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Date : 20010910

Dossier : T-1294-99

Référence neutre : 2001 CFPI 1005

ENTRE :

                                                       ROBERT MONDAVI WINERY

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                              - et -

                               SPAGNOL'S WINE & BEER MAKING SUPPLIES LTD.

                                                                                                                                               défenderesse

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON

[1]                 La présente requête de la défenderesse Spagnol's Wine and Beer Making Supplies Ltd. est un appel d'une décision en date du 13 juillet 2001 par laquelle le protonotaire Lafrenière a autorisé la demanderesse, Robert Mondavi Winery, à déposer et à signifier l'affidavit supplémentaire souscrit par M. Michael Beyer le 21 mars 2001.

[2]                 Il n'est pas nécessaire que je relate les faits pertinents, étant donné que le protonotaire les a résumés et analysés à fond dans les motifs de son ordonnance.


[3]                 L'instance à l'origine du présent procès est une procédure en radiation introduite par la demanderesse par suite de son défaut d'enregistrer sa marque de commerce WOODBRIDGE en liaison avec du vin. L'examinateur du Bureau des marques de commerce a refusé d'enregistrer la marque de commerce de la demanderesse au motif qu'elle créait de la confusion avec une marque de commerce déjà enregistrée par la défenderesse, la marque WOODBRIDGE ESTATE & DESIGN. Cette marque de commerce avait été enregistrée le 25 novembre 1994. La défenderesse revendique l'utilisation de sa marque depuis 1991. Quant à la marque de commerce WOODBRIDGE employée en liaison avec du vin, la demanderesse affirme qu'elle a vendu pour la première fois au Canada du vin en liaison avec la marque de commerce WOODBRIDGE en août 1989.

[4]                 Pour les motifs qui suivent, le présent appel sera rejeté.


[5]                 La décision du protonotaire, que la défenderesse conteste dans le présent appel, portait sur une requête présentée par la demanderesse en vertu du paragraphe 84(2) des Règles de la Cour fédérale (1998)[1] en vue d'obtenir une ordonnance l'autorisant à déposer et à signifier les affidavits supplémentaires de Michael Beyer et d'Ellice Sanguinetti. Aux termes de son ordonnance du 13 juillet 2001, le protonotaire a accordé l'autorisation demandée en ce qui concerne l'affidavit de Beyer, mais l'a refusée dans le cas de l'affidavit de Sanguinetti. Le présent appel interjeté par la défenderesse vise l'ordonnance prononcée par le protonotaire au sujet de l'affidavit de Beyer.

[6]                 Notre Cour a examiné à plusieurs occasions le paragraphe 84(2) des Règles. Je citerai deux décisions de notre Cour. La première est la décision Ruggles c. Fording Coal Ltd. et al., (1999), 168 F.T.R. 106 (C.F. 1re inst.). Voici les propos que le protonotaire Hargrave formule, aux pages 108 et 109, au sujet du critère auquel il faut satisfaire aux termes du paragraphe 84(2) :

[5]           La règle 84(2) dispose :

La partie qui a contre-interrogé l'auteur d'un affidavit déposé dans le cadre d'une requête ou d'une demande ne peut par la suite déposer un affidavit dans le cadre de celle-ci, sauf avec le consentement des autres parties ou l'autorisation de la Cour.

Cette disposition est similaire à l'ancienne règle 332.1(6) des Règles de la Cour fédérale .

[6]            Les règles relatives au dépôt d'un affidavit supplémentaire après le contre-interrogatoire sont énoncées par le juge Dubé dans Guylaine Côté c. La Reine, jugement non publié daté du 27 mai 1992 dans le dossier T-1206-89. Citant la règle 332.1(6), le juge Dubé a examiné différentes affaires antérieures et conclu que cette jurisprudence faisait ressortir trois critères à satisfaire pour obtenir l'autorisation de la Cour :

(1) l'information comprise dans l"affidavit était-elle disponible avant l'interrogatoire en question?

(2) les faits établis par l'affidavit supplémentaire sont-ils pertinents au litige?

(3) le dépôt de l'affidavit supplémentaire peut-il causer un préjudice grave aux autres parties?


Le libellé de ces critères n'indique pas s'il faut en satisfaire un seul ou l'ensemble. Toutefois, il ressort clairement de cette décision que les trois critères doivent être pris en considération et soupesés. Je passe maintenant aux affidavits en cause. [Non souligné dans l'original.]

[7] Les affidavits de MM. Jones et Noonan, que les défenderesses cherchent à déposer en réponse au contre-interrogatoire de M. Ruggles sur son affidavit, ne satisfont pas à tous les critères établis dans l'affaire Côté c. La Reine, précitée. Dans son affidavit, M. Ruggles indique que la désignation de Mme Paulhus comme défenderesse résulte du fait que son nom apparaissait sur les copies des documents qu'il avait préparés. En contre-interrogatoire, M. Ruggles a fait allusion aux conversations qu'il avait eues avec MM. Jones et Noonan, après avoir vu les documents qui portaient atteinte à son droit d'auteur, et selon lesquelles il se demandait ce que Mme Paulhus faisait avec ses documents. Les affidavits de MM. Jones et Noonan sont concis et soigneusement rédigés. Tout en reconnaissant que M. Ruggles lui avait parlé de l'utilisation par Fording des documents en cause, M. Jones nie que le nom de Mme Paulhus ait été prononcé au cours de ces conversations et ajoute que rien n'indique que cette dernière était responsable de la reproduction ou de la préparation du film vidéo en cause. M. Noonan dit qu'il ne se souvient d'aucune conversation mais ajoute catégoriquement - et il y a ici une incohérence - qu'il n'a pas discuté de la participation de Mme Judy Paulhus à la préparation ou à l'utilisation du film vidéo. Je passe maintenant à l'application des critères établis dans la décision Coté.

[8] Pour ce qui est du premier de ces critères, les documents mentionnés dans les affidavits ont toujours été disponibles et auraient pu faire partie de la requête originale en réclamation des dépens de Mme Judy Paulhus. Deuxièmement, les affidavits ne sont que d'une utilité marginale car, d'après ce qu'il y est mentionné, rien ne justifiait de ne pas désigner initialement Mme Judy Paulhus comme défenderesse. En fait, comme le nom de Mme Paulhus figure sur les documents copiés et comme il est possible qu'elle ait pu agir indépendamment de Fording, il aurait bien pu être négligent de ne pas la désigner comme défenderesse et de ne rien faire d'autre jusqu'à ce qu'il soit établi que Fording était responsable de la mention de son nom sur les documents et de l'utilisation par elle de ces derniers dans le cadre de la vente des immeubles en copropriété appartenant à Fording. Troisièmement, en ce qui a trait au préjudice, les affidavits de MM. Jones et Noonan devraient faire l'objet d'un contre-interrogatoire pour établir, notamment, si les conversations alléguées par M. Ruggles, mais que nient MM. Jones et Noonan, ont eu lieu à un autre moment car, dans une conversation entre M. Ruggles et des employés de Fording, il aurait été tout à fait naturel de discuter du sujet dont il a été question d'après M. Ruggles. Un autre contre-interrogatoire et d'autres affidavits ajouteraient peu aux questions véritables à trancher, soit les dépens auxquels Mme Paulhus a droit.

[9] Vu tout ce qui précède, particulièrement l'incidence minime des affidavits de MM. Jones et Noonan, et compte tenu du montant peu élevé qui est en cause, les défenderesses ne sont pas autorisées à déposer les affidavits de MM. Jones et Noonan.


[7]                 En second lieu, dans l'affaire Salton Appliances (1985) Corp. et autre. c. Salton Inc., (1999), 4 C.P.R. (4th) 491 (C.F. 1re inst.), le juge Lemieux a également eu l'occasion d'examiner le paragraphe 84(2). Après avoir cité cette disposition, le juge a déclaré ce qui suit, aux pages 496, 497 et 498 :

[12]         La Règle 84(2) correspond à l'ancienne Règle 332.1(6). Les anciennes Règles contenaient également la Règle 332.1(7) (qui n'est pas reproduite dans les Règles actuelles), dont le libellé était le suivant : « Si elle est convaincue qu'elle doit permettre à la partie de répondre à quelque question soulevée au cours du contre-interrogatoire, la Cour peut autoriser une partie à déposer un affidavit dans le cadre d'une requête après que cette partie a contre-interrogé l'auteur de l'affidavit » . La Règle 39.09(2) des Règles de procédure civile de l'Ontario actuellement en vigueur est semblable à l'ancienne Règle 332.1(7).

[13] Je souligne également que, depuis l'entrée en vigueur des nouvelles Règles, la Règle 312 permet, dans le contexte de la demande, le dépôt d'affidavits supplémentaires suivant l'autorisation de la Cour. Les deux nouvelles Règles 84 et 312 devraient, à mon sens, donner lieu à des interprétations similaires.

[14] Compte tenu de tous les facteurs mentionnés ci-après, j'estime que les demanderesses devraient être autorisées à produire l'affidavit supplémentaire de Jerry Solomon, pourvu que celui-ci soit disponible sans délai en vue d'un contre-interrogatoire.

[15] J'estime que la question de savoir si la défenderesse a vendu à Salton Canada des chauffe-plats dont la vitre ne comportait aucun logo est très pertinente et qu'une réponse à cette question favorise une bonne administration de la justice et facilitera la tâche de la Cour lors de l'examen de la demande d'injonction interlocutoire.

[16] À mon avis, compte tenu de son contexte ainsi que de l'évolution des Règles antérieures, la Règle 84(2) vise à permettre de répondre aux questions qui sont soulevées au cours du contre-interrogatoire et qu'il est nécessaire d'examiner au moyen d'un affidavit supplémentaire avec l'autorisation de la Cour.


[17] Dans les affaires portées à leur attention à ce sujet, la Cour fédérale et les tribunaux de l'Ontario ont reconnu que la pertinence de l'affidavit proposé, l'absence de préjudice pouvant être causé à la partie adverse, l'utilité pour la Cour et l'intérêt général de la justice sont des facteurs pertinents à prendre en compte pour décider s'il y a lieu de permettre le dépôt d'un affidavit supplémentaire. (Voir Hiram Walker Consumers Home Ltd. c. Consumers Distributing Company et al., dossier de la Cour T-4539-80; Gingras c. Service canadien du renseignement de sécurité et al (1987), 19 C.P.R. (3d) 283; Bayer AG et al. c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) et al (1994), 83 F.T.R. 318, et Eli Lilly et al c. Apotex Inc. et al (1997), 144 F.T.R. 189.)

[18] Si j'ai bien compris la règle de droit applicable à cet égard devant la Cour, il est également nécessaire de prouver que les renseignements mentionnés dans l'affidavit proposé n'étaient pas disponibles avant le contre-interrogatoire; l'affidavit supplémentaire ne saurait remplacer les renseignements qui étaient disponibles avant le contre-interrogatoire. L'affidavit supplémentaire ne vise pas à corriger les réponses que l'avocat ayant dirigé le contre-interrogatoire ne souhaitait pas obtenir. De plus, les parties sont habituellement tenues de divulguer tous les renseignements dont elles disposent avant le contre-interrogatoire afin d'éviter le fractionnement de la preuve.

[19] À mon sens, la défenderesse ne sera pas lésée, parce que la demande d'injonction interlocutoire ne sera entendue qu'à la fin de mai 2000 et qu'elle aura toute la latitude voulue pour demander à la Cour d'agir, si l'intérêt de la justice l'exige.

[20] Enfin, je suis convaincu que les demanderesses ont établi l'existence d'une question qui a été soulevée au cours d'un contre-interrogatoire et qui ne pouvait être prévue avec célérité raisonnable. C'est uniquement au cours du contre-interrogatoire que M. Cruz a indiqué que le chauffe-plats comportant le logo MAXIM qui a été vendu à Weil était identique aux chauffe-plats vendus à Salton Canada. Il convient également de souligner que M. Cruz avait déjà déclaré dans son affidavit qu'il n'avait pas de produit qu'il pouvait présenter au soutien de ses affirmations. Par ailleurs, c'est seulement au cours du contre-interrogatoire que les demanderesses ont appris que la défenderesse n'avait produit que des chauffe-plats comportant des logos. À mon sens, c'est là un renseignement nouveau et pertinent qui a été révélé au cours d'un contre-interrogatoire. (Voir Merck Frosst Canada Inc. et al c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social et al (1998), 229 N.R. 33 (C.A.F.)

[8]                 Finalement, j'aimerais citer la décision rendue par le juge Quinn, de la Cour de l'Ontario (Division générale), dans l'affaire Nolan v. Canada (Attorney General), (1997), 38 O.R. (3d) 722 (Cour Ont. (Div. gén.)). La disposition en litige était le paragraphe 39.02(2) des Règles de procédure de l'Ontario, qui est ainsi libellé :


39.02 (2) La partie qui a contre-interrogé le déposant d'un affidavit remis par une partie opposée ne remet pas par la suite d'autres affidavits destinés à être utilisés à l'audience, ni ne tient un interrogatoire aux termes de la règle 39.03, sans l'autorisation du tribunal ou le consentement des parties. Le tribunal accorde l'autorisation, à des conditions justes, s'il est convaincu que la partie devrait être autorisée à répondre, en fournissant des preuves sous forme d'affidavit ou sous forme de la transcription d'un interrogatoire tenu aux termes de la règle 39.03, à une question soulevée pendant le contre-interrogatoire.

[9]                 Après avoir fait remarquer que plusieurs de ses collègues avaient interprété le paragraphe 39.02(2) comme exigeant à tout le moins que l'affidavit à déposer en preuve renferme des éléments d'information qui avaient été soulevés pour la première fois lors du contre-interrogatoire, le juge Quinn a poursuivi en expliquant pourquoi il ne pouvait souscrire à cette interprétation de cette disposition. Aux pages 727 à 729, il formule son argumentation de la façon suivante :

[TRADUCTION]

  

Je dois dire, en toute déférence pour les éminents juristes qui ont jugé les affaires que je viens de mentionner, que je ne puis souscrire à l'interprétation restrictive qu'ils donnent de cette règle. Selon son sens courant, le paragraphe 39.02(2) n'exige pas que la question mentionnée dans l'affidavit que l'on cherche à déposer ait été soulevée pour la première fois lors du contre-interrogatoire. En d'autres termes, la règle n'interdit pas que cet affidavit aborde une question mise en litige avant le contre-interrogatoire. La règle parle de la possibilité de répondre à toute question « soulevée pendant le contre-interrogatoire » . Si le législateur avait voulu restreindre l'application de la règle aux « nouvelles » questions soulevées lors du contre-interrogatoire, il leur aurait été facile de le préciser.


L'interprétation restrictive que les tribunaux ont donné de cette règle dans la jurisprudence précitée risque de causer une iniquité (en punissant un plaideur pour un oubli imputable à son avocat) et une injustice (en écartant une preuve qui pourrait aider le tribunal à trouver une solution juste à la question en litige). De toute évidence, il existe de bonnes raisons de principe d'endiguer l'avalanche d'affidavits qui caractérise malheureusement un grand nombre de requêtes et de demandes. En revanche, une interprétation trop restrictive du paragraphe 39.02(2) n'est pas une solution souhaitable.

À mon sens, il convient de donner à la règle son sens courant. La question à se poser est la suivante : Une question a-t-elle été soulevée, lors du contre-interrogatoire de l'auteur de l'affidavit remis par la partie adverse, à laquelle le requérant devrait être maintenant autorisé à répondre? Pour répondre à cette question, il faut tenir compte des éléments suivants :

1.             La question qui a été « soulevée pendant le contre-interrogatoire » a-t-elle rapport au litige?

2.             L'affidavit que l'on veut déposer constitue-t-il lui-même une réponse à la question qui a été soulevée pendant le contre-interrogatoire?

3.             Si l'autorisation demandée est accordée, aura-t-elle des effets injustes sur la partie adverse? À mon avis, par « injuste » , il faut entendre un préjudice irréparable. Dans le cas d'une requête de ce type, les dépens devraient servir de levain : outre les dépens afférents à la requête dans laquelle l'autorisation est sollicitée, si le tribunal doit ajourner l'audition sur le fond de la demande ou de la requête, des frais seront gaspillés, sans parler des frais liés à la préparation des affidavits de réponse et à la tenue des contre-interrogatoires supplémentaires. De préférence, les dépens devraient être fixés et être payables sur-le-champ. Lorsque l'autorisation demandée vise à corriger une lacune flagrante dans les démarches entreprises par l'avocat, le tribunal peut dans certains cas le rendre personnellement responsable du paiement d'une partie ou de la totalité des dépens.

4.             Si l'autorisation demandée est accordée, quelles sont les autres mesures justes (hormis les dépens et l'ajournement) que le tribunal peut prendre?

La question soulevée dans l'affidavit que le requérant désire en l'espèce présenter a directement rapport aux questions en litige. Même si elle avait été abordée dans les affidavits qui ont été remis avant le contre-interrogatoire, cette question est maintenant envisagée sous un angle nouveau. À mon avis, il est important, pour trouver une solution juste aux questions en litige, que cette question soit examinée à fond par le biais d'autres affidavits et d'autres contre-interrogatoires. Dans ce cas, la partie adverse ne subit aucune injustice selon la définition que j'ai donnée à ce terme.


[10]            Dans son mémoire ainsi qu'à l'audience que j'ai présidée, l'avocat de la demanderesse a soutenu que le présent appel reposait sur la prémisse erronée suivant laquelle si des éléments d'information étaient disponibles avant la tenue du contre-interrogatoire, la Cour ne peut exercer son pouvoir discrétionnaire de manière à permettre à une partie de déposer un affidavit contenant ces éléments après que le contre-interrogatoire ait eu lieu. J'abonde dans son sens. Je suis convaincu que la règle, telle que notre Cour l'a interprétée, oblige le juge ou le protonotaire à examiner et à soupeser les facteurs suivants pour décider s'il y a lieu d'accorder l'autorisation demandée, eu égard aux circonstances de l'affaire dont il est saisi. En premier lieu, la Cour doit se demander si les faits relatés dans le second affidavit étaient pertinents au litige. Deuxièmement, la Cour doit se demander si les éléments d'information que l'on se propose de présenter dans le second affidavit étaient disponibles avant le contre-interrogatoire et, finalement, la Cour doit se demander si le dépôt de l'affidavit supplémentaire causera un préjudice à la partie adverse.

[11]            Le protonotaire devait tenir compte de tous ces facteurs et après les avoir soupesés, il devait décider s'il y avait lieu d'accorder l'autorisation demandée. Eu égard aux circonstances de l'espèce, il en est arrivé à la conclusion qu'il y avait lieu d'accorder l'autorisation de déposer l'affidavit de Beyer. La défenderesse ne m'a pas convaincu qu'en tirant cette conclusion, le protonotaire n'a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon impartiale ou qu'il a commis une erreur de droit.


[12]            En ce qui concerne le premier facteur (la pertinence), le protonotaire a souligné que la défenderesse ne contestait pas que les éléments de preuve proposés étaient pertinents à la question centrale en jeu dans la procédure de radiation.

[13]            Pour ce qui est du deuxième facteur (la disponibilité des renseignements avant la tenue du contre-interrogatoire), le protonotaire a conclu qu'ils étaient à la disposition de la demanderesse avant la tenue du contre-interrogatoire. Voici en effet ce qu'il déclare au paragraphe 11 de ses motifs :

[TRADUCTION]

[11]         La demanderesse reconnaît que les affidavits supplémentaires renferment des éléments de preuve qui étaient disponibles avant la tenue du contre-interrogatoire. De toute évidence, l'avocat a eu tort de décider de ne pas communiquer ces éléments dans l'espoir qu'ils soient éventuellement divulgués lors du contre-interrogatoire. Il s'agit là d'un facteur significatif qui milite contre l'octroi de la réparation sollicitée par la demanderesse.

[14]            En ce qui concerne le troisième facteur (le préjudice causé à la partie adverse), le protonotaire a conclu que le tribunal serait en mesure de réparer tout préjudice que pourrait subir la défenderesse au moyen de mesures appropriées en permettant à la défenderesse de procéder à un autre contre-interrogatoire et en adjugeant les dépens appropriés. Au paragraphe 12 de ses motifs, le protonotaire déclare :

[TRADUCTION]


[12]         Pour ce qui est du troisième facteur, il convient de signaler que les parties n'ont pas encore déposé leur dossier respectif dans la présente affaire. Le tribunal peut réparer toute iniquité procédurale dont la défenderesse pourrait être victime en lui permettant de procéder à un autre contre-interrogatoire et de présenter d'autres éléments de preuve, en plus d'adjuger des dépens pour les frais qui ont été gaspillés.

[15]            Je devrais peut-être citer la décision rendue par le juge Sharlow (maintenant juge à la Cour d'appel) dans l'affaire J.L. De Ball Canada Inc. c. 421254 Ontario Ltd. et al., (1999), 5 CPR (4th) 352. Dans cette affaire, la demanderesse s'opposait aux démarches entreprises par les défenderesses en vue de présenter de nouveaux éléments de preuve après le contre-interrogatoire. Pour conclure que les éléments de preuve contestés devaient être admis, le juge Sharlow a déclaré ce qui suit, aux pages 360 et 361 :

J'arrive à la conclusion que l'ensemble de la preuve produite par les défenderesses doit être admise, y compris l'affidavit de M. Vettesse signé le 28 septembre 1999. Les préoccupations soulevées par la demanderesse au sujet de la communication tardive et inopportune des renseignements sont légitimes, et ne sont pas réglées par les erreurs ou méprises invoquées par les défenderesses. Cependant, la réparation applicable eu égard au défaut des défenderesses de remplir leurs obligations en matière de communication ne consiste pas à écarter la preuve dans le cadre de la présente requête, mais bien de prévoir une provision appropriée dans l'ordonnance relative aux dépens.

[16]            C'est précisément ce que le protonotaire Lafrenière a fait en l'espèce. Voici à cet égard le libellé du dispositif de son ordonnance, que l'on trouve aux paragraphes 17 et 18 de ses motifs :

[TRADUCTION]

[17]         La demanderesse est autorisée à déposer et à signifier l'affidavit supplémentaire de M. Michael Beyer (annexe A de l'avis de requête).

[18]         La défenderesse est autorisée à :


a)             déposer un autre affidavit en réponse à l'affidavit supplémentaire de Michael Beyer dont il est question au paragraphe 1; et

b)             contre-interroger M. Beyer au sujet de son affidavit.

[17]            Le protonotaire a ordonné ce suit au sujet des dépens :

[TRADUCTION]

[19]          La demanderesse est condamnée, quelle que que soit l'issue de la cause, à payer à la défenderesse au tarif des dépens extrajudiciaires, les dépens suivants engagés relativement à :

a)             la préparation et la conduite du contre-interrogatoire de M. Beyer, de même que les frais de déplacement, ainsi que toutes les dépenses et tous les débours raisonnables et connexes engagés pour la tenue de son contre-interrogatoire;

b)             la préparation et le dépôt d'affidavits supplémentaires, y compris, si la défenderesse le juge à propos, les témoignages d'experts supplémentaires, ainsi que toutes les autres dépenses et tous les autres débours raisonnables et connexes engagés et les dépenses connexes;

c)             la préparation des déposants de la défenderesse en vue de leur contre-interrogatoire, s'il y a lieu, ainsi que toutes les autres dépenses et tous les autres débours raisonnables et connexes engagés.

[20]         Les dépens de la présente requête sont fixés à 3 000 $, débours inclus, et ils sont payables à la défenderesse quelle que soit l'issue de la cause.


[18]            À mon avis, la conclusion du protonotaire suivant laquelle la demanderesse devait être autorisée à déposer l'affidavit de M. Beyer, ajoutée à l'autorisation qu'il a accordée à la défenderesse de déposer d'autres affidavits en réponse à l'affidavit supplémentaire de M. Beyer et au droit accordé à la défenderesse de contre-interroger M. Beyer au sujet de son affidavit supplémentaire est inattaquable.

[19]            La défenderesse a soulevé plusieurs autres questions que je vais maintenant aborder.

[20]            En premier lieu, la défenderesse fait valoir que le protonotaire n'a pas appliqué la décision rendue par le juge Heneghan le 11 janvier 2001. Suivant la demanderesse, le juge Heneghan avait statué que les éléments de preuve contenus dans l'affidavit supplémentaire de M. Beyer n'étaient pas pertinents. Je ne suis pas de cet avis. Premièrement, dans les motifs de son ordonnance, le protonotaire a, comme je l'ai déjà précisé, souligné que la défenderesse ne contestait pas la pertinence des renseignements contenus dans l'affidavit de M. Beyer. En second lieu, le juge Heneghan ne disposait pas de l'affidavit de M. Beyer et, en conséquence, elle n'a pas tiré de conclusions au sujet de cet affidavit. En tout état de cause, on ne saurait sérieusement prétendre, à mon avis, que les éléments d'information que la demanderesse cherche à présenter par le biais de l'affidavit de M. Beyer, en l'occurrence les étiquettes de bouteilles de vin Woodbridge pour les années 1987 et 1988, ne sont pas pertinents.

[21]            La défenderesse soutient également que le protonotaire a commis une erreur en accordant à la demanderesse l'autorisation de déposer l'affidavit supplémentaire de M. Beyer, malgré sa conclusion que l'affidavit constituait une tentative pour étayer la thèse de la demanderesse. À mon avis, cet argument est mal fondé.


[22]            La défenderesse affirme également que le protonotaire a commis une erreur en interprétant la règle 84(2) de manière à en faire délibérément fi. Là encore, j'estime que cet argument est mal fondé. Le protonotaire a tenu compte de l'ensemble des facteurs exigés par le critère et a conclu, eu égard aux circonstances de l'espèce, qu'il y avait lieu d'autoriser le dépôt de l'affidavit de M. Beyer, sous réserve de la mise en place des garanties appropriées pour s'assurer que la défenderesse soit en mesure de répondre pleinement à l'affidavit supplémentaire. Pour en arriver à cette conclusion, le protonotaire a estimé que la demanderesse n'avait pas tenté de dissimuler ces renseignements pour des raisons d'ordre stratégique. Le protonotaire a également conclu que rien ne permettait de penser que la demanderesse avait agi de façon insouciante ou qu'elle avait été de mauvaise foi. Il a ensuite déclaré, au paragraphe 15 de ses motifs :

[TRADUCTION]

[15]          Ayant soupesé ces trois facteurs dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire que me confère la règle 84(2), je conclus qu'il serait dans l'intérêt de la justice de permettre à la demanderesse de déposer l'affidavit supplémentaire de Michael Beyer, sous réserve de la mise en place des garanties appropriées pour s'assurer que la défenderesse soit en mesure de répondre pleinement à la requête.

[23]            La défenderesse soutient également que le protonotaire a commis une erreur en tenant compte de facteurs non pertinents et qu'il a commis une erreur en ne concluant pas que la requête présentée par la demanderesse en vue de présenter des éléments de preuve supplémentaires constituait un abus de procédure. Là encore, ces arguments sont mal fondés.


[24]            Finalement, la défenderesse soutient que le protonotaire a commis une erreur en ne concluant pas que la défenderesse subirait un préjudice si la demanderesse était autorisée à déposer l'affidavit supplémentaire de M. Beyer. Premièrement, la défenderesse n'a pas réussi à me convaincre que le protonotaire avait eu tort de conclure que la défenderesse ne subirait pas un préjudice grave s'il lui accordait l'autorisation demandée. En second lieu, à l'instar du protonotaire, j'estime que la défenderesse ne subira pas un préjudice grave. Tout préjudice subi sera amplement compensé par l'ordonnance rendue par le protonotaire au sujet des dépens et du droit de la défenderesse de déposer d'autres éléments de preuve en réponse à l'affidavit de M. Beyer et de le contre-interroger relativement à son affidavit supplémentaire.

[25]            Par ces motifs, la requête de la défenderesse sera rejetée et les dépens seront adjugés à la demanderesse.

                                                                                         « Marc Nadon »                       

                                                                                                             Juge                                 

O T T A W A (Ontario)

Le 10 septembre 2001

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                  T-1294-99

INTITULÉ DE LA CAUSE : Robert Mondavi Winery c.

Spagnol's Wine & Beer Making Supplies LTD.

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                  Le 27 août 2001

MOTIFS DU JUGEMENT :             Monsieur le juge Nadon

DATE DES MOTIFS :                        Le 10 septembre 2001

COMPARUTIONS :

Robert H.C. MacFarlane                                                  POUR LA DEMANDERESSE

(Bereskin & Parr)

Andrew Brodkin                                                                POUR LA DÉFENDERESSE

(Goodmans LLP)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robert H.C. MacFarlane                                                  POUR LA DEMANDERESSE

(Bereskin & Parr)

Andrew Brodkin                                                                POUR LA DÉFENDERESSE

(Goodmans LLP)



[1]            La règle 84 est ainsi libellée :

84.           (1) Contre-interrogatoire de l'auteur d'un affidavit - Une partie ne peut contre-interroger l'auteur d'un affidavit déposé dans le cadre d'une requête ou d'une demande à moins d'avoir signifié aux autres parties chaque affidavit qu'elle entend invoquer dans le cadre de celle-ci, sauf avec le consentement des autres parties ou l'autorisation de la Cour.

(2) Dépôt d'un affidavit après le contre-interrogatoire - La partie qui a contre-interrogé l'auteur d'un affidavit déposé dans le cadre d'une requête ou d'une demande ne peut par la suite déposer un affidavit dans le cadre de celle-ci, sauf avec le consentement des autres parties ou l'autorisation de la Cour.

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