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Date : 20190325


Dossier : IMM‑4136‑18

Référence : 2019 CF 365

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 mars 2019

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

FRED BRONI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Fred Boni, est un citoyen du Ghana qui sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 27 juillet 2018, par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a rejeté sa demande d’asile. La SAR a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) portant que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens de l’alinéa 111(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, puisque la décision de la SAR est raisonnable.

I.  Contexte

[3]  Le demandeur demande l’asile parce qu’il est un homosexuel du Ghana. Il affirme avoir eu une relation homosexuelle avec un camarade de pensionnat en 2008, ce qui a été découvert par son père en 2014. Il prétend qu’il a été battu par son père et d’autres hommes, et qu’il a fui le Ghana après avoir été battu de nouveau et avoir reçu des menaces.

[4]  Après l’examen de sa demande d’asile, la SPR a conclu que le demandeur n’était pas crédible et que son orientation sexuelle n’avait pas été établie. Parmi les préoccupations soulevées, la SPR a souligné que le demandeur avait refusé de divulguer, en dépit des demandes à cet effet, des éléments de preuve portant sur un profil publié sur un site de clavardage public.

II.  Décision de la SAR

[5]  Dans le cadre de son appel devant la SAR, le demandeur n’a pas présenté d’observations décrivant les erreurs qui, selon lui, auraient été commises par la SPR. En dépit de l’absence d’observations, la SAR a procédé à une évaluation indépendante du dossier de la SPR. La SAR a également pris en considération la Directive numéro 9 du président : Procédures devant la CISR portant sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’expression de genre.

[6]  La SAR s’est appuyée sur les directives énoncées dans la décision Dhillon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 321 [Dhillon], où l’on peut lire au paragraphe 20 que la SAR « n’a pas pour rôle de combler les lacunes d’un appel dont elle est saisie ou, plus précisément, de la demande d’asile présentée en premier lieu. Elle n’a pas non plus pour rôle d’introduire de nouvelles idées susceptibles d’aider les appelants à obtenir gain de cause en appel et, en définitive, à voir leur demande acceptée ».

[7]  La SAR a examiné l’ensemble de la preuve soumise à la SPR et a écouté l’enregistrement audio de l’audience de la SPR. La SAR n’a relevé aucune erreur dans la décision de la SPR. La question déterminante pour la SPR était la crédibilité. Plus particulièrement, la SPR a souligné qu’en dépit de l’allégation du demandeur selon laquelle il avait publié un profil sur le site Web public « MeetMe », celui-ci a refusé de produire des éléments de preuve provenant de ce site Web comme des saisies d’écran. Même s’il a eu l’occasion de présenter ces éléments de preuve pour étayer sa prétention d’être homosexuel, et en dépit du fait que son profil était public, le demandeur a refusé de divulguer des renseignements sur son profil parce qu’il s’agissait d’information privée. La SPR a conclu que l’explication fournie par le demandeur pour refuser de divulguer ces renseignements était inadéquate et la SAR n’a relevé aucune erreur dans cette conclusion.

[8]  La SAR s’est également appuyée sur la décision qu’a rendue le juge en chef Crampton dans l’affaire Dahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1102, où il s’exprime en ces termes au paragraphe 37 :

En voulant simplement se rassurer quant à la possibilité que d’autres erreurs aient pu être commises, la décision de la SAR ne devrait pas risquer d’être annulée à la suite d’un contrôle judiciaire, en se fondant uniquement sur le fait qu’elle concorde généralement avec les conclusions tirées par la SPR en ce qui a trait aux questions qui n’avaient pas été soulevées par les demandeurs en appel. J’estime que l’objectif de l’alinéa 3(3)g) des Règles en serait ainsi vicié, lequel prévoit qu’un appelant doit préciser : i) les erreurs commises qui constituent les motifs d’appel, et ii) l’endroit où se trouvent ces erreurs dans les motifs écrits de la décision de la SPR, ou dans la transcription ou dans tout enregistrement de l’audience.

[9]  Par conséquent, la SAR a rejeté l’appel et a confirmé la décision rendue le 5 septembre 2017 par la SPR.

III.  Norme de contrôle

[10]  La norme de contrôle qui s’applique aux conclusions de la SAR ainsi qu’à son évaluation de la preuve est la norme de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 35 [Huruglica]). Plus particulièrement, lorsqu’elle évalue la crédibilité de la preuve, la SPR peut avoir un avantage certain sur la SAR et, par conséquent, la SAR doit examiner les conclusions de la SPR quant à la crédibilité en appliquant la norme de la décision raisonnable (Huruglica, au paragraphe 70).

IV.  Questions en litige

[11]  Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur soulève les questions suivantes :

  1. Le certificat de naissance du demandeur a‑t‑il été examiné de manière appropriée?

  2. Une question doit‑elle être certifiée en ce qui concerne l’obligation de la SAR de procéder à une évaluation indépendante lorsque le demandeur ne se conforme pas à l’alinéa 3(3)g) des Règles?

V.  Analyse

A.  Le certificat de naissance du demandeur a‑t-il été examiné de manière appropriée?

[12]  Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur soutient que la SAR a omis de se pencher sur la question de son certificat de naissance et, plus particulièrement, sur la façon dont il a été obtenu et sur la personne qui l’a obtenu. Le demandeur affirme que la conclusion relative à son certificat de naissance est l’élément principal de sa demande. Il conteste donc la conclusion de la SPR selon laquelle son père a obtenu son certificat de naissance. Cette conclusion a suscité d’importants doutes chez la SPR en ce qui concerne sa crédibilité puisqu’il prétend qu’il a fui la persécution dont il était victime aux mains de son père parce qu’il est homosexuel.

[13]  Toutefois, le demandeur n’a pas soulevé cette question devant la SAR, comme l’exige l’alinéa 3(3)g) des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012‑257 [les Règles], qui est libellé comme suit :

3(3) Le dossier de l’appelant comporte les documents ci‑après, sur des pages numérotées consécutivement, dans l’ordre qui suit :

g) un mémoire qui inclut des observations complètes et détaillées concernant :

(i) les erreurs commises qui constituent les motifs d’appel,

(ii) l’endroit où se trouvent ces erreurs dans les motifs écrits de la décision de la Section de la protection des réfugiés portée en appel ou dans la transcription ou dans tout enregistrement audio ou électronique de l’audience tenue devant cette dernière,

(iii) la façon dont les éléments de preuve documentaire visés à l’alinéa e) sont conformes aux exigences du paragraphe 110(4) de la Loi et la façon dont ils sont liés à l’appelant,

(iv) la décision recherchée,

(v) les motifs pour lesquels la Section devrait tenir l’audience visée au paragraphe 110(6) de la Loi, si l’appelant en a fait la demande.

[14]  Le demandeur soutient qu’il peut encore soulever cette question dans le contexte de la présente demande de contrôle judiciaire même s’il ne l’a pas soulevée devant la SAR, car cette dernière a l’obligation de procéder à une évaluation indépendante de la preuve ainsi que de la décision de la SPR. En effet, le demandeur prétend que, même s’il n’a pu relever aucune erreur commise par la SPR, la SAR a l’obligation expresse de relever les erreurs commises par la SPR.

[15]  Bien que je souscrive à l’argument du demandeur voulant que la SAR a l’obligation de procéder à une évaluation indépendante de la preuve ainsi que de la décision de la SPR, cette obligation de la SAR s’inscrit dans les paramètres de l’alinéa 3(3)g) des Règles. Cet alinéa énonce clairement qu’il appartient au demandeur, et non à la SAR, de relever les erreurs commises par la SPR et de formuler des observations en conséquence. Il n’est ni logique ni raisonnable de s’attendre à ce que la SAR examine le dossier et trouve des éléments favorables au demandeur. En fait, cette approche a été précisément dénoncée dans la décision de principe Dhillon.

[16]  Le demandeur s’appuie sur la décision Ghauri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 548 [Ghauri], pour étayer l’argument voulant qu’une demande de contrôle judiciaire peut être accueillie même si une question relative à la décision de la SPR n’est pas soulevée devant la SAR. Toutefois, après avoir examiné la décision Ghauri, il appert que la Cour a dû tenir compte de circonstances très différentes dans cette affaire. En outre, comme l’a fait observer le juge Gleeson au paragraphe 34 de la décision Ghauri, il s’agit plutôt de circonstances exceptionnelles, et sa « décision sur ces faits ne doit pas porter atteinte au principe suivant qui se dégage de la jurisprudence : des appelants qui, devant la SAR, ne précisent pas où et en quoi la SPR a commis une erreur le font à leurs risques et périls ».

[17]  Le demandeur soutient par ailleurs que, même si l’erreur relative au certificat de naissance n’a pas été soulevée devant la SAR conformément à l’alinéa 3(3)g) des Règles, elle était si évidente et manifeste que la SAR avait le pouvoir de la corriger. Le demandeur mentionne que la SAR disposait des renseignements contenus dans le cartable national de documentation au sujet de l’informatisation des certificats de naissance. Le demandeur affirme qu’en examinant le cartable national de documentation, la SAR aurait découvert que la mention du nom de son père sur son certificat de naissance ne signifiait pas nécessairement que son père avait obtenu son certificat de naissance. Quoi qu’il en soit, même s’il est possible de répondre à cette [traduction] « erreur » en s’appuyant sur les renseignements sur la situation du pays, cet argument suppose, à tort, qu’il s’agit de la seule question de crédibilité soulevée par la SPR.

[18]  Le demandeur insiste à tort sur le fait que les questions de crédibilité relatives à son certificat de naissance ont été déterminantes pour sa demande. Cependant, la SAR a soulevé d’autres questions de crédibilité importantes lors de son évaluation indépendante. Par exemple, le demandeur n’a pas présenté les éléments de preuve qui, selon lui, existaient pour corroborer sa prétention d’être homosexuel. Le demandeur n’a pas contesté ces autres conclusions quant à la crédibilité dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. Dans les circonstances, je souscris aux commentaires formulés aux paragraphes 20 et 21 de la décision Zhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 615, qui se lisent comme suit :

Il est étonnant que Mme Zhu ne conteste pas la question déterminante pour la SAR. Plus particulièrement, Mme Zhu ne conteste pas la conclusion de la SAR selon laquelle elle n’est pas une véritable adepte de la Church of the Almighty God. Les conclusions concernant la crédibilité qui ne sont pas contestées sont présumées véridiques (Liu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 207, aux paragraphes 28 à 30). Cette conclusion non contestée a été déterminante pour la demande. Si elle n’est pas membre de la Church of the Almighty God, les autorités chinoises n’auraient eu aucune raison de la rechercher et elle n’aurait pas eu à éviter d’être repérée aux douanes.

Puisque cette conclusion n’est pas contestée, j’estime que la conclusion de la SAR était raisonnable et que ses conclusions quant à la crédibilité pourront résister au contrôle judiciaire.

[19]  En l’espèce, la question de crédibilité déterminante pour la SAR n’était pas seulement le certificat de naissance du demandeur, mais aussi son omission de divulguer son profil publié sur un site de clavardage public.

[20]  Quoi qu’il en soit, la SAR a procédé à une évaluation indépendante du dossier et n’a relevé aucune erreur dans la décision de la SPR. Cette conclusion relevait du pouvoir discrétionnaire de la SAR et était raisonnable.

B.  Une question doit‑elle être certifiée en ce qui concerne l’obligation de la SAR de procéder à une évaluation indépendante lorsque le demandeur ne se conforme pas à l’alinéa 3(3)g) des Règles?

[21]  Le demandeur demande à la Cour de certifier une question concernant l’obligation de la SAR de procéder à une évaluation indépendante du dossier.

[22]  Le critère applicable à la certification a récemment été confirmé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Lunyamila c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22, dans lequel la Cour affirme au paragraphe 46 que la « question doit être déterminante quant à l’issue de l’appel, transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale ».

[23]  À mon avis, la question relative à l’obligation de la SAR de procéder à une évaluation indépendante a fait l’objet d’une réponse complète dans l’arrêt de principe Huruglica, où la Cour a examiné l’objectif de l’alinéa 3(3)g) des Règles dans le contexte général des fonctions de la SAR et a formulé le résumé suivant au paragraphe 103 :

Au terme de mon analyse des dispositions législatives, je conclus que, concernant les conclusions de fait (ainsi que les conclusions mixtes de fait et de droit) comme celle dont il est question ici, laquelle ne soulève pas la question de la crédibilité des témoignages de vive voix, la SAR doit examiner les décisions de la SPR en appliquant la norme de la décision correcte. Ainsi, après examen attentif de la décision de la SPR, la SAR doit effectuer sa propre analyse du dossier afin de décider si la SPR a bel et bien commis l’erreur alléguée par l’appelant. Après cette étape, la SAR peut statuer sur l’affaire de manière définitive, soit en confirmant la décision de la SPR, soit en cassant celle‑ci et en y substituant sa propre décision sur le fond de la demande d’asile. L’affaire ne peut être renvoyée à la SPR pour réexamen que si la SAR conclut qu’elle ne peut rendre une décision définitive sans entendre les témoignages de vive voix présentés à la SPR. Nulle autre interprétation des dispositions législatives pertinentes ne serait raisonnable.

[24]  En l’espèce, la SAR a procédé à une évaluation indépendante du dossier et a confirmé les conclusions de la SPR, qui étaient fondées sur une absence de preuve et sur des préoccupations quant à la crédibilité. Par conséquent, la question soulevée par le demandeur ne se pose pas dans les circonstances de l’espèce et ne sera pas certifiée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4136‑18

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 8e jour de mai 2019

Manon Pouliot, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4136‑18

INTITULÉ :

BRONI c MCI

LIEU DE L’AUDIENCE :

winnipeg (manitoba)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 FÉVRIER 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

LE 25 MARS 2019

COMPARUTIONS :

David Matas

POUR LE DEMANDEUR

Aliyah Rahaman

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice du Canada

Bureau régional des Prairies

Winnipeg (Manitoba)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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