Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20190417


Dossier : IMM‑3681‑18

Référence : 2019 CF 469

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 avril 2019

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

LARRY KUNLE DANIELS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, M. Larry Kunle Daniels, demande le contrôle judiciaire de la décision d’un agent d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (l’agent), qui a rejeté sa demande de résidence permanente présentée au titre de la catégorie des époux ou conjoints et fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). L’agent n’était pas convaincu qu’il y avait suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour l’emporter sur l’interdiction de territoire du demandeur pour grande criminalité (alinéa 36(1)b) de la LIPR).

[2]  La présente demande de contrôle judiciaire est déposée en vertu du paragraphe 72(1) de la LIPR.

[3]  Pour les motifs suivants, la demande est rejetée.

I.  Le contexte

[4]  Le demandeur est citoyen du Nigéria. En 2007, il s’est rendu au Royaume‑Uni et a présenté une demande d’asile, qui a été rejetée. Le demandeur a deux enfants en Angleterre : un fils de 14 ans et une fille de 7 ans.

[5]  Le 19 mars 2014, le demandeur a été reconnu coupable de quatre infractions commises au Royaume‑Uni sur plusieurs années : un chef de possession de pièces d’identité fausses, obtenues irrégulièrement ou appartenant à d’autres personnes et trois chefs de fausse représentation pour en tirer certains avantages pour soi‑même ou autrui, causer une perte à autrui ou exposer autrui à un risque. Le demandeur a été condamné à une peine d’emprisonnement de 22 mois. Il a été libéré en septembre 2014 et une mesure d’expulsion a été prise contre lui.

[6]  Le 2 janvier 2016, le demandeur est entré au Canada au moyen d’un passeport obtenu de façon irrégulière. Le 17 février 2016, il a été interrogé et déclaré interdit de territoire au Canada, au titre de l’article 41 de la LIPR. Le demandeur a été interrogé de nouveau le 15 avril 2016 et a été déclaré interdit de territoire, en application de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR. Il a été renvoyé à la Section de l’immigration (SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada pour la tenue d’une enquête.

[7]  Peu après son arrivée au Canada, le demandeur a rencontré son épouse actuelle, Tatiana Trinita King, et ils se sont mariés le 2 juillet 2016.

[8]  Le 17 février 2016, le demandeur a présenté une demande d’asile. Sa demande a été rejetée, ayant été jugée irrecevable à ce moment‑là.

[9]  Le 16 novembre 2016, la SI a conclu que le demandeur était interdit de territoire et a pris une mesure d’expulsion contre lui. Le 29 août 2017, la demande d’autorisation présentée à la Cour pour le contrôle judiciaire de la décision portant interdiction de territoire a été rejetée.

[10]  En novembre 2016, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada. Il a demandé une dispense de l’interdiction de territoire pour grande criminalité pour des motifs d’ordre humanitaire, en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR. La décision de rejet de sa demande est la décision faisant l’objet du contrôle.

[11]  Le 19 avril 2017, le demandeur a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). L’ERAR a été refusé le 6 octobre 2017 et l’autorisation de soumettre cette décision à un contrôle judiciaire par la Cour a été rejetée le 25 mars 2018.

[12]  Le demandeur affirme qu’il craint de retourner au Nigéria parce qu’il a quitté une secte de campus universitaire secrète, la Confrérie suprême Eiye, et qu’il a signalé leurs activités aux autorités locales. Il affirme que sa mère et son père ont tous deux été tués (en 1998 et en 2007, respectivement) en raison des activités auxquelles il se livrait.

II.  La décision faisant l’objet du contrôle

[13]  La décision est datée du 17 juillet 2018. L’agent a rejeté la demande de dispense de l’interdiction de territoire présentée par le demandeur pour des motifs d’ordre humanitaire. Par la suite, sa demande de résidence permanente au titre de la catégorie des époux a également été rejetée.

[14]  L’agent a procédé à un bref examen du rapport établi en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR, lequel décrivait en détail les déclarations de culpabilité du demandeur au Royaume‑Uni et les assimilait aux infractions prévues aux paragraphes 380(1) et 368(1) du Code criminel, LRC 1985, c C‑46 (le Code criminel). L’agent était convaincu que le demandeur était interdit de territoire au Canada pour criminalité, en application de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR. L’agent a fait remarquer que le demandeur n’a pas contesté la conclusion d’interdiction de territoire de la SI.

[15]  L’agent a reconnu le mariage du demandeur en juillet 2016.

[16]  En ce qui concerne les craintes du demandeur à l’idée d’un retour au Nigéria, l’agent a déclaré que les événements en question s’étaient produits plusieurs années auparavant et que le demandeur avait déposé en preuve très peu de documents prouvant son appartenance à la secte de campus. L’agent a fait référence au rejet de la demande d’ERAR du demandeur et à l’évaluation de ses facteurs de risque dans le cadre de cette demande. D’après l’information et les documents fournis, l’agent a accordé peu de poids aux facteurs de risque invoqués par le demandeur.

[17]  L’agent a ensuite passé en revue les nombreux problèmes de santé du demandeur, y compris l’accident vasculaire cérébral partiel qu’il a affirmé avoir subi alors qu’il était en prison au Royaume‑Uni. Le dossier certifié du tribunal faisait également mention d’un accident de la route au Canada par suite duquel le demandeur a présenté des symptômes correspondant à l’état de stress post‑traumatique. L’agent a reconnu que les services médicaux du Canada sont supérieurs aux services offerts au Nigéria, mais il n’était pas convaincu que les médicaments et les soins dont le demandeur avait besoin ne seraient pas accessibles au Nigéria, particulièrement dans les grands centres urbains.

[18]  Enfin, l’agent a souligné que le demandeur avait été reconnu coupable à l’extérieur du Canada de plusieurs crimes graves, qui semblent avoir été commis sur une longue période. Les déclarations de culpabilité n’étaient pas toutes liées à un seul événement isolé.

[19]  L’agent a tiré les conclusions suivantes :

[traduction]

Après un examen minutieux de l’ensemble du dossier, je ne suis pas convaincu qu’il existe suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour justifier que le client soit exempté de l’interdiction de territoire pour criminalité.

III.  Les questions en litige

[20]  La question en litige en l’espèce consiste à déterminer si la décision de l’agent était raisonnable. Le demandeur soulève deux questions particulières :

  1. L’agent a‑t‑il commis une erreur en omettant d’évaluer correctement l’équivalence des infractions dans le contexte de l’interdiction de territoire du demandeur fondée sur l’alinéa 36(1)b)?

  2. L’analyse des motifs d’ordre humanitaire de l’agent était‑elle déraisonnable (et incompatible avec les principes énoncés dans Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 (Kanthasamy))?

IV.  La norme de contrôle

[21]  Il est bien établi qu’un refus de prendre des mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire, aux termes du paragraphe 25(1) de la LIPR, est examiné selon la norme du caractère raisonnable (Kanthasamy, au paragraphe 44; Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 18; Marshall c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2017 CF 72, au paragraphe 27 (Marshall)). Le paragraphe 25(1) prévoit un mécanisme permettant au ministre de prendre des mesures dans des circonstances exceptionnelles. Par conséquent, les décisions d’ordre humanitaire sont hautement discrétionnaires et doivent être examinées avec une retenue considérable (Williams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1303, au paragraphe 4). Il n’appartient pas à la Cour de réexaminer la preuve ou de substituer la solution qu’elle juge appropriée à celle qui a été retenue (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59). Mon rôle consiste à déterminer si la décision est justifiée, transparente et intelligible et si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits de la présente affaire et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

V.  Analyse

1.  L’agent a‑t‑il commis une erreur en omettant d’évaluer correctement l’équivalence des infractions dans le contexte de l’interdiction de territoire du demandeur fondée sur l’alinéa 36(1)b)?

[22]  Le demandeur soutient qu’après avoir examiné les déclarations de culpabilité au Royaume‑Uni et rendu une décision d’interdiction de territoire indépendante, l’agent était tenu de procéder à une évaluation complète de l’équivalence des infractions dans le contexte de l’interdiction de territoire du demandeur pour des déclarations de culpabilité à l’étranger. Il affirme que l’agent a examiné le rapport établi en vertu du paragraphe 44(1) et qu’il a conclu que les infractions commises par le demandeur au Royaume‑Uni seraient équivalentes aux infractions criminelles canadiennes prévues aux paragraphes 380(1) et 368(1) du Code criminel, sans qu’il y ait eu évaluation des éléments constitutifs des infractions ou des faits sur lesquels l’agent s’est fondé. Le demandeur soutient que l’omission par l’agent d’effectuer une évaluation de l’équivalence constitue une erreur susceptible de révision.

[23]  Le défendeur soutient que l’agent n’était pas tenu de procéder à une évaluation de l’équivalence des déclarations de culpabilité du demandeur à l’étranger, puisqu’il avait déjà été jugé interdit de territoire par la SI. La SI aurait procédé à l’évaluation de l’équivalence requise avant de rendre sa décision concernant l’interdiction de territoire et de prendre une mesure d’expulsion. Le demandeur a tenté de contester la décision de la SI devant la Cour, mais sa demande d’autorisation a été rejetée le 29 août 2017. Par conséquent, les conclusions de la SI concernant l’interdiction de territoire sont définitives et ne peuvent être remises en litige par le demandeur.

[24]  Je conclus que l’agent n’a pas commis d’erreur en omettant d’effectuer une évaluation de l’équivalence des déclarations de culpabilité du demandeur au Royaume‑Uni, conformément aux dispositions pertinentes du Code criminel. L’agent n’a pas effectué une évaluation partielle et erronée de l’équivalence, comme le soutient le demandeur. L’agent a plutôt examiné le rapport établi en vertu du paragraphe 44(1), a présenté ses conclusions concernant les infractions commises au Royaume‑Uni et les infractions canadiennes équivalentes et s’est dit convaincu que le demandeur était interdit de territoire. L’agent n’a pas tiré de conclusion indépendante sur l’interdiction de territoire dans la décision. Les commentaires de l’agent concernant le processus d’interdiction de territoire de la SI ont défini le cadre utilisé pour l’analyse des motifs d’ordre humanitaire.

[25]  Le demandeur s’appuie sur la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Hill c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1987] ACF no 47 (Hill), notamment sur le principe selon lequel l’équivalence entre les infractions étrangères et canadiennes ne peut être déterminée que par une comparaison du libellé précis de chaque loi pour déterminer les éléments essentiels de chaque infraction, par une évaluation des preuves présentées devant l’arbitre afin de déterminer si ces preuves étaient suffisantes pour établir les éléments essentiels de l’infraction au Canada ou par une combinaison des deux. Toutefois, la décision rendue par la Cour dans l’arrêt Hill visait une mesure d’expulsion et la principale préoccupation de la Cour était la conclusion de l’arbitre concernant l’interdiction de territoire. La décision qui m’est présentée ne concerne pas la décision d’interdiction de territoire de la SI ni la mesure d’expulsion dont le demandeur a fait l’objet. L’agent n’était pas tenu d’appliquer les principes relatifs aux évaluations de l’équivalence énoncés dans l’arrêt Hill lors de l’examen de la demande de résidence permanente et de la demande de dispense pour des motifs d’ordre humanitaire du demandeur.

[26]  L’interdiction de territoire du demandeur n’était pas en cause devant l’agent. Le demandeur n’a pas présenté d’arguments remettant en question les conclusions de la SI. En fait, il est mentionné dans la lettre de son avocat visant la demande au titre de la catégorie des époux que l’interdiction de territoire du demandeur est la raison pour laquelle il a présenté une demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire. L’agent a raisonnablement déclaré au début de son analyse que [traduction« [l]e client et son avocat ne contestent pas la conclusion d’interdiction de territoire ».

[27]  Le défendeur se fonde sur la décision rendue par le juge de Montigny (tel était alors son titre) dans l’affaire Sabadao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 815 (Sabadao), qui concerne une demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire. En examinant la question de l’autorité de la chose jugée et la possibilité pour le demandeur de demander la révision d’une décision antérieure concernant son interdiction de territoire, le juge de Montigny a déclaré ce qui suit (Sabadao, au paragraphe 22) :

[22] Je conviens avec l’avocat du demandeur que l’autorité de la chose jugée ne peut constituer un obstacle dans le cadre d’une demande CH. Les décisions rendues par la SSR et la SA ont force obligatoire en ce qui a trait à la question précisément en jeu dans la présente instance, c’est‑à‑dire l’interdiction de territoire. Sur cet aspect particulier, ces décisions sont définitives et ne sauraient être revues par l’agente, étant donné surtout que la Cour a rejeté la demande de contrôle présentée par le demandeur à l’encontre de la décision de la SA. Cela étant dit, les agents doivent doit tenir compte de l’évolution récente de la jurisprudence, dans le but non pas d’infirmer indirectement ou implicitement une décision définitive, mais bien de mettre ce facteur en balance avec les autres considérations d’ordre humanitaire. L’avocat du défendeur l’a même reconnu à l’audience, et c’est précisément ce que l’agente a fait dans ses motifs. Si une nouvelle interprétation jurisprudentielle d’une disposition sur l’interdiction de territoire avait pour effet que la demande d’asile du demandeur aurait pu tourner autrement, l’agente devait certainement en tenir compte dans l’appréciation des considérations d’ordre humanitaire.

[28]  En l’espèce, le demandeur n’a fait aucune observation concernant l’évolution de la jurisprudence qui nécessiterait une révision de la décision de la SI, en tenant compte d’autres facteurs d’ordre humanitaire. Il n’a présenté aucun argument ou élément de preuve concernant de nouveaux faits ou de nouvelles circonstances dont l’agent aurait dû tenir compte pour évaluer la décision antérieure de la SI concernant l’interdiction de territoire. J’adhère au raisonnement du juge Barnes dans la décision Varela c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1157 (Varela), selon lequel une demande de contrôle judiciaire d’une décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire doit porter sur le caractère raisonnable de cette décision. Cela ne doit pas constituer une occasion de remettre en question une décision (Varela, au paragraphe 3) :

[3] Il est essentiel, dès le départ, de comprendre que cette demande concerne le caractère raisonnable de la décision fondée sur des motifs humanitaires. Cette demande n’est décidément pas liée à des résultats d’une instance antérieure et, surtout, il ne s’agit pas d’une occasion de contester le bien‑fondé de la décision d’interdiction de territoire à l’encontre [du demandeur].

[29]  En résumé, l’agent n’était nullement tenu d’effectuer une évaluation de l’équivalence des déclarations de culpabilité du demandeur au Royaume‑Uni dans son analyse des motifs d’ordre humanitaire. L’agent n’était pas tenu de rendre une nouvelle décision d’interdiction de territoire et n’était pas autorisé à le faire, puisque la décision de la SI était exécutoire. De plus, en l’absence de nouveaux éléments jurisprudentiels ou factuels qui auraient une incidence sur la décision d’interdiction de territoire antérieure, l’agent n’était pas tenu de réviser la décision de la SI d’après les motifs d’ordre humanitaire invoqués par le demandeur.

2.  L’analyse des motifs d’ordre humanitaire de l’agent était‑elle déraisonnable (et incompatible avec les principes énoncés dans Kanthasamy)?

[30]  Dans l’arrêt Kanthasamy, la juge Abella a déclaré que le paragraphe 25(1) de la LIPR ne crée pas un régime d’immigration parallèle et que, inévitablement, l’obligation de quitter le Canada entraînera certaines difficultés (Kanthasamy, au paragraphe 23) :

[23]  L’obligation de quitter le Canada comporte inévitablement son lot de difficultés, mais cette seule réalité ne saurait généralement justifier une dispense pour considérations d’ordre humanitaire suivant le par. 25(1) (voir Rizvi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 463, par. 13 (CanLII); Irimie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 16640 (C.F. 1re inst.), par. 12). De plus, ce paragraphe n’est pas censé constituer un régime d’immigration parallèle (Chambre des communes, Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration, Témoignages, no 19, 3e sess., 40e lég., 27 mai 2010, 15 h 40 (Peter MacDougall); voir également Témoignages, no 3, 1re sess., 37e lég., 13 mars 2001, 9 h 55 à 10 h (Joan Atkinson)).

[31]  Dans la décision Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 265 (Huang), le juge en chef a souligné que l’octroi d’une mesure spéciale pour des motifs d’ordre humanitaire est exceptionnel et que les demandeurs doivent établir plus que l’existence ou l’existence probable de difficultés par rapport aux citoyens canadiens ou aux résidents permanents (Huang, aux paragraphes 18 à 20).

[32]  Il faut reconnaître que l’analyse des motifs d’ordre humanitaire faite par l’agent dans la décision est peu étoffée. Toutefois, cette analyse indique que le demandeur n’a fourni aucun argument ou élément de preuve concernant les facteurs sur lesquels il s’appuie maintenant pour soutenir que la décision était déraisonnable. Il est important de rappeler que le demandeur était tenu d’énoncer les facteurs qu’il voulait que l’agent prenne en considération (Owusu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CAF 38, aux paragraphes 5 et 8; Suleiman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 395, au paragraphe 81).

[33]  Je ne suis pas d’accord avec le demandeur, qui soutient que le critère relatif aux difficultés appliqué par l’agent dans la décision est incorrect. La décision ne contient aucun des termes contestés auxquels fait référence la juge Abella dans l’arrêt Kanthasamy. L’agent s’est plutôt penché sur chacun des motifs d’ordre humanitaire qu’il est parvenu à dégager de la demande de résidence permanente au titre de la catégorie des époux et de la demande de dispense présentées par le demandeur. Le demandeur soutient également que la décision témoigne d’un manque de compassion, mais l’agent n’a pas obtenu de preuve de circonstances exceptionnelles justifiant une telle marque de compassion dans le contexte d’une demande fondée sur le paragraphe 25(1).

[34]  Le demandeur soutient que l’agent n’a fait aucune mention de son désir de demeurer au Canada avec son épouse ou de l’incidence que cela aurait sur son épouse et lui‑même, si sa demande était rejetée et qu’il devait retourner au Nigéria. Toutefois, outre la description de la nature de sa relation avec Mme King, qui n’est pas remise en question ni contestée par l’agent, le demandeur n’a fait aucune observation concernant les conséquences négatives particulières pour son épouse ou pour lui‑même, s’il n’est pas autorisé à rester au Canada. Le demandeur soutient que ces conséquences découleraient directement de sa séparation d’avec Mme King, mais les conséquences inhérentes de toute séparation d’avec son époux ne sont pas suffisantes pour justifier une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[35]  Le demandeur soutient également que l’agent n’a pas tenu compte de sa réadaptation et du temps qui s’est écoulé depuis les infractions commises au Royaume‑Uni. Le demandeur n’a pas discuté de sa réadaptation dans sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Il n’a fourni aucune preuve indiquant qu’il aurait pris des mesures de réadaptation. Le demandeur invoque le temps écoulé pour soutenir que l’agent a commis une erreur susceptible de révision en omettant de tenir compte de sa réadaptation. Il cite un certain nombre de décisions à l’appui de sa position, mais dans chacune d’elles, le délai écoulé depuis les infractions en question était beaucoup plus long qu’en l’espèce. L’agent a fait état de la nature des actes criminels du demandeur dans la décision, soulignant que ses déclarations de culpabilité ne découlaient pas d’un seul événement isolé. L’agent n’a pas ignoré ni mal interprété la criminalité sous‑jacente du demandeur, et il n’avait pas de preuves ni d’observations sur lesquelles s’appuyer pour examiner la réadaptation. Je conclus que l’agent n’a commis aucune erreur à cet égard.

[36]  Le demandeur soutient que l’agent n’a pas tenu compte de la preuve concernant son état de santé et qu’il a commis la même erreur que celle dont il est question aux paragraphes 46 et 47 de l’arrêt Kanthasamy. Le défendeur soutient que la présente affaire diffère de l’affaire Kanthasamy puisque (1) l’agent n’a formulé aucune conclusion concernant un diagnostic quelconque et (2) les problèmes de santé du demandeur ne sont pas liés à des expériences qu’il a vécues dans son pays d’origine et il n’a pas fourni de preuve indiquant que sa santé se détériorerait s’il était renvoyé dans son pays.

[37]  Je constate d’abord que le demandeur n’a présenté aucun rapport médical avec sa demande de résidence permanente au titre de la catégorie des époux et sa demande de dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Dans les observations de son avocat accompagnant la demande, il y avait un extrait non daté d’une lettre d’un médecin de Toronto, qui indiquait que le demandeur avait des antécédents d’hypertension, de dyslipidémie, de diabète et de coronaropathie et qui mentionnait les divers médicaments prescrits au demandeur. Le médecin faisait également référence à un accident de la route lié au travail et aux symptômes d’état de stress post‑traumatique du demandeur.

[38]  Le demandeur n’a fourni aucun élément de preuve concernant l’accessibilité des services médicaux au Nigéria, et ce, que ce soit de manière générale ou en ce qui concerne son état de santé personnel. Je conclus que l’agent n’a commis aucune erreur en indiquant qu’il n’était pas convaincu que le demandeur ne pouvait pas avoir accès aux services médicaux dont il a besoin au Nigéria.

[39]  Dans l’arrêt Kanthasamy, la juge Abella a déclaré (au paragraphe 47) :

[47] On comprend mal que, après avoir fait droit au diagnostic psychologique, l’agente exige quand même de Jeyakannan Kanthasamy une preuve supplémentaire quant à savoir s’il a ou non cherché à obtenir des soins ou si de tels soins étaient même offerts, ou quant aux soins qui existaient ou non au Sri Lanka. Une fois reconnu qu’il souffre d’un trouble de stress post‑traumatique, d’un trouble d’adaptation et de dépression en raison de ce qu’il a vécu au Sri Lanka, exiger en sus la preuve de l’existence de soins au Canada ou au Sri Lanka met à mal le diagnostic et a l’effet discutable d’en faire un facteur conditionnel plutôt qu’important.

[40]  Le demandeur invoque ce paragraphe pour affirmer que l’agent a commis une erreur en mettant l’accent sur l’accessibilité des services de soins de santé au Nigéria. Toutefois, la situation du demandeur ne s’apparente pas à celle du demandeur dans l’affaire Kanthasamy. En l’espèce, il n’existe aucun lien entre l’état de santé du demandeur et les événements survenus au Nigéria. L’extrait de la lettre du médecin indique que l’état de stress post‑traumatique du demandeur résulte d’un accident de la route au Canada. Dans l’affaire Kanthasamy, l’état de santé du demandeur mineur résultait directement de ses expériences au Sri Lanka et les preuves médicales fournies indiquaient que sa santé se détériorerait s’il était renvoyé là‑bas. De tels éléments de preuve n’ont pas été présentés en l’espèce.

[41]  En résumé, bien que l’analyse des motifs d’ordre humanitaire présentée dans la décision soit brève, elle ne repose pas sur un critère incorrect et elle n’omet pas la preuve présentée par le demandeur. Le demandeur n’a tout simplement pas réussi à démontrer qu’il y a suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour justifier sa demande de dispense, en vertu du paragraphe 25(1). Je conclus donc que la décision de l’agent était raisonnable. Le rejet de la demande de dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire faisait partie des issues possibles acceptables, compte tenu des faits particuliers de l’espèce et de la preuve présentée à l’agent.

VI.  La question à certifier

[42]  Le demandeur n’a pas proposé de question à certifier. Le défendeur a demandé que je certifie une question seulement si je conclus que l’agent était tenu d’effectuer une évaluation de l’équivalence des infractions dans le contexte de l’interdiction de territoire du demandeur au Canada, et ce, malgré la décision antérieure de la SI. Le défendeur a proposé la question suivante :

L’agent est‑il tenu de prendre une nouvelle décision d’interdiction de territoire pour la ou les mêmes infractions lorsque la Section de l’immigration a déjà conclu qu’un demandeur est interdit de territoire, au titre de l’article 36 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, si aucun fait ou élément de preuve nouveau ni aucun changement de circonstances ne survient ou n’est soulevé par le demandeur?

[43]  J’ai conclu que l’agent n’était pas tenu d’effectuer une évaluation de l’équivalence des infractions et de rendre une nouvelle décision d’interdiction de territoire fondée sur les mêmes infractions. De plus, à mon avis, cela est conforme à la jurisprudence, et la question ne présente pas de conséquences importantes ou d’intérêt général (Lunyamila c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22, au paragraphe 46). Par conséquent, je ne certifierai pas la question du défendeur.

VII.  Conclusion

[44]  La demande est rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3681‑18

LA COUR STATUE que :

1.  la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.  aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 14jour de mai 2019

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3681‑18

 

INTITULÉ :

LARRY KUNLE DANIELS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 5 avril 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

La juge WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

le 17 avril 2019

 

COMPARUTIONS :

Daniel Kingwell

 

Pour le demandeur

Margherito Braccio

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk et Kingwell LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.