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Date : 20040806

Dossier : T-2274-00

Référence : 2004 CF 1083

Ottawa (Ontario), vendredi le 6 août 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

ENTRE :

                                                  SA MAJESTÉLA REINE

                                                                                                                     demanderesse

                                                                     - et -

                            IPSCO RECYCLING INC. et GENERAL SCRAP &

CAR SHREDDER LTD., maintenant connues

sous le nom de JAMEL METALS INC.,

exploitant une entreprise enregistrée comme société

sous le nom et la dénomination sociale de

GENERAL SCRAP PARTNERSHIP et XPOTENTIAL PRODUCTS INC.,

JACOB LAZARECK ET MELVIN LAZARECK

                                                                                                                            défendeurs

MOTIFS SUPPLÉMENTAIRES DE L'ORDONNANCE

RELATIFS AUX DÉPENS

LA JUGE DAWSON


[1]                Le 23 décembre 2003, la Cour a rendu ses motifs de l'ordonnance et ordonnance (motifs de l'ordonnance) dans la présente affaire. Elle a rejeté la demande par laquelle Sa Majesté la Reine a cherché à obtenir une injonction et a remis à plus tard l'examen de la question des dépens. L'avocat des défendeurs devait demander la tenue d'une téléconférence pour discuter de la façon dont serait traitée cette question non tranchée.

[2]                Plusieurs téléconférences ont été nécessaires, et la Couronne a finalement accepté de ne pas contester le droit des défendeurs d'obtenir une ordonnance sur les dépens. Six questions sont néanmoins en litige, et les avocats des parties sont d'avis qu'une décision de la Cour à cet égard leur permettrait probablement de s'entendre sur les honoraires et débours payables aux défendeurs.

[3]                Par conséquent, les parties ont produit des affidavits additionnels, un projet de mémoire de frais et des observations écrites sur les questions restées en suspens. La Cour a ensuite entendu les plaidoiries des parties sur cinq de ces questions et a reçu des observations écrites relativement à la sixième question. Les présents motifs exposent les conclusions de la Cour quant à ces six questions.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[4]                Les six questions en litige sont les suivantes :

1)          Les défendeurs ont-ils le droit de recouvrer les montants payés en honoraires d'experts lorsque ces honoraires ont été versés en contrepartie de services rendus avant l'introduction de la demande?


2)          Les défendeurs ont-ils le droit de recevoir des dépens supplémentaires relativement aux personnes physiques défenderesses Jacob Lazareck et Melvin Lazareck?

3)          Les défendeurs ont-ils le droit de recevoir le double des dépens partie-partie à partir de la date de l'offre écrite de règlement conformément à l'article 420 des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles)?

4)          La demanderesse a-t-elle droit à une réduction globale des dépens en raison du succès partagé des parties?

5)          La demanderesse a-t-elle droit à une réduction des dépens étant donné l'intérêt public dans la résolution judiciaire de l'instance?

6)          Les défendeurs ont-ils droit à des frais taxés selon l'échelon le plus élevé de la colonne V du tableau du tarif B des Règles?

ANALYSE

1. Les défendeurs ont-ils le droit de recouvrer les montants payés en honoraires d'experts lorsque ces honoraires ont été versés en contrepartie de services rendus avant l'introduction de la demande?


[5]                Les paragraphes 113 à 132 des motifs de l'ordonnance donnent une description générale de la preuve fournie par les scientifiques et ingénieurs dont les services ont été retenus à titre d'experts pour aider les défendeurs dans la présente demande. Ces derniers ont versé des honoraires importants à ces conseillers professionnels.

[6]                La Couronne convient que les défendeurs ont le droit d'être remboursés pour les frais payés à leurs experts relativement aux services rendus après l'introduction de la présente demande, mais affirme que les sommes versées à ces conseillers en contrepartie de services rendus avant cette date ne sont pas remboursables parce que ces dépenses (les débours en litige) n'ont pas été engagées dans le but d'aider la Cour à résoudre le litige.


[7]                La Couronne affirme que les débours en litige n'ont pas été engagés pour aider la Cour parce qu'il n'y avait pas encore de litige au moment où ont été rendus les services et qu'il n'était même pas certain à ce moment-là qu'il y aurait un procès. Ces débours auraient plutôt été engagés, aux dires de la Couronne, dans l'unique but de contrecarrer l'application de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement, 1999, 46-47-48 Eliz. II, ch. 33 (la Loi) et de son Règlement sur le stockage des matériels contenant des BPC, DORS/92-507 (le Règlement) par Environnement Canada. Ainsi, la Couronne fait valoir que si Environnement Canada avait été convaincu que les experts des défendeurs avaient raison et il avait en conséquence cessé ses efforts en vue de faire respecter le Règlement, les défendeurs ne seraient pas fondés à demander le remboursement des débours en litige. Dans le même ordre d'idées, la Couronne affirme que si les parties étaient arrivées à régler d'une autre façon l'affaire avant l'introduction de l'instance ou si la Couronne avait choisi de poursuivre les défendeurs pour des infractions à la Loi, ces derniers n'auraient pas été fondés à demander le remboursement des débours en litige.

[8]                La Couronne se fonde sur la remarque suivante de mon collègue le juge Rouleau dans la décision RCP Inc. c. Ministre du Revenu national et sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise, [1986] 1 C.F. 485, à la page 5 :

À de nombreuses reprises au cours de leur carrière, les avocats vont voir leurs services être retenus par des parties qui négocieront des litiges, se disputeront et discuteront pendant des mois, voire des années, avant d'en arriver à une solution sans recourir aux tribunaux. Dans de tels cas, personne ne demande de dépens et encore moins ne s'attend à ce que la Cour en adjuge. Les dépens ne peuvent être envisagés qu partir du moment oùdes procédures sont intentées. [Non souligné dans l'original.]

[9]                À mon humble avis, la Couronne a tort de se fonder sur les commentaires du juge Rouleau dans la décision RCP Inc. pour plaider que les débours engagés antérieurement à l'introduction d'une demande ne peuvent être remboursés. Dans la décision RCP Inc., le juge Rouleau devait statuer sur des services rendus par des avocats et il s'interrogeait sur la question de savoir s'il devait ordonner l'adjudication des dépens sur la base avocat-client. Il faut se garder d'utiliser un commentaire formulé au sujet d'honoraires d'avocats lorsque des débours sont en jeux. Voir, par exemple, Carr c. Canada (Ministre du Revenu national), [1996] 2 C.T.C. 100 (C.A.F.), au paragraphe 3.


[10]            Le droit aux débours est régi par le paragraphe 1(4) du tarif B des Règles, qui prévoit ce qui suit :


1(4) À l'exception des droits payés au greffe, aucun débours n'est taxé ou accepté aux termes du présent tarif à moins qu'il ne soit raisonnable et que la preuve qu'il a été engagé par la partie ou est payable par elle n'est fournie par affidavit ou par l'avocat qui comparaît à la taxation.

1(4) No disbursement, other than fees paid to the Registry, shall be assessed or allowed under this Tariff unless it is reasonable and it is established by affidavit or by the solicitor appearing on the assessment that the disbursement was made or is payable by the party.


[11]            À mon avis, un débours raisonnable peut être engagé avant l'introduction d'une instance. À cet égard, la Cour d'appel fédérale a conclu, dans l'arrêt Carr, précité, qu'un débours engagé avant le début d'une procédure d'appel devant la Cour canadienne de l'impôt peut être remboursé si l'on peut démontrer qu'il était néanmoins « essentie[l] à la tenue de l'appel » . Cette formulation vient de la disposition applicable des Règles de pratique et de procédure de la Cour canadienne de l'impôt sur l'adjudication des frais (Loi de l'impôt sur le revenu), libellée comme suit :


8(3) Les débours essentiels à la tenue de l'appel, notamment les indemnités des témoins prévues aux paragraphes (4) et (5), peuvent être adjugés.

8(3). Such disbursements may be allowed as were essential for the conduct of the appeal, including witness fees paid in accordance with subsection (4) or (5).



[12]            Appliquant ce principe aux règles de la Cour fédérale, on peut conclure qu'un débours engagé avant l'introduction d'une demande pourrait être remboursé s'il est « raisonnable et que la preuve qu'il a été engagé par la partie ou est payable par elle [est] fournie par affidavit ou par l'avocat qui comparaît à la taxation » . L'officier taxateur Stinson a tiré une conclusion semblable dans la décison Williams c. Canada (Ministre du Revenu national), 2001 C.F.P.I. 106, au paragraphe 20; Mitchell c. Canada (Ministre du Revenu national), [2003] A.C.F. no 1530, au paragraphe 13.

[13]            Les défendeurs ont établi que les débours en litige ont été payés. Par conséquent, je vais examiner la question de savoir si les débours étaient « raisonnables » aux termes du paragraphe 1(4) du tarif B. Cela implique que l'on devra ensuite examiner la question de savoir s'ils ont, au bout du compte, été utiles pour l'instance (voir l'arrêt Mitchell, précité, au paragraphe 13).

[14]            De façon générale, les débours en litige couvrent ce qui suit :

i)           Les factures de Dillon Consulting Limited couvrant la période du 3 février 1999 au 6 décembre 2000, date de l'introduction de la demande;

ii)          Les factures d'Enviro-Test Laboratories (M. Birkholz) de décembre 1998 au 6 décembre 2000;

iii)          Les factures de Matrix Consultants Limited (M. Merks) du 11 août 1999 au 6 décembre 2000.


[15]            La demande ne vise pas les honoraires versés à Wardrop Engineering Inc. parce que ces honoraires ont été payés par les défendeurs lorsqu'ils ont, de leur propre chef, voulu faire preuve de « diligence raisonnable » et s'assurer que les résidus de déchiquetage d'automobiles (RDA) n'étaient pas des matériels contenant des BPC, et le prouver au ministère de la Conservation du Manitoba ainsi que, dans une certaine mesure, à Environnement Canada. De même, la demande ne vise pas non plus l'essai initial qui a été communiqué à Environnement Canada en janvier 1998. Les défendeurs cherchent à obtenir le remboursement des débours relatifs aux frais d'experts engagés depuis décembre 1998.


[16]            L'historique du litige entre les parties est relaté aux paragraphes 18 à 40 des motifs de l'ordonnance. En décembre 1998, Wardrop Engineering Inc. a produit deux rapports qui ont conclu que les concentrations de BPC contenues dans les RDA étaient sous le seuil réglementaire, mais Environnement Canada a préparé un rapport faisant état de concentrations moyennes de BPC dépassant la limite réglementaire. Environnement Canada a retiré sa conclusion sur le fondement de son rapport qui exigeait que les défendeurs stockent les RDA de la manière prescrite par le Règlement. Elle a retiré sa décision selon laquelle les RDA contenaient des BPC, mais a continué à être d'avis que les RDA contenaient des BPC stockés en contravention du Règlement. Les lettres de l'avocat d'Environnement Canada datées du 20 mars 1998 et du 20 novembre 1998 attestent de cette position. Par lettre en date du 2 septembre 1998, Environnement Canada a donné avis de son intention d'inspecter à nouveau, « dans un avenir prochain » , les locaux de General Scrap et de XPotential. Il a joint une copie de l'échantillonnage et des protocoles d'analyse qui seraient utilisés, et a invité les défendeurs à soumettre avant le 10 septembre 1998 leurs commentaires écrits sur l'échantillonnage et le plan d'analyse. Par lettre en date du 10 septembre 1998, l'avocat des défendeurs a répondu que ce délai d'une semaine était déraisonnable et qu'il n'estimait pas être en mesure de donner une réponse avant la fin septembre. Par lettre en date du 11 septembre 1998, Environnement Canada a donné avis que la nouvelle inspection et le prélèvement d'échantillons commenceraient le 21 septembre 1998.

[17]            Le deuxième prélèvement d'Environnement Canada a été effectué à la fin septembre, à savoir du 21 au 25 septembre 1998. L'expert des défendeurs, M. Birkholz, a continué à être critique à l'égard de la méthodologie de prélèvement d'échantillons et d'analyse d'Environnement Canada.

[18]            Le deuxième rapport d'Environnement Canada, fondé sur le deuxième prélèvement, a été publié en janvier 1999 et a été remis à General Scrap le 8 février 1999. Environnement Canada a par la suite continué à menacer la société, lui disant que des procédures d'exécution seraient engagées (voir, par exemple, ses lettres en date du 30 avril 1999, du 28 juin 1999, du 20 juillet 1999 et du 18 août 1999).


[19]            Robert J. Schutzman, directeur des Affaires environnementales d'IPSCO Inc. (société mère de la défenderesse IPSCO Recycling Inc.) pour le Canada, a souscrit un affidavit pertinent quant aux débours en litige. Dans ce document, il déclare aux paragraphes 11 et 12 :

[traduction]

11.         Se fondant sur les avis de M. Detlef Birkholz et de leurs avocats, les défendeurs ont conclu, en décembre 1998, qu'il était nécessaire de retenir les services de Dillon pour répondre aux menaces persistantes d'Environnement Canada concernant les procédures d'exécution. À ce moment-là , les défendeurs s'attendaient, en raison des positions d'Environnement Canada, à ce que celle-ci engage une poursuite ou une action civile contre les sociétés défenderesses à moins qu'elles ne conviennent avec Environnement Canada que des BPC étaient stockés en contravention du Règlement et ne mettent en place un plan pour le stockage ou la mise en dépôt des RDA en litige de la façon prescrite par le Règlement et la LCPE.

12.         Par conséquent, les défenderesses, suivant les conseils de leurs avocats, ont conclu à ce moment-là qu'il était nécessaire de retenir les services d'experts indépendants pour les aider à préparer une défense contre toute procédure pouvant être intentée par Environnement Canada. Les défendeurs ont également conclu qu'il était nécessaire, pour contrecarrer les positions d'Environnement Canada et les résultats de ses enquêtes, de mettre sur pied un programme de prélèvements dchantillons et d'analyse des RDA en litige. Ctait la seule manière de procéder qui permette de démontrer de façon concluante, pour étayer la défense des défendeurs dans le litige anticipé, que les RDA en question ne contenaient pas des BPC et ne violaient par conséquent pas le Règlement et la LCPE.

[20]            M. Schutzman n'a pas été contre-interrogé sur cette déclaration. J'accepte son témoignage non contesté.


[21]            Vu l'ensemble de la preuve présentée à la Cour, je suis d'avis que les défendeurs avaient, en décembre 1998, tiré la conclusion raisonnable qu'Environnement Canada n'était pas prêt à accepter qu'il utilisait une méthodologie de prélèvement d'échantillons inappropriée ou présentant des lacunes, et qu'il était par conséquent prudent de leur part de retenir à ce moment-là les services d'experts et d'engager des dépenses avant l'introduction de l'action en exécution envisagée par Environnement Canada. L'élaboration et la mise en oeuvre de procédures de prélèvements d'échantillons et d'analyse ne se font pas du jour au lendemain, comme en fait foi le laps de temps écoulé entre la prise d'échantillons par Environnement Canada et le dépôt de ses rapports. Il était par conséquent prudent que les défendeurs n'attendent pas d'être poursuivis ou de faire l'objet d'une injonction pour préparer la réponse de leurs experts.

[22]            Me fondant sur le témoignage de M. Schutzman et les opinions d'experts présentées à la Cour, je conclus également que les débours en litige ont été engagés relativement aux questions qui font l'objet même de la présente demande et que les opinions émises par les experts des défendeurs ont été utilisées dans le cadre de la demande et ont été d'une grande utilité pour la Cour. Les opinions de M. Clark, de Dillon Consulting Limited, et de M. Merks, de Matrix Consultants Limited, ont été déterminantes pour la conclusion finale de la Cour, à savoir que la Couronne ne s'est pas acquittée de son fardeau d'établir que les défendeurs avaient stocké des BPC de façon inappropriée.

[23]            À mon avis, il découle de ces conclusions que les débours en litige étaient raisonnables au sens du paragraphe 1(4) du tarif B. Les défendeurs devraient avoir le droit de se les faire rembourser par la Couronne.


[24]            Pour tirer cette conclusion, j'ai examiné attentivement la prétention de la Couronne selon laquelle si certaines mesures d'exécution étaient inévitables, une poursuite civile ne l'était pas. J'accepte que, si Environnement Canada avait entamé des poursuites en vertu de la Loi, les défendeurs auraient peut-être fait appel, pour leur défense, aux mêmes experts et aux mêmes services, mais qu'ils n'auraient alors pas eu la possibilité d'être remboursés pour leurs dépens. En décidant d'intenter une poursuite au civil pour obtenir une injonction, la Couronne a cependant privé les défendeurs du droit à la communication de la preuve de la Couronne, à la présomption d'innocence et à la norme de preuve hors de tout doute raisonnable. La décision de la Couronne exposait aussi les défendeurs au risque d'être condamnés à des dépens importants si la Couronne obtenait gain de cause dans la demande. Ayant décidé de demander une réparation devant la présente Cour où les dépens suivent généralement l'issue de l'affaire, la Couronne est à mon avis obligée de payer aux défendeurs des débours raisonnables indépendamment du fait qu'ils auraient pu être ou ne pas être exigibles si la Couronne avait choisi de les poursuivre devant une autre instance.

2. Les défendeurs ont-ils le droit de recevoir des dépens supplémentaires relativement aux personnes physiques défenderesses Jacob Lazareck et Melvin Lazareck?


[25]            Dans ses motifs de l'ordonnance, la Cour a conclu qu'il n'y avait pas de preuve que l'une ou l'autre de ces personnes physiques défenderesses étaient propriétaires des matériels se trouvant sur le site General Scrap ou qu'ils les contrôlaient ou les possédaient. Par conséquent, rien ne prouvait que l'une ou l'autre de ces personnes avait une quelconque responsabilité. Les défendeurs ont donc cherché à obtenir une somme forfaitaire additionnelle au motif qu'il était inapproprié et non nécessaire de nommer Melvin et Jacob Lazareck comme défendeurs.

[26]            Je souscris aux commentaires du juge Ground dans la décision Aspiotis c. Coffee Time Donuts Inc., [1995] O.J. no 419 (C. Ont., Div. gén.), selon lesquels le fait de nommer des personnes d'affaires comme parties à un procès constitue un abus de procédure lorsqu'il n'y a aucune raison de les poursuivre en leur qualité personnelle. Une telle conduite peut, dans certains cas, justifier une augmentation des dépens.

[27]            Je ne suis cependant pas convaincue, pour deux raisons, que de tels dépens soient appropriés en l'espèce. Premièrement, rien ne prouve que les défendeurs ont eu à engager des frais additionnels importants du fait de l'inclusion des personnes physiques défenderesses comme parties. Deuxièmement, les défendeurs avaient le droit de produire un affidavit détaillé expliquant la structure de la société, mais ils ne l'ont pas fait. J'accepte que c'est lors de l'audition de la présente demande, pendant le contre-interrogatoire et le réinterrogatoire de Jacob Lazareck, que la preuve a révélé qu'il n'y avait pas de fondement pour une responsabilité individuelle, du moins au moment de l'audience. Il aurait été préférable pour la Couronne d'offrir à ce moment d'abandonner sa poursuite contre ces personnes physiques, mais je n'estime pas que le défaut de la Couronne de le faire à ce stade relativement tardif des procédures devrait être sanctionné par des dépens.


3. Les défendeurs ont-ils le droit de recevoir le double des dépens partie-partie à partir de la date de l'offre écrite de règlement?

[28]            Le 12 février 2001, les défendeurs ont fait une offre écrite de règlement de la demande en offrant de retirer un certain nombre de RDA (devant être identifiés par leurs consultants) à onze endroits, dont certains se trouvaient au site de X-Potential et d'autres à celui de General Scrap. Les matériaux retirés auraient été manipulés conformément au Règlement. Ils ont fait d'autres offres où ils ont notamment proposé de se défaire de certains RDA dans une installation de stockage hors site autorisée comme si les RDA étaient des BPC et, dans une autre offre, de construire une cellule d'enfouissement pour le déversement de grandes quantités de RDA.

[29]            La Couronne ne conteste pas que les offres ont été faites de bonne foi, qu'elles respectaient l'esprit de l'article 420 des Règles et contenaient un véritable élément de compromis. Aucune des offres n'a été retirée ou acceptée. Les articles 419 et 420 des Règles énoncent ce qui suit :



419. Les règles 420 et 421 s'appliquent, avec les adaptations nécessaires, au demandeur et au défendeur dans une demande, à l'appelant et à l'intimédans un appel, ainsi qu'aux parties dans une demande reconventionnelle et une mise en cause.

420(1) Sauf ordonnance contraire de la Cour, le demandeur qui présente par écrit une offre de règlement qui n'est pas révoquée et qui obtient un jugement aussi avantageux ou plus avantageux que les conditions de l'offre a droit aux dépens partie-partie jusqu'à la date de signification de l'offre et, par la suite, au double de ces dépens, à l'exclusion des débours.420(2) Sauf ordonnance contraire de la Cour, lorsque le défendeur présente par écrit une offre de règlement qui n'est pas révoquée et que le demandeur :

a) obtient un jugement moins avantageux que les conditions de l'offre, le demandeur a droit aux dépens partie-partie jusqu'à la date de signification de l'offre et le défendeur a droit au double de ces dépens, à l'exclusion des débours, à compter du lendemain de cette date jusqu'à la date du jugement;

b) n'obtient pas gain de cause lors du jugement, le défendeur a droit aux dépens partie-partie jusqu'à la date de signification de l'offre et au double de ces dépens, à l'exclusion des débours, à compter du lendemain de cette date jusqu'à la date du jugement. [Le souligné est de moi.]

419. Rules 420 and 421 apply, with such modifications as are necessary, to parties bringing and defending counterclaims and third party claims, to applicants and respondents in an application and to appellants and respondents in an appeal.

420(1) Unless otherwise ordered by la Court, where a plaintiff makes a written offer to settle that is not revoked, and obtains a judgment as favourable or more favourable than the terms of the offer to settle, the plaintiff shall be entitled to party-and-party costs to the date of service of the offer and double such costs, excluding disbursements, after that date.

420(2) Unless otherwise ordered by la Court, where a defendant makes a written offer to settle that is not revoked,

(a) if the plaintiff obtains a judgment less favourable than the terms of the offer to settle, the plaintiff shall be entitled to party-and-party costs to the date of service of the offer and the defendant shall be entitled to double such costs, excluding disbursements, from that date to the date of judgment; or

(b) if the plaintiff fails to obtain judgment, the defendant shall be entitled to party-and-party costs to the date of the service of the offer and to double such costs, excluding disbursements, from that date to the date of judgment. [underlining added]


[30]            Comme la demande a été rejetée, il n'y a pas de raison de ne pas appliquer normalement l'article 420 des Règles aux dires des défendeurs. Ces derniers sollicitent le double des dépens partie-partie pour la période du 12 février 2001 au 23 décembre 2003.

[31]            La Couronne soutient que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et ne pas ordonner l'adjudication du double des dépens partie-partie pour les défendeurs parce qu'Environnement Canada a pour mandat, selon la Loi, de veiller au respect du Règlement. Elle fait valoir que les prélèvements d'échantillons et l'analyse d'Environnement Canada ont mené celui-ci à conclure que les défendeurs stockaient des BPC en contravention du Règlement. Elle ajoute que, dans ces circonstances, si Environnement Canada avait accepté l'offre des défendeurs, le ministère aurait convenu par un accord de ne pas appliquer le Règlement.


[32]            Avec égards, j'estime qu'Environnement Canada n'aurait convenu de ne pas appliquer le Règlement que si, dans les faits, les défendeurs violaient le Règlement. L'argument de la Couronne se fonde donc sur la supposition que les RDA sont des matériels contenant des BPC. Cependant, comme la Couronne l'a fait valoir pour la première question, Environnement Canada aurait pu conclure que les experts des défendeurs avaient raison et que les RDA n'étaient pas des matériels contenant des BPC.


[33]            Le différend réside essentiellement dans le désaccord des experts respectifs des parties quant à la méthodologie et à la sélection d'échantillons appropriées. Un aspect clé du litige était de savoir si des inférences statistiques étaient pertinentes pour déterminer si les RDA contenaient des quantités de BPC supérieures au seuil réglementaire. Environnement Canada a rejeté les critiques à propos de ses prélèvements et de son protocole d'analyse et, en juin 2000, n'a pas remis les commentaires demandés sur les échantillonnages et les plans analytiques proposés par les défendeurs. Finalement, la Cour a estimé, après avoir fait la comparaison avec le plan de prélèvement d'échantillons et la méthodologie préconisés par les défendeurs, qu'Environnement Canada utilisait un plan d'échantillonnage inférieur à celui mis en place par Dillon Consulting Limited, s'éloignait de son propre plan de prélèvement d'échantillons dans le cas de la pile ouest au site de General Scrap, utilisait une méthode de sélection d'échantillons moins avancée et une méthodologie d'échantillonnage inférieure à celles des défendeurs, se fondait de façon inappropriée sur des résultats d'échantillons individuels et n'avait appliqué aucune analyse statistique aux résultats sur les prélèvements d'échantillons avant de tirer des inférences au sujet de la population mère.

[34]            Environnement Canada était en droit de se fonder sur ses propres prélèvements d'échantillons et sur son propre protocole d'analyse et de refuser tout compromis. Cependant, le fait qu'Environnement Canada ait décidé de s'en tenir à ses propres méthodes et de rejeter le plan de prélèvement d'échantillons et la méthodologie des défendeurs ne justifie pas, à mon sens, que l'on s'éloigne des conséquences normales de l'article 420 des Règles. Les défendeurs devraient par conséquent avoir le droit de recevoir le double des dépens partie-partie à compter de la date de la première offre de règlement.

4. La Couronne a-t-elle droit à une réduction globale des dépens en raison du succès partagé des parties?


[35]            Les défendeurs ont eu gain de cause sur la question ultime de l'injonction, mais la Couronne a eu gain de cause sur un grand nombre de questions relatives à l'interprétation correcte de la Loi. Par exemple, la Cour a accepté les arguments de la Couronne au sujet des considérations qui régissent l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour prévu au paragraphe 311(1) de la Loi et a rejeté les arguments des défendeurs au sujet de la norme de preuve. Sur ce fondement, la Couronne fait valoir que le succès de l'affaire est partagé de sorte que les dépens des défendeurs devraient être réduits. Elle prétend qu'il serait approprié d'adjuger 60 % des dépens aux défendeurs, ce pourcentage correspondant aux points sur lesquels ils ont eu gain de cause.

[36]            Dans l'arrêt Sunrise Co. Ltd. c. Le navire « Lake Winnipeg » (1998), 96 N.R. 310; infirmé en partie, mais pas sur cette question, dans [1991] 1 R.C.S. 3, la Cour d'appel fédérale a examiné, dans des motifs supplémentaires, la question de savoir s'il était approprié d'accorder les dépens de la façon proportionnelle préconisée par la Couronne dans la présente affaire. Au paragraphe 29, le juge Hugessen a écrit ce qui suit au nom de la Cour :

Bien qu'il soit exact que l'appel sur la question de la responsabilité, même s'il n'a pas été accueilli, a pris la majeure partie de l'audience, je ne crois pas que ce soit là une raison pour dévier de la règle générale et priver de leurs dépens les appelants qui ont eu gain de cause. Ce serait là établir un fâcheux précédent, qui pourrait contraindre la Cour à perdre beaucoup de temps à faire de subtiles distinctions. Àmoins qu'il n'y ait eu emploi abusif des procédures de la Cour, l'heureux appelant, tout comme le demandeur qui a obtenu gain de cause, ne devrait pas être puni simplement parce que ses arguments n'ont pas tous étéaccueillis favorablement par le tribunal. J'accorderais en conséquence aux appelants les dépens de leur appel de la façon ordinaire, sous réserve seulement de l'exception qui suit. [Non souligné dans l'original.]

Voir aussi : AlliedSignal Inc. c. Du Pont Canada Inc., [1998] A.C.F. 551 (1re inst.); Algoma Central Corp. c. Prestigious (The) (1994), 84 F.T.R. 1 (1re inst.).


[37]            En l'espèce, je conclus de façon similaire que la règle générale devrait être appliquée pour que les défendeurs soient remboursés pour la totalité de leurs dépens, sans aucune réduction. Selon moi, il n'y avait véritablement qu'une seule question en litige dans la présente affaire : devait-on accorder une injonction permanente et obligatoire contre les défendeurs? Ces derniers ont eu gain de cause dans leur opposition à l'injonction. La Cour n'a pas accueilli tous les arguments qu'ils ont invoqués, mais ils n'ont soulevé de tels arguments que de manière accessoire, leur position fondamentale étant que les RDA ne contenaient pas de BPC et la décision a porté avant tout sur cette question-là.

[38]            Avant de passer à la question suivante, j'observe que la Cour d'appel de l'Ontario a dit douter qu'une adjudication proportionnelle des dépens puisse jamais être appropriée parce qu'une telle façon de faire va à l'encontre de la logique de l'offre de règlement. Les offres de règlement visent l'obtention d'un résultat et non l'examen de questions et, pour reprendre les termes de la Cour d'appel de l'Ontario [Traduction], « [p]ourquoi faire une offre de règlement équivalente aux grandes lignes d'un jugement si le juge du procès va allouer les dépens en fonction du succès sur les questions en litige? » . Voir : Armak Chemicals Ltd. c. Canadian National Railway Co. (1991), 5 O.R. (3d) 1, à la page 9. La Cour d'appel de l'Ontario a également affirmé ce qui suit :

[traduction] De plus, dans un domaine aussi complexe et subtil du droit, aucune partie à un litige ne devrait être découragée de proposer une nouvelle solution. Par ailleurs, toute partie à un litige devrait être encouragée à ne viser qu'une seule chose : la proposition et l'examen d'offres raisonnables susceptibles de régler le litige.

[39]            À mon avis, ces commentaires s'appliquent en l'espèce.

5. La demanderesse a-t-elle droit à une réduction des dépens étant donné l'intérêt public dans la résolution judiciaire de l'instance?


[40]            Dans sa plaidoirie, l'avocat de la Couronne a expliqué que cet argument était un argument global fondé sur la réunion des éléments que constituaient le succès partagé et la nouveauté des questions soulevées, conjugués à l'intérêt public à ce qu'on interprète la loi applicable et à l'obligation légale qui incombe à Environnement Canada d'appliquer la Loi et le Règlement. J'ai déjà répondu aux arguments de la Couronne en ce qui concerne le succès partagé et le devoir d'appliquer la loi. À mon avis, le fait qu'il s'agissait de la première procédure introduite en vertu du paragraphe 311(1) de la Loi ne justifie aucune réduction des dépens autrement dus aux défendeurs. Il n'y a pas de raison que les défendeurs subissent une réduction des dépens peu importe qu'il soit ou non dans l'intérêt public qu'il y ait un examen judiciaire de la loi.

6. Les défendeurs ont-ils droit à des frais taxés selon l'échelon le plus élevé de la colonne V du tableau du tarif B des Règles?

[41]            Les avocats conviennent que la complexité des questions soulevées justifie des dépens en vertu de la colonne V, mais ne s'entendent pas sur l'échelon approprié de cette colonne pour l'adjudication des dépens. Comme on pouvait s'y attendre, les défendeurs prétendent que les dépens devraient correspondre au montant maximum prévu à la colonne V, alors que la Couronne affirme que le montant minimum prévu à la colonne V serait approprié.


[42]            La Cour a entière discrétion pour déterminer le montant des dépens et le paragraphe 400(3) des Règles énonce le facteur dont elle peut tenir compte pour exercer son pouvoir discrétionnaire. Les dépens ne doivent être ni punitifs ni extravagants. Le tarif B vise à obtenir un équilibre entre la nécessité d'indemniser la partie qui a obtenu gain de cause et le souci de ne pas imposer une charge excessive à la partie déboutée (voir Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd. (1998), 159 F.T.R. 233 (1re inst.); conf. par (2001), 199 F.T.R. 320 (C.A.)). Les dépens prévus à la colonne III sont censés correspondre aux affaires de complexité moyenne (voir l'article 407 des Règles). Pour trancher la question de savoir s'il convient de monter d'échelon, la Cour doit examiner la complexité des questions juridiques. (Voir TRW Inc. c. Walbar of Canada Inc. (1992), 43 C.P.R. (3d) 449 (C.A.F.).)

[43]            En l'espèce, je suis d'avis que les facteurs pertinents dont la Cour doit tenir compte pour exercer son pouvoir discrétionnaire sont les suivants : le résultat obtenu, les montants en litige au regard des conséquences qu'auraient subies les défendeurs s'ils n'avaient pas eu gain de cause; la quantité de travail qui a été requise; le volume et la nature de la preuve technique complexe; l'importance des questions sur le plan juridique. Ces facteurs justifient, selon moi, une adjudication de dépens fondée sur la colonne V.


[44]            Compte tenu du projet de mémoire de frais déposé par les défendeurs, une adjudication de dépens au sommet de la colonne V s'élèverait à environ 73 500 $, tandis qu'une adjudication de dépens au milieu et au bas de cette colonne serait de l'ordre, respectivement, de 54 000 $ et de 35 250 $. Étant donné la complexité du témoignage d'expert, il est clair qu'une quantité considérable de travail a été requise pour présenter la preuve d'expert à la Cour et pour contre-interroger l'expert de la Couronne. L'audience a été bien organisée et s'est bien déroulée, ce qui indique que les avocats s'étaient bien préparés. Tenant compte des facteurs énoncés plus tôt, notamment la quantité de travail requise, pour exercer mon pouvoir discrétionnaire, j'estime qu'il est approprié d'accorder une taxation supérieure à la moyenne se rapprochant du sommet de la colonne V. La demande n'était pas, à mon avis, à tel point complexe sur le plan juridique ou factuel qu'elle justifiait une taxation selon l'échelon le plus élevé de la colonne V.

[45]            Par conséquent, conformément au paragraphe 400(4) des Règles, j'accorderais une somme forfaitaire de 60 000 $ aux lieu et place de dépens taxés selon un échelon élevé de la colonne V. En ce qui concerne l'adjudication du double des dépens partie-partie, j'accorderais la somme forfaitaire de 1100 $ au titre de l'article 2 du tarif, et les autres montants correspondraient aux articles 10, 11, 12, 13a), 13b), 14a), 14b), 15 et 26 du tarif.


CONCLUSION

[46]            J'espère que les présents motifs permettront aux avocats de s'entendre sur le calcul des dépens appropriés. Les avocats devraient correspondre avec le greffe ou demander une téléconférence supplémentaire dans un délai de trois semaines à compter de la date des présents motifs pour aviser la Cour s'ils ont besoin de quoi que ce soit de plus.

« Eleanor R. Dawson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra D. de Azevedo, LL.B.


                                                        COUR FÉDÉRALE

                                         AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 T-2274-00

INTITULÉ:                                                                 La Reine c. IPSCO Recycling Inc.

et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          Winnipeg (Manitoba)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        le 18 juin 2004

DATE DU DÉPÔT DES OBSERVATIONS

ÉCRITES SUPPLÉMENTAIRES :               13 juillet 2004

23 juillet 2004

30 juillet 2004

MOTIFS SUPPLÉMENTAIRES DE

L'ORDONNANCE RELATIFS AUX DÉPENS :Madame la juge Dawson

DATE DES MOTIFS SUPPLÉMENTAIRES :       le 6 août 2004

COMPARUTIONS :

Duncan A. Fraser                                                          POUR LA DEMANDERESSE

Joel I. Katz

James G. Edmond                                                         POUR LES DÉFENDEURS

John D. Stefaniuk

Lyndee C. Bothe

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                POUR LA DEMANDERESSE

Thompson Dorfman Sweatman                          POUR LES DÉFENDEURS

Winnipeg (Manitoba)


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