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Date : 20190403


Dossier : IMM‑3587‑18

Référence : 2019 CF 402

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 avril 2019

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

QINGNING YANG

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision, datée du 28 mai 2018, d’un agent d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), par laquelle la demande de résidence permanente de la demanderesse a été rejetée pour fausses déclarations au titre de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la LIPR).

II.  Contexte

[2]  La demanderesse, Qingning Yang, est une citoyenne de la Chine née le 21 juillet 1970.

[3]  La demanderesse a présenté le 1er décembre 2014 une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des investisseurs du Programme des gens d’affaires sélectionnés par le Québec (la demande). Son mari et sa fille étaient également visés par la demande.

[4]  En 2015, la demanderesse a sollicité et obtenu un permis d’études au Canada, et elle étudie au British Columbia Institute of Technology [institut de technologie de la Colombie‑Britannique] (le BCIT). Sa fille et elle habitent en Colombie‑Britannique depuis 2015.

[5]  La demanderesse a retenu les services de Globevisa, une agence d’immigration en Chine (la mandataire), pour obtenir de l’aide avec la demande. Elle a aussi embauché un représentant en immigration au Canada, et un avocat du Québec est devenu son représentant canadien en mars 2017 (le représentant canadien).

[6]  Le 8 juin 2017, une lettre adressée à la demanderesse a été envoyée au représentant canadien pour demander des renseignements supplémentaires, notamment un formulaire Annexe A — Antécédents/Déclarations (le formulaire IMM5669) mis à jour dans lequel devaient figurer tous les antécédents personnels et toutes les adresses de la demanderesse depuis l’âge de 18 ans (la lettre du 8 juin 2017). Le représentant canadien a transmis la lettre à la mandataire.

[7]  Le 12 juin 2017, la demanderesse a reçu une lettre de la mandataire, qui lui demandait, entre autres, (i) de lui indiquer si elle avait habité dans un pays autre que la Chine pendant plus de six mois depuis le dépôt de sa demande et (ii) de lui fournir ses adresses résidentielles depuis 1988.

[8]  Dans sa réponse à la mandataire, la demanderesse a souligné que sa fille et elle étudiaient au Canada depuis 2015, mais elle n’a pas fourni d’adresse résidentielle au Canada.

[9]  Le 30 juin 2017, la mandataire a envoyé à IRCC une lettre rédigée au nom de la demanderesse et portant la signature de celle‑ci (la lettre du 30 juin 2017) en réponse à la lettre du 8 juin 2017. Elle a joint à cette lettre du 30 juin, entre autres, un formulaire IMM5669 mis à jour, que la demanderesse avait eu l’occasion d’examiner et de signer avant qu’il soit envoyé à IRCC.

[10]  Sur le formulaire IMM5669 mis à jour, il était indiqué que l’adresse et l’emploi actuels de la demanderesse étaient en Chine, mais il n’y avait nulle mention du fait qu’elle étudiait au Canada depuis 2015.

[11]  Or, IRCC savait que la demanderesse habitait au Canada depuis 2015 parce que ses dossiers comprenaient des renseignements détaillés sur la délivrance d’un permis d’études à son intention pour qu’elle puisse étudier au BCIT.

[12]  Le 9 mars 2018, IRCC a envoyé au représentant canadien une lettre relative à l’équité procédurale adressée à la demanderesse afin de lui faire part de ses préoccupations concernant le fait que l’adresse de la demanderesse en Colombie‑Britannique et les études de celle-ci au BCIT n’étaient pas mentionnées dans le formulaire IMM5669 mis à jour (la lettre relative à l’équité procédurale).

[13]  Ni le représentant canadien ni la mandataire n’ont informé la demanderesse de l’existence de la lettre relative à l’équité procédurale.

[14]  Le 13 mars 2018, la demanderesse a plutôt reçu une lettre de la mandataire, dans laquelle celle‑ci lui demandait de fournir la liste à jour de ses adresses résidentielles, des renseignements sur l’endroit où elle étudiait et des détails sur son intention de vivre au Québec.

[15]  La demanderesse a répondu à la mandataire et lui a fourni ses adresses résidentielles en Colombie‑Britannique depuis 2015 ainsi que des renseignements sur ses études au BCIT. Elle lui a aussi transmis une déclaration soulignant son intention de vivre au Québec un jour (la déclaration sur le Québec).

[16]  Le 22 mars 2018, une lettre établie au nom de la demanderesse et portant apparemment sa signature a été envoyée. On y trouvait, entre autres, une version modifiée de la déclaration sur le Québec (la lettre explicative de mars 2018).

[17]  La version modifiée de la déclaration sur le Québec comprenait le passage suivant, qui a été rédigé par la mandataire et qui ne figurait pas dans la version originale. Il s’agit d’un texte dans lequel la demanderesse assume prétendument la responsabilité des omissions dans le formulaire IMM5669 mis à jour :

[traduction]

Tout d’abord, permettez‑moi de vous présenter mes plus sincères excuses. Comme j’ai fait une demande de permis d’études et que j’ai omis de communiquer en temps opportun avec mon agent d’immigration, celui‑ci n’a pas mis à jour mon adresse personnelle, ainsi que les renseignements sur mes études et mon expérience de travail dans le formulaire Annexe A soumis en 2017. Je déclare solennellement que je n’ai pas l’intention de dissimuler mes expériences personnelles. Il est vrai que j’étudie au BCIT depuis septembre 2015. En guise de complément, j’ai joint à la présente mon permis d’études et mon relevé de notes à titre de référence. Je sais très bien que l’immigration est un sujet rigoureux qui ne peut être pris à la légère, et je suis profondément désolée pour ma négligence. Laissez‑moi m’excuser une fois de plus de vous avoir causé tant d’ennuis à cause de ma négligence.

[18]  La lettre d’explication de mars 2018 contenait également une déclaration de Xiaoting Tan, une employée d’une filiale ou d’un contractant de la mandataire. Mme Tan indiquait dans cette déclaration qu’elle avait préparé les documents qui étaient joints à la lettre du 30 juin 2017 au nom de la demanderesse, laquelle avait signé les documents sans les examiner et s’était excusée une fois de plus pour les omissions.

[19]  Le 10 avril 2018 ou vers cette date, IRCC a également reçu une lettre du représentant canadien en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale. Dans cette lettre, le représentant reprenait la version des événements présentée dans la lettre d’explication de mars 2018, et il attribuait à la demanderesse la responsabilité des omissions dans le formulaire IMM5669 mis à jour.

I.  Décision qui fait l’objet du contrôle

[20]  Comme en témoignent les notes du Système mondial de gestion des cas (le SMGC) relatives à la présente affaire, la lettre d’explication de mars 2018 a été examinée par deux agents d’immigration différents. Le premier agent d’immigration a procédé à un examen le 18 avril 2018, a conclu que les omissions avaient pu entraîner une fausse déclaration au sens de la Loi et a renvoyé l’affaire à un deuxième agent afin qu’il rende une décision (l’examen du premier agent).

[21]  Dans une seconde entrée du SMGC datée du 28 mai 2018, le deuxième agent (l’agent) a examiné le dossier et a conclu que la demanderesse était interdite de territoire.

[22]  Dans une lettre datée du 28 mai 2018, l’agent a rejeté la demande de résidence permanente de la demanderesse au motif que celle-ci avait omis de mentionner ses études et sa résidence en Colombie-Britannique dans le formulaire IMM5669 mis à jour (la décision). L’agent a conclu que cette fausse déclaration aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la LIPR, car un visa aurait pu être délivré à la demanderesse sans que tous les renseignements nécessaires pour réaliser une évaluation de l’admissibilité aient été fournis.

II.  Questions en litige

[23]  Les questions en litige sont les suivantes :

  1. La demanderesse a‑t‑elle présenté un affidavit non conforme?
  2. Les droits à l’équité procédurale de la demanderesse ont‑ils été violés?
  3. Était‑il déraisonnable pour l’agent de rejeter la demande?

III.  Norme de contrôle

[24]  La norme de contrôle à appliquer pour un examen sur le fond est celle de la décision raisonnable.

[25]  La norme de contrôle qui convient dans les cas d’allégations de fausses déclarations faites par incompétence ou négligence est celle de la décision correcte étant donné que des questions d’équité procédurale sont soulevées (Zhu c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 626, au paragraphe 16).

IV.  Analyse

A.  La demanderesse a‑t‑elle présenté un affidavit non conforme?

[26]  Le défendeur soutient que l’affidavit de la demanderesse n’est pas valablement soumis à la Cour, parce qu’il n’a pas été déposé en tant qu’affidavit dans la présente instance, mais qu’il a plutôt été joint à titre de pièce à un affidavit souscrit par Teresa Tran, une adjointe juridique au bureau de l’avocat de la demanderesse. Le défendeur souligne que la demanderesse a ainsi réussi à se soustraire à un contre‑interrogatoire, et il affirme qu’il faudrait accorder peu de valeur à l’affidavit.

[27]  Selon l’article 12 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, un affidavit déposé dans le cadre d’une demande d’autorisation est limité au témoignage que son auteur pourrait présenter s’il comparaissait comme témoin devant la Cour. Mme Tran serait assurément incapable de témoigner du contenu de l’affidavit de la demanderesse. Il m’apparaît donc que l’affidavit contrevient à l’article 12.

[28]  Malgré l’erreur de procédure commise par l’avocat de la demanderesse, le défendeur n’a soulevé cette question pour la première fois que dans son mémoire supplémentaire, déposé moins de deux semaines avant l’audience en l’espèce. Il n’existe aucun élément de preuve démontrant que le défendeur, qui ne conteste pas le contenu de l’affidavit de la demanderesse, a voulu contre‑interroger celle-ci ou Mme Tran.

[29]  Par conséquent, je conclus que le défendeur n’est pas autorisé à contester de novo, à un stade aussi avancé, l’affidavit de la demanderesse en raison de la manière dont celui-ci a été déposé.

B.  Les droits à l’équité procédurale de la demanderesse ont‑ils été violés?

[30]  La demanderesse allègue un manquement à l’équité procédurale attribuable à l’incompétence du représentant canadien.

[31]  Comme le souligne la décision Guadron c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1092, au paragraphe 11 [Guadron], pour obtenir gain de cause sur le fondement d’un manquement à l’équité procédurale attribuable à l’incompétence d’un représentant, la demanderesse doit établir ce qui suit :

  1. les omissions ou les actes allégués contre le représentant constituaient de l’incompétence;
  2. il y a eu déni de justice, en ce sens que, n’eût été la conduite alléguée, il existe une probabilité raisonnable que le résultat de l’audience initiale ait été différent;
  3. le représentant a été informé des allégations et a eu une possibilité raisonnable de répondre.

[32]  Le troisième volet du critère est rempli. Conformément au protocole procédural de la Cour fédérale daté du 7 mars 2014, le représentant canadien a été informé le 15 octobre 2018 que la demanderesse pourrait alléguer dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire qu’il avait fait preuve de négligence ou d’incompétence.

[33]  Le représentant canadien a répondu dans un courriel daté du 22 octobre 2018, et il a déclaré ce qui suit :

  1. il n’a eu aucun contact direct avec la demanderesse à partir de mars 2017;
  2. son mandat se limitait à s’assurer que toute la correspondance reçue était transmise à la mandataire;
  3. il n’a pas été consulté au sujet de la lettre du 30 juin 2017 présentée par la mandataire, non plus qu’il n’a passé en revue une copie de la lettre;
  4. la demanderesse n’a pas été informée de l’existence de la lettre relative à l’équité procédurale;
  5. une réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, dans laquelle figuraient des renseignements fabriqués de toutes pièces, a été présentée;
  6. la mandataire était à l’origine de ces renseignements fabriqués de toutes pièces, et il ne savait pas que des renseignements avaient été inventés.

[34]  En ce qui concerne le premier volet du critère, la demanderesse soutient que le représentant canadien a fait preuve d’incompétence parce qu’il ne s’est pas assuré qu’elle avait bien été informée de l’existence de la lettre relative à l’équité procédurale du printemps 2018, et qu’il a permis que des renseignements fabriqués de toutes pièces soient présentés en son nom. La demanderesse ajoute que le fait que le représentant canadien n’ait pas été au courant qu’un formulaire IMM5669 erroné avait été présenté en juin 2017 constituait de l’incompétence.

[35]  Le défendeur ne semble pas s’opposer à un constat d’incompétence.

[36]  Le représentant canadien a retenu les services d’un avocat et a demandé l’autorisation d’intervenir dans la présente instance. Il a obtenu l’autorisation de présenter des observations écrites sur le droit relatif à la question de l’incompétence des avocats.

[37]  Le représentant canadien a souligné qu’il incombait à la demanderesse d’établir les actes et les omissions qui ne font pas partie du large éventail de l’assistance professionnelle raisonnable, et il a renvoyé la Cour au paragraphe 27 de l’arrêt R c GDB, 2000 CSC 22 [GDB] :

L’incompétence est appréciée au moyen de la norme du caractère raisonnable. Le point de départ de l’analyse est la forte présomption que la conduite de l’avocat se situe à l’intérieur du large éventail de l’assistance professionnelle raisonnable. Il incombe à l’appelant de démontrer que les actes ou omissions reprochés à l’avocat ne découlaient pas de l’exercice d’un jugement professionnel raisonnable. La sagesse rétrospective n’a pas sa place dans cette appréciation.

[38]  Le représentant canadien a aussi souligné qu’une cour de révision ne devrait tenir compte du volet du critère relatif à l’incompétence que dans les cas où la question de l’allégation de manquement à l’équité procédurale ne peut être tranchée en raison de l’absence de préjudice (GDB, précité, au paragraphe 29). Dans la mesure du possible, l’examen de la question de l’incompétence doit être laissé à l’appréciation de l’organisme de réglementation compétent. Cependant, pour les motifs exposés ci‑dessous, il est nécessaire de trancher la question de l’incompétence de l’avocat en l’espèce.

[39]  Le représentant canadien avance qu’il n’avait qu’un mandat limité et qu’il n’était pas au courant d’une grande partie ou de la totalité des actes de la mandataire qui ont nui à la demanderesse. Cela n’excuse en rien sa conduite ni ne justifie une conclusion selon laquelle il était compétent; bien que son mandat ait pu être limité, il n’en demeure pas moins qu’il était le représentant autorisé de la demanderesse en vertu de l’article 91 de la LIPR. Sans le représentant canadien, la mandataire n’aurait pas été en mesure d’agir en toute légalité au nom de la demanderesse dans le cadre de sa demande. Le représentant canadien est devenu le représentant autorisé de la demanderesse en mars 2017; il doit donc assumer la responsabilité des actes commis sous sa responsabilité à compter de ce moment, et ce, en dépit de son mandat prétendument limité. Toute autre conclusion irait à l’encontre de l’objet de l’article 91, lequel impose des restrictions quant aux personnes autorisées à représenter d’autres personnes en vertu de la LIPR, et porterait atteinte à l’intégrité du processus de demande de résidence permanente.

[40]  Je reconnais que la demanderesse n’est pas irréprochable en ce qui concerne les actes commis en juin 2017, puisqu’elle a eu l’occasion d’examiner et de signer le formulaire IMM5669 mis à jour avant qu’il soit présenté. Les étrangers qui veulent entrer au Canada sont assujettis à une obligation de franchise et doivent par conséquent révéler les faits importants (Haque c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 315, aux paragraphes 13 et 15). La demanderesse est donc en partie responsable des omissions dans le formulaire IMM5669 mis à jour. Cependant, ses fautes ne réduisent en rien les responsabilités de ses représentants.

[41]  La Cour a déjà tenu des représentants en immigration responsables d’avoir omis de présenter des éléments de preuve cruciaux, même dans les cas où les demandeurs n’avaient pas fourni ces éléments de preuve volontairement. Dans la décision Guadron, précitée, la demanderesse alléguait que ses droits à l’équité procédurale avaient été violés parce que sa consultante en immigration avait fait preuve d’incompétence et omis de présenter des éléments de preuve cruciaux concernant quatre éléments clés de sa demande. Le juge Diner a conclu que les fautes de la consultante constituaient de l’incompétence, et a écrit ce qui suit, au paragraphe 29 :

J’estime plutôt que, en sa qualité de représentante légale dûment nommée au titre de la Loi, l’intervenante avait l’obligation de faire les tentatives raisonnables pour trouver les renseignements cruciaux exigés afin que la demanderesse surmonte les obstacles importants de ce recours fondé sur des considérations d’ordre humanitaire, qui se veut hautement discrétionnaire et exceptionnel. Dire que la demanderesse (ou sa famille) n’a pas fourni spontanément ce qu’il fallait n’est pas suffisant. Cette façon de faire mine la raison pour laquelle on retient les services d’un représentant autorisé, que ce soit un avocat ou, comme en l’espèce, un consultant. Conclure autrement reviendrait en fait à se demander pourquoi il faudrait se donner la peine de retenir les services d’un professionnel.

[Non souligné dans l’original.]

[42]  Contrairement à l’affaire Guadron, la demanderesse en l’espèce a volontairement fourni les renseignements pertinents, mais ceux‑ci ont tout de même été omis dans le formulaire IMM5669 mis à jour. Cette omission ne fait pas partie du large éventail de l’assistance professionnelle raisonnable qui aurait pu — et aurait dû — être fournie, et constitue donc de l’incompétence de la part du représentant canadien.

[43]  Les actes du représentant canadien et de la mandataire au printemps 2018 constituent aussi de l’incompétence. Plutôt que d’informer la demanderesse de l’existence de la lettre relative à l’équité procédurale et, ainsi, d’admettre que des omissions avaient été faites par erreur dans le formulaire IMM5669 mis à jour, la mandataire a délibérément pris des mesures pour induire la demanderesse et IRCC en erreur. Bien qu’il soit possible que le représentant canadien n’ait pas été au courant de cette tentative délibérée d’induire la demanderesse en erreur, elle a été faite avec son autorisation, et il doit en être tenu responsable. La retenue délibérée par la mandataire de la lettre relative à l’équité procédurale, par ailleurs autorisée de manière implicite par le représentant canadien, ne fait pas non plus partie du large éventail de l’assistance professionnelle raisonnable qui aurait pu — et aurait dû — être fournie.

[44]  Je conclus que les actions — ou l’absence d’actions — du représentant canadien en l’espèce constituent de l’incompétence.

[45]  Un constat d’incompétence dans le contexte en l’espèce n’est en aucun cas lié à une procédure qui pourrait être portée devant l’organisme de réglementation compétent, en l’occurrence le Barreau du Québec. Ce constat est fondé uniquement sur les faits de l’affaire et a nécessité un examen de la jurisprudence de la Cour relativement à la question distincte du manquement à l’équité procédurale attribuable à l’incompétence des représentants.

[46]  Passons maintenant au deuxième volet du critère, à savoir s’il existe une probabilité raisonnable que le résultat initial ait été différent, n’eût été la conduite alléguée.

[47]  La demanderesse soutient que, si elle avait été informée de l’existence de la lettre relative à l’équité procédurale, elle aurait pu présenter les faits ouvertement et honnêtement pour démontrer que les exigences relatives à l’établissement de fausses déclarations n’avaient pas été satisfaites. La demanderesse avance que, si elle avait eu l’occasion de le faire, elle aurait pu expliquer que les omissions dans son formulaire IMM5669 étaient attribuables aux actes de la mandataire ou du représentant canadien; ainsi, l’agent aurait été obligé de faire une analyse des erreurs commises par inadvertance en fonction des faits et du droit, et le résultat aurait pu être différent.

[48]  Le défendeur soutient qu’il n’existe aucune probabilité raisonnable que les actes de la mandataire et du représentant canadien au printemps 2018 aient modifié le résultat de la demande. Dans la lettre d’explication de mars 2018, les omissions dans le formulaire IMM5669 mis à jour ont été reprochées à la demanderesse. Si celle‑ci avait été informée de l’existence de la lettre relative à l’équité procédurale, elle aurait attribué les omissions aux actes de la mandataire ou du représentant canadien. Le défendeur fait valoir que le fait que les parties se renvoient la balle n’aurait pas eu d’incidence sur le résultat de la décision.

[49]  Comme l’a déclaré le juge Annis au paragraphe 21 de la décision Yang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1189 [Yang], le demandeur doit s’acquitter d’un lourd fardeau :

Comme il sollicite une mesure extraordinaire, le demandeur doit faire valoir ses meilleurs arguments afin de convaincre la Cour qu’il existe une probabilité raisonnable que l’issue de l’audience initiale ait été différente si son représentant avait présenté des éléments de preuve concernant l’ISDE. Par conséquent, le demandeur doit fournir à la Cour la preuve destinée à établir l’existence d’une probabilité raisonnable que l’issue de l’audience initiale eût été différente.

[50]  Je reconnais que la demanderesse n’a pas démontré qu’il existait une probabilité raisonnable que le résultat de la décision ait été différent, n’eussent été les actes de la mandataire et du représentant canadien au printemps 2018.

[51]  Toutefois, il existe une probabilité plus que raisonnable que le résultat de la décision ait été différent, n’eussent été les actes commis en juin 2017 par la mandataire, sous la responsabilité du représentant canadien. Les omissions dans le formulaire IMM5669 mis à jour ont mené directement à la décision de rejeter la demande. Si le formulaire IMM5669 mis à jour avait contenu les renseignements selon lesquels la demanderesse étudiait au BCIT, l’agent n’aurait pas été appelé à se pencher sur les questions du fondement de la lettre relative à l’équité procédurale et du rejet ultime de la demande. La demanderesse s’est acquittée du lourd fardeau décrit dans la décision Yang, précitée.

[52]  Par conséquent, la demanderesse a prouvé chaque élément du critère relatif au manquement à l’équité procédurale découlant de l’incompétence du représentant. Je conclus que ses droits à l’équité procédurale ont été violés du fait de l’incompétence de son représentant canadien.

C.  Était‑il déraisonnable pour l’agent de rejeter la demande?

[53]  Étant donné que les droits à l’équité procédurale de la demanderesse ont été violés, je ne me pencherai pas sur la question de savoir si la décision était raisonnable — il ne serait pas approprié que je formule des hypothèses sur ce qu’aurait pu être le résultat, n’eût été le manquement à l’équité procédurale (Cardinal c Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 RCS 643 (CSC), à la page 641; Ghanoum c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 947, au paragraphe 5).


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3587‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à un agent d’immigration différent pour nouvel examen.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 16e jour de mai 2019.

Karine Lambert, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3587‑18

 

INTITULÉ :

QINGNING YANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 MARS 2019

JUgeMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 3 AVRIL 2019

COMPARUTIONS :

Douglas Cannon

POUR LA DEMANDERESSE

R. Keith Reimer

POUR LE DÉFENDEUR

Peter Edelmann

POUR L’INTERVENANT

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Elgin, Cannon & Associates

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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