocats ayant exercé un rôle au sein de la Commission d'enquête, concertation selon laquelle l'avocat de la Commission ne participerait pas à la rédaction du rapport, peuvent être adressées aux propres avocats du demandeur, qui étaient présents à la réunion durant laquelle cette concertation est censée avoir eu lieu.


[29]            Le demandeur lui-même est en mesure de répondre aux questions proposées par lui concernant la notion de « conflit d'intérêts » telle que l'a définie et adoptée la Commission, ou bien les réponses se trouvent dans le dossier de documents. Les questions touchant les détails d'un avis donné au demandeur et se rapportant au champ de l'enquête ainsi qu'à la norme d'après laquelle sa conduite serait jugée sont examinées dans le rapport du commissaire, un rapport qui dit bien ce qu'il veut dire.

[30]            S'agissant de l'article 271 des Règles, le défendeur fait valoir que le protonotaire a eu raison de dire que l'âge avancé du commissaire justifierait à lui seul le recours demandé.

[31]            Deuxièmement, le défendeur soutient que les aspects proposés par le demandeur pour l'interrogatoire entraîneraient nécessairement la violation du secret professionnel de l'avocat. Tout en confirmant le privilège s'attachant aux communications entre le commissaire et l'avocat de la Commission, le protonotaire permettrait que le commissaire soit interrogé sur des aspects se rapportant au rôle et aux activités de l'avocat de la Commission après l'étape des audiences publiques de la Commission. Selon le défendeur, le protonotaire a commis une erreur sur ce point, lorsqu'il a distingué d'une part les communications entre le commissaire et son avocat, et d'autre part les activités exercées par l'avocat.


[32]            Pour le défendeur, les commissions d'enquête sont des organes ad hoc institués, dans les cas qui le requièrent, par le pouvoir exécutif, pour se charger d'une importante fonction d'enquête se rapportant à tel ou tel sujet ou à tel ou tel événement ou groupe d'événements. Sur ce point, le défendeur invoque l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d'enquête sur le système d'approvisionnement en sang au Canada), [1997] 3 R.C.S. 440, à la page 457 (l'arrêt Krever). Les commissaires sont des prolongements du pouvoir exécutif, non du pouvoir judiciaire, et ils ne sont donc pas indépendants du pouvoir exécutif; voir Dixon c. Canada (gouverneur en conseil), [1997] 3 C.F. 169 (C.A.).

[33]            Le défendeur soutient que, bien que le commissaire soit un prolongement du pouvoir exécutif, cela ne veut pas dire que le principe du secret professionnel de l'avocat ne peut s'appliquer aux consultations données par l'avocat de la Commission; voir R. c. Campbell, [1999] 1 R.C.S. 565, aux pages 601-605.

[34]            Le défendeur invoque les principes du secret professionnel de l'avocat, décrits comme il suit dans l'affaire General Accident Assurance Co. c. Chrusz (1999), 45 O.R. (3d) 321, à la page 348 :

            1)         encourager des communications franches entre l'avocat et son client lorsque des consultations sont demandées ou obtenues;

2)         favoriser l'accès à la justice;

            3)         reconnaître la valeur intrinsèque de l'autonomie personnelle;

            4)         enfin confirmer l'efficacité de la procédure accusatoire.


[35]            Soustraire le commissaire à l'obligation de répondre à des questions concernant le rôle qu'il a assigné à l'avocat de la Commission, et concernant les consultations que lui a données son avocat, est conforme aux raisons d'être qui sous-tendent le principe du secret professionnel de l'avocat, telles que ces raisons d'être sont exposées dans l'affaire Chrusz, précitée. Les questions proposées qui sont contenues dans les interrogatoires écrits du demandeur montrent que celui-ci recherche en réalité des renseignements se rapportant aux communications échangées entre le commissaire et l'avocat de la Commission.

[36]            Le défendeur soutient qu'il serait pratiquement impossible au commissaire de répondre aux questions et de dire s'il a agi sur les conseils de l'avocat de la Commission sans révéler les conseils ainsi reçus. En appelant ses questions une enquête sur le rôle joué par l'avocat de la Commission, le demandeur veut indirectement accéder à des éléments auxquels il ne pourrait accéder par des moyens plus directs.

[37]            Le défendeur soutient aussi que le protonotaire a commis une erreur en disant que le principe de l'indépendance de la justice s'appliquait au commissaire. Puisque le commissaire n'était ni une cour de justice ni un organe quasi judiciaire exerçant des fonctions juridictionnelles, mais plutôt une branche du pouvoir exécutif, le commissaire ne peut s'appuyer sur le principe de l'indépendance de la justice pour soustraire ses délibérations au contrôle des cours de justice. Cependant, des considérations d'ordre public appellent à conférer un certain secret aux délibérations du commissaire.


[38]            Dans l'arrêt Slavutych c. Baker, [1976] 1 R.C.S. 254, à la page 260, la Cour suprême du Canada a exposé les quatre conditions fondamentales suivantes, qui sont nécessaires pour alléguer un privilège faisant obstacle à la divulgation de communications :

            a)         les communications doivent avoir été faites avec l'assurance qu'elles ne seraient pas divulguées;

            b)         cette confidentialité doit être essentielle pour l'intégrité de la relation entre les parties;

            c)         la relation est une relation qui, aux yeux du groupe considéré, doit être assidûment préservée;

            d)         le préjudice que pourrait subir la relation par suite de la divulgation des communications doit être, pour une solution juste du litige, plus grand que l'avantage procuré par cette divulgation.

[39]            Selon le défendeur, la reconnaissance au commissaire d'un privilège restreint en ce qui concerne ses délibérations s'accorde avec le critère adopté dans l'arrêt Slavutych, précité.


[40]            Cependant, le privilège qui s'attache aux délibérations du commissaire n'est pas un privilège absolu. Le commissaire doit s'acquitter de son mandat en accord avec les principes de l'équité procédurale et, lorsqu'il existe de bonnes raisons de penser qu'il a commis un manquement, il devrait être soumis à un interrogatoire, même sur les matières liées à ses délibérations. Sur ce point, le défendeur invoque l'arrêt Krever, précité, à la page 471, et l'arrêt Tremblay, précité, à la page 619.

[41]            Selon le défendeur, il n'y a aucune raison valide de penser que le commissaire n'a pas conduit l'enquête en accord avec les principes de l'équité procédurale. La présumée irrégularité alléguée par le demandeur est fondée sur la participation de l'avocat de la Commission à la rédaction du rapport du commissaire. Cette allégation fût-elle exacte, les règles applicables aux commissions d'enquête n'empêchent pas la participation de l'avocat de la Commission au travail de rédaction du rapport, à moins qu'il ne soit prouvé que l'avocat de la Commission a eu en main des documents qui n'ont pas été communiqués aux parties à l'enquête. Le défendeur s'appuie ici sur l'arrêt rendu par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire de l'enquête sur l'approvisionnement en sang), [1997] 2 C.F. 36, aux pages 79-81, confirmé par la Cour suprême du Canada. Il n'y a dans la présente affaire aucune preuve du genre.


ARGUMENTS DU DÉFENDEUR NON PARTIE À L'INSTANCE, M. W. D. PARKER

[42]            Le commissaire Parker soulève d'abord la question de la norme de contrôle. À son tour, il reconnaît que le critère est celui qu'a énoncé la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Canada c. Aqua Gem Investments Ltd., précité. Cependant, contrairement à la position adoptée par le demandeur, il soutient que la norme de contrôle à appliquer dans le présent appel est celle qui commande aux cours de justice de se montrer circonspectes, puisque le demandeur n'a pas prouvé que le protonotaire a exercé irrégulièrement son pouvoir discrétionnaire ou rendu une ordonnance portant sur un point déterminant pour la solution ultime de l'instance introduite par le demandeur.

[43]            Le commissaire affirme que la requête du demandeur devant le protonotaire se rapportait à un interrogatoire préalable. Les décisions du protonotaire en matière d'interrogatoire du genre sont considérées par la jurisprudence comme des décisions discrétionnaires auxquelles doivent déférer les cours de justice. Sur ce point, il s'appuie sur l'affaire James River Corp. of Virginia c. Hallmark Cards, Inc., (1997), 72 C.P.R. (3d) 157 (C.F. 1re inst.).


[44]            Le commissaire soutient que, pour avoir gain de cause, le demandeur doit montrer que le protonotaire a commis une erreur manifeste dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, c'est-à-dire par l'application d'un mauvais principe de droit ou par une méconnaissance des faits. Selon le commissaire, le demandeur ne prétend pas que le protonotaire a appliqué le mauvais critère ou qu'il a tiré des conclusions de fait que n'autorisait pas la preuve. Le demandeur s'élève plutôt contre la conclusion du protonotaire relative au poids de la preuve, parce que cette conclusion diffère de celle que voudrait le demandeur.

[45]            En bref, selon le commissaire, le demandeur prétend que le protonotaire aurait dû exercer différemment son pouvoir discrétionnaire. Ce n'est pas là un fondement qui suffise à faire infirmer l'ordonnance du protonotaire, en l'absence d'une erreur de droit ou d'une méconnaissance des faits. Le commissaire soutient que la Cour devrait déférer au jugement du protonotaire et rejeter l'appel.

[46]            Subsidiairement, le commissaire affirme que la décision du protonotaire de rejeter la requête du demandeur en se fondant sur le principe du secret des délibérations et sur le principe de l'indépendance de la justice était un exercice raisonné de son pouvoir discrétionnaire, et l'appel devrait être rejeté.

[47]            Selon le commissaire, le demandeur reconnaît que le principe du secret des délibérations est applicable à l'enquête, puisqu'il invoque l'arrêt Tremblay c. Québec, précité, au soutien de son argument selon lequel le protonotaire aurait dû user de son pouvoir discrétionnaire pour lever le voile du secret des délibérations parce que le demandeur avait allégué « des raisons valides de penser que le processus suivi n'était pas conforme aux règles de la justice naturelle » .


[48]            Selon le commissaire, le demandeur semble poser pour principe que l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans l'affaire 2747-3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d'alcool), précité, établit une règle de droit selon laquelle la participation de l'avocat « de la poursuite » à la rédaction de la décision d'un tribunal administratif constitue en soi un manquement aux règles de la justice naturelle. Pour le commissaire, le demandeur suppose que la preuve qu'il a produite devant le protonotaire établissait des raisons valides de penser que l'avocat de la Commission dans cette affaire à la fois a tenu lieu de « poursuivant » et a participé à la rédaction du rapport final.

[49]            Le commissaire soutient que les arguments qui précèdent ne peuvent réussir. Lorsque la Cour d'appel fédérale a rendu son arrêt Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire de l'enquête sur l'approvisionnement en sang), précité, lequel était postérieur à l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans l'affaire 2747-3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d'alcool), elle a mis fin au courant jurisprudentiel antérieur. Selon le commissaire, la Cour d'appel fédérale a jugé que l'avocat d'une Commission doit avoir toute latitude d'intervenir dans une enquête diligentée en vertu de la Loi sur les enquêtes.

[50]            Par ailleurs, le commissaire soutient que la preuve sur laquelle se fonde le demandeur pour alléguer une irrégularité ne suffit pas à établir une crainte raisonnable de partialité ou un déni de justice naturelle. Selon le commissaire, le protonotaire a correctement évalué la preuve produite par le demandeur, et il l'a avec raison jugée insuffisante.


[51]            Puis le commissaire aborde la question du secret professionnel de l'avocat au regard des renseignements que voudrait obtenir le demandeur. Il soutient que le protonotaire a jugé à bon droit que ses communications avec l'avocat de la Commission sont protégées par le secret professionnel de l'avocat. Cependant, il croit que le protonotaire s'est trompé lorsqu'il a dit que les renseignements recherchés par le demandeur à propos du rôle et des activités de l'avocat de la Commission après l'étape des audiences publiques de l'enquête pouvaient être divulgués sans que soit violé le secret professionnel de l'avocat.

[52]            Sur ce point, le commissaire est d'avis que le secret professionnel de l'avocat est applicable non seulement aux communications avec des avocats, mais également à tout renseignement se rapportant au rôle joué par ces avocats après l'étape des audiences publiques, y compris aux consultations données par les avocats au commissaire durant la rédaction de son rapport. Il dit que le demandeur a clairement indiqué dans ses conclusions écrites qu'il est en quête de renseignements portant sur les communications avec l'avocat de la Commission durant l'étape de la rédaction du rapport, y compris de renseignements permettant de voir si l'avocat de la Commission a usé de son influence à ce moment-là.

[53]            Pour le commissaire, ces aspects sont validement englobés dans le privilège du secret professionnel de l'avocat et le protonotaire s'est trompé en limitant l'application de ce privilège aux seules communications avec l'avocat de la Commission.


[54]            Finalement, le commissaire avance que le protonotaire a conclu à juste titre que le demandeur n'avait pas rempli les conditions impératives des règles 238 et 271, qui justifieraient la délivrance d'une ordonnance l'enjoignant de se soumettre, en tant que personne non partie à l'action, à un interrogatoire préalable ou à un interrogatoire hors de cour.

[55]            Le commissaire dit que la preuve produite par le demandeur ne milite pas en faveur de l'ordonnance qu'il sollicite et que le protonotaire a validement exercé son pouvoir d'appréciation lorsqu'il a rejeté les requêtes du demandeur.

ANALYSE

[56]            La norme de contrôle applicable à l'appel dirigé contre une ordonnance d'un protonotaire est énoncée ainsi dans l'arrêt Canada c. Aqua Gem Investments Ltd., précité, à la page 463 :

...

Si l'ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.

[57]            Dans le jugement James River Corp. of Virginia, précité, à la page 160, le juge Reed expliquait ainsi ce qu'il fallait entendre par des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal :

À titre d'exemples, constituent des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal l'enregistrement d'un jugement par défaut, la décision refusant la modification d'un acte de procédure, celle permettant l'ajout de défendeurs additionnels, donnant ainsi ouverture à la réduction de la responsabilité du défendeur existant, la décision sur une requête en rejet d'action pour défaut de poursuivre. Or, on ne peut dire d'aucun des points soulevés par les présents appels en ce qui concerne la réponse aux questions posées à l'interrogatoire préalable qu'il a une influence déterminante sur l'issue du principal. [Renvois omis]

[58]            Le présent appel et l'avis de requête qui l'accompagne se rapportent principalement à un interrogatoire préalable. Le rejet d'une demande d'autorisation d'interrogatoire préalable d'une personne non partie à l'instance n'équivaut pas ici à statuer sur un point déterminant pour l'issue du principal. Pour cette raison, il n'est pas opportun de conduire le présent appel en reprenant l'affaire depuis le début.

[59]            Le demandeur sollicite aussi une ordonnance en vue d'obtenir des éléments de preuve pour utilisation au procès à la suite de l'interrogatoire du commissaire hors de cour, mais cette requête a été rejetée par le protonotaire. Lorsqu'il a rendu son ordonnance en la matière, le protonotaire exerçait là aussi son pouvoir discrétionnaire. À mon avis, le rejet de cette partie de la requête du demandeur n'a pas lui non plus d'influence déterminante sur l'issue du principal, et le critère qui préside au contrôle de cette décision du protonotaire est de savoir si le protonotaire a ou non exercé validement son pouvoir discrétionnaire.


[60]            Le contrôle de la manière dont le protonotaire a exercé son pouvoir dépend du genre de procédure qui donne lieu à la présente action, c'est-à-dire la Commission d'enquête instituée conformément à la Loi sur les enquêtes. Dans l'arrêt Krever, précité, la Cour suprême du Canada exposait en détail la nature distinctive d'une commission d'enquête. Le juge Cory s'est exprimé ainsi, à la page 460 :

     Une commission d'enquête ne constitue ni un procès pénal, ni une action civile pour l'appréciation de la responsabilité. Elle ne peut établir ni la culpabilité criminelle, ni la responsabilité civile à l'égard de dommages. Il s'agit plutôt d'une enquête sur un point, un événement ou une série d'événements. Les conclusions tirées par un commissaire dans le cadre d'une enquête sont tout simplement des conclusions de fait et des opinions que le commissaire adopte à la fin de l'enquête. Elles n'ont aucun lien avec des critères judiciaires normaux. Elles tirent leur source et leur fondement d'une procédure qui n'est pas assujettie aux règles de preuve ou de procédure d'une cour de justice.

[61]            Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire de l'enquête sur l'approvisionnement en sang), précité, le juge Décary, de la Cour d'appel fédérale, s'exprimant à propos de l'enquête Krever, évoquait la latitude considérable dont jouissent les commissions d'enquête au regard des points de procédure. Il disait, à la page 72 :

La Loi sur les enquêtes n'impose aucun code de procédure... Il est acquis que si un commissaire dispose de toute la latitude voulue, la procédure qu'il établit doit néanmoins respecter les règles d'équité procédurale, dont celles prévues aux articles 12 et 13 de la Loi. Le concept d'équité procédurale est un concept fuyant, qui évolue au gré des types d'enquête et varie selon le mandat du commissaire et la nature des droits que l'enquête est susceptible d'affecter.

[62]            Je suis d'avis que, en l'espèce, la norme de contrôle est une norme qui appelle une retenue considérable, une norme où la cour ne pourra conclure que dans des « circonstances exceptionnelles » à une absence d'équité procédurale de la part du commissaire Parker.


[63]            Le demandeur affirme qu'il a été victime d'un manquement aux principes de l'équité procédurale en raison du rôle joué par l'avocat de la Commission dans la conduite de l'enquête, en particulier à l'étape postérieure aux audiences et à l'étape de la rédaction du rapport. Il voudrait avoir la possibilité d'obtenir du commissaire des renseignements sur les agissements de l'avocat de la Commission à l'époque. Parce que le commissaire est « étranger » à l'action, le demandeur a sollicité, en application de la règle 238, une ordonnance l'autorisant à procéder à l'interrogatoire préalable d'une personne qui n'est pas partie à l'instance.

[64]            Dans sa décision, le protonotaire Lafrenière a conclu qu'un seul aspect de l'interrogatoire répondait à toutes les conditions de la règle 238(3), c'est-à-dire l'aspect se rapportant au rôle et aux activités de l'avocat de la Commission après l'étape des audiences publiques de l'enquête. Puis le protonotaire s'est demandé si le privilège du secret professionnel de l'avocat protégeait les aspects proposés de l'interrogatoire et il a conclu que ce privilège n'est reconnu que lorsqu'il concerne les communications, non les activités, de l'avocat de la Commission. S'agissant des arguments se rapportant à l'indépendance de la justice et au secret des délibérations, il a estimé que les tribunaux quasi judiciaires ne bénéficient pas d'une immunité absolue, mais il s'est appuyé sur le jugement Glengarry, précité, pour affirmer qu'il doit exister des raisons valides de penser que les règles de la justice naturelle n'ont pas été observées avant que le secret de délibérations ne puisse être levé. Il a estimé que les raisons valides étaient absentes dans cette affaire.


[65]            Le demandeur soutient qu'il y a des raisons valides de croire que les règles de la justice naturelle n'ont pas été observées par le commissaire Parker, et il soulève dans le présent appel les mêmes arguments que ceux qui ont été soumis au protonotaire. Le défendeur dit que le protonotaire s'est trompé dans ses conclusions se rapportant au secret professionnel de l'avocat, et il soutient que les aspects de l'interrogatoire que propose le demandeur violeraient nécessairement le secret professionnel de l'avocat.

[66]            Le point à décider maintenant est de savoir si le protonotaire a « commis une erreur manifeste » lorsqu'il a jugé que le demandeur n'avait pas exposé de raisons valides donnant à penser que le commissaire avait manqué à l'équité procédurale.

[67]            À mon avis, le protonotaire n'a pas commis d' « erreur manifeste » . Il a examiné les éléments de preuve que lui avait soumis le demandeur. Ces éléments de preuve étaient une coupure de journal, et le fait que l'avocat de la Commission avait facturé 1 700 heures pour l'étape postérieure aux audiences publiques. Le protonotaire a estimé que ces éléments de preuve ne permettaient pas de conclure que le commissaire avait manqué aux principes de justice naturelle. Je ne vois aucune erreur dans la manière dont il a évalué ces éléments de preuve.


[68]            Deuxièmement, je ne suis pas convaincue que la participation de l'avocat de la Commission à la rédaction d'un rapport est nécessairement un manquement à l'équité procédurale, surtout si le commissaire a examiné le rapport, l'a signé et l'a adopté comme le sien propre. Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire de l'enquête sur l'approvisionnement en sang), précité, le juge Décary a fait les observations suivantes sur le rôle de l'avocat de la Commission, à la page 80 :

Il faut se méfier d'imposer à un commissaire qui mène une enquête publique de la nature et de l'envergure de celle-ci, des normes trop strictes relativement au rôle qu'il peut confier à ses avocats une fois les audiences proprement dites terminées. Un rapport final n'est pas une décision et la jurisprudence qui a pu se développer relativement aux décisions prises par des tribunaux administratifs, notamment en matière disciplinaire, n'est pas applicable. Il faut être réaliste et pragmatique. Le commissaire ne pourra vraisemblablement pas rédiger lui-même la totalité de son rapport ni vérifier seul l'exactitude des faits qui y seront décrits, pas plus qu'il ne pouvait raisonnablement poser lui-même toutes les questions pendant l'interrogatoire des témoins ni passer lui-même au crible les centaines de documents qui étaient produits. Ce qui importe, c'est que les conclusions qu'il tirera dans son rapport soient les siennes. S'il juge opportun, pour y parvenir, de demander l'aide d'un ou de plusieurs de ses avocats, y compris ceux qui ont procédé à l'interrogatoire des témoins, relativement à des questions de fait, de preuve et de droit, il doit disposer d'une grande marge de manoeuvre.    [Renvois omis]

[69]            Les propos du juge Décary sont instructifs. Il est clair que le commissaire est fondé, dans l'accomplissement de son mandat, à établir sa méthode de travail. Cette liberté doit signifier qu'il est autorisé à avoir recours à l'assistance d'avocats et à utiliser leurs services comme il l'entend. Il a droit au bénéfice de la présomption selon laquelle il agira dans le respect de son mandat de commissaire; la maxime omnia praesumuntur legitime facta donec probetur in contrarium s'applique à la présente affaire.

[70]            Le demandeur soutient que la possibilité que l'avocat de la Commission soit intervenu dans la rédaction du rapport final suscite une crainte raisonnable de partialité, eu égard au rôle accusatoire qu'il a exercé durant les audiences. Cependant, aucune preuve ne confirme cette allégation et d'ailleurs il n'est nullement prouvé que le commissaire a abandonné son obligation d'accomplir son mandat comme il y est tenu, et notamment de rédiger son rapport. L'argument de la partialité n'est pas recevable.


[71]            Quant aux arguments du défendeur concernant le secret professionnel de l'avocat, le défendeur affirme que les questions écrites qu'envisageait de poser le demandeur montrent que ce que le demandeur recherche, ce sont des renseignements se rapportant aux communications entre le commissaire et les avocats de la Commission. À mon avis, cet argument n'est pas sans mérite. Je me réfère aux questions suivantes, qui apparaissent dans les interrogatoires écrits du demandeur :

[TRADUCTION]

36.           Les défendeurs admettent-ils que, malgré ces considérations, le commissaire Parker a invité les avocats de la Commission à présenter des arguments écrits et que lesdits arguments couvraient plus de 700 pages et défendaient des positions et conclusions qui étaient défavorables à M. Stevens?

40.           Quelle décision le commissaire Parker a-t-il finalement prise à propos du rôle qui, le cas échéant, serait attribué aux avocats de la Commission dans la préparation de son rapport?

41.           Après la clôture des audiences publiques le 20 février 1987, le commissaire Parker a-t-il à un moment quelconque reçu des arguments ou des avis de la part des avocats de la Commission? Dans l'affirmative, à quoi lesdits arguments ou avis se rapportaient-ils?

44.           Le commissaire Parker a-t-il donné suite aux arguments ou avis qu'il a reçus des avocats de la Commission après la clôture des audiences publiques? Dans l'affirmative, de quelle façon? Dans la négative, pourquoi?

Dossier de requête du demandeur, pages 17 - 19.


[72]            Je suis sûre que toutes ces questions relèvent du secret des délibérations parce qu'elles portent sur des matières intéressant la partie du mandat du commissaire qui concernait l'exposé de conclusions. Le protonotaire a examiné les précédents définissant le principe du secret des délibérations et les circonstances dans lesquelles ce secret peut être levé. Le protonotaire n'a pas commis une « erreur manifeste » lorsqu'il a examiné cet aspect. Je ne vois ici aucune raison impérieuse de modifier sa décision.

[73]            Le demandeur dit que seul le commissaire peut témoigner sur la manière dont il comprenait son mandat et sur le sens de l'expression « conflit d'intérêts » . Par ailleurs, bien que le rapport énonce les normes d'après lesquelles a été jugée la conduite du demandeur, la manière dont ces normes ont été établies est inconnu. Puisque l'avocat de la Commission est sujet au privilège du secret professionnel de l'avocat, auquel seul le commissaire Parker peut renoncer, et puisqu'il n'y a pas eu renonciation, le demandeur soutient que seul le commissaire peut témoigner sur l'ascendant qui a pu être exercé par une autre partie, tel l'avocat de la Commission, après la clôture des audiences publiques.

[74]            Le protonotaire a rejeté ces arguments. Je ne suis pas convaincue qu'il a commis une « erreur manifeste » en les rejetant, eu égard à son examen du principe du secret des délibérations et du principe de l'indépendance de la justice. Sa décision ne devrait pas sur ce fondement être annulée.


[75]            Quant à la requête du demandeur pour que le commissaire Parker soit interrogé hors de cour conformément à la règle 271, le protonotaire a refusé de l'examiner. Je suis convaincue que la preuve produite au soutien de la requête est insuffisante.

[76]            Finalement, s'agissant de la requête du demandeur pour que le commissaire soit contre-interrogé, je ne suis pas convaincue que le protonotaire a commis une erreur sujette à révision lorsqu'il a décidé ce point. Il n'y a aucun fondement sur lequel autoriser la requête du demandeur pour que soit contre-interrogé le commissaire Parker, ni même pour qu'il soit interrogé en application des règles 238 et 271.

[77]            En définitive, la requête du demandeur est rejetée.

                                        ORDONNANCE

La requête est rejetée.

          « E. Heneghan »          

Ottawa (Ontario)                                                                                                      Juge

le 3 janvier 2002

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                   T-2682-87

INTITULÉ :                            Sinclair Stevens c. Procureur général du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :      Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :    le 17 mai 2001

MOTIFS DU JUGEMENT DE Madame le juge Heneghan

DATE DES MOTIFS :           le 3 janvier 2002

ONT COMPARU :

Peter Jervis (416) 601-2356                                          POUR LE DEMANDEUR

Sean Gaudet (416) 954-1213                                        POUR LE DÉFENDEUR

Eleanor Cronk et David Gruber (416) 644-5359           POUR LE DÉFENDEUR (non-partie)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Peter Jervis (416) 601-2356                                          POUR LE DEMANDEUR

Sean Gaudet (416) 954-1213                                        POUR LE DÉFENDEUR

Eleanor Cronk (416) 644-5359                                     POUR LE DÉFENDEUR (non-partie)


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