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Date : 20190411


Dossier : IMM-4237-18

Référence : 2019 CF 446

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 avril 2019

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

FERENC TAMAS SALLAI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Ferenc Tamas Sallai, sollicite le contrôle judiciaire de la décision datée du 22 juin 2018 par laquelle une agente d’immigration principale [l’agente] a rejeté sa demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR].

[2]  Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

I.  Le contexte

[3]  Le demandeur, citoyen de la Hongrie, est entré au Canada le 30 août 2011 et il a présenté une demande d’asile, disant être persécuté du fait de son origine ethnique rome.

[4]  Le demandeur relate avoir été victime de discrimination à l’école primaire, ce qui a eu une incidence sur ses possibilités d’avenir. Il a fréquenté une école de métiers réservée aux Roms et a eu par la suite de la difficulté à trouver du travail. Il dit avoir perdu son emploi de gardien de sécurité parce que son supérieur ne voulait pas d’un [traduction] « gitan dans son équipe » et qu’on a refusé de lui fournir des services, qu’il a eu de la difficulté à trouver un logement et qu’il a souvent été victime d’insultes racistes en public. Il ajoute qu’on l’a agressé [traduction] « plusieurs fois », signalant qu’à l’école primaire des élèves l’ont tabassé à cause de son origine ethnique, qu’il a été agressé et pourchassé en 2002 par des hommes portant des [traduction] « tenues distinctives » qui avaient proféré contre lui des insultes raciales, et que, en 2006 environ, un groupe de skinheads l’a poussé et craché sur lui. Il déclare que l’incident le plus grave a eu lieu en 2009, quand des membres de la Garde hongroise ont embouti son automobile par l’arrière, projetant cette dernière contre un lave‑auto et causant, à lui et à ses deux passagers, de graves blessures.

[5]  En 2014, le demandeur a été accusé de vol de courrier ainsi que de possession d’outils de cambriolage. Il a reçu une absolution conditionnelle, assortie d’une peine de service communautaire, d’une amende et d’une période de probation.

[6]  En février 2016, le demandeur a été reconnu coupable de vol de courrier et de possession d’outils de cambriolage, à la suite d’incidents survenus en juillet 2015. En décembre 2016, il a été reconnu coupable d’introduction par effraction avec l’intention de commettre un acte criminel, à la suite d’accusations déposées en août 2016. Il a été condamné à une peine d’emprisonnement de 150 jours.

[7]  Ayant été reconnu coupable au Canada d’infractions punissables d’un emprisonnement maximal d’au moins 10 ans, le demandeur a été interdit de territoire pour grande criminalité, conformément à l’alinéa 36(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC (2001), c 27 [la Loi]. De ce fait, il n’a pas droit à ce que la Section de la protection des réfugiés [SPR] tranche sa demande d’asile. Il est toutefois admissible à un ERAR et il en a fait la demande.

II.  La décision faisant l’objet du présent contrôle

[8]  L’agente a souligné les antécédents judiciaires du demandeur et les dispositions applicables de la Loi. Elle a fait remarquer que, dans le contexte de l’ERAR, le dossier du demandeur pouvait être évalué conformément à l’article 96 et à l’article 97 de la Loi. Elle a jugé que la preuve ne montrait pas que le demandeur courait le risque qu’il disait craindre en Hongrie. Elle a conclu qu’il y avait moins qu’une simple possibilité qu’il soit victime de persécution, comme il est décrit à l’article 96, s’il était renvoyé en Hongrie. Elle  a aussi  conclu qu’il n’y avait pas de motifs sérieux de croire que le demandeur s’exposait à un risque de torture ou de motifs raisonnables de croire qu’il s’exposait à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités, comme il est décrit à l’article 97.

[9]  Pour arriver à ces conclusions, l’agente a passé en revue et évalué la preuve que le demandeur avait présentée à l’appui de sa demande.

[10]  Pour ce qui est de l’incident le plus grave qui serait survenu, l’agente a conclu que deux rapports médicaux et un billet de blog concernant l’accident d’automobile n’établissaient pas l’allégation du demandeur selon laquelle il avait été victime d’une agression raciste. Elle a fait remarquer que les deux documents médicaux — l’un pour le demandeur et l’autre pour son oncle — décrivaient les blessures subies, les traitements reçus et le suivi recommandé. Le rapport médical faisait référence à un accident et indiquait que des mesures policières avaient été prises. Elle a signalé que le blog Internet mentionnait qu’une automobile s’était écrasée contre un lave‑auto, que trois passagers avaient été blessés et que des agents de police étaient arrivés sur les lieux. Elle a admis que le demandeur, son oncle et un autre passager avaient été victimes d’un accident d’automobile en 2009 et que la police était intervenue. Elle a indiqué que le demandeur n’avait pas fourni de preuves, comme une déclaration sous serment de la part de son oncle ou de l’autre passager, pour corroborer son allégation selon laquelle c’étaient des membres de la Garde hongroise qui étaient responsables de l’accident. Elle a ajouté que le demandeur n’avait pas produit une déclaration sous serment de son ex‑conjointe de fait pour étayer sa déclaration selon laquelle des membres de la Garde hongroise avaient dit à cette dernière, en la menaçant, de ne pas communiquer avec la police. L’agente a également noté que le demandeur n’avait pas fourni d’informations sur l’issue de l’intervention de la police, signalée dans le rapport médical, pas plus qu’il n’avait indiqué qu’il avait été insatisfait de cette intervention.

[11]  L’agente a pris en considération la preuve du demandeur selon laquelle il avait été soigné pour ses blessures dans un hôpital de Budapest et elle a signalé qu’il n’avait formulé aucune allégation de discrimination en lien avec ces soins.

[12]  L’agente a conclu que le demandeur avait fourni une [traduction] « preuve insuffisante pour corroborer le fait que l’accident d’automobile qu’il avait eu en décembre 2009 avait été causé par des Gardes pour des motifs racistes ».

[13]  L’agente n’a accordé aucun poids aux observations du demandeur à propos de la situation de son ex‑conjointe de fait et de leur fils sur le plan de l’immigration. Il avait indiqué qu’on avait refusé à ces deux derniers la protection à titre de réfugié, mais qu’on leur avait plus tard accordé un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi les concernant. Elle a ajouté que la demande du demandeur était distincte, et que chaque détermination du statut reposait sur les faits qui lui étaient propres.

[14]  L’agente a conclu que la série de bulletins scolaires que le demandeur avait produits ne faisaient état que d’un changement négligeable quant à son rendement scolaire en cinquième année, ce qui n’était pas suffisant pour étayer sa prétention selon laquelle ses enseignants l’avaient maltraité à cause de son origine ethnique.

[15]  L’agente a fait remarquer que le demandeur n’avait fourni aucune preuve pour corroborer son allégation selon laquelle il avait perdu son emploi de gardien de sécurité, qu’il exerçait depuis quatre ans, en raison de son origine ethnique. Par exemple, il n’y avait aucune déclaration sous serment de la part d’anciens collègues de travail.

[16]  L’agente a reconnu que la preuve objective sur la situation dans le pays décrivait la discrimination dont les Roms étaient victimes, notamment dans le domaine des soins de santé, de l’éducation et du logement, et elle a fait état aussi de violations des droits de la personne et d’actes de violence ciblant les Roms. Elle a convenu que la situation en Hongrie n’était pas idéale mais, a-t-elle fait remarquer, le processus d’ERAR [traduction] « exige[ait] que les risques auxquels [faisait] face le demandeur soient personnalisés ».

[17]  Après avoir passé en revue les documents portant sur la situation dans le pays, l’agente a conclu que le demandeur n’avait pas fait de lien entre les renseignements fournis et les risques prospectifs et personnalisés qu’il courrait en Hongrie.

[18]  L’agente a fait remarquer qu’il incombait au demandeur de fournir une preuve à l’appui des risques qu’il alléguait. Se fondant sur l’exposé circonstancié de ce dernier, elle a reconnu que ce dernier avait pu être victime de discrimination en raison de son origine ethnique, ce qui pourrait poser quelques difficultés à son retour en Hongrie. Elle a toutefois conclu que cette preuve n’était pas suffisante pour étayer la conclusion selon laquelle cette discrimination était assimilable, soit cumulativement, soit isolément, à de la persécution.

[19]  L’agente a traité de la demande d’audience du demandeur et elle a reconnu que ce dernier n’avait pas eu d’audience devant la SPR. Elle a fait référence au critère à trois volets qui est énoncé à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement] et elle a conclu que le demandeur ne répondait pas à ces facteurs et qu’une audience n’était pas requise. Elle a fait remarquer en particulier que l’article 167 [traduction] « exige notamment que des éléments de preuve qui sont essentiels pour la prise de la décision et qui, s’ils étaient admis, justifieraient la demande soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité ».

III.  Les questions en litige

[20]  Le demandeur fait valoir que l’agente a manqué à l’équité procédurale en ne tenant pas d’audience parce qu’elle a tiré des conclusions déguisées au sujet de la crédibilité.

[21]  Le demandeur fait valoir de plus que l’agente a commis une erreur en interprétant mal le critère relatif à la persécution qui est énoncé à l’article 96.

[22]  De plus, il soutient que la conclusion de l’agente selon laquelle la discrimination qu’il a subie n’était pas assimilable à de la persécution est déraisonnable car elle n’a pas fourni d’explications et de justifications suffisantes.

IV.  La norme de contrôle applicable

[23]  Les questions d’équité procédurale sont contrôlées en fonction de la norme de la décision correcte, et les questions mixtes de fait et de droit le sont en fonction de la norme de la décision raisonnable. En général, la conclusion que tire un agent d’ERAR à propos des risques encourus est contrôlée en fonction de la norme de la décision raisonnable parce qu’il s’agit d’une question mixte de fait et de droit (Kadder c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 454, au paragraphe 11, 265 ACWS (3d) 1006).

[24]  Comme il a été mentionné plus tôt, le demandeur fait valoir que le fait de ne pas avoir tenu d’audience pour lui permettre de traiter de présumées conclusions déguisées quant à la crédibilité a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale. Il soutient que l’application de l’article 167 du Règlement fait ressortir qu’il est nécessaire de tenir une audience. Il a soulevé la question auprès de l’agente et celle-ci a conclu que l’article 167 ne s’appliquait pas. Il soutient qu’il convient de contrôler cette question en fonction de la norme de la décision correcte.

[25]  La norme de contrôle qui s’applique aux conclusions relatives à la question de savoir s’il y a lieu de tenir une audience fait l’objet d’une jurisprudence considérable. Jusqu’à un certain point, cette norme dépend de la manière dont on qualifie la question en litige — soit de manquement à l’équité procédurale, soit d’une interprétation ou d’une application erronées de l’article 167 du Règlement. La jurisprudence évolue et l’on considère à l’heure actuelle que dans les cas où la question en litige est l’application de la Loi et du Règlement, c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique.

[26]  Dans la décision Zmari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 132, au paragraphe 13, [2016] ACF no 106 (QL) [Zmari], le juge Boswell a fait remarquer que la jurisprudence est partagée quant au fait de savoir si la décision de procéder sans audience est une question d’interprétation de la Loi et du Règlement, ce qui constitue une question mixte de fait et de droit, ou s’il s’agit d’une question d’équité procédurale.

[27]  Des questions semblables ont été soulevées dans la décision Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 940, [2018] ACF no 963 (QL) [Huang]. Le juge Gascon a examiné la jurisprudence contradictoire sur la norme de contrôle applicable et il a conclu, en l’expliquant au paragraphe 16, que c’était la norme de la décision raisonnable qui s’appliquait :

À mon avis, lorsque la question soulevée dans le cadre du contrôle judiciaire est de savoir si un agent d’ERAR aurait dû accorder une audience, la norme de la décision raisonnable s’applique : la décision sur cette question dépend de l’interprétation et de l’application par l’agent de sa loi habilitante, à savoir l’alinéa 113b) de la LIPR qui prévoit qu’une audience peut être tenue si le ministre, en fonction des facteurs précis prévus à l’article 167 du Règlement, est d’avis que la demande d’audience est fondée. En l’espèce, c’est d’autant plus vrai puisque l’argument de Mme Huang portait sur le premier de ces facteurs, à savoir s’il y avait une preuve qui soulevait une question importante de crédibilité, et en particulier si le raisonnement de l’agent d’ERAR, qui est exprimé en termes de suffisance de la preuve, devrait plutôt être décrit comme une conclusion de crédibilité déguisée.

[28]  Dans le même ordre d’idées, dans la décision A.B. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 165, [2019] ACF n149 (QL), le juge Pentney a fait état de la jurisprudence portant sur la question et a conclu, au paragraphe 11 :

Je suis d’avis que la jurisprudence la plus récente sur la question tend à conclure que c’est la norme de la décision raisonnable qu’il y a lieu d’appliquer, eu égard au cadre législatif qui régit l’exercice du pouvoir discrétionnaire dont un agent dispose. Il est utile de rappeler que l’arrêt de principe sur l’équité procédurale, Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, indique, aux paragraphes 23 à 27, que le cadre législatif est l’un des cinq facteurs qu’il faut prendre en considération pour évaluer l’équité procédurale. Plus récemment, la Cour suprême du Canada a confirmé une fois de plus l’existence d’une présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique au décideur qui interprète sa loi habilitante (ou « constitutive ») : voir Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31.

[29]  Tout récemment, dans la décision Blidee c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 244, [2019] ACF no 210 [Blidee], la juge Roussel a relevé une fois de plus les deux courants de jurisprudence. En fin de compte, a-t-elle conclu en se fondant sur les faits dont elle était saisie, l’issue aurait été la même, que la norme de contrôle soit la décision correcte ou la décision raisonnable, et elle a fait remarquer ce qui suit, au paragraphe 11:

La norme de contrôle applicable à une décision de tenir ou non une audience dans le contexte d’une demande d’ERAR varie. Dans certains cas, la Cour applique la norme de la décision correcte parce que la question est considérée comme une question relative à l’équité procédurale, tandis que dans d’autres cas, la Cour applique la norme de la décision raisonnable au motif que l’opportunité de tenir une audience compte tenu du contexte particulier d’un dossier requiert l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire et suppose l’application du cadre législatif aux faits particuliers de l’affaire (Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 940, au paragraphe 12 [Huang]; Zmari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 132, aux paragraphes 10‑13). Indépendamment de la norme de contrôle que la Cour doit appliquer, je conclus à l’absence d’erreur, sous l’un ou l’autre aspect, qui justifierait l’intervention de la Cour.

[30]  La jurisprudence qui prévaut étaye le fait que la question de savoir s’il y a lieu de tenir une audience ou non devrait être contrôlée en fonction de la norme de la décision raisonnable. Par ailleurs, en l’espèce, il est évident que l’agente a pris en considération les critères qui régissent le fait de savoir s’il y a lieu de tenir une audience ou non. Ces critères sont énoncés dans le Règlement pris en vertu de la Loi — autrement dit, la loi constitutive. À mon avis, c’est manifestement la norme de la décision raisonnable qui s’applique en l’espèce.

[31]  La question de savoir si l’agente a appliqué le bon critère juridique pour décider si le demandeur s’exposerait à un risque, comme il est décrit à l’article 96 de la Loi, est une question de droit qu’il convient donc de contrôler en fonction de la norme de la décision correcte (Conka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 532, au paragraphe 11, 292 ACWS (3d) 384).

[32]  La conclusion que l’agente a tirée au sujet de l’analyse cumulative est contrôlée en fonction de la norme de la décision raisonnable.

[33]  La norme de la décision raisonnable est axée sur « la justification de la décision, […] la transparence et […] l’intelligibilité du processus décisionnel » et elle prend en considération « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190).

V.  Les observations du demandeur

[34]  Le demandeur est d’avis que l’agente a manqué à l’équité procédurale en ne tenant pas d’audience. Il ajoute qu’il convient de le faire quand on satisfait aux critères énoncés à l’article 167 du Règlement. Dans son cas personnel, les critères étaient réunis parce que l’agente a mis en doute ses éléments de preuve concernant des Gardes hongrois, à cause desquels il s’était écrasé contre le lave‑auto. Il soutient que cette preuve soulevait une question de crédibilité qui occupait une place centrale dans la décision et que, si sa preuve avait été admise, celle-ci aurait donné lieu à un ERAR favorable. Il fait valoir que l’agente a tiré des conclusions déguisées quant à la crédibilité, formulées sous la forme de conclusions liées au caractère suffisant de la preuve, sans lui donner la possibilité d’y répondre. Il s’agit là, soutient‑il, d’un déni de justice fondamentale. Il ajoute qu’il n’a jamais eu la chance de traiter de sa crainte des extrémistes racistes dans le cadre d’une audience parce qu’il est interdit de territoire et qu’il n’a pas droit à une audience relative à la demande d’asile.

[35]  Le demandeur signale la mise en garde qu’a faite la Cour dans la décision Strachn c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 984, au paragraphe 34, 416 FTR 312, à savoir qu’il arrive parfois que des agents formulent incorrectement de véritables conclusions relatives à la crédibilité comme des conclusions concernant le caractère suffisant de la preuve.

[36]  Le demandeur soutient que la seule conclusion que l’on peut tirer est que l’agente n’a pas ajouté foi à ce qu’il a déclaré, à savoir que des membres de la Garde hongroise ont embouti son automobile, provoquant ainsi son accident. Il soutient que sa déclaration sous serment doit être tenue pour avérée (Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration)), [1980] 2 CF 302, au paragraphe 5, [1979] ACF n248 (QL) (CA) [Maldonado]) et que rien n’a réfuté cette présomption.

[37]  Le demandeur est d’avis qu’il y a lieu d’établir une distinction avec la décision Ferguson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067, au paragraphe 27, [2008] ACF no 1308 (QL) [Ferguson], dans laquelle il a été conclu qu’un agent peut accorder un certain poids à des éléments de preuve sans statuer sur la crédibilité. Il signale que, dans cette décision, il n’y a pas eu de preuves attestées sous serment, juste une preuve sur la situation dans le pays et des observations de l’avocat.

[38]  Le demandeur fait valoir aussi que l’agente a commis une erreur en appliquant le mauvais critère juridique pour déterminer le risque en cause, conformément à l’article 96 de la Loi. L’agente a décrété que le [traduction] « processus d’ERAR exige que les risques auxquels le demandeur sera confronté soient personnalisés » et elle a conclu que le demandeur n’avait pas fait de lien entre la situation dans le pays et les risques prospectifs et personnels auxquels il ferait face. Le demandeur soutient que cela montre que l’agente ne comprenait pas le critère à appliquer. Il soutient que la Convention sur les réfugiés vise à protéger les groupes importants de personnes qui courent collectivement un risque de persécution.

[39]  Le demandeur soutient qu’une preuve concernant des Roms particuliers qui se trouvent dans une situation semblable peut étayer la conclusion qu’un demandeur d’asile s’expose à des risques prospectifs (citant Osama Fi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1125, au paragraphe 14, [2007] 3 CAF 400 [Fi]; Alhezma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1300, au paragraphe 18, 273 ACWS (3d) 611). Il estime qu’il a fourni une preuve abondante des violations des droits de la personne que l’on commet contre les Roms en Hongrie. Il ajoute que la conclusion de l’agente selon laquelle ce fait n’était pas lié à sa situation personnelle est inique.

[40]  Le demandeur fait valoir aussi que l’agente n’a pas expliqué pourquoi la discrimination et les difficultés qu’il craint de subir en Hongrie ne sont pas assimilables à de la persécution. Il soutient que cette conclusion n’est ni justifiée ni intelligible. Il ajoute que la preuve relative à la situation dans le pays qui a été soumise à l’agente faisait état d’actes de violence et de discrimination graves et profonds à l’endroit des Roms.

VI.  Les observations du défendeur

[41]  Le défendeur soutient que l’agente n’a tiré aucune conclusion déguisée sur la crédibilité, relativement aux allégations du demandeur concernant l’agression commise par la Garde hongroise et les actes de discrimination subis à l’école. La décision a été fondée sur l’insuffisance de la preuve.  

[42]  Le défendeur reconnaît qu’il y a lieu de tenir une audience lorsque les critères énoncés à l’article 167 sont réunis, mais il signale qu’il est possible d’évaluer le poids de la preuve avant d’en examiner la crédibilité. Il soutient que l’agente a soupesé la preuve, soulignant dans quelles circonstances le demandeur n’avait pas corroboré ses allégations. La Cour ne devrait pas soupeser de nouveau la preuve.  

[43]  Le défendeur conteste l’idée que l’agente a mal compris le critère énoncé à l’article 96. Il est nécessaire, soutient-il, de tenir compte de la situation précise d’un demandeur d’asile au moment d’évaluer les risques (citant la décision Olah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 921, au paragraphe 15, [2017] ACF no 977 (QL) [Olah]). Il ajoute que le fait d’appartenir au groupe ethnique des Roms ne veut pas dire que tous les Roms sont exposés à un traitement qui peut être assimilé à de la persécution et que cela ne fait pas tomber une personne sous le coup de l’article 96 ou 97 (citant la décision Olah, aux paragraphes 14 et 15). Le défendeur soutient que l’agente a fondé sa conclusion sur l’absence de preuves sur la situation personnelle et les risques présumés du demandeur.

[44]  Le défendeur allègue de plus que les motifs de l’agente, lus dans leur ensemble, expliquent qu’il n’y avait pas assez de preuves pour établir que ce que le demandeur avait vécu était assimilable à de la persécution. Il est bien possible que le demandeur croie avoir été persécuté, mais une conclusion de persécution doit avoir un fondement objectif. En particulier, l’agente a conclu que le demandeur avait fait des études primaires, qu’il avait fréquenté une école de métiers réservée aux Roms, qu’il avait suivi une formation de gardien de sécurité et qu’il avait décroché un emploi. Elle a fait remarquer aussi que rien ne donnait à penser qu’on avait refusé de prodiguer des soins médicaux au demandeur et qu’aucune preuve ne corroborait son affirmation selon laquelle il avait perdu son emploi à cause de son origine ethnique.

VII.  L’agente n’a pas commis d’erreur en ne tenant pas une audience

[45]  L’alinéa 113b) de la Loi prévoit qu’une audience peut être tenue si le ministre, guidé par les facteurs prescrits, estime que cela est nécessaire. L’article 167 du Règlement prescrit les facteurs applicables :

  • a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

  • b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

  • c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

[46]  Ces facteurs sont de nature cumulative (Demirovic c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1284, au paragraphe 9 et 10, [2005] ACF no 1560 (QL)). Si la crédibilité est un enjeu qui pourrait mener à une décision d’ERAR défavorable, il faudrait dans ce cas tenir une audience afin de permettre au demandeur de répondre aux problèmes de crédibilité (Tekie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 27, au paragraphe 16, [2005] ACF no 39 (QL)).

[47]  Pour déterminer si l’agente a conclu de manière raisonnable qu’il n’était pas nécessaire de tenir une audience, il faut tout d’abord décider si elle a tiré des conclusions quelconques au sujet de la crédibilité — soit explicitement, soit implicitement. Dans l’affirmative, il faut alors examiner si ces conclusions se situaient au cœur de l’ERAR et si elles étaient déterminantes.

[48]  Il est parfois difficile de faire une distinction entre une conclusion d’insuffisance de la preuve et une conclusion déguisée sur la crédibilité (Gao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 59, au paragraphe 32, [2014] ACF no 51 (QL) [Gao]; A.B. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 165, au paragraphe 26, [2019] ACF no 149 [AB]; Magonza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 14, au paragraphe 35, 301 ACWS (3d) 832 [Magonza]).

[49]  Il existe une abondante jurisprudence sur la question de savoir si les conclusions que tire un décideur sont des conclusions relatives à la crédibilité que l’on considère comme des conclusions de preuve insuffisantes, ou que l’on fait passer pour telles. S’il n’existe aucune conclusion explicite au sujet de la crédibilité, la Cour doit aller au‑delà des termes de la décision pour déterminer si la crédibilité est l’enjeu, expressément ou implicitement.

[50]  Comme il a été déclaré dans la décision Gao, au paragraphe 32 :

Je constate que, dans certains cas, il est difficile d’établir une distinction entre une conclusion portant sur l’insuffisance de la preuve et une conclusion suivant laquelle un demandeur n’a pas été cru, c’est‑à‑dire n’était pas crédible. Le choix des mots employés, en l’occurrence le fait de parler de crédibilité ou de l’insuffisance de la preuve, ne permet pas à lui seul de déterminer si des conclusions ont été tirées sur une question ou sur l’autre ou sur les deux. On ne peut toutefois pas présumer que, lorsque l’agent conclut que la preuve ne démontre pas le bien-fondé de la demande du demandeur, l’agent n’a pas cru le demandeur.

[51]  Dans la décision Herman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 629, au paragraphe 17, [2010] ACF no 776 (QL), le juge en chef Crampton a fait remarquer qu’il y a une différence entre le fait de ne pas ajouter foi à la preuve du demandeur et celui de « ne pas être convaincu qu’un demandeur s’est acquitté de son fardeau de la preuve selon la prépondérance des probabilités, sans jamais avoir apprécié la crédibilité de la preuve ».

[52]  Dans la décision Huang, le juge Gascon a traité de la même question, signalant, au paragraphe 36, que la jurisprudence continue d’évoluer mais que la décision dépend des faits de l’espèce :

36  Je reconnais que la conclusion par laquelle un décideur déclare que la preuve présentée est insuffisante pour étayer une allégation peut parfois cacher une conclusion défavorable voilée quant à la crédibilité. Telle était en effet la situation dans la décision Bozik invoquée par Mme Huang. J’admets en outre qu’il y a plusieurs décisions de la Cour qui ont elles aussi déterminé que les conclusions des agents d’ERAR sur l’insuffisance d’éléments de preuve se résumaient en fait à des constatations implicites, déguisées ou voilées sur la crédibilité. Toutefois, déterminer si une constatation d’insuffisance de preuve est en vérité une constatation de crédibilité déguisée relève directement des faits. Parfois, c’est le cas, parfois ce ne l’est pas. Cela dépend du langage utilisé dans les motifs, des faits particuliers au dossier ainsi que du contexte de la décision. Comme c’est le cas pour toute question faisant l’objet d’un contrôle judiciaire, le point de départ est la décision proprement dite et ce qu’elle signifie réellement. La Cour doit également regarder au-delà des termes expressément utilisés dans la décision de l’agent pour décider si, en fait, la crédibilité du demandeur est en cause.

[Non souligné dans l’original.]

[53]  Dans la décision Magonza, le juge Grammond a passé en revue et expliqué diverses notions de preuve, dont le caractère insuffisant des éléments de preuve, signalant, aux paragraphes 34 et 35 :

34  En droit des réfugiés, le fait central qui doit être prouvé est l’existence de « plus qu’une “simple possibilité” [que le demandeur] soit persécuté » (Chan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 RCS 593, au paragraphe 120, citant la décision Adjei c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 CF 680 (CA)). Habituellement, ce fait peut uniquement être établi par une preuve indirecte dont il est impossible de prescrire à l’avance la « quantité » minimale. Décider si la preuve est suffisante est un jugement pratique qui doit être établi au cas par cas.

35  Étant donné qu’il est difficile de décrire en mots ou en nombres la quantité de preuve qui sera suffisante pour étayer une demande, la suffisance est une question à l’égard de laquelle les cours de révision doivent faire preuve d’une grande retenue (Perampalam, au paragraphe 31). Comme d’autres conclusions factuelles, cependant, les constats d’insuffisance doivent être expliqués. L’un des problèmes qui se présentent souvent est le fait qu’une conclusion selon laquelle la « preuve est insuffisante » est en réalité utilisée comme moyen de déguiser (ou « d’énoncer en termes voilés ») une conclusion inexpliquée quant à la crédibilité (Liban c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1252, au paragraphe 14; Begashaw c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1167, aux paragraphes 20 et 21; Adetunji c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 869, au paragraphe 11; Abusaninah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 234 [Abusaninah], au paragraphe 54; Majali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 275 [Majali]; Ahmed, au paragraphe 38). Les décideurs ne devraient pas « hausser la barre », pour ainsi dire, quand ils ont de simples soupçons qu’ils sont incapables d’expliquer à propos de la crédibilité.

[Non souligné dans l’original.]

[54]  Comme il a été signalé dans la décision Ferguson, au paragraphe 33, il convient de faire preuve de retenue envers l’agent d’ERAR :

Le poids que le juge des faits accorde à la preuve présentée dans une instance ne relève pas de la science. Différentes personnes peuvent accorder un poids différent à la preuve, mais l’évaluation du poids de la preuve devrait entrer à l’intérieur de certains paramètres raisonnables. La retenue s’impose lorsque les agents d’ERAR évaluent la valeur probante de la preuve dont ils disposent. Si leur évaluation entre dans les paramètres de la raisonnabilité, elle ne devrait pas être modifiée. Selon moi, le poids accordé à la déclaration de l’avocate dans la présente affaire entre dans ces paramètres. 

[55]  Comme l’a récemment signalé la juge Roussel dans la décision Blidee, au paragraphe 16 :

Je conviens, comme l’affirme le demandeur, qu’une conclusion d’insuffisance de preuve peut en réalité équivaloir à une conclusion de crédibilité déguisée et qu’il est parfois difficile de distinguer ces deux types de conclusion. Cependant, il est important de mentionner, comme l’indique la décision Huang, au paragraphe 43, que la présomption de véracité ou de fiabilité des déclarations faites par les demandeurs d’asile, telle qu’exprimée dans la décision Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CAF) (QL), invoquée par le demandeur, ne peut être considérée comme une présomption que la preuve est satisfaisante. En effet, même si la preuve est présumée crédible et fiable, la preuve par affidavit d’un demandeur d’asile ne peut être présumée suffisante, en soi, pour établir les faits selon la prépondérance des probabilités. Cette détermination appartient au juge des faits – en l’espèce, l’agent (Huang, au paragraphe 43).

[Non souligné dans l’original.]

[56]  Il incombe à un demandeur d’asile d’étayer sa demande au moyen d’une preuve suffisante et de présenter ses arguments les meilleurs. Le fait de ne pas fournir de détails ou de documents corroborants peut être une raison pour conclure qu’une preuve est insuffisante (Ferguson, au paragraphe 27; Haji c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 474, au paragraphe 20, 292 ACWS (3d) 619). Et une preuve insuffisante est un motif valable pour rejeter une demande d’asile.

[57]  Il ressort plusieurs principes importants de la [traduction] « marmite bouillonnante des décisions ». Premièrement, il incombe à un demandeur d’asile d’étayer sa demande en produisant des éléments de preuves suffisants. Deuxièmement, déterminer si le décideur a fondé des conclusions sur une preuve ou une crédibilité insuffisantes oblige à procéder à une analyse au cas par cas qui ne repose pas forcément sur les termes employés, mais sur une lecture attentive de la façon dont le décideur a évalué la preuve dans le contexte de la décision dans son ensemble. Troisièmement, se fonder sur une déclaration sous serment et sur la présomption de véracité dont il est question dans la décision Maldonado ne dispense pas un demandeur d’asile de l’obligation de fournir une preuve suffisante à l’appui de sa demande. Il n’est pas nécessaire que le décideur doute de la crédibilité d’une déclaration sous serment pour conclure que celle‑ci demeure insuffisante pour établir les allégations selon la prépondérance des probabilités. Comme il a été signalé dans la décision Magonza, au paragraphe 34 : « [d]écider si la preuve est suffisante est un jugement pratique qui doit être établi au cas par cas ». Quatrièmement, à l’instar de toutes les conclusions de nature factuelle, le décideur doit fournir une explication pour les conclusions d’insuffisance de la preuve. Enfin, la déférence s’impose à l’égard du décideur pour ce qui est du fait de savoir s’il est convaincu ou non qu’un demandeur d’asile a établi son risque prospectif de persécution.

[58]  En l’espèce, l’agente ne fait pas explicitement référence à la crédibilité. Elle n’a pas déclaré qu’elle ne croyait pas le récit du demandeur selon lequel la Garde hongroise était responsable de l’accident d’automobile, qu’on l’avait maltraité en cinquième année ou qu’il avait perdu son emploi de gardien de sécurité en raison de son origine ethnique. Malgré l’absence de telles déclarations, il est nécessaire de prendre en considération la manière dont l’agente a évalué la preuve, de même que ses motifs.

[59]  L’agente a pris en compte les éléments de preuve que le demandeur a produits — lesquels se composaient de documents portant sur la situation dans le pays, de rapports médicaux et d’un billet de blog portant sur l’accident automobile de 2009, ainsi que de bulletins scolaires — et elle a indiqué le poids ou la valeur probante qui s’y rattachait.

[60]  L’agente a passé en revue les éléments de preuve produits par le demandeur et a signalé à plusieurs reprises ce qui manquait. Elle a étudié les rapports médicaux et a admis qu’ils décrivaient un accident d’automobile et des blessures graves que le demandeur et son oncle avaient subies. Elle a fait remarquer que les rapports médicaux et le blog Internet indiquaient que la police était intervenue à la suite de l’accident, mais qu’il n’y avait pourtant pas d’autres renseignements sur cette intervention policière. L’agente a également fait remarquer qu’il n’y avait aucune preuve de la part de l’oncle – qui avait été blessé lui aussi lors de l’accident et soigné à l’hôpital – sur la cause de l’accident. Il n’y avait pas non plus de preuves de la part de l’ex‑conjointe de fait du demandeur ou de l’épouse de son cousin, dont l’une des deux était censément présente quand des membres de la Garde hongroise avait proféré des menaces en disant de ne pas communiquer avec la police. À part la déclaration du demandeur, aucune preuve n’étayait la prétention selon laquelle des membres de la Garde hongroise avaient provoqué l’accident d’automobile. L’agente a décrit le genre de preuves qui auraient pu être fournies et auxquelles on se serait raisonnablement attendu.

[61]  De la même façon, l’agente a considéré que les bulletins scolaires n’étaient pas suffisants pour étayer la prétention du demandeur selon laquelle il avait été traité différemment par ses  enseignants en raison de son origine ethnique. En se fondant sur un examen de la totalité des bulletins scolaires, l’agente a conclu qu’il n’y avait pas eu de changement marqué dans le rendement scolaire du demandeur au cours de l’année en question. La conclusion de l’agente n’avait pas trait à la crédibilité; cette dernière a plutôt conclu que la preuve n’étayait tout simplement pas la prétention de discrimination.

[62]  L’agente a également signalé qu’aucune preuve n’avait été produite à l’appui de la prétention du demandeur selon laquelle il avait perdu son emploi de gardien de sécurité, qu’il exerçait depuis quatre ans, en raison de son origine ethnique. Là encore, elle a signalé qu’aucune déclaration sous serment de la part de collègues de travail n’avait été produite. Elle a conclu que la preuve était insuffisante.

[63]  Il incombait au demandeur d’établir sa prétention à l’aide d’éléments de preuve qui satisferaient au fardeau juridique et de preuve à supporter. Il était bien au fait que la SPR ne tiendrait pas d’audience et que l’ERAR était pour lui l’occasion d’établir le risque prospectif qu’il disait craindre. Il ne s’est pas acquitté de ce fardeau et, de ce fait, l’agente a conclu de manière raisonnable qu’il n’était pas nécessaire de tenir une audience.

VIII.  L’agente n’a pas appliqué le mauvais critère au sujet de l’article 96

[64]  Les articles 96 et 97, qui ont trait, respectivement, à une crainte fondée de persécution et à un risque personnalisé de préjudice, doivent être analysés de manière différente (Paramananthalingam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 236, au paragraphe 16, [2017] ACF no 419 (QL)). Le critère qui s’applique à l’article 96 oblige à évaluer s’il y a plus qu’une simple possibilité qu’un demandeur soit persécuté pour un motif énoncé dans la Convention. Cela doit être établi selon la prépondérance des probabilités. 

[65]  Une demande de protection visée par l’article 97 n’exige pas qu’il y ait un lien avec un motif énoncé dans la Convention. Un demandeur doit établir que le risque qu’il court est personnel — c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas d’un risque auquel d’autres citoyens du pays sont exposés de façon générale (Guerrero c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1210, au paragraphe 27, [2013] 3 RCF 20).

[66]  En l’espèce, le demandeur fait valoir que la référence que l’agente a faite à un risque [traduction] « personnalisé » et à un risque [traduction] « individualisé » montre qu’elle ne comprenait pas le critère relatif à l’article 96 ou qu’elle l’a confondu avec celui qui s’applique à l’article 97. Je ne souscris pas à cet argument. Si on lit la décision dans son ensemble, il est évident que l’agente connaissait les objets des articles 96 et 97, ainsi que les critères différents qui s’y appliquent. Bien que ce soit un risque personnalisé, par opposition à un risque généralisé, qui soit exigé dans le cas de l’article 97, l’emploi que fait l’agente du terme [traduction] « personnalisé », dans le contexte de l’article 96, n’est pas une erreur. Un demandeur d’asile doit établir qu’il a un risque raisonnable ou une possibilité sérieuse (on dit aussi : plus qu’une simple possibilité) d’être persécuté pour un motif énoncé dans la Convention s’il est renvoyé dans son pays d’origine.

[67]  L’agente a tout d’abord signalé que le demandeur avait droit à ce qu’on évalue son dossier au regard des articles 96 et 97. Elle s’est ensuite concentrée sur la prétention du demandeur selon laquelle, en tant que Rom, il avait été persécuté du fait de son origine ethnique — c’est-à-dire l’évaluation fondée sur l’article 96.

[68]  Le fait que l’agente ait employé les termes [traduction] « personnalisé » ou [traduction] « individualisé » ne veut pas dire qu’elle confondait les deux critères. Une demande d’asile présentée en vertu de l’article 96 requiert un fondement à la fois subjectif et objectif. Comme il a été signalé, les demandeurs d’asile doivent établir qu’ils répondent au critère applicable à la protection des réfugiés; en ce sens, la preuve doit être liée à leur situation personnelle.

[69]  Le demandeur invoque la décision Fi, au paragraphe 16, à l’appui de son argument selon lequel l’agente a commis une erreur en exigeant qu’il y ait un risque personnalisé et qu’elle n’a pas compris le critère applicable à l’article 96. Dans cette décision, le juge Martineau a écrit, au paragraphe 16:

À la différence de l’article 97 de la LIPR, en vertu de l’article 96 de la LIPR, il n’y a aucune obligation que le demandeur démontre que sa crainte de la persécution est « personnalisée » s’il peut démonter autrement qu’elle est « entretenue par un groupe auquel il est associé ou, à la rigueur, par tous les citoyens en raison d’un risque de persécution fondé sur l’un des motifs énoncés dans la définition [de réfugié au sens de la Convention] » (Salibian, susmentionnée, page 258).

[Souligné dans l’original.]

[70]  Selon moi, cet extrait de la décision Fi traite de l’élément de la crainte subjective. Un demandeur d’asile qui prétend avoir été persécuté pour un motif énoncé dans la Convention doit établir à la fois l’existence d’une crainte subjective et le fait que sa crainte est objectivement fondée.

[71]  Fournir une preuve de risque objective pour les Roms vivant en Hongrie, notamment sur le plan de l’éducation, du logement, de l’emploi et des violations des droits de la personne, n’est pas suffisant, pour l’un quelconque ou la totalité des membres de ce groupe, pour bénéficier d’une protection en vertu de l’article 96. Dans la décision Balogh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 426, 265 ACWS (3d) 746, le juge LeBlanc explique, au paragraphe 19:

De plus, bien que la preuve documentaire sur les conditions générales des Roms en Hongrie soulève des préoccupations concernant les droits de la personne, le simple fait d’être d’origine rom en Hongrie ne constitue pas, en soi, un élément suffisant pour établir qu’un demandeur fait face à plus qu’une simple possibilité d’être persécuté à son retour au pays (Csonka c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1056, aux paragraphes 67 à 70 [Csonka]; Ahmad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 808, au paragraphe 22 [Ahmad]. Une demande d’asile valide comporte à la fois un élément de crainte subjective et un élément de crainte objective (Csonka, au paragraphe 3). Il appartient au demandeur d’établir un lien entre les éléments de preuve documentaire de nature générale et la situation qui lui est propre (Prophète c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 331, au paragraphe 17; Jarada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 409, au paragraphe 28; Ahmad, au paragraphe 22).

[72]  Dans la décision Olah, le juge Southcott a formulé des arguments semblables et a signalé au paragraphe 15, en faisant mention de la décision Balogh :

J’interprète ce raisonnement comme le fait d’indiquer que la jurisprudence concernant les demandes d’asile formulées par des Roms hongrois n’appuie pas une conclusion voulant que les conditions générales du pays soient telles que tous les Roms en Hongrie sont victimes d’une discrimination équivalant à de la persécution. Il est plutôt nécessaire d’examiner la situation précise d’un demandeur particulier, en combinaison avec les éléments de preuve documentaire généraux, pour conclure si le demandeur est exposé à un risque de persécution. La déclaration susmentionnée tirée de Balogh ne constitue pas une dérogation aux principes entourant l’article 96 sur lequel s’appuient les demandeurs, mais plutôt une application de ces principes.

[73]  L’agente n’a pas commis d’erreur en concluant que les documents relatifs à la situation dans le pays ne pouvaient pas établir à eux seuls l’existence d’un risque prospectif pour le demandeur (Balogh, au paragraphe 19) et qu’il fallait évaluer le risque que courait le demandeur (c’est-à-dire son risque personnel) d’être persécuté à son retour. Elle a indiqué avec raison qu’il ne suffisait pas de se reporter à la situation dans le pays de façon générale sans faire de lien avec la situation personnelle du demandeur d’asile. Elle a ajouté que l’évaluation du [traduction] « risque d’être victime de persécution ou de préjudice » que courait le demandeur s’il était renvoyé dans son pays [traduction] « [devait] être individualisé ». Elle a passé en revue la totalité des allégations et des preuves, dont celle concernant la situation dans le pays, et elle a conclu de manière raisonnable qu’il y avait moins qu’une simple possibilité qu’il soit persécuté, de la manière décrite à l’article 96, s’il retournait en Hongrie. Elle n’a pas mal compris ou appliqué erronément le critère relatif à l’article 96.

IX.  L’agente a conclu de manière raisonnable que la discrimination dont le demandeur faisait état n’équivalait pas cumulativement à de la persécution

[74]  L’agente a expliqué pourquoi la discrimination à laquelle pouvait s’exposer le demandeur en Hongrie à son retour n’était pas assimilable à de la persécution. Elle a pris en compte ses antécédents en matière d’éducation et d’emploi, signalant qu’il avait pu fréquenter l’école et travailler. Elle a fait remarquer qu’il avait reçu des soins médicaux après l’accident automobile et qu’il n’avait pas allégué qu’on l’avait maltraité de quelque façon. Elle a pris acte de la preuve relative à la situation dans le pays, qui faisait état d’actes de discrimination en matière de soins de santé, d’éducation et de logement, ainsi que d’autres violations des droits de la personne. Elle a admis qu’en Hongrie les Roms sont victimes de discrimination. Elle a reconnu aussi que le demandeur risquait d’être victime de discrimination à son retour, mais elle a conclu que la preuve de ce dernier n’était pas suffisante pour corroborer le fait que cette discrimination — exercée soit cumulativement, soit isolément — était assimilable à de la persécution. On ne peut dire qu’elle n’a pas expliqué sa conclusion de manière suffisante. Elle a étayé celle-ci en se reportant à la preuve, qui, a‑t‑elle conclu de manière raisonnable, n’était pas suffisante pour étayer la prétention du demandeur. Cette conclusion est justifiée, transparente et intelligible; autrement dit, elle est raisonnable.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4237-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a pas de question à certifier.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 28e jour de mai 2019.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4237-18

 

INTITULÉ :

FERENC TAMA SALLAI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 MARS 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 11 AVRIL 2019

 

COMPARUTIONS :

Amedeo Clivio

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Leila Jawando

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Clivio Law Professional Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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