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Date : 20020322

Dossier : T-554-99

Référence neutre : 2002 CFPI 319

ENTRE :

                                               LA SOCIÉTÉ RADIO-CANADA

                                                                                                                                 demanderesse

                                                                         - et -

                                                            DARREN JUDGE

                                                                                                                                         défendeur

                                                                         - et -

                                             LA COMMISSION CANADIENNE

                                              DES DROITS DE LA PERSONNE

                                                                                                                                     intervenante

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE HENEGHAN

INTRODUCTION


[1]                 La Société Radio-Canada (SRC) (la demanderesse) demande le contrôle judiciaire d'une ordonnance datée du 18 février 1999 rendue par la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission), en vertu de laquelle la Commission a décidé de recevoir une plainte déposée par M. Darren Judge (le défendeur) contre la SRC, bien qu'elle l'ait été plus de douze mois après la date de l'acte prétendument discriminatoire.

[2]                 Le défendeur a déposé une plainte au motif que le SRC aurait exercé contre lui une discrimination fondée sur une déficience, en lui refusant des possibilités de formation et en le congédiant, en contravention de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, et ses modifications (la Loi). Le défendeur est aveugle au sens de la loi.

LES FAITS

[3]                 De 1990 au 31 mars 1997, le défendeur a travaillé pour la SRC, à titre de radiotechnicien du groupe 4 à la station d'Halifax. Il travaillait comme technicien d'exploitation pour des émissions de musique, généralement des émissions avec animateur où l'on faisait jouer des disques ou préenregistrées.

[4]                 Il a été mis à pied le 31 mars 1977, dans le cadre d'une réduction à l'échelle nationale par la SRC des effectifs de la radio de langue anglaise, par suite de la mise en service de nouveau matériel et de la mise en place de nouvelles méthodes d'exploitation. En 1996, la SRC avait implanté un système de radiodiffusion informatisé pour son service radio.


[5]                 Ce système, connu sous le nom de Dalet, permettait aux employés d'enregistrer, de monter et de repasser du matériel audio destiné à la radiodiffusion en recourant uniquement à un écran de terminal d'ordinateur et à un clavier. Les employés des services techniques de la station de radio d'Halifax de la SRC dont l'emploi était touché par le nouveau système Dalet ont reçu une formation à son égard. Aucune formation n'a été dispensée au demandeur parce qu'on fait fonctionner ce système au moyen d'affichage graphique sur écran d'ordinateur, et que sa déficience l'empêchait de se servir du programme sans une certaine forme d'aménagement.

[6]                 La première phase de la réduction du personnel a eu lieu en 1996 lorsque dix-huit postes ont été déclarés superflus. La seconde étape a eu lieu en 1997. Le défendeur devait être mis à pied à l'automne de 1996, en attendant qu'un autre emploi lui soit trouvé. En raison de la déficience visuelle du défendeur, toutefois, la direction de la station de radio d'Halifax a pu obtenir de l'argent d'un fonds spécial, CBC Help, et sa mise à pied a été retardée jusqu'au 15 mars 1997. La direction a également trouvé des sommes additionnelles dans le budget de la station et cette mise à pied a de nouveau été reportée jusqu'au 31 mars 1997.


[7]                 La demanderesse déclare avoir consenti de nombreux efforts pour trouver un autre emploi au défendeur, mais qu'aucun emploi n'était disponible en bout de ligne. On a également informé le défendeur que des consultations avaient été engagées entre son syndicat, le Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier (le SCEP), et la SRC afin de lui trouver un éventuel emploi de substitution.

[8]                 Le défendeur était le seul radiotechnicien à avoir perdu son emploi à la station de radio d'Halifax de la SRC par suite de l'implantation de la technologie Dalet.

[9]                 Après avoir été mis à pied, le défendeur a consulté des conseillers en emploi se spécialisant dans la recherche d'occasions d'emploi pour les personnes qui ont une déficience. Le défendeur a appris par ce biais, à la fin de l'été ou au début de l'automne 1997, l'existence de programmes logiciels conçus pour les personnes ayant une déficience visuelle. Ces programmes convertissent les représentations graphiques générées par les systèmes tels que le Dalet en représentations sonores. Les conseillers en emploi ont mis à l'essai un programme, connu sous le nom de « JAWS » , qu'ils ont appliqué au système Dalet utilisé aux studios de la SRC à Halifax. Le test a révélé que JAWS réussissait à faire fonctionner le système Dalet en remplaçant les représentations graphiques par des caractères sonores.

[10]            Le 3 mars 1998, le défendeur a déposé un grief en vertu de la convention collective entre le SCEP et la SRC, alléguant que cette dernière avait enfreint les dispositions en le congédiant injustement le 31 mars 1997. Il demandait à être réinstallé dans ses fonctions de radiotechnicien du groupe 4.


[11]            Le 20 juillet 1998, le défendeur a déposé une plainte auprès de la Commission, alléguant que la demanderesse avait exercé contre lui une discrimination fondée sur sa déficience, en contravention de l'article 7 de la Loi. Il a soutenu qu'on lui avait refusé des possibilités de formation et qu'on l'avait congédié injustement.

[12]            La demanderesse a pris connaissance de cette plainte le 13 août 1998, lorsqu'elle a reçu une lettre de la Commission datée du 10 août 1998. La lettre précisait que la Commission comptait étudier la plainte malgré le temps écoulé depuis l'acte prétendument discriminatoire. La lettre ne faisait pas état du délai d'un an prévu à l'alinéa 41(1)e) pour déposer une plainte, ni du fait que la Commission se proposait de prolonger de plus de quatre mois ce délai.

[13]            La demanderesse a répondu à la lettre de la Commission le 24 août 1998, faisant remarquer que celle-ci ne pouvait instruire une plainte présentée hors délai à moins d'avoir d'abord décidé expressément de proroger le délai. Elle a soutenu que de telles prorogations ne pouvaient être accordées que pour des motifs impérieux, et au terme d'un processus respectueux de l'équité procédurale où l'employeur est informé des faits sur lesquels s'appuie l'intention de proroger.


[14]            La demanderesse a demandé à la Commission de décider, en bonne et due forme, s'il fallait ou non proroger le délai de présentation de la plainte du défendeur. Finalement, la demanderesse a demandé à la Commission de lui communiquer l'information mentionnée dans sa lettre et l'ayant conduite à se proposer d'étudier une plainte déposée plus de seize mois après la survenance d'actes prétendument discriminatoires.

[15]            Le 9 novembre 1998, la Commission a transmis à la demanderesse une « analyse fondée sur les articles 40 et 41 » datée du 9 novembre 1998. L'analyse énonce les motifs pour lesquels l'enquêteur s'occupant du dossier et la directrice, Direction des plaintes et des enquêtes, ont recommandé à la Commission de proroger le délai pour l'instruction de la plainte du défendeur.

[16]            La demanderesse a formulé ses commentaires sur cette analyse dans une lettre datée du 21 décembre 1998. Dans sa lettre, la demanderesse a opiné que la prorogation du délai pour présenter une plainte en vertu de la Loi portait atteinte au « [traduction] droit quasi-constitutionnel » conféré par la Loi à l'employeur de ne pas avoir à se défendre contre des plaintes formulées après le délai de prescription d'un an prévu par la Loi.


[17]            La demanderesse a également affirmé que, lorsque la Commission déclarait simplement que le délai pour présenter une plainte devait être prorogé parce que cela était dans l'intérêt public, cela équivalait à dire qu'il faudrait accorder une prorogation à l'égard de toutes les plaintes.

[18]            Il n'y a pas eu d'autres communications entre la demanderesse et la Commission au sujet de la plainte du défendeur jusqu'à ce que la demanderesse reçoive une lettre datée du 18 février 1999 dans laquelle la Commission l'informait qu'elle avait décidé d'instruire la plainte.

[19] Le 25 mars 1999, la demanderesse a déposé sa demande de contrôle judiciaire. La Commission a produit divers documents dans le cadre de cette demande. Ceux-ci faisaient état de faits que la demanderesse ignorait avant de présenter sa demande de contrôle judiciaire. Parmi ces faits, il y avait l'existence d'un Guide de la mise en oeuvre, qui était en vigueur au moment où la Commission a établi son rapport traitant de la plainte du défendeur. Le Guide de la mise en oeuvre renfermait les directives suivantes sur le traitement des plaintes tardives : Depuis décembre 1991, les services opérationnels sont investis du pouvoir administratif d'entreprendre une enquête sur une plainte même quand le délai prescrit a été dépassé si, de l'avis du directeur, il s'agit d'une situation que la Commission traiterait vraisemblablement de la même façon. Le rapport, une fois rédigé, doit comprendre une partie traitant de l'article 41.

  • S'il advenait qu'un mis en cause s'oppose à ce que l'on fasse enquête sur la plainte même si le délai est expiré, le directeur devrait expliquer les avantages qu'il y a à procéder sur-le-champ (économie de temps, nouveauté des éléments de preuve, etc.). Cependant, si le mis en cause persiste, l'agent compétent doit établir un rapport relatif à l'article 41 qu'il présentera à la Commission afin de recommander que la plainte s'inscrive dans le délai prescrit.
  • Dossier de la demande de l'intervenante, affidavit de Dianne Guimond, onglet A

[20]            Parmi les documents produits par la Commission, il y avait également une lettre datée du 10 août 1998 envoyée au défendeur. Cette lettre renfermait la déclaration suivante :

      [traduction][...] Si la Société Radio-Canada n'élève pas de protestations formelles, on poursuivra l'étude de la plainte sans renvoi à la Commission. Une fois l'enquête terminée, le rapport de l'enquêteur, qui traitera de la question du délai de même que des questions de fond, sera transmis à la Commission en vue d'une décision sur les deux aspects de la plainte en même temps. Il s'agit d'une décision administrative. Si la Société Radio-Canada devait élever des protestations formelles parce que nous étudions votre plainte, en raison de l'expiration du délai, un rapport sera établi et transmis à la Commission, où il sera recommandé que votre plainte soit instruite. [Non souligné dans l'original.]

Dossier de la demande de la demanderesse, à la page 286

[21]            La lettre transmise au défendeur différait de celle transmise à la demanderesse. Dans sa lettre datée du 10 août 1998 adressée à la SRC, la Commission a déclaré ce qui suit :

      [traduction][...] Sur la foi de l'information disponible, nous entendons faire enquête sur la plainte malgré le temps écoulé depuis la survenance des actes présumés. Une fois l'enquête terminée, le rapport de l'enquêteur sera remis à la Commission en vue d'une décision sur la question du délai ainsi que les questions de fond. Je peux vous assurer que vos droits seront protégés et que vous disposerez, comme il est de coutume, de l'occasion de faire connaître votre avis sur toutes les questions soumises à l'examen de la Commission. [Non souligné dans l'original.]

Dossier de la demande de la demanderesse, à la page 232

  

[22]            La demanderesse demande maintenant le contrôle judiciaire de la décision rendue le 18 février 1999 par la Commission au motif que la décision d'étudier la plainte du défendeur donne lieu à une crainte raisonnable de partialité de la part de la Commission et que celle-ci a manqué à son obligation d'agir équitablement en matière de procédure. Voici la partie pertinente de la décision qui fait l'objet d'un contrôle judiciaire :

     [traduction]Eu égard à l'alinéa 41(1)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission a décidé d'instruire sur la plainte parce que :

après le congédiement par la mise en cause du plaignant en mars 1997, ce dernier a tenté de régler le problème en déposant un grief;

le plaignant a communiqué avec la Commission en juin 1998, après avoir été informé que le grief serait soumis à l'arbitrage, sans qu'une date ne soit fixée;

il n'y a aucune preuve de préjudice subi par la mise en cause, compte tenu du fait que la question fait l'objet d'un grief et que les renseignements et documents pertinents devraient être disponibles.

Dossier de la demande de la demanderesse, à la page 251

[23]            Au moyen d'une ordonnance datée du 30 mai 2000, la Commission a obtenu l'autorisation d'intervenir dans le cadre de la présente demande.

QUESTIONS EN LITIGE

[24]            La question soulevée dans la présente demande est celle de savoir si la décision de la Commission de proroger le délai pour étudier la plainte du défendeur est viciée par des violations de l'obligation d'agir équitablement en matière de procédure, du fait notamment d'une crainte raisonnable de partialité de la part de la Commission.


PRÉTENTIONS DU DEMANDEUR

[25]            La demanderesse soutient que les enquêteurs de la Commission ont l'obligation d'agir équitablement envers les parties intéressées, en l'occurrence l'employeur. À tout le moins, la Commission doit être exempte de parti pris et ne pas avoir arrêté de décision à l'avance relativement aux questions soulevées par une plainte. La demanderesse se fonde à cet égard sur Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623, à la page 638.

[26]            La demanderesse soutient que la décision d'accorder une prorogation de délai était arrêtée d'avance. Le 10 août 1998, soit le jour où la Commission a envoyé pour la première fois une copie de la plainte à la demanderesse, elle a écrit au défendeur et l'a informé qu'elle comptait faire enquête au sujet de la plainte, même si les faits allégués étaient survenus plus d'une année avant le dépôt de celle-ci. Aucune copie de cette lettre n'a jamais été envoyée à la SRC, et elle n'a été produite qu'une fois débutée la présente instance.


[27]            La demanderesse soutient que la lettre du 10 août que la Commission lui a adressée fait voir également que la décision était arrêtée d'avance. La Commission informait la demanderesse dans cette lettre que, sur la foi de l'information disponible, elle comptait faire enquête sur la plainte malgré le temps écoulé depuis la date de l'acte présumé. La directrice, Direction des plaintes et des enquêtes, a informé la demanderesse qu'une fois l'enquête terminée, le rapport de l'enquêteur serait transmis à la Commission en vue d'une décision sur la question de la prorogation du délai de même que sur les questions de fond.

[28]            La lettre ne mentionne pas que, advenant qu'une objection soit soulevée quant au délai de présentation des plaintes du défendeur, la décision était déjà prise d'établir et de transmettre à la Commission un rapport recommandant de statuer sur la plainte. La demanderesse n'a pas été informée du fait que la Commission s'était engagée auprès du défendeur à recommander la prorogation du délai pour le dépôt de sa plainte, peu importe les observations qui pourraient être présentées par la demanderesse.

[29]            La demanderesse se fonde à cet égard sur les décisions Canada (Procureur général) c. Commission canadienne des droits de la personne et Boone (1993), 60 F.T.R. 142 (1re inst.), à la page 156 et Canada (Procureur général) c. Commission canadienne des droits de la personne et al. (1991), 43 F.T.R. 47 (1re inst.), à la page 64.

[30]            La demanderesse soutient que le rapport intitulé « analyse fondée sur les articles 40 et 41 » et daté du 9 novembre peut uniquement être décrit comme un artifice visant à justifier une conclusion tirée d'avance.


[31]            La demanderesse soutient qu'on tente dans le rapport de justifier le dépôt tardif de la plainte en déclarant que le défendeur avait donné un motif pour expliquer son retard, soit qu'il ignorait jusqu'à l'été ou au début de l'automne de 1997 l'existence d'un procédé technique permettant la prise en compte de sa déficience. La demanderesse soutient que, même si cette découverte était pertinente, le rapport n'aborde même pas la question de l'absence totale de justification raisonnable pour l'inaction du défendeur pendant au moins neuf mois entre l'été ou le début de l'automne de 1997 et juin 1998, soit l'époque où il a communiqué pour la première fois avec la Commission.

[32]            La demanderesse soutient également que le rapport se fonde sur des considérations non pertinentes, comme le fait que le défendeur a obtenu un emploi temporaire et que s'il n'a pas un poste permanent il n'aura pas l'occasion de perfectionner ses compétences dans son domaine. La demanderesse prétend que cela est non seulement sans pertinence, mais présuppose le bien-fondé de la plainte avant même qu'on n'ait procédé à une enquête à ce sujet.


[33]            La demanderesse soutient également que la Commission avait l'obligation de faire preuve de rigueur dans son enquête, se fondant à cet égard sur Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879 et sur Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574 (1re inst.), à la page 598. La demanderesse affirme que la Commission a manqué à son obligation de rigueur en arrêtant à l'avance tant la conclusion de l'enquête que sa décision sur la question du délai, avant même d'avoir remis une copie de la plainte à l'employeur et sans lui avoir fourni l'occasion de présenter les faits et ses observations sur la question.

[34]            Ce manquement est d'autant plus grave que le Guide de la mise en oeuvre prévoit que, si une partie s'objecte à ce qu'une enquête soit faite sur une plainte déposée après l'expiration du délai, « l'agent compétent doit établir un rapport relatif à l'article 41 qu'il présentera à la Commission afin de recommander que la plainte s'inscrive dans le délai prescrit » . Ces dispositions du guide rendent sans effet le délai prescrit par le législateur à l'alinéa 41(1)e) de la Loi.

[35]            Le guide établit ainsi expressément un processus qui aboutira nécessairement en un rapport unilatéral renfermant une recommandation arrêtée d'avance qui rend inutile pour un intéressé de présenter des observations ou de soulever des objections. En suivant cette voie, la Commission entache le processus d'enquête de parti pris institutionnel.


[36]            La demanderesse ajoute que, même si l'analyse fondée sur les articles 40 et 41 ne lie pas la Commission et que celle-ci remet le rapport à chaque partie pour commentaires avant d'en arriver à sa décision, cela ne peut apporter remède à une analyse et une recommandation arrêtées d'avance. Toute décision prise par la Commission, dans les circonstances prévues dans le Guide de la mise en oeuvre, de proroger le délai pour la présentation d'une plainte doit faire l'objet d'un contrôle judiciaire.

[37]            La demanderesse demande que soit rendue une ordonnance ayant pour effet d'annuler la décision de la Commission, ainsi qu'une ordonnance interdisant à la Commission de poursuivre l'étude de la plainte déposée par le défendeur. Elle soutient qu'on peut clairement déduire l'existence d'un parti pris institutionnel du fait que la Commission a tout bonnement déclaré son intention arrêtée de ne pas prendre en compte les observations de l'employeur, mais de plutôt suivre comme politique de toujours recommander la prorogation du délai de présentation d'une plainte tardive.

[38]            La demanderesse affirme que le processus ayant conduit à la décision du 18 février 1999 était entaché de graves violations de l'équité procédurale, qui lui ont porté préjudice. Parmi ces violations, on avait tranché la question avant d'avoir entendu les observations de l'employeur et caché le projet de la Commission d'établir un rapport recommandant la prorogation du délai même au cas où l'employeur s'objecterait.


[39]            Si l'affaire devait être renvoyée à la Commission, la question de la prorogation du délai devrait de nouveau être étudiée et une autre décision devrait être rendue, ce qui occasionnerait des retards. Il en résulterait un accroissement du préjudice subi par la demanderesse en raison de l'affaiblissement des souvenirs découlant inévitablement de l'écoulement du temps.

[40]            La demanderesse soutient, pour ces motifs, que les violations des principes fondamentaux d'équité et les retards déjà subis sans qu'elle en soit responsable justifient de rendre une ordonnance interdisant à la Commission de poursuivre l'étude de la plainte.

PRÉTENTIONS DU DÉFENDEUR

[41]            Le défendeur prétend que la Commission n'a enfreint en rien la règle de l'équité procédurale et que la Cour, en outre, ne devrait pas interdire l'étude de sa plainte puisqu'il n'a commis aucune faute et qu'il ne devrait pas être privé de son droit de faire instruire sa plainte conformément à la loi. Le défendeur se fonde à ce sujet sur Société Radio-Canada c. Commission canadienne des droits de la personne et al. (1993), 71 F.T.R. 214.

[42]            Dans La Société Radio-Canada c. Graham et al. (1999), 170 F.T.R. 142 (C.F. 1re inst.), la Commission semble avoir suivi le même processus qu'en l'espèce relativement à une analyse fondée sur les articles 40 et 41. Or, dans cette décision, le juge Pinard a conclu qu'on n'avait pas manqué à l'équité procédurale envers la SRC. La Cour a reconnu le caractère équitable de ce processus.


[43]            Le défendeur nie également qu'il y ait le moindre fondement à l'argument selon lequel la décision d'étudier sa plainte dénote l'existence d'un parti pris. La demanderesse, en tant qu'employeur, a été conviée à présenter des observations en réponse à l'analyse fondée sur les articles 40 et 41. La Commission a pris en compte tant le rapport que les observations de la demanderesse pour en arriver à sa décision du 18 février 1999. Le dossier fait voir que la décision n'était pas arrêtée d'avance.

[44]            Le défendeur soutient en outre que la demanderesse confond le rôle de la directrice, Direction des plaintes et des enquêtes, et celui de la Commission. La décision prise le 18 février 1999 était une décision de la Commission, un organisme créé par une loi qui est distinct de la directrice.

[45]            Le défendeur prétend qu'il n'y a rien de répréhensible dans les directives énoncées dans le Guide de la mise en oeuvre au sujet d'étapes à suivre par un enquêteur qui décide d'étudier une plainte tardive. On ne procède à une analyse fondée sur les articles 40 et 41 que si l'enquêteur décide d'examiner une plainte et si le mis en cause ne s'objecte pas à cette décision. Le guide prévoit la formulation par l'enquêteur d'une recommandation conforme à la décision initiale. C'est toutefois à la Commission qu'il incombe d'accepter ou de rejeter la recommandation de l'enquêteur.


[46]            Le défendeur soutient finalement que, si la Cour décide d'annuler la décision de la Commission, le recours extraordinaire d'ordonnance de prohibition ne devrait pas être octroyé comme cela équivaudrait à le priver du droit reconnu par la loi de formuler une plainte et de la laisser instruire par la Commission. Le défendeur se fonde à ce sujet sur Société Radio-Canada c. Commission canadienne des droits de la personne et al., précitée.

PRÉTENTIONS DE L'INTERVENANTE

[47]            La Commission soutient tout d'abord que, bien que la Cour ait compétence pour réviser les décisions et contrôler les procédures devant la Commission, elle a déjà statué que les décisions de nature préliminaire donnent lieu à une protection procédurale de moindre importance que les décisions à caractère définitif. L'intervenante se fonde à ce sujet sur Société canadienne des postes c. Barrette (1998), 157 F.T.R. 278 (1re inst.).

[48]            En l'espèce, la Cour doit examiner quelle interprétation il convient de donner à l'alinéa 41(1)e), si des droits formels sont touchés par une décision prise en vertu de cette disposition et, finalement, si les exigences en matière d'équité procédurale applicables à une telle décision doivent prendre en compte la nature des droits touchés.


[49]            Selon la Commission, la Loi envisage différentes étapes dans le traitement d'une plainte. Une fois qu'une plainte a été déposée, l'article 41 requiert que la Commission décide, à titre de question préliminaire, si elle va « statuer » ou faire enquête sur une plainte compte tenu de divers facteurs, notamment l'opportunité de la plainte ou la disponibilité d'autres recours. On constate, à la lecture de l'ensemble de la Loi, que celle-ci ne décrit pas de manière détaillée le mode de traitement des plaintes. La Cour a reconnu que la Commission dispose d'un large pouvoir discrétionnaire quant à ce mode de traitement.

[50]            La Commission déclare qu'à titre d'organisme de triage initial, il lui est imposé par la loi de statuer sur toutes les plaintes de discrimination. Le libellé de l'alinéa 41(1)e) fait écho à cette obligation, en prévoyant que la Commission doit instruire toutes les plaintes déposées dans les douze mois suivant la date d'actes prétendument discriminatoires. La Commission peut, à sa discrétion, statuer sur les plaintes déposées après ce délai.

[51]            La Loi prévoit qu'on peut s'attaquer aux questions préliminaires reliées aux exceptions restreintes de l'article 41 au moyen d'un examen du dossier permettant d'évaluer s'il y a lieu de poursuivre ou non l'étude de la plainte. Ces exceptions restreintes à l'obligation générale imposée à la Commission de statuer sur toutes les plaintes dont elle est saisie peuvent également être appliquées après la fin de l'enquête en vertu du paragraphe 44(2) et du sous-alinéa 44(3)b)(ii).


[52]            La Commission soutient qu'on peut constater, en les lisant de concert, que l'article 41 s'applique avant l'enquête et l'article 44 après celle-ci. Elle déclare que le libellé de la Loi à ce sujet est un élément important à considérer en vue d'établir les exigences applicables en matière d'équité procédurale.

[53]            La Commission n'est pas d'accord avec l'argument de la demanderesse selon lequel l'alinéa 41(1)e) confère le droit d'échapper à une « vieille » plainte. Elle cite à l'appui de sa prétention des remarques incidentes faites dans Barrette, précitée, (1re inst.) au paragraphe 30 : Je suis incapable d'admettre qu'il s'agit d'une interprétation correcte de l'article 41. D'abord, comme je l'ai mentionné, la rédaction de cette disposition est telle que de nombreuses questions sont laissées à la discrétion de la Commission : cette faculté est incompatible avec l'idée qu'on devrait interpréter cette disposition comme si elle accordait le droit de ne pas faire l'objet d'une enquête dans des circonstances précises. La Commission peut quand même instruire la plainte si elle le veut. Bien que les mis en cause soient sans aucun doute avantagés par l'existence des motifs énumérés à l'article 41, on peut également considérer que ces motifs ont été édictés pour permettre à la Commission de répartir efficacement ses ressources limitées.

[54]            Selon la Commission, ces commentaires incidents sont conformes au libellé de l'alinéa 41(1)e). Le délai de douze mois mentionné dans la Loi est celui pendant lequel la Commission n'a pas le pouvoir discrétionnaire de ne pas instruire une plainte.

[55]            La Commission soutient ensuite qu'on a fait erreur dans la décision Commission canadienne des droits de la personne c. Société Radio-Canada, Re Vermette (1996), 120 F.T.R. 81. La Commission soutient également que la demanderesse s'est fondée à tort sur Tolofson c. Jensen, [1994] 3 R.C.S. 1022.


[56]            Dans Vermette, précitée, la Cour a déclaré, en se fondant sur l'arrêt Tolofson, précité, que l'alinéa 41(1)e) créait un délai de prescription en faveur du mis en cause. L'intervenante soutient que, dans Tolofson, la cour devrait trancher une question de conflits de lois plutôt que celle de savoir si un délai de prescription donnait ou non naissance à un droit formel.

[57]            La Commission soutient que l'arrêt Tolofson n'est pas applicable parce que l'alinéa 41(1)e) ne crée pas un délai de prescription en faveur de l'employeur. Plutôt, le droit de déposer une plainte après le délai imparti est assujetti au pouvoir discrétionnaire de la Commission. Les pouvoirs de celle-ci en vertu de l'alinéa 41(1)e) sont de nature administrative; ils ne permettent pas d'établir des droits formels ni d'examiner le bien-fondé d'une plainte.

[58]            En conclusion, la Commission soutient que la présente demande devrait être rejetée.

ANALYSE

[59]            Tel qu'il a été mentionné précédemment, la demanderesse demande l'annulation de la décision de la Commission de permettre qu'on poursuive l'étude de la plainte du défendeur même si celle-ci a été déposée plus de douze mois après la survenance de l'acte prétendument discriminatoire. Dans sa plainte, le défendeur allègue avoir fait l'objet de discrimination fondée sur une déficience. Les dispositions pertinentes de la Loi sont les articles 3 et 7. Le paragraphe 3(1) prévoit ce qui suit :



3(1) Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

3(1) For all purposes of this Act, the prohibited grounds of discrimination are race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, marital status, family status, disability and conviction for which a pardon has been granted.


[60]            L'article 7 donne une large définition à l'acte discriminatoire :


7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects_:

a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d'emploi.

7. It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

(a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee,on a prohibited ground of discrimination.


[61]            La Loi requiert que la Commission instruise toute plainte dont elle est saisie, à moins que celle-ci ne fasse partie d'une des catégories énumérées à l'article 41. Le paragraphe 41(1) prévoit ce qui suit :



41. (1) Sous réserve de l'article 40, la Commission statue sur toute plainte don't elle est saisie à moins qu'elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants_:

a) la victime présumée de l'acte discriminatoire devrait épuiser d'abord les recours internes ou les procédures d'appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;

c) la plainte n'est pas de sa compétence;

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

e) la plainte a été déposée après l'expiration d'un délai d'un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

41. (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

(a) the alleged victim of the discriminatory practice to which the complaint relates ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available;

(b) the complaint is one that could more appropriately be dealt with, initially or completely, according to a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act;

(c) the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or


       Bien que la Cour ait déjà statué que l'alinéa 41(1)e) ne confère pas à une partie intéressée le droit d'échapper à une enquête lorsque la plainte est hors délai, comme c'était le cas dans Barrette, précitée, (1re inst.), cette jurisprudence a été considérablement modifiée par la décision de la Cour d'appel fédérale dans Société canadienne des postes c. Barrette, [2000] 4 C.F. 145. Dans cet arrêt, la Cour d'appel fédérale a statué que le juge de première instance avait mal apprécié la preuve lorsqu'il a conclu que la Commission avait pris en compte les observations présentées par l'employeur.

[63]            Fait à souligner, la Cour d'appel a conclu que, bien qu'il n'y ait pas d'obligation d'enquêter à l'étape de l'examen préalable préliminaire, la Commission est tenue d'examiner s'il y a prima facie des motifs fondés sur le paragraphe 41(1) et de décider, dans l'affirmative, s'il faut ou non traiter la plainte. Toutefois, la Commission ne peut se contenter de ne pas tenir compte d'observations faites à l'étape préliminaire ou encore de rejeter systématiquement de telles observations au motif que l'intéressé aura, de toute façon, l'occasion de présenter de nouveau ses observations à l'étape de l'examen préalable. Plus important encore, la Cour d'appel a conclu qu'à moins d'examiner les questions soulevées par l'intéressé, la Commission ne remplit pas une obligation qui lui incombe en vertu de la loi.


[64]              La cour s'est exprimée comme suit sur cette question, aux paragraphes 22 à 25 de ses motifs :Il me semble, après avoir lu l'exposé des faits et du droit de la Commission et entendu la plaidoirie de son avocate, que la Commission n'a pas vraiment pris au sérieux le processus d'examen préalable prévu à l'article 41 de la Loi. Il est vrai que les cours ont maintes fois statué qu'elles n'infirmeraient pas à la légère des décisions que la Commission a prises en vertu du processus d'examen préalable prévu à l'article 44 de la Loi, et à plus forte raison pour ce qui est des décisions prises en vertu du processus prévu à l'article 41 de la Loi. Cependant, les cours ont rendu ces décisions après avoir supposé que la Commission avait effectivement exercé ses fonctions en vertu de ces deux articles et qu'elle ne s'était pas acquittée de sa tâche à la légère.

L'article 41 impose à la Commission l'obligation de s'assurer, même proprio motu, qu'une plainte mérite d'être traitée. De toute évidence, il n'incombe à la Commission aucune obligation de mener une enquête à ce stade-là, et la Commission n'est tenue d'examiner que la question de savoir s'il y a, prima facie, des motifs fondés sur le paragraphe 41(1) et, dans l'affirmative, celle de savoir si elle doit tout de même traiter la plainte.

En ce qui concerne les motifs énumérés aux alinéas 41(1)a) à e), la personne contre qui une plainte a été déposée dispose expressément de deux occasions de les soulever : d'une part à l'étape de l'examen préalable préliminaire prévu par l'article 41 et, d'autre part, à l'étape de l'examen préalable prévu à l'article 44 (voir les alinéas 44(2)a) et b) et les sous-alinéas 44(3)a)(ii) et b)(ii). La Commission ne peut se contenter de ne pas tenir compte d'observations faites à l'étape de l'examen préalable préliminaire ou encore de rejeter systématiquement de telles observations au motif que l'intéressé aura, de toute façon, l'occasion de présenter de nouveau ses observations à l'étape de l'examen préalable. L'intéressé a le droit de s'attendre à ce que la Commission examine le bien-fondé de ses observations, comme le prévoit la loi, à l'étape de l'examen préalable préliminaire, quoiqu'un tel examen se fasse, comme je l'ai déjà mentionné, de façon sommaire.

Dans le cas où elle omet d'examiner les questions que soulève la personne contre qui une plainte est faite (il s'agit de l'employeur en l'espèce), la Commission ne remplit pas une obligation qui lui incombe en vertu de la loi. L'employeur a, de par la loi, le droit de chercher à obtenir le rejet hâtif d'une plainte pour les motifs exposés au paragraphe 41(1). Cela ne peut nullement dire que des normes procédurales rigoureuses doivent être imposées à la Commission à ce stade-là ni que les tribunaux doivent examiner de façon approfondie les décisions prises en vertu du paragraphe 41(1). Nous voulons tout simplement dire que la Commission doit faire son travail avec diligence même à cette étape préliminaire, à laquelle elle n'est tenue de faire qu'un examen préalable prima facie.

[65]            Cette décision de la Cour d'appel fédérale s'écarte de la jurisprudence antérieure portant qu'un intéressé n'a pas droit à ce qu'une plainte soit rejetée si elle est déposée plus d'un an après l'acte prétendument discriminatoire. Graham, précitée, se fondait sur la décision de première instance dans Barrette, précitée, (1re inst.), et ne constitue donc plus un énoncé fidèle du droit. La Commission ne peut avoir gain de cause en se fondant sur Graham et les décisions qui lui ont succédé.


[66]            La décision de la Cour d'appel dans Barrette, précitée, établit que la demanderesse avait le droit de chercher à obtenir le rejet de la plainte du défendeur pour les motifs exposés à l'article 41. Il n'en reste pas moins qu'il faut établir si la Commission a véritablement examiné ou non les questions soulevées par la demanderesse dans la lettre qu'elle lui adressait le 24 août 1998.

[67]            Comme on l'a déjà mentionné, cette lettre énonçait la position de la demanderesse selon laquelle la Commission ne peut faire enquête sur une plainte tardive à moins d'avoir expressément décidé de proroger le délai de présentation, cela ne pouvant être accordé que pour des motifs impérieux. Dans sa lettre, la demanderesse demandait en bonne et due forme que la Commission décide de proroger ou non le délai.

[68]            Les documents produits par la Commission démontrent que celle-ci avait bel et bien décidé d'instruire la plainte du demandeur dès le 10 août 1998, malgré la lettre du même jour qu'elle a envoyée à la demanderesse. La lettre du 10 août 1998 au défendeur fait voir que la Commission avait décidé de poursuivre l'étude de sa plainte avant même d'avoir sollicité les observations de la demanderesse.

[69]            À mon avis, la décision prise par la Commission le 18 février 1999 ne dénote pas une prise en considération des arguments et observations présentés par la demanderesse. Bien que portant la date du 18 février 1999, la décision est en fait l'écho d'une autre prise par la Commission dès le 10 août 1998. La seule existence de la lettre au défendeur datée du 10 août 1998 suffit à jeter un doute sur la totalité du processus ayant conduit à la décision du 18 février 1999.


[70]            En me fondant sur l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans Barrette, précitée, je suis d'avis d'accueillir la demande en partie, d'annuler la décision datée du 18 février 1999 et de renvoyer l'affaire à la Commission pour nouvel examen en conformité avec la décision de la Cour d'appel fédérale dans Barrette.

[71]              La seule question qu'il reste à trancher, par conséquent, concerne la demande par la demanderesse d'une ordonnance de prohibition ayant pour effet d'interdire à la Commission de poursuivre l'étude de la plainte déposée par le défendeur. Une ordonnance de prohibition constitue un recours extraordinaire dont l'octroi relève du pouvoir discrétionnaire de la cour. Dans Krause c. Canada, [1999] 2 C.F. 476 (C.A.), la Cour d'appel fédérale a déclaré ce qui suit, à la page 498 :Par contre, le bref de prohibition a une fonction préventive et non corrective. Il permet aux tribunaux judiciaires d'exercer un certain contrôle non seulement sur les tribunaux administratifs inférieurs, mais encore sur les autorités administratives en général. Spécifiquement, il peut être invoqué pour [traduction] « interdire aux autorités administratives d'excéder leurs pouvoirs ou d'en abuser » . En effet, l'ordonnance de prohibition a servi à contrôler l'exercice par ces autorités des pouvoirs qu'elles tiennent de la loi, ce qui embrasse tout simple acte qui n'est pas une décision juridique, et même toute décision préliminaire conduisant à une décision qui affecte des droits, bien que la décision préliminaire ne porte pas directement atteinte à ces droits. [Renvois omis.]

[72]            On ne doit accorder une ordonnance de prohibition que lorsque les circonstances l'exigent. Dans Lignes aériennes Canadien International Limitée c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1996] 1 C.F. 638 (C.A.), autorisation d'en appeler à la C.S.C. refusée (1996), 205 N.R. 399 (C.S.C.), la cour a statué qu'une ordonnance de prohibition peut être accordée pour un retard non imputable à la partie demanderesse lorsqu'il est démontré que le préjudice causé par ce retard priverait cette partie de son droit à une défense pleine et entière.


[73]            Dans Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Tribunal des droits de la personne), [1990] 1 C.F. 627 (1re inst.), la cour a conclu que, bien qu'on doive faire un usage modéré du recours en prohibition, pour ne pas vider de son sens le processus prévu par la loi en matière de droits de la personne, on devrait interdire de procéder à une enquête lorsque cela s'avérerait inutile, coûteux et abusif.

[74]            En l'espèce, la demanderesse demande une ordonnance de prohibition à l'encontre de tout examen additionnel de la plainte du défendeur, au motif qu'il y aurait parti pris institutionnel de la Commission contre elle, à titre d'employeur.

[75]            L'argument de la demanderesse, en fait, c'est qu'on ne peut avoir confiance que la Commission respectera le droit d'un employeur de s'objecter au dépôt tardif d'une plainte et qu'on ne devrait pas la forcer à défendre ce droit alors qu'elle est confrontée à un parti pris institutionnel.

[76]            Le défendeur soutient, pour sa part, qu'il n'a rien à voir avec le processus décisionnel suivi par la Commission et qu'il ne devrait pas être privé de son droit de faire valoir sa plainte.

[77]            Il y a un certain fondement aux arguments avancés par la demanderesse en faveur d'une ordonnance de prohibition. Je conclus cependant, compte tenu de toutes les circonstances, qu'il serait injuste de priver le défendeur de son droit reconnu par la loi de faire instruire sa plainte par suite d'erreurs commises par la Commission. Le défendeur ne devrait pas être puni pour les actes de celle-ci.


[78]            Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de la Commission datée du 18 février 1999 est annulée. La plainte du défendeur est renvoyée à la Commission pour qu'elle l'instruise en conformité avec la décision de la Cour d'appel fédérale dans Barrette, précitée. Plus spécifiquement, la Commission doit traiter la question du dépôt tardif de la plainte de manière conforme à cette décision.

[79]            La demanderesse n'a pas demandé de dépens et aucuns ne seront adjugés.

                                           ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de la Commission datée du 18 février 1999 est annulée. L'affaire est renvoyée à la Commission pour qu'elle l'instruise conformément aux motifs de la Cour d'appel fédérale dans Société canadienne des postes c. Barrette,[2000] 4 C.F. 145; aucuns dépens ne sont adjugés.

                                                                                         « E. Heneghan »                    

ligne

                                                                                                             Juge                             

Ottawa (Ontario)

Le 22 mars 2002

  

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T-554-99

INTITULÉ :

La Société Radio-Canada c. Darren Judge et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :

Halifax (Nouvelle-Écosse)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 20 février 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :

Le juge Henegan

DATE DES MOTIFS ET DE L'ORDONNANCE :

Le 22 mars 2002

COMPARUTIONS :

Guy Dufort

POUR LA DEMANDERESSE

David Roberts

POUR LE DÉFENDEUR

Fiona Keith

POUR L'INTERVENANTE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Heenan Blaikie

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

Pink Breen Larkin

Halifax (Nouvelle-Écosse)

POUR LE DÉFENDEUR

Commission canadienne des droits de la personne

Ottawa (Ontario)

INTERVENANTE

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