Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20190410


Dossier : IMM‑3206‑18

Référence : 2019 CF 437

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 avril 2019

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

MARCEL HENRIQUEZ

demandeur

et

MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée par Marcel Sayah Henriquez [le demandeur], à l’encontre de la décision [la décision] par laquelle un agent d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs [l’agent] a rejeté la demande de report de l’exécution d’une mesure de renvoi datée du 11 juillet 2018 après le rejet d’une demande d’examen des risques avant renvoi [l’ERAR] le 11 décembre 2017.

II.  Contexte

[2]  Le demandeur est arrivé au Canada en provenance d’Haïti. Il purge actuellement une peine fédérale à l’Établissement de Joyceville à Kingston, en Ontario.

[3]  Le 22 mai 2015, l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] a établi un rapport conformément au paragraphe 44(1) parce que le demandeur était interdit de territoire au Canada aux termes de l’alinéa 36(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [la LIPR], en raison de ses condamnations criminelles, et elle a ensuite déféré l’affaire pour enquête. Le 27 avril 2017, une mesure d’expulsion sans droit d’appel a été prise contre lui.

[4]  En décembre 2018, le demandeur a présenté une autre demande d’ERAR accompagnée de nouveaux éléments de preuve qui n’avaient pas été déposés lorsqu’il avait présenté sa propre demande d’ERAR. Certains de ces nouveaux éléments de preuve concernent sa santé mentale. Cette demande d’ERAR a été rejetée. Après le rejet de sa demande de report, un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi dont il faisait l’objet lui a été accordé.

III.  Questions en litige

[5]  Les questions en litige sont les suivantes :

  1. Le décideur a‑t‑il appliqué le mauvais critère juridique lorsqu’il a rendu sa décision?
  2. La décision était‑elle raisonnable?

IV.  Norme de contrôle

[6]  Dans la décision Newman c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 888, le juge Gascon était saisi d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs avait refusé le report de l’exécution de la mesure de renvoi prise à l’encontre du demandeur. Le juge Gascon a conclu que la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable.

[7]  En ce qui concerne la question de savoir si le mauvais critère juridique a été appliqué, il est établi que la norme de contrôle applicable à l’examen des questions relatives à l’interprétation de la loi habilitante du tribunal administratif qui est étroitement liée à son mandat est celle de la décision raisonnable (Smith c Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, au paragraphe 26; Edmonton (Ville) c Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47, au paragraphe 62).

[8]  Comme l’a déclaré le juge O’Keefe dans la décision Anabtawi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 856, au paragraphe 29, « [p]ar conséquent, la question de savoir si l’agent a appliqué le bon critère juridique […] est elle aussi susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité ».

[9]  Pour les motifs qui suivent, j’accueillerai la demande.

V.  Analyse

[10]  Le demandeur a présenté plusieurs arguments relatifs à la question de savoir si la décision était raisonnable, mais je ne me prononcerai pas sur ces arguments, car j’estime que l’agent n’a pas appliqué le bon critère juridique dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et que ce facteur est, en soi, déterminant sur l’issue de la présente affaire. Par conséquent, il est inutile d’examiner les autres questions soulevées.

[11]  Je conclus que l’agent a commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’il a déclaré ce qui suit à la page 4 de la décision : [traduction] « Je note toutefois que M. Marcel Sayah HENRIQUEZ n’est pas désigné par son nom dans les articles et les rapports ».

[12]  Ce critère juridique n’est pas celui qui doit être appliqué. L’agent a déraisonnablement appliqué une norme beaucoup plus rigoureuse que celle qui devait être appliquée.

[13]  La Cour et la Cour d’appel fédérale ont statué que le pouvoir de reporter l’exécution d’une mesure de renvoi est réservé aux demandes où le défaut de reporter la mesure ferait que la vie du demandeur serait menacée, ou qu’il serait exposé à des sanctions excessives ou à un traitement inhumain (Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 148, au paragraphe 32 [Wang] ; Baron c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CAF 81, au paragraphe 51; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Shpati, 2011 CAF 286, aux paragraphes 41 à 43).

[14]  Je conclus que l’agent a commis une erreur en établissant que le critère à appliquer exigeait que les rapports sur la situation dans un pays désignent un demandeur par son nom. À moins que le demandeur soit un politicien, un officier militaire ou une personne connue en position d’autorité, il est plutôt rare qu’un demandeur soit désigné par son nom dans les rapports indépendants sur la situation dans un pays. L’agent cherchait à obtenir une preuve de l’existence d’un risque sérieux pesant sur une personne recherchée. Évidemment, ce n’est pas là le critère à appliquer.

[15]  Dans la décision Savunthararasa c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CAF 51 [Savunthararasa], la Cour d’appel fédérale a confirmé que le demandeur devait établir qu’un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain était survenu depuis le dernier examen des risques. Rien dans la jurisprudence ne suggère que le nom d’un demandeur doit figurer dans la preuve documentaire indépendante dont dispose un décideur. Par conséquent, le fait que l’agent a tiré une conclusion défavorable parce que le demandeur n’était pas désigné par son nom dans la preuve documentaire est une erreur susceptible de contrôle.

[16]  Le défendeur s’est appuyé sur le paragraphe 18 de la décision Sheron c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1221 [Sheron] rendue par le juge Grammond pour affirmer qu’ [traduction] « un risque général, comme un conflit armé, n’expose pas nécessairement un demandeur à un risque suffisamment individualisé pour entraîner la suspension d’une mesure de renvoi valide en droit ».

[17]  Toutefois, le paragraphe pertinent de la décision Sheron, précitée, décrit une situation très différente de celle en l’espèce :

[traduction]

[18] La situation dans les deux provinces anglophones du Cameroun est de toute évidence très grave. Néanmoins, pour pouvoir démontrer qu’elle subirait un préjudice irréparable si elle était renvoyée au Cameroun, Mme Gariba Sheron doit également démontrer qu’elle serait personnellement touchée par le conflit armé (voir, par exemple, la décision Bouaza c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 1028 (CanLII), au paragraphe 22).

[19] Les éléments de preuve à ce sujet sont assez faibles. Dans l’affidavit de Mme Gariba Sheron, on peut lire qu’elle a perdu contact avec les membres de sa famille et que leurs maisons ont été saccagées. Aucun autre détail n’est fourni, notamment en ce qui concerne la manière dont elle a été informée de ces événements. Rien ne prouve que Mme Gariba Sheron serait perçue comme une partisane du mouvement séparatiste ou qu’elle serait la cible de quiconque.

[18]  Cette décision ne permet pas d’affirmer qu’il est raisonnable que l’agent exige que le demandeur soit désigné par son nom dans les renseignements sur la situation dans le pays pour faire la preuve de l’existence d’un risque personnalisé. Je ne saurais non plus conclure que les notes de l’agent peuvent être interprétées autrement que de manière à exiger que le demandeur soit désigné par son nom dans les renseignements sur la situation dans le pays.

[19]  Cette erreur ne peut être considérée comme sans importance, car elle touche au cœur même de la décision conformément à la décision Castillo Mendoza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 648.

[20]  Je renvoie donc l’affaire à un autre agent en vue d’un nouvel examen.

[21]  La demande n’a soulevé aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3206‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre décideur afin qu’il rende une nouvelle décision.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 14e jour de mai 2019

Manon Pouliot, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3206‑18

 

INTITULÉ :

MARCEL HENRIQUEZ c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 JANVIER 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 AVRIL 2019

 

COMPARUTIONS :

M. Simon Wallace

POUR LE DEMANDEUR

M. Christopher Crighton

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCARTEN WALLACE LAW

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.