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Dossier : T-1760-18

Référence : 2019 CF 458

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 avril 2019

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

C.W. PARSONS LTD.

demanderesse

et

PARSONS PAVING LTD.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La présente demande concerne des allégations de commercialisation trompeuse formulées contre la défenderesse, au titre des alinéas 7b), c) et d) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T­13 (la Loi). Il s’agit d’un litige entre frères, qui veulent utiliser leur nom de famille en lien avec des services de pavage, plus particulièrement dans la région de la presqu’île Avalon, à Terre‑Neuve‑et‑Labrador. Il est assez urgent de régler cette affaire avant le début de la saison de pavage 2019.

[2]  La demande sera rejetée, en raison de l’insuffisance de la preuve. La demanderesse n’a démontré qu’une simple possibilité de confusion et n’a pas prouvé l’existence d’un préjudice réel ou éventuel.

II.  Le contexte

A.  Les parties

[3]  La demanderesse, C.W. Parsons Ltd., a été constituée en société en 2001. Charlie Parsons fils et son père, Charlie Parsons père, en sont propriétaires.

[4]  La défenderesse, Parsons Paving Ltd., a été constituée en société en mai 2018 et appartient à Neil et Leona Parsons. Neil Parsons est le frère de Charlie Parsons fils, et le fils de Charlie Parsons père. Avant la constitution en société, Neil Parsons exploitait une entreprise non constituée en société, connue sous le nom de S & L Enterprises ou S & L Paving.

[5]  Les deux parties offrent des services de pavage résidentiel et commercial et d’autres services de construction dans la région de la presqu’île Avalon, et toutes deux ont leur siège social dans la ville de Paradise.

[6]  La demanderesse a fourni divers services de construction depuis sa constitution en société en 2001. Vers 2010, elle a commencé à offrir des services de pavage à une plus grande échelle qu’auparavant.

[7]  La demanderesse a exploité cet aspect de son entreprise en utilisant les mots servant de marque « CW Parsons Paving » et la conception de logo (le logo) ci‑dessous, conçus en 2010 (les mots servant de marque et le logo sont ci‑après appelés les « marques ») :

B.  L’emploi des marques de la demanderesse

[8]  La demanderesse prétend avoir employé ses marques de la façon suivante :

[9]  La demanderesse soutient qu’en utilisant ainsi ses marques, le public en est venu à les reconnaître. L’entreprise a remporté un prix de l’organisation Consumer Choice Award pendant deux ans dans la catégorie des entrepreneurs en pavage. Cependant, les certificats du prix précisent que la gagnante est C.W. Parsons Limited ou Ltd., bien que « C.W. Parsons Paving » soit mentionnée comme étant la lauréate sur le site Web de l’organisation.

[10]  Les mots servant de marque « C.W. Parsons Paving » étaient parfois affichés avec la dénomination sociale C.W. Parsons Limited, alors qu’en d’autres occasions, ils étaient employés seuls.

[11]  Il y avait une lacune importante dans la preuve présentée par la demanderesse concernant les détails de l’emploi et de la reconnaissance des marques sur le marché de consommation. Par exemple, il n’y avait aucune preuve provenant de clients directs ni les éléments de preuve habituels sous forme de factures et de comptes utilisés pour les services de pavage.

[12]  L’explication de la demanderesse selon laquelle il est difficile d’obtenir de tels éléments de preuve de la part des clients n’excuse pas l’absence de preuve, en particulier des éléments de preuve sur lesquels cette partie exerce une influence ou un contrôle.

C.  L’emploi de la dénomination commerciale de la défenderesse

[13]  Pendant 25 ans, Neil Parsons a exploité son entreprise de construction sous le nom de « S & L Enterprises » ou de « S & L Paving ». Il offre des services de pavage résidentiel et commercial depuis 7 ou 8 ans.

[14]  Neil Parsons voulait pouvoir réaliser des contrats de pavage plus importants, en particulier pour les gouvernements provinciaux et les administrations municipales. Il estimait que, pour être admissible à ces types de contrats, il était nécessaire ou souhaitable pour lui de se constituer en société.

[15]  De 2017 à 2018, il a entamé le processus de constitution en société, en tentant de se réserver une dénomination sociale auprès du registre provincial des entreprises. Différents noms, tels que S & L Enterprises Ltd., Parsons Construction Limited ou Parsons Contracting Limited, n’étaient pas disponibles.

[16]  Il y avait 116 sociétés inscrites au registre provincial contenant le nom « Parsons » dans leur dénomination – dont certaines semblent être des entreprises contractantes ou de construction.

[17]  Le 7 mai 2018, le registraire a accepté le nom de « Parsons Paving Ltd. ».

[18]  La défenderesse emploie principalement le nom de « Parsons Paving » sur les affiches, dans les pages jaunes et pour d’autres coordonnées, mais elle se sert de « Parsons Paving Ltd. » sur son site Web, sur ses cartes professionnelles et dans ses avis de postes à pourvoir.

[19]  Après la constitution en société de Parsons Paving Ltd., la demanderesse a déposé une demande de marque de commerce pour « CW Parsons Paving » et son logo. La défenderesse a affirmé qu’elle s’opposera à cette demande, une fois que l’avis public sera donné.

[20]  Neil Parsons prétend qu’il n’a jamais vu le nom de C.W. Parsons Paving. Il a admis qu’il connaissait parfaitement bien C.W. Parsons Limited et qu’il y avait en fait travaillé. Bien que son explication soit difficile, au départ, à accepter dans les circonstances, elle est plausible, dans une certaine mesure. Il a expliqué qu’il pensait que les décalcomanies sur l’équipement indiquaient « C.W. Parsons Limited » et qu’il n’avait pas remarqué que, là où la dénomination « C.W. Parsons Paving » apparaissait, « Limited » avait été remplacé par « Paving ».

D.  La preuve de confusion

[21]  À l’exception de quelques éléments de preuve montrant que des personnes dans le contexte de l’emploi ont acheminé à tort des courriels à la demanderesse et qu’une lettre d’appel d’offres provinciale a été envoyée à la mauvaise adresse, la demanderesse n’a produit aucune preuve de confusion de la part des acheteurs potentiels ou des clients des services de pavage. Les expéditeurs de ces courriels et de cette pièce de correspondance n’ont pas déposé d’affidavits, de sorte que les circonstances auxquelles fait référence la demanderesse demeurent obscures.

[22]  Charlie Parsons a déposé un affidavit dans lequel il allègue que certains clients lui ont dit éprouver de la confusion, mais, encore là, aucun de ces clients n’a produit d’affidavit. L’affidavit de Charlie Parsons est rempli de ouï‑dire pour lequel aucune exception à la règle relative au ouï‑dire n’a été demandée.

[23]  Par contre, Neil Parsons a déposé un affidavit attestant qu’il était directement au fait que la demanderesse n’avait jamais soumissionné ni obtenu de contrats sous la dénomination de « C.W. Parsons Paving ». À sa connaissance, il n’y a aucune source de confusion chez les clients actuels ou potentiels.

[24]  La preuve par affidavit de Neil Parsons a été étayée à l’aide de quatre autres affidavits attestant le fait qu’il n’y avait aucun risque que le public confonde les deux noms. Un des déposants, qui travaille pour le gouvernement provincial ayant participé au processus d’appel d’offres, affirme qu’il n’a jamais vu les marques de la demanderesse ni entendu parler de « C.W. Parsons Paving ». L’acheteur principal de la Ville de St. John’s a présenté une preuve semblable.

[25]  Les deux autres témoins étaient des fournisseurs plutôt que des clients des deux parties, mais ils ont également tenu des propos semblables quant à l’absence de confusion et au fait qu’ils n’ont pas vu de véhicules ni d’équipement portant la marque « C.W. Parsons Paving ».

III.  Les dispositions législatives

[26]  Les dispositions applicables de la Loi sont les suivantes :

7 Nul ne peut :

7 No person shall

[…]

b) appeler l’attention du public sur ses produits, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu’il a commencé à y appeler ainsi l’attention, entre ses produits, ses services ou son entreprise et ceux d’un autre;

(b) direct public attention to his goods, services or business in such a way as to cause or be likely to cause confusion in Canada, at the time he commenced so to direct attention to them, between his goods, services or business and the goods, services or business of another;

c) faire passer d’autres produits ou services pour ceux qui sont commandés ou demandés;

(c) pass off other goods or services as and for those ordered or requested; or

d) employer, en liaison avec des produits ou services, une désignation qui est fausse sous un rapport essentiel et de nature à tromper le public en ce qui regarde :

(d) make use, in association with goods or services, of any description that is false in a material respect and likely to mislead the public as to

(i) soit leurs caractéristiques, leur qualité, quantité ou composition,

(i) the character, quality, quantity or composition,

(ii) soit leur origine géographique,

(ii) the geographical origin, or

(iii) soit leur mode de fabrication, de production ou d’exécution.

(iii) the mode of the manufacture, production or performance

of the goods or services.

IV.  Les questions en litige

[27]  Les principales questions à trancher sont les suivantes :

V.  Analyse

[28]  Bien que la demanderesse ait formulé des allégations de commercialisation trompeuse au titre des alinéas 7b), c) et d), les parties ont axé les débats du litige sur l’alinéa 7b).

[29]  Le critère applicable à la commercialisation trompeuse au titre de l’alinéa 7b) (tout comme en common law), repose sur l’existence d’un achalandage, le fait d’induire le public en erreur par une fausse déclaration et le préjudice réel ou éventuel du titulaire de la marque de commerce (voir Sadh Singh Hamdard Trust c Navsun Holdings Ltd, 2016 CAF 69, 264 ACWS (3d) 478, au paragraphe 20).

[30]  L’alinéa 7b) est semblable au critère applicable en common law en matière de commercialisation trompeuse, mais exige que le demandeur démontre qu’il possède une marque de commerce valide et opposable au sens de la Loi, comme l’a déclaré la Cour dans Diageo Canada Inc c Heaven Hill Distilleries, Inc, 2017 CF 571, 147 CPR (4th) 425 (Diageo), au paragraphe 67, citant l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Kirkbi AG c Gestions Ritvik Inc, 2003 CAF 297, [2004] 2 CF 241, au paragraphe 38.

[31]  L’alinéa 7c) codifie l’action de common law pour « commercialisation trompeuse » par substitution, en ce sens que le défendeur est tenu responsable s’il exécute une commande en fournissant ses propres produits ou ceux d’une autre personne au lieu des produits du demandeur qui ont été commandés. D’après les faits de l’espèce, il n’y a aucune question à trancher à cet égard.

[32]  L’alinéa 7d) protège le public contre de fausses déclarations sous un rapport essentiel qui sont susceptibles de l’induire en erreur. Il n’y a pas de faits avérés pertinents à l’égard de cette disposition.

A.  Le caractère distinctif et l’achalandage

[33]  L’analyse du caractère distinctif ainsi que celle de l’achalandage sont quelque peu répétitives, et, dans la présente affaire, l’une et l’autre se rejoignent facilement. Bien que caractère distinctif ne soit pas synonyme d’achalandage, le caractère distinctif acquis n’est que l’un des nombreux indicateurs possibles de l’existence d’un achalandage (Venngo Inc c Concierge Connection Inc, 2017 CAF 96, 146 CPR (4th) 182 (Venngo), au paragraphe 54).

[34]  Pour que la demanderesse réussisse à faire valoir ses droits à l’égard de ses marques, elle doit établir le caractère distinctif de ces dernières. Comme la Cour suprême du Canada l’a déclaré dans l’arrêt Mattel, Inc c 3894207 Canada Inc, 2006 CSC 22, [2006] 1 RCS 772 (Mattel), au paragraphe 75, le caractère distinctif d’une marque de commerce constitue une exigence fondamentale.

[35]  En ce qui concerne le caractère distinctif, la défenderesse fait valoir que l’expression « Parsons Paving » n’a aucun caractère distinctif inhérent et que la demanderesse n’a pas démontré que ses marques avaient acquis un caractère distinctif.

[36]  À mon avis, la demanderesse a démontré que son logo et ses mots servant de marque avaient acquis un caractère suffisamment distinctif pour être opposables. Il est indispensable d’examiner séparément le logo et les mots servant de marque.

[37]  Il est clair que le logo est un dessin-marque possédant un caractère distinctif inhérent. Il est associé aux services de la demanderesse depuis 2010. Il a été vu sur de l’équipement et des vêtements de travail, sur son site Web et dans la publicité faite avant 2018.

[38]  Le logo dans son ensemble se compose d’une combinaison particulière de rouge et de noir, une forme de « U » rouge et noire en position latérale ou une description des produits de la demanderesse, avec les mots « C.W. Parsons Paving » insérés dans le logo.

[39]  L’emploi du logo sur l’équipement de la demanderesse permettrait à elle seule de distinguer efficacement les services offerts par cette dernière. Par conséquent, le logo possède un caractère distinctif et constitue une marque de commerce valide et opposable.

[40]  Les mots servant de marque de la demanderesse, qui consiste en une combinaison d’un nom personnel et d’un descriptif, ne possède qu’un faible caractère distinctif inhérent. Toutefois, la demanderesse a acquis un certain caractère distinctif en utilisant ses mots servant de marque séparément du logo, en association avec ses services, comme on le voit, notamment, sur son site Web.

[41]  De plus, le prix de l’organisation Consumer Choice Award remporté par la demanderesse fait référence à cette dernière sous le nom de « C.W. Parsons Paving ». D’une façon quelque peu analogue à celle observée dans la décision Conseil canadien des ingénieurs c Kelly Properties, Inc, 2010 COMC 224, 89 CPR (4th) 401, conf. par 2013 CAF 287, la demanderesse a démontré que les mots servant de marque ont acquis un certain caractère distinctif du fait qu’elle les a employés dans ses publicités, sur son site Web, dans ses décalcomanies pour véhicules et sur son immeuble.

[42]  Tout bien considéré, la demanderesse a démontré que ses marques étaient suffisamment distinctives pour être opposables. Cependant, ses mots servant de marque n’ont acquis qu’un faible caractère distinctif.

[43]  En ce qui concerne l’achalandage, le dossier de la preuve est peu convaincant et l’importance de l’achalandage est difficile à évaluer. Toutefois, certains éléments tels que les publicités, les prix remportés et les pages jaunes apportent la preuve d’un certain achalandage, preuve que la défenderesse n’a pas été en mesure de réfuter. L’absence des éléments de preuve, comme les données sur les ventes, qui sont habituellement produits, et les affidavits des quatre déposants qu’a présentés la défenderesse démontrent que l’achalandage est faible.

B.  La confusion

[44]  Compte tenu de toutes les circonstances de l’espèce, y compris des facteurs énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi, j’ai conclu que la demanderesse n’avait pas démontré qu’il existait une probabilité de confusion, mais seulement une simple possibilité.

[45]  Comme il est énoncé dans l’arrêt Venngo, au paragraphe 78, le second volet du critère de la commercialisation trompeuse, dans les cas ne comportant pas de tromperie intentionnelle, consiste à établir s’il existe une probabilité de confusion entre les marques en question sur le fondement du paragraphe 6(5) de la Loi. Pour établir une probabilité raisonnable de confusion, dans les cas où la marque inclut le nom de famille, il convient de considérer si l’adoption du nom était mal intentionnée et visait à accroître le risque de confusion – pour permettre au contrefacteur prétendu utilisant ce nom de famille de s’attirer des clients (voir, p. ex., Edward Chapman Ladies’ Shop Ltd c Edward Chapman Ltd, 2006 BCSC 14, 145 ACWS (3d) 956, au paragraphe 67).

[46]  Sur cette question, je suis convaincu que Neil Parsons voulait, légitimement, associer son nom aux services de pavage qu’il avait offerts et développer cet aspect de son entreprise. Le moment où la demande de marque de commerce de la demanderesse a été présentée semble plus indiquer qu’il s’agit ici d’un mouvement réactionnaire à l’encontre de la défenderesse, consécutif à l’enregistrement de sa société, plutôt que d’une suite naturelle à l’emploi des marques par la demanderesse même.

[47]  Comme la Cour suprême du Canada l’a déclaré au paragraphe 40 de l’arrêt Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc, 2011 CSC 27, [2011] 2 RCS 387 (Masterpiece), le critère standard en matière de confusion doit être appliqué du point de vue du « consommateur pressé ». Il faut tenir compte de la nature des biens et des services en cause, ce qui a une incidence sur l’appréciation du comportement de ce type de consommateur.

[48]  L’achat de services de pavage n’est pas comme celui d’une tablette de chocolat dans un dépanneur. Le prix plus élevé ainsi que la nature des biens et des services donnent à penser qu’une réflexion plus poussée s’impose concernant le fournisseur que lors d’une transaction rapide, ce qui réduit la probabilité de confusion involontaire. Cependant, le critère demeure celui de la première impression (Masterpiece, au paragraphe 67).

(1)  Le degré de ressemblance

[49]  Il existe incontestablement une certaine ressemblance entre les marques de la demanderesse et la dénomination commerciale de la défenderesse, comme c’est le cas, à divers degrés, pour les 116 autres entreprises « Parsons » inscrites au registre de Terre‑Neuve, dont certaines semblent exercer leurs activités dans le domaine de la construction.

[50]  Le public est principalement exposé aux marques de la demanderesse par la voie de son logo plutôt que de ses mots servant de marque. Bien qu’il existe une certaine similitude entre les couleurs utilisées par chacune des parties, ces couleurs ne sont pas identiques. La défenderesse ne fait aucune utilisation constante d’un quelconque logo ou dessin-marque. Dans l’ensemble, il n’existe qu’un faible degré de ressemblance entre le logo et le nom de la défenderesse, tel qu’il est affiché.

[51]  Un nom de famille ne revêt pas, en soi, un caractère distinctif. En l’espèce, le nom est l’une des caractéristiques d’affichage les plus importantes. Les deux parties emploient un terme descriptif – « Paving ». La principale distinction est l’utilisation importante des initiales dans les marques de la demanderesse. Comme l’a confirmé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Venngo, au paragraphe 46, la Cour peut accorder moins de poids au caractère dominant des termes non distinctifs lorsqu’elle apprécie le degré de ressemblance entre les marques.

[52]  Le fait qu’il n’y a aucune preuve de confusion entre les autres sociétés Parsons inscrites à Terre‑Neuve‑et‑Labrador est révélateur. Étant donné le caractère commun reconnu du nom Parsons dans la province et dans la presqu’île Avalon, l’absence de confusion donne à penser que le consommateur de la région semble avoir été en mesure de dissiper la confusion que cela pourrait susciter chez un non‑résident.

La Cour d’appel fédérale, au paragraphe 23 de l’arrêt Polo Ralph Lauren Corp c United States Polo Assn (2000), 9 CPR (4th) 51, 286 NR 282 (CAF), a reconnu cette capacité de distinguer les ressemblances suggérées lorsqu’elle a déclaré ce qui suit :

[…] de tels éléments de preuve ont été acceptés dans d’autres affaires comme affaiblissant l’importance de la ressemblance prévue à l’alinéa 6(5)e) sur la base qu’un usage largement répandu implique que le marché est en mesure de faire la distinction entre des marques concurrentes.

(2)  Le caractère distinctif inhérent ou acquis

[53]  La question du caractère distinctif a été abordée ci‑dessus, mais l’analyse de ce facteur, aux termes de l’alinéa 6(5)a), porte principalement sur le degré relatif du caractère distinctif des marques, comparativement à l’analyse faite précédemment, qui visait à déterminer si les marques de la demanderesse satisfaisaient au critère du caractère distinctif, les rendant ainsi opposables.

[54]  L’expression « C.W. Parsons Paving » n’a qu’un faible caractère distinctif inhérent, étant donné qu’il s’agit d’un nom utilisé en combinaison avec une description du service qui s’y rattache. Comme l’a déclaré la Cour dans la décision CIBC World Markets Inc c Stenner, 2010 CF 397, 366 FTR 189, aux paragraphes 43 et 44, un nom personnel doit acquérir un caractère distinctif. Les marques de la demanderesse ne sont pas enregistrées et, par conséquent, cette dernière ne bénéficie pas de la présomption de validité.

[55]  Compte tenu du caractère commun du nom Parsons, toute protection est limitée. Il incombe à la demanderesse de démontrer qu’il existe une probabilité de confusion, en particulier compte tenu de la protection limitée accordée à « C.W. Parsons Paving », ce qu’elle n’a pas fait.

[56]  Tel qu’il a été expliqué ci‑dessus, la demanderesse n’a pas démontré que les marques avaient acquis un caractère distinctif important auprès du public. Bien que les marques soient employées dans les publicités depuis 2010, il y a peu d’éléments de preuve de ventes ou d’autres éléments de preuve montrant que les clients reconnaissent les marques, en particulier les mots servant de marque « C.W. Parsons Paving ».

[57]  Pour des motifs similaires, le nom « Parsons Paving » ou « Parsons Paving Limited » de la défenderesse ne possède qu’un faible caractère distinctif inhérent. Comme la défenderesse n’a adopté son nom qu’en mai 2018, rien n’indique que ce nom a acquis un caractère distinctif.

(3)  La période d’emploi des marques

[58]  Habituellement, ce facteur serait favorable à la demanderesse, puisqu’elle emploie les marques depuis 2010. Toutefois, compte tenu du faible caractère distinctif acquis sur une période de huit ans, ce facteur n’est pas important dans le cas de la demanderesse.

(4)  La nature des biens et des services ainsi que celle du commerce

[59]  Ces facteurs peuvent être source de confusion. Bien que l’incidence du caractère commun du nom de famille soit considérablement atténuée par la distinction qu’apportent les initiales « C.W. », les services – le pavage – sont, quant à eux, communs aux deux parties.

[60]  Bien que les principaux clients de la défenderesse proviennent des secteurs public et industriel, elle ne se limite pas à ce profil de clients et fait de la publicité pour des services résidentiels. Comme la Cour suprême du Canada l’a déclaré dans l’arrêt Ciba‑Geigy Canada Ltd c Apotex Inc, [1992] 3 RCS 120, aux pages 134 et 139 à 141, 95 DLR (4th) 385, il faut prendre en considération toutes les personnes qui peuvent être concernées par les produits ou les services.

[61]  Tel qu’il a été expliqué précédemment, le profil des clients est pertinent et, en l’espèce, ces derniers sont moins susceptibles d’agir de manière instinctive ou précipitée. Toutefois, la question consiste à déterminer si ces clients, lorsqu’ils voient les noms pour la première fois, risquent de les confondre (Masterpiece, au paragraphe 67). Bien que le critère demeure celui de la « première impression », si le consommateur est susceptible de percevoir une différence, la probabilité de confusion s’en trouve réduite.

(5)  La confusion réelle

[62]  La preuve d’une confusion réelle peut être une circonstance de l’espèce que la Cour examine lorsqu’elle détermine s’il y a probabilité de confusion.

[63]  La Cour a déjà parlé du fait que la preuve de la demanderesse était peu convaincante. Charlie Parsons n’a même pas été en mesure de donner le nom des clients ayant prétendument été confus.

[64]  Bien que la preuve de la défenderesse quant à l’absence de confusion comporte certaines lacunes, en particulier dans la mesure où les déposants n’étaient pas susceptibles d’être influencés par les marques de commerce, compte tenu de la nature de leur emploi, il n’incombe pas à la défenderesse de s’acquitter du fardeau de la preuve.

[65]  Comme il a été déclaré dans l’arrêt Mattel, au paragraphe 55, la Cour peut tirer une inférence défavorable de l’absence d’une preuve de confusion réelle, dans les cas où elle s’attend à obtenir une telle preuve. En l’espèce, la demanderesse connaissait les personnes s’étant prétendument méprises, mais elle n’a présenté que des éléments inadmissibles de preuve par ouï‑dire pour appuyer ses allégations.

[66]  Je tire une inférence défavorable du défaut de produire cette preuve, ce qui m’amène à conclure à l’absence d’une probabilité de confusion entre les marques.

(6)  Les autres circonstances

[67]  La Cour a déjà examiné et rejeté les allégations voulant que la défenderesse ait agi de mauvaise foi lorsqu’elle a choisi son nom.

(7)  Appréciation globale

[68]  Après avoir soupesé les différents facteurs, je conclus que, bien qu’il existe une possibilité de confusion, il ne s’agit pas là d’une probabilité de confusion, selon la prépondérance des probabilités.

C.  Le préjudice réel ou éventuel

[69]  En outre, indépendamment de l’analyse de la « probabilité de confusion », la Cour conclut également que la demanderesse n’a pas fourni une preuve suffisante du préjudice réel ou éventuel découlant d’une telle confusion entre les services offerts par les parties.

[70]  Il n’y a pas lieu de s’appuyer sur la décision de la Cour fédérale dans l’affaire Diageo, selon laquelle un tribunal peut présumer qu’il existe un préjudice probable découlant d’une probabilité de confusion. Premièrement, les faits de cette affaire se distinguent de ceux de l’espèce, en ce sens que le tribunal disposait alors d’informations fiables à l’appui d’une atteinte potentielle à la réputation et à l’achalandage. Deuxièmement, il est important de souligner que dans la décision Pharmacommunications Holdings Inc c Avencia International Inc, 2008 CF 828, 168 ACWS (3d) 891, aux paragraphes 43 et 44, la Cour fédérale a déclaré qu’un tribunal ne peut pas présumer l’existence d’un tel préjudice en se fondant sur une simple probabilité de confusion.

[71]  Les lacunes dans la preuve de la demanderesse, qui ont été mentionnées précédemment, sont expliquées ici. Selon la preuve présentée par les témoins travaillant pour le gouvernement, il n’y a aucun risque de confusion chez ces derniers; seuls les consommateurs privés sont donc susceptibles de se méprendre.

[72]  La demanderesse n’a présenté aucune preuve, pour ce segment de marché, quant à la probabilité de confusion et au préjudice pouvant en résulter. Tel qu’il a été mentionné précédemment, elle n’a fourni aucun élément de preuve admissible provenant des personnes s’étant prétendument méprises et n’a produit aucune preuve tirée de ses propres dossiers quant à la nature ainsi qu’à l’ampleur des activités en cause pouvant être touchées ou compromises.

[73]  Par conséquent, la demanderesse n’a pas démontré le fondement de cette question.

VI.  Conclusion

[74]  Pour tous ces motifs, la présente demande sera rejetée, avec dépens partie‑partie, en fonction de la colonne V du tarif B, plus tous les débours raisonnables.


JUGEMENT dans le dossier T-1760-18

LA COUR STATUE que la demande est rejetée, avec dépens partie‑partie, en fonction de la colonne V du tarif B de la Cour fédérale, plus tous les débours raisonnables.

« Michael L. Phelan »



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