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Date : 20190408

Dossier : IMM‑4318‑18

Référence : 2019 CF 428

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Edmonton (Alberta), le 8 avril 2019

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

TAMAS HEGEDUS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la CISR] a rejeté la demande de réouverture de la demande d’asile du demandeur.

Contexte

[2]  Le demandeur est un citoyen de la Hongrie. Il est arrivé au Canada le 16 mars 2018. Deux jours plus tard, il a présenté une demande d’asile en alléguant qu’il avait été victime de persécution en Hongrie en raison de son orientation sexuelle. À ce moment‑là, l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] lui a fourni de l’information sur la présentation de sa demande d’asile. Étant donné que le demandeur parle seulement hongrois, les services d’un traducteur ont été utilisés. Le demandeur soutient que l’interprète lui a dit que l’audience de sa demande d’asile se tiendrait le 20 juillet 2018, mais il ne l’a pas informé que, s’il ne déposait pas son formulaire Fondement de la demande d’asile [le formulaire FDA] dans un délai de 15 jours, il devrait alors se présenter à une audience spéciale qui aurait lieu le 10 avril 2018. Il affirme que l’interprète lui a dit de demander l’aide d’intervenants d’un refuge pour remplir le formulaire FDA. Le demandeur s’est installé dans un refuge le 18 mars 2018. Il soutient que le 21 mars 2018, une intervenante du refuge a consigné son adresse et lui a dit qu’elle la transmettrait aux agents d’immigration. Il a supposé que l’intervenante ferait un suivi.

[3]  Le demandeur soutient que, pendant une rencontre avec une intervenante du refuge le 13 avril 2018, l’intervenante lui a dit que le refuge avait envoyé les formulaires exigés par l’immigration et qu’il ne devait pas s’inquiéter. Elle n’a rien dit au sujet de l’audience spéciale du 10 avril 2018. En mai 2018, puisque l’audience du 20 juillet 2018 approchait, des intervenants du refuge ont conseillé au demandeur de présenter une demande d’aide juridique. Après avoir obtenu son certificat d’aide juridique, le demandeur a retenu les services d’un avocat le 5 juin 2018. Il affirme que son avocat a déposé son formulaire FDA et des documents pertinents auprès de la SPR le 29 juin 2018 après qu’il l’eut rencontré à plusieurs reprises à son bureau pour préparer l’exposé circonstancié de son formulaire FDA. Le demandeur est resté au refuge jusqu’au 1er juillet 2018, date à laquelle il a emménagé dans un logement loué.

[4]  Le 18 juillet 2018, soit deux jours avant la date prévue de l’audience du demandeur, son avocat a reçu une télécopie de la part de la SPR, qui l’informait que le désistement de la demande d’asile du demandeur avait été prononcé parce qu’il ne s’était pas présenté à l’audience spéciale du 10 avril 2018. Le demandeur soutient qu’il n’a pas reçu de copie de l’avis de décision du 17 avril 2018 l’informant que la SPR avait prononcé le désistement de sa demande d’asile parce qu’il ne s’était pas présenté pour expliquer pourquoi il n’avait pas produit son formulaire FDA.

[5]  Le 19 juillet 2018, l’avocat du demandeur a communiqué avec la SPR, qui l’a informé que l’audience qui devait avoir lieu le lendemain avait été annulée. Le demandeur et son avocat se sont tout de même présentés aux bureaux de la SPR le 20 juillet 2018. On leur a dit de nouveau que l’audience avait été annulée et on les a informés que le demandeur pouvait présenter une demande de réouverture de sa demande d’asile, ce qu’il a fait le 31 juillet 2018.

Décision faisant l’objet du contrôle

[6]  Dans une lettre datée du 17 août 2018, la SPR a rejeté la demande de réouverture de la demande d’asile, car elle n’était pas convaincue qu’il y avait eu manquement à un principe de justice naturelle, qui est le critère applicable à la réouverture d’une demande conformément au paragraphe 62(6) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012‑256 [les Règles de la SPR].

[7]  En réponse à l’affirmation du demandeur selon laquelle il n’a pas été informé de la tenue d’une audience spéciale le 10 avril 2018, la SPR a fait remarquer que les dates importantes sont communiquées à tous les demandeurs lorsqu’ils entament le processus de présentation d’une demande d’asile. Le demandeur a reçu un avis de convocation contenant des renseignements importants, dont la date à laquelle il devait produire son formulaire FDA et les dates des audiences spéciales. En réponse à l’allégation du demandeur selon laquelle l’avis de convocation n’a pas été traduit, la SPR a mentionné que le dossier contenait la déclaration d’un interprète, qui précisait que l’ensemble de la [traduction] « transaction » avait été traduite, ainsi que la déclaration d’un agent, qui indiquait que tout avait été expliqué au demandeur, y compris le délai pour le dépôt du formulaire FDA et les conséquences. La SPR a accordé plus de poids à cette preuve qu’aux éléments présentés par le demandeur, car celle‑ci était conforme à la pratique qui est couramment utilisée pendant les entrevues initiales.

[8]  La SPR a également conclu que le demandeur n’a pas déployé d’efforts diligents pour poursuivre les démarches entourant sa demande d’asile. Elle a fait remarquer qu’il a attendu jusqu’au 31 juillet 2018 pour déposer son formulaire FDA en même temps que sa demande de réouverture. La SPR a souligné que le demandeur a agi ainsi même s’il a eu l’aide d’une intervenante du refuge qui connaissait apparemment la procédure à suivre suffisamment bien pour savoir qu’il devait fournir ses coordonnées et qui a pris la peine de lui conseiller d’obtenir les services d’un avocat en vue de son audience à venir.

[9]  La SPR a également souligné que des instructions détaillées sont communiquées aux demandeurs lorsqu’ils demandent l’asile, dont une « Trousse à l’intention du demandeur d’asile » disponible en hongrois. De plus, le demandeur était tenu de fournir ses coordonnées dans les dix jours suivant le dépôt de sa demande d’asile, mais il ne l’a pas fait. Il a également omis d’aviser la SPR de son changement d’adresse lorsqu’il a quitté le refuge le 1er juillet 2018. Le demandeur a attribué la première omission au refuge, mais il n’a pas expliqué pourquoi il n’avait pas informé la SPR de son déménagement en juillet. La SPR a déclaré que le demandeur n’a pas reçu de courrier de sa part lorsqu’il vivait au refuge parce qu’il avait lui‑même omis de fournir son adresse. En outre, la SPR a conclu que le fait que le demandeur n’avait pas mis à jour son adresse démontrait qu’il n’avait pas déployé d’efforts diligents pour poursuivre les démarches entourant sa demande d’asile et qu’il ne s’était pas acquitté de ses obligations, pas même celles dont il était au courant, alors qu’il lui incombait de s’en acquitter.

[10]  En réponse à l’observation du demandeur selon laquelle il a pris des dispositions pour retenir les services d’un avocat en mai 2018 après qu’une intervenante du refuge lui eut conseillé de le faire, la SPR a souligné que les services d’un avocat n’étaient pas requis pour présenter le formulaire FDA ou comparaître devant la CISR. De plus, la SPR a fait remarquer que si l’intervenante du refuge connaissait suffisamment la procédure à suivre pour transmettre les coordonnées du demandeur et si elle était au courant de la date d’audience, il était raisonnable de s’attendre à ce qu’elle connaisse également la date limite pour le dépôt du formulaire FDA ainsi que l’obligation du demandeur de se présenter à l’audience. La SPR a conclu que le demandeur a été sélectif quant à ce que l’intervenante du refuge lui a dit et à ce qu’elle a fait pour lui.

[11]  La SPR a également conclu que, même si le demandeur a retenu les services d’un avocat le 5 juin 2018, il n’a pas agi avec diligence puisque son formulaire FDA et sa demande de réouverture n’ont été présentés que le 31 juillet 2018, plusieurs mois après que le désistement de sa demande a été prononcé.

[12]  En outre, la SPR a conclu que le demandeur n’a pas été privé de la possibilité d’obtenir une audience. Une audience a plutôt été tenue, mais il ne s’y est pas présenté.

[13]  La SPR a donc conclu que le demandeur [traduction] « n’a pas agi avec diligence en tout temps lorsqu’il a poursuivi les démarches entourant sa demande d’asile et n’a pas démontré qu’il y avait eu manquement à l’équité procédurale », et elle a rejeté la demande de réouverture.

Dispositions législatives pertinentes

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]

Désistement

Abandonment of proceeding

168 (1) Chacune des sections peut prononcer le désistement dans l’affaire dont elle est saisie si elle estime que l’intéressé omet de poursuivre l’affaire, notamment par défaut de comparution, de fournir les renseignements qu’elle peut requérir ou de donner suite à ses demandes de communication.

168 (1) A Division may determine that a proceeding before it has been abandoned if the Division is of the opinion that the applicant is in default in the proceedings, including by failing to appear for a hearing, to provide information required by the Division or to communicate with the Division on being requested to do so

Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012‑256

Réouverture d’une demande

Reopening a Claim or Application

Demande de réouverture d’une demande d’asile

Application to reopen claim

62 (1) À tout moment avant que la Section d’appel des réfugiés ou la Cour fédérale rende une décision en dernier ressort à l’égard de la demande d’asile qui a fait l’objet d’une décision ou dont le désistement a été prononcé, le demandeur d’asile ou le ministre peut demander à la Section de rouvrir cette demande d’asile.

62 (1) At any time before the Refugee Appeal Division or the Federal Court has made a final determination in respect of a claim for refugee protection that has been decided or declared abandoned, the claimant or the Minister may make an application to the Division to reopen the claim.

[…]

[…]

Élément à considérer

Factor

(6) La Section ne peut accueillir la demande que si un manquement à un principe de justice naturelle est établi.

(6) The Division must not allow the application unless it is established that there was a failure to observe a principle of natural justice.

Éléments à considérer

Factors

(7) Pour statuer sur la demande, la Section prend en considération tout élément pertinent, notamment :

a) la question de savoir si la demande a été faite en temps opportun et, le cas échéant, la justification du retard;

b) […]

(7) In deciding the application, the Division must consider any relevant factors, including

(a) whether the application was made in a timely manner and the justification for any delay; and

(b) […]

Désistement

Abandonment

Possibilité de s’expliquer

Opportunity to explain

65 (1) Lorsqu’elle détermine si elle prononce ou non le désistement d’une demande d’asile aux termes du paragraphe 168(1) de la Loi, la Section donne au demandeur d’asile la possibilité d’expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé :

65 (1) In determining whether a claim has been abandoned under subsection 168(1) of the Act, the Division must give the claimant an opportunity to explain why the claim should not be declared abandoned,

a) sur‑le‑champ, dans le cas où le demandeur d’asile est présent à la procédure et où la Section juge qu’il est équitable de le faire;

(a) immediately, if the claimant is present at the proceeding and the Division considers that it is fair to do so; or

b) au cours d’une audience spéciale, dans tout autre cas.

(b) in any other case, by way of a special hearing.

Audience spéciale — Formulaire de fondement de la demande d’asile

Special hearing — Basis of Claim Form

(2) L’audience spéciale sur le désistement de la demande d’asile pour défaut de transmettre en vertu de l’alinéa 7(5)a) un Formulaire de fondement de la demande d’asile rempli, est tenue au plus tard cinq jours ouvrables après la date à laquelle le formulaire devait être transmis. À l’audience spéciale, le demandeur d’asile transmet son Formulaire de fondement de la demande d’asile rempli, à moins qu’il ne l’ait déjà transmis à la Section.

(2) The special hearing on the abandonment of the claim for the failure to provide a completed Basis of Claim Form in accordance with paragraph 7(5)(a) must be held no later than five working days after the day on which the completed Basis of Claim Form was due. At the special hearing, the claimant must provide their completed Basis of Claim Form, unless the form has already been provided to the Division.

Audience spéciale — omission de se présenter

Special hearing — failure to appear

(3) L’audience spéciale sur le désistement de la demande d’asile pour défaut de se présenter à l’audience relative à la demande d’asile est tenue au plus tard cinq jours ouvrables après la date initialement fixée pour l’audience relative à la demande d’asile.

(3) The special hearing on the abandonment of the claim for the failure to appear for the hearing of the claim must be held no later than five working days after the day originally fixed for the hearing of the claim.

Éléments à considérer

Factors to consider

(4) Pour décider si elle prononce le désistement de la demande d’asile, la Section prend en considération l’explication donnée par le demandeur d’asile et tout autre élément pertinent, notamment le fait qu’il est prêt à commencer ou à poursuivre les procédures.

(4) The Division must consider, in deciding if the claim should be declared abandoned, the explanation given by the claimant and any other relevant factors, including the fact that the claimant is ready to start or continue the proceedings.

[…]

[…]

Questions en litige et norme de contrôle

[14]  Le demandeur soulève les questions suivantes :

  • i) La SPR a‑t‑elle omis de tenir compte de l’explication donnée par le demandeur?

  • ii) La SPR a‑t‑elle limité son pouvoir discrétionnaire?

  • iii) La décision de conclure au désistement de la demande d’asile du demandeur constitue‑t‑elle un manquement à un principe de justice naturelle et un manquement à l’équité procédurale, ce qui est contraire à l’article 7 de la Charte et aux principes de la common law?

[15]  Pour sa part, le défendeur soutient que la question est de savoir si la décision de la SPR de rejeter la demande de réouverture de la demande d’asile du demandeur est raisonnable.

[16]  À mon avis, les questions soulevées dans le cadre de la présente demande peuvent toutes être résumées par la question de savoir si la conclusion de la SPR selon laquelle il n’y a eu aucun manquement à un principe de justice naturelle justifiant la réouverture de la demande d’asile était raisonnable. La question de savoir si le demandeur a établi qu’il y a eu manquement à un principe de justice naturelle est une question mixte de fait et de droit, comme le démontrent les paragraphes 62(6) et 62(7) des Règles de la SPR. Par conséquent, j’estime que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Anni c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 134, aux paragraphes 13 et 14; Noel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 271, au paragraphe 24; Djilal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 812, aux paragraphes 5 à 7 [Djilal]; (Huseen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 845, aux paragraphes 12 et 13 [Huseen]).

Analyse

Observations du demandeur

[17]  Le demandeur soutient que, selon le paragraphe 65(4) des Règles de la SPR, la SPR doit prendre en considération l’explication donnée par le demandeur d’asile et tout autre élément pertinent. Le demandeur affirme que le critère à appliquer est de savoir si la conduite du demandeur d’asile constitue une expression de son intention de poursuivre les démarches entourant sa demande d’asile avec diligence (Ahamad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF No 289, au paragraphe 32 [Ahamad]).

[18]  Le demandeur soutient également que la SPR a mal interprété ou ignoré l’explication qu’il a donnée, y compris son allégation selon laquelle le traducteur ne lui a pas communiqué la date de l’audience spéciale. De plus, il soutient que la SPR a supposé que l’intervenante du refuge lui avait communiqué la date de cette audience et que la SPR a émis des hypothèses sur la manière dont il avait utilisé les services des personnes en question. Il affirme qu’il a toujours eu l’intention d’agir de bonne foi en donnant suite à sa demande d’asile, comme le prouvent les faits suivants : il a présenté sa demande immédiatement après son arrivée au Canada; il a communiqué avec des intervenants du refuge pour savoir où en était son dossier; il a demandé un certificat d’aide juridique; il a retenu les services d’un avocat; il s’est préparé pour l’audience sur le fond; et il s’est présenté à l’audience du 20 juillet 2018 même s’il savait qu’elle avait été annulée. Le demandeur fait valoir que la SPR a limité son pouvoir discrétionnaire en ne prenant pas en considération son explication et en émettant des hypothèses sur les connaissances et les capacités d’un intervenant de refuge. La SPR a également commis une erreur en accordant moins de poids au témoignage du demandeur qu’à la déclaration de l’interprète, qu’elle jugeait conforme aux procédures normalisées applicables lors de la présentation d’une demande d’asile. Le demandeur a fourni une explication raisonnable pour justifier le fait qu’il n’avait pas présenté son formulaire FDA avant la date limite et, par conséquent, sa demande de réouverture de sa demande d’asile aurait dû être accueillie conformément à l’article 62 des Règles. L’omission de la SPR de tenir compte de son témoignage a aussi mené celle‑ci à déclarer que le demandeur avait renoncé à son droit d’obtenir une audience, ce qui a par la suite donné lieu à un manquement à un principe de justice naturelle.

[19]  En outre, le demandeur soutient que la SPR a mal compris les faits. Plus précisément, elle a indiqué dans ses motifs que le formulaire FDA n’a été reçu que le 31 juillet 2018, mais, en réalité, il a été déposé le 29 juin 2018.

[20]  Puisqu’il n’a pas eu droit à une audience, le demandeur allègue qu’il y a eu manquement à un principe de justice naturelle et manquement à l’équité procédurale, ce qui est contraire à l’article 7 de la Charte. Il appuie cette allégation sur la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Singh c Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 RCS 177, aux pages 205 à 207 et 212 et 213, et Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, à la page 819.

Article 62 des Règles de la SPR

[21]  En ce qui concerne ces observations, je tiens tout d’abord à souligner qu’il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la SPR a rejeté la demande de réouverture de la demande d’asile du demandeur. L’article 62 des Règles de la SPR s’applique donc en l’espèce. La décision antérieure du 17 avril 2018, selon laquelle le demandeur avait abandonné sa demande d’asile parce qu’il n’avait pas déposé son formulaire FDA dans les 15 jours suivant la présentation de sa demande et parce qu’il ne s’était pas présenté à l’audience spéciale du 10 avril 2018 pour expliquer cette omission, a été rendue par la SPR conformément à l’article 168 de la LIPR et à l’article 65 des Règles de la SPR. Le présent contrôle judiciaire ne porte pas sur cette décision.

[22]  En ce qui concerne le rejet de la demande de réouverture, je dois déterminer si la SPR a raisonnablement conclu qu’il n’y a eu aucun manquement à un principe de justice naturelle lorsqu’elle a rendu sa décision quant au désistement de la demande d’asile.

[23]  La Cour a statué que le pouvoir de la SPR de rouvrir une demande d’asile est très limité, comme le démontre le libellé restrictif du paragraphe 62(6) des Règles de la SPR (Huseen, au paragraphe 14), mais que la SPR peut rouvrir une demande d’asile lorsqu’il y a eu manquement à un principe de justice naturelle ou manquement à l’équité procédurale envers le demandeur (Huseen, aux paragraphes 19 et 20). Le demandeur a le fardeau de la preuve (Djilal, au paragraphe 28). De plus, un manquement à un principe de justice naturelle n’a pas besoin de résulter d’une erreur de la SPR (Djilal, au paragraphe 29). Il a été reconnu que, dans certaines circonstances, la négligence de l’avocat postulant est suffisante pour causer un déni de justice naturelle en ce qui concerne une audience sur le désistement d’une demande (Osagie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1368, au paragraphe 27 [Osagie]; Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 833, aux paragraphes 26 à 30).

[24]  Comme il a été mentionné précédemment, une demande de contrôle judiciaire concernant le refus de rouvrir une demande d’asile est distincte d’une demande de contrôle judiciaire concernant le désistement d’une demande d’asile. Par conséquent, bien que les observations du demandeur soient en grande partie fondées sur la décision Ahamad, dans laquelle la Cour a conclu que le critère à appliquer lors de l’examen des décisions sur le désistement rendues par la SPR consiste à savoir si, compte tenu de l’ensemble des circonstances et des facteurs pertinents, le comportement du demandeur suggérait clairement un désir ou une intention de poursuivre sa demande d’asile (Ahamad, au paragraphe 37), ce critère s’applique aux décisions sur le désistement qui sont rendues conformément à l’article 168 de la LIPR et à l’article 65 des Règles de la SPR. La Cour a statué que l’intention de poursuivre les demandes d’asile n’est pas directement pertinente à la présente demande selon l’article 62 des Règles de la SPR (Djilal, aux paragraphes 30 à 32).

[25]  Contrairement à ce que soutient le demandeur, il est clair que la SPR dispose d’un pouvoir discrétionnaire limité lorsqu’il s’agit de décider si une demande d’asile doit être rouverte conformément à l’article 62 des Règles. Le paragraphe 62(6) des Règles de la SPR précise que la SPR « ne peut » accueillir la demande que si un manquement à un principe de justice naturelle est établi. Cependant, lorsqu’il s’agit de décider si une demande d’asile doit être rouverte, la SPR doit prendre en considération « tout élément pertinent », notamment la question de savoir si la demande a été faite en temps opportun et, le cas échéant, la justification du retard (paragraphes 62(6) et 62(7) des Règles de la SPR). À cet égard, dans les cas comme la présente affaire, la SPR peut être tenue de prendre en considération les démarches qu’a faites le demandeur avant et après le rejet de sa demande, dans la mesure où ces démarches se rapportent au respect du délai et à la justification, le cas échéant, du retard dans la présentation de la demande de réouverture de sa demande d’asile.

Omission de prendre en compte la preuve

[26]  À mon avis, la prétention du demandeur selon laquelle la SPR a omis de tenir compte des éléments de preuve qu’il a produits pour expliquer pourquoi il ne s’est pas présenté à l’audience spéciale du 10 avril 2018 est dénuée de fondement. Il ressort clairement des motifs exposés que la SPR savait que le demandeur soutenait que le traducteur n’avait pas traduit le passage de l’avis de convocation précisant qu’il serait tenu de se présenter à une audience spéciale le 10 avril 2018 pour fournir une explication si son formulaire FDA n’était pas déposé dans les 15 jours suivant la présentation de sa demande d’asile. La SPR savait aussi que le demandeur soutenait que les intervenants du refuge n’avaient pas transmis son adresse à la SPR, qu’ils ne l’avaient pas informé de la date de l’audience spéciale relative à son formulaire FDA, et qu’ils lui avaient laissé croire que tous les documents exigés avaient été soumis. La SPR n’a tout simplement pas accepté ces explications et en a donné les raisons. J’ajouterais que la SPR n’était pas tenue d’accepter ces explications simplement parce que le demandeur a affirmé qu’elles étaient raisonnables. Le caractère raisonnable des conclusions de la SPR concernant la traduction des documents relatifs à la demande du demandeur et le rôle des intervenants de refuge est abordé ci‑dessous.

Omissions dans l’interprétation

[27]  Selon la déclaration de l’interprète datée du 18 mars 2018 qui se trouve dans le dossier certifié du tribunal [le DCT], l’interprète nommé dans la déclaration a traduit l’échange verbal entre l’agent et le demandeur pendant l’interrogatoire, ainsi que le contenu des formulaires énumérés dans la déclaration de l’agent et le contenu de cette déclaration. Les documents énumérés comprennent l’avis de convocation et le formulaire Reconnaissance de conditions, qui est un formulaire‑type. En l’espèce, le formulaire Reconnaissance de conditions qui a été rempli confirme notamment que le demandeur fournira son adresse résidentielle à l’ASFC dans un délai de 48 heures, qu’il communiquera sa nouvelle adresse résidentielle en personne et par écrit à un bureau de l’ASFC, et qu’il informera le centre d’appels de Citoyenneté et Immigration Canada de sa nouvelle adresse résidentielle en appelant au numéro fourni. Dans la section des « autres conditions », il est précisé que le demandeur doit aviser la CISR d’un changement d’adresse dans un délai de dix jours et qu’il doit transmettre à la CISR l’original du formulaire FDA dûment rempli et une copie de celui‑ci dans les 15 jours suivant la date dudit formulaire (18 mars 2018). Ce formulaire est signé par le demandeur.

[28]  L’avis de convocation est également un formulaire‑type. Il contient différents renseignements, dont la date et le lieu de l’audience relative à la demande d’asile (20 juillet 2018), ainsi que la date de l’audience spéciale qui se tiendra si le demandeur ne se présente pas à l’audience prévue (27 juillet 2018). Dans la section « Coordonnées », il est précisé que les demandeurs d’asile qui n’ont pas fourni leur adresse à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] ou à l’ASFC au moment où leur demande d’asile a été déférée sont tenus de fournir leur adresse au ministère concerné ou à la SPR au plus tard dans les dix jours suivant la réception de l’avis. L’avis de convocation indique également que les demandeurs d’asile peuvent consulter leur Guide du demandeur d’asile ou communiquer avec le bureau de la SPR à l’adresse fournie pour obtenir des renseignements supplémentaires. Plus important encore, il est mentionné ce qui suit à la deuxième page de l’avis de convocation :

[traduction]

Transmission du formulaire Fondement de la demande d’asile

La SPR doit recevoir le formulaire Fondement de la demande d’asile dûment rempli dans les 15 jours suivant la date à laquelle votre demande d’asile lui a été déférée. Si vous omettez de transmettre à temps le formulaire Fondement de la demande d’asile dûment rempli, vous devrez comparaître à une audience spéciale muni de votre formulaire dûment rempli, à l’endroit mentionné précédemment et à la date et à l’heure indiquées ci‑dessous.

Date d’audience spéciale si le formulaire Fondement de la demande d’asile n’est pas reçu à temps

Si la SPR n’a pas reçu à temps votre formulaire Fondement de la demande d’asile, vous devrez comparaître à l’endroit mentionné le 10 avril 2018 à 9 h afin d’expliquer pourquoi votre formulaire Fondement de la demande d’asile n’a pas été reçu par la SPR dans le délai prévu. Si vous ne vous présentez pas, la SPR pourra prononcer le désistement de votre demande d’asile. Si la SPR est satisfaite de votre explication et ne prononce pas le désistement de votre demande, vous devez être prêt à procéder à la date prévue pour l’audition de votre demande d’asile.

[29]  De plus, le DCT contient les notes du délégué du ministre datées du 18 mars 2018, qui précisent également que l’avis de convocation, les documents du demandeur d’asile, le formulaire FDA et d’autres documents ont été transmis au demandeur. La section [traduction] « Commentaires supplémentaires » contient des renseignements sur l’identité de l’interprète dont les services ont été retenus, de même qu’une déclaration selon laquelle tout a été expliqué au demandeur, qui n’avait aucune question. Ce formulaire est signé par le délégué.

[30]  À mon avis, la SPR était en droit de soupeser les éléments de preuve dont elle disposait en ce qui concerne la traduction (voir Osagie, au paragraphe 13). Il était loisible et raisonnable de la part de la SPR d’accorder plus de poids à la confirmation des services d’interprétation fournis dans le cadre du processus habituel de traitement initial des demandes d’asile qu’à la déclaration du demandeur selon laquelle l’avis de convocation lui avait été remis le 18 mars 2018 et il avait été informé du délai de 15 jours pour présenter son formulaire FDA, mais qu’aucun service d’interprétation n’avait été fourni pour l’audience spéciale du 10 avril 2018.

[31]  Il était donc raisonnable que la SPR conclue que le demandeur avait été informé de la date de l’audience spéciale et qu’il était conscient de la nécessité de fournir son adresse à la SPR. Par conséquent, le défaut du demandeur de se présenter à l’audience spéciale et de recevoir l’avis de la décision du 17 avril 2018 sur le désistement de sa demande n’a pas donné lieu à un manquement à un principe de justice naturelle.

Recours aux intervenants du refuge

[32]  Le demandeur a également affirmé qu’il s’est fié aux intervenants du refuge pour transmettre son adresse à la SPR et lui communiquer la date de son audience spéciale, mais ils ne l’ont pas fait.  

[33]  Le demandeur reconnaît que l’interprète lui a dit que l’ASFC lui fournirait un formulaire FDA, et il affirme que l’interprète lui a conseillé de montrer ce formulaire aux intervenants d’un refuge pour qu’ils l’aident à le remplir au cours des 15 jours suivants. Dans la déclaration solennelle que le demandeur a déposée à l’appui de la demande de réouverture de sa demande d’asile, le demandeur a déclaré que le 21 mars 2018, une intervenante du refuge a consigné son adresse et lui a dit qu’elle la transmettrait à l’ [traduction] « immigration ». Il l’a alors cru et s’est fié à elle. De plus, il affirme que les intervenants du refuge ne lui ont pas dit qu’une audience spéciale aurait lieu et que, comme lui, ils croyaient que l’audience se tiendrait le 20 juillet 2018. Le demandeur mentionne qu’il a rencontré une intervenante du refuge le 13 avril 2018 (le but de cette rencontre n’a pas été précisé) et que l’intervenante lui a dit que les formulaires exigés par l’immigration avaient été envoyés et qu’il ne devait pas s’inquiéter, mais elle n’a pas parlé de l’audience du 10 avril 2018.

[34]  Lorsqu’il a comparu devant moi, l’avocat du demandeur a répondu à l’une de mes questions en mentionnant que le demandeur ne voulait pas dire qu’il croyait que les intervenants du refuge avaient transmis son formulaire FDA à la SPR, mais plutôt qu’ils avaient transmis son adresse. D’ailleurs, même si les intervenants du refuge pouvaient transmettre l’adresse du refuge au nom du demandeur, ils ne pouvaient pas remplir le formulaire FDA sans sa participation, car le demandeur devait fournir les raisons pour lesquelles il demandait l’asile. De plus, rien dans la déclaration solennelle que le demandeur a présentée à la SPR ne laisse entendre que les intervenants du refuge l’ont aidé à remplir son formulaire FDA. Cette déclaration ne contient également aucune explication sur les raisons pour lesquelles le formulaire FDA n’a pas été transmis à temps même si le demandeur a reconnu que l’ASFC l’avait informé du délai de 15 jours et que ce renseignement avait été traduit.

[35]  En ce qui concerne le fait que le demandeur a eu recours aux intervenants d’un refuge, la SPR semble tirer des conclusions quant aux conseils que ceux‑ci lui ont donnés, comme le démontre le passage suivant :

[traduction]

Le demandeur a attendu jusqu’au 31 JUILLET pour présenter son formulaire FDA en même temps que sa demande de réouverture, et ce, même s’il a reçu l’aide d’une intervenante du refuge [sic] qui connaissait apparemment la procédure à suivre suffisamment bien pour savoir que le demandeur devait fournir ses coordonnées et qui a pris la peine de lui conseiller d’obtenir les services d’un avocat en vue de son audience à venir.

[…]

Néanmoins, si l’intervenante du refuge connaissait suffisamment la procédure à suivre pour transmettre les coordonnées du demandeur et si elle était au courant de la date d’audience, il était raisonnable de s’attendre à ce qu’elle connaisse également la date limite pour le dépôt du formulaire FDA ainsi que l’obligation du demandeur de se présenter à l’audience. Le demandeur est sélectif quant à ce que l’intervenante du refuge lui a dit et à ce qu’elle a fait pour lui.

[36]  Ces conclusions reposent sur des hypothèses. La SPR semble avoir conclu implicitement que les intervenants du refuge possédaient une expertise suffisante pour aider le demandeur à présenter sa demande d’asile et, selon cette conclusion, mais contrairement au témoignage sous serment du demandeur, ils l’avaient informé de la date limite pour le dépôt de son formulaire FDA et de son obligation de se présenter à l’audience spéciale du 10 avril 2018 s’il ne présentait pas son formulaire FDA à temps. J’estime que cette conclusion n’est pas étayée par les éléments de preuve dont disposait la SPR.

[37]  Cela dit, l’hypothèse de la SPR à cet égard n’a pas pour effet d’annuler sa conclusion selon laquelle le demandeur était au courant qu’une audience spéciale se tiendrait le 10 avril 2018, compte tenu des documents qu’il a présentés et qui ont été traduits pour lui, ou sa conclusion selon laquelle le demandeur était tenu de communiquer son adresse à la SPR et de l’informer de tout changement d’adresse. De plus, même si, dans certaines circonstances, un demandeur peut raisonnablement se fier à son avocat pour faire avancer sa demande d’immigration, je suis d’avis qu’on ne peut pas en dire autant des intervenants de refuge.

[38]  Dans ces circonstances, il était raisonnable de la part de la SPR de ne pas conclure que les actes que les intervenants du refuge auraient posés ou les omissions qu’ils auraient commises établissaient un manquement à un principe de justice naturelle.

Retard dans la présentation de la demande de réouverture

[39]  À titre d’observation préliminaire, je tiens à préciser que bien que la SPR, le demandeur et le défendeur aient accordé beaucoup de poids aux efforts diligents qu’a déployés le demandeur pour poursuivre sa demande d’asile, les actes commis par un demandeur pour poursuivre sa demande d’asile ne sont pas directement pertinents à une demande de réouverture, comme il est énoncé dans la décision Djilal.

[40]  Au contraire, conformément au paragraphe 62(6) des Règles de la SPR, la SPR devait déterminer s’il y avait eu manquement à un principe de justice naturelle et, conformément au paragraphe 62(7) des Règles, elle devait prendre en considération « tout élément pertinent » à cet égard, dont la question de savoir si la demande a été faite en temps opportun et, le cas échéant, la justification du retard. Puisqu’il est précisé au paragraphe 62(6) des Règles de la SPR que cette dernière « ne peut accueillir » la demande que si un manquement à un principe de justice naturelle est établi, la question de savoir si un manquement à un principe de justice naturelle a été établi est une question fondamentale pour la SPR.

[41]  Dans certaines circonstances, les éléments de preuve présentés dans le cadre d’une demande de réouverture sont relativement les mêmes que ceux qui sont produits lorsque la SPR doit rendre une décision sur le désistement d’une demande conformément à l’article 168 de la LIPR et à l’article 65 des Règles de la SPR, dans la mesure où ces éléments servent également à expliquer un retard dans la présentation de la demande de réouverture ou à établir une allégation de manquement à l’équité procédurale. Par exemple, si un demandeur a raisonnablement fait appel à son avocat pour lui donner des conseils et l’aider à poursuivre sa demande d’asile et qu’il a été mal conseillé, de sorte qu’il n’a pas présenté son formulaire FDA à temps et qu’il ne s’est pas présenté par la suite à son audience spéciale, cette preuve peut être utilisée pour expliquer, lors d’une audience spéciale tenue conformément à l’article 65 des Règles, pourquoi le demandeur n’a pas fait preuve de diligence en poursuivant sa demande d’asile même s’il a toujours eu l’intention de donner suite à sa demande (voir Osagie, aux paragraphes 24 à 26). Ces mêmes éléments de preuve peuvent être utilisés pour justifier un retard dans la présentation d’une demande de réouverture d’une demande d’asile et pour établir qu’il y a eu un manquement consécutif à un principe de justice naturelle non respecté en vertu des paragraphes 62(6) et 62(7) des Règles de la SPR.

[42]  Cela dit, je suis d’accord avec le demandeur pour dire qu’en l’espèce, la SPR a commis une erreur de fait lorsqu’elle a pris en considération le délai dans lequel le demandeur a présenté la demande de réouverture de sa demande d’asile. Le demandeur a affirmé qu’il avait rencontré son avocat à plusieurs reprises pour préparer son formulaire FDA, qui a été déposé auprès de la SPR le 29 juin 2018. Je tiens aussi à souligner qu’il est également mentionné que le formulaire FDA a été déposé le 29 juin 2018 dans une lettre datée du 30 juillet 2018 qui a été présentée à la SPR par l’avocat du demandeur lors de la présentation de la demande de réouverture de sa demande d’asile en vertu de l’article 62 des Règles de la SPR et qui a été versée au DCT. Ce fait n’est pas contesté par le défendeur. Par conséquent, je suis convaincue que la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a déclaré que, même si le demandeur a retenu les services d’un avocat le 5 juin 2018, son [traduction] « formulaire FDA n’a été présenté que le 31 JUILLET 2018, soit plusieurs mois après la date limite et plusieurs mois après le prononcé du désistement de sa demande ». La SPR a donc déclaré que, si les services d’un avocat ont été retenus en début juin, il était raisonnable de s’attendre à ce que la demande de réouverture soit présentée avant la fin du mois de juillet. Elle a également déclaré que les demandeurs sont responsables de leur avocat et que le fait que deux mois se sont écoulés avant la présentation de la demande de réouverture démontre que le demandeur ne tenait pas sérieusement à poursuivre sa demande d’asile. Cette conclusion se rapporte en fait à l’explication du demandeur quant à son retard à présenter sa demande de réouverture et à la justification qu’il a fournie conformément au paragraphe 62(7) des Règles.

[43]  Toutefois, indépendamment de cette erreur, le demandeur n’a pas expliqué à la SPR pourquoi son avocat n’avait pas compris, au moment où il a retenu ses services, que le délai de 15 jours pour déposer le formulaire FDA avait expiré le ou vers le 3 avril 2018, puisque le demandeur avait présenté sa demande le 18 mars 2018. L’avocat aurait dû savoir qu’il est d’usage de tenir une audience spéciale si le formulaire FDA n’est pas présenté à temps et que le défaut de se présenter à cette audience pourrait entraîner le prononcé du désistement de la demande. La SPR a reconnu ce fait et a déclaré qu’il était peu probable que l’avocat n’ait pas informé le demandeur, lorsque ce dernier a retenu ses services, que ces délais importants avaient été dépassés et que la SPR avait probablement prononcé le désistement de sa demande d’asile.

[44]  De même, le demandeur affirme qu’il n’a pas reçu l’avis de décision du 17 avril 2018 indiquant que le désistement de sa demande d’asile avait été prononcé. Il affirme également que son avocat ne l’a informé que la SPR lui avait communiqué cette décision que le 18 juillet 2018, soit deux jours avant l’audience. Abstraction faite de la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur était tenu de fournir son adresse à la SPR, ce qu’il n’a pas fait, aucune explication n’a encore une fois été donnée en ce qui concerne les raisons pour lesquelles, dans ces circonstances, le demandeur n’a pas immédiatement déployé des efforts pour déposer son formulaire FDA et présenter sa demande de réouverture.

[45]  En outre, même si la SPR a tenu compte de la diligence dont le demandeur a fait preuve en poursuivant les démarches entourant sa demande d’asile au lieu de présenter une demande de réouverture, le critère à respecter pour l’application de l’article 62 des Règles consiste, au bout du compte, à déterminer s’il y a eu manquement à un principe de justice naturelle. En l’espèce, comme l’a déclaré la SPR, le demandeur a eu l’occasion de se présenter à une audience spéciale au cours de laquelle il aurait pu expliquer pourquoi le désistement de sa demande d’asile ne devrait pas être prononcé même s’il n’avait pas présenté son formulaire FDA dans le délai établi de 15 jours. La SPR n’a pas accepté son explication selon laquelle le traducteur ne l’avait pas informé de la tenue d’une telle audience ou qu’il n’était pas au courant de la tenue de cette audience. Une audience a donc été tenue et, si le demandeur s’y était présenté, il aurait pu expliquer pourquoi il avait présenté son formulaire FDA après le délai établi. Par conséquent, il n’y a eu aucun manquement à un principe de justice naturelle.

[46]  La norme de la décision raisonnable est empreinte de déférence, et les questions soumises aux tribunaux administratifs peuvent donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Dans une procédure de contrôle judiciaire, le caractère raisonnable tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). En l’espèce, même si ses motifs n’étaient pas parfaits, la décision de la SPR appartient à ces issues.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4318‑18

LA COUR STATUE :

  1. que la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. qu’aucuns dépens ne sont adjugés;

  3. qu’aucune question de portée générale à certifier n’a été proposée ni n’est soulevée.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 14e jour de juin 2019

Manon Pouliot, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4318‑18

INTITULÉ :

TAMAS HEGEDUS c MCI

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 MARS 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA juge STRICKLAND

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

le 8 avril 2019

COMPARUTIONS :

Roger Rowe

POUR LE DEMANDEUR

Lianne Briscoe

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Law Offices of Roger Rowe

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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